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Les épreuves de Clara : son rapport aux institutions

5. Démarche de recherche

5.3 Déroulement des entretiens

5.3.9 Les épreuves de Clara : son rapport aux institutions

L’école et les études : « j’ai eu des problèmes de rejet »

Clara se fait « claquer » par les autres élèves, ce qui finit par la marquer

durablement. Là encore, c’est dans la violence et l’opposition contre le leader que se construit Clara. La relation avec et surtout contre les autres détermine en quelque sorte et présage de ses futures difficultés professionnelles.

Je pense que j’aimais assez l’école, mais j’ai eu des problèmes de rejet. En fait ce qui s’est passé,

années

5 10 15 20 25 30 35 40 45

1976 1980

naissance 1982

7 14

1989

17

1992 19951994 Rencontre avec M, avortement

Début de l’école primaire Divorce des parents ECG,et concours 1996 1998Stages en crèche 2001Ecole de la petite enfance 15 ans de travail en crèche 2010 201237 la maladie, l’isolement Diagnostic:schyzophnie paranoïde

38 41Atelier progé, tentative de formationdtique

2013 2016 43 2018 2020

Projet deinsertion en suspend

2004 2009 36 42

21

19991986

27 39

22 24

c’était que j’aimais bien avoir des idées personnelles et puis il y en avait certains, qui avaient envie de manager un petit peu les groupes et puis je ne me suis jamais calquée sur les manières de voir du leader. Donc, j’ai eu pas mal de difficulté dans mon enfance à l’école primaire avec cela (l. 60-64)

Oui, je me faisais marcher sur les pieds, je me faisais claquer à la récréation, parce que je n’entrais pas dans le moule de Chantal. C’était Chantal. Qui voulait absolument que l’on fasse les choses à sa manière, puis moi cela ne m’intéressait pas du tout. Donc, il y a eu beaucoup de problèmes, on a dû appeler la direction, on a dû voir les parents. Donc, mon école primaire a été mitigée au niveau des relations avec les autres. (l. 68-72)

Des difficultés relationnelles qui s’accumulent, qui l’isolent ; déjà des réminiscences qui font écho avec les difficultés qu’elle aura avec ses collaboratrices dans le

monde du travail.

Avec les relations avec cette fameuse Chantal et les filles qui allaient autour, c’était compliqué. Il y en avait certaines qui dès qu’elle n’était pas là, venaient me parler, mais dès qu’elle était là, c’était juste la barrière totale. Donc, ce sont des choses qui m’ont marquée et étonnamment je les ai retrouvées dans mon travail d’équipe plus tard, par la suite, j’ai eu aussi des soucis d’équipe important. Il est vrai que cela m’a fait des échos à ce niveau-là qui étaient assez forts. (l. 101-105)

L’institution familiale : « prendre la tangente »

Oui je n’arrivais pas à respirer. C’était impossible, je partais tout le temps. (l. 190)

Avec ma mère on est très proches, au niveau de l’affection, au niveau de la relation. Mon père, nous avons une bonne relation, mais nous sommes déjà plus écartés. Et puis là, il y avait une autre femme qui était là, et plutôt emmerdée que je sois là, en fait. Il faut le dire comme c’est. C’était plutôt la fille de l’autre femme qui vient à la maison, puis il faut l’accueillir, c’était un peu cela, l’histoire, donc, ce n’était pas tout simple. Puis, là, je fumais de plus belle, j’étais tout le temps pétée. (…), au collège, j’ai complètement foiré, j’ai fait trois ans. Première année, deuxième année cela a joué, la troisième cela n’a pas joué, j’ai répété la troisième année, la deuxième fois c’était encore pire, mais là j’avais pris mon studio. (l. 223-232)

L’institution médicale (1) : « j’ai failli crever »

Une épreuve que Clara vit comme un drame majeur de son existence et qui lui laisse des traces.

Clara : Bien, l’enfant j’en ai eu un quand j’avais vingt ans, mais je l’ai avorté. Je n’étais pas prête, je ne l’ai pas gardé malheureusement, c’était M., justement. Lui était en pleine étude, moi, j’allais commencer les miennes. Ce n’était pas gérable, on ne l’a pas gardé.

S.C.31 : Et cela a été comment ?

Clara : dramatique, j’ai mis quatre ans et demi à m’en remettre. Chez le psychiatre, je pleurais tout le temps.

S.C. : Tout de suite après ?

Clara : Oui, je suis entrée en thérapie, pour d’autres choses aussi.

S.C. : Mais cela c’est une décision, comment elle s’est prise ?

Clara : J’en avais besoin. Bien la décision de l’avortement, d’abord on a fait le test, et puis on était un peu émerveillé tous les deux à se regarder dans les yeux et tout. Et puis après, je n’ai pas du tout suivi… je ne me voyais pas du tout avoir un enfant, j’avais dix- neuf ans et demi. Je n’étais pas

31 Sandra Coppey

prête. J’avais mon « deux pièces », lui habitait encore chez sa mère, il commençait son stage et avait trois ans devant lui. Moi, mes trois ans d’école devant moi. Ce n’était pas possible. Je n’en ai pas parlé à ma mère, je suis allée chez le psychiatre, j’ai dit je ne veux pas le garder, je suis allé chez le médecin, ils m’ont fait une échographie. Ils m’ont dit qu’il allait bien qu’il avait tout ce qu’il faut où il faut. « Mais bande de connards, je ne veux pas le garder ! Cela ne me sert à rien que vous me disiez cela ! » Et puis, bon après c’était le drame ! Je me suis réveillée de l’avortement, j’étais en larmes, j’ai hurlé dans l’hôpital, en plus j’ai fait une hémorragie interne pendant l’intervention, j’ai failli crever. Ma mère n’était même pas au courant. (l. 907-932)

L’institution du travail : « il y a eu des bugs »

Clara est directe, trop directe selon ses collègues de travail, elle passe d’un emploi à l’autre toujours dans le domaine de la petite enfance. Dès sa première expérience, c’est difficile. Elle n’assume pas bien la partie relationnelle de son travail.

Bien, je réagis, je rentre dans le cadre, je me rebelle. Le problème, c’est que j’y vais direct, je n’attends pas de reparler, ce que l’on m’a souvent reproché. Il faut attendre, il faut prendre un moment pour discuter avec la personne. (l. 523-525)

Alors, j’ai trouvé un boulot, ma première offre d’emploi, j’étais engagée et cela c’était compliqué, mon premier boulot. (…). J’ai commencé sur le rush, avec un groupe de dix, dans un établissement qui accueille les mères seules qui sont soit alcooliques, soit battues, soit qui ont de gros

problèmes. Donc, c’était des enfants, sur les dix j’en avais huit qui étaient en situation vraiment grave. Donc, ce n’était déjà pas simple, comme premier boulot, en plus ma collègue, pas là. Donc, je me retrouvais avec des collègues toujours différentes, qui venaient en remplacement et là, cela s’est assez mal passé, en fait. Bon, avec les enfants, cela allait très bien, j’ai bien géré mon boulot, mais la partie relationnelle avec les équipes, cela a déjà commencé à foirer assez fortement. (…) c’est vrai qu’il s’est avéré qu’il y a eu des bugs, assez importants, dès le départ. (l. 667-681)

Des symptômes qui deviennent de plus en plus présents et une souffrance immense qui se confronte aux institutions du travail, elle se met en arrêt-maladie.

S.C. : Mais, il y a un moment donné où ce n’est plus possible de travailler. Tu es enfermée chez toi ? Clara : Ah non, non, j’étais au travail, je pensais qu’il y avait des extraterrestres dans les casiers…

non, non, c’était juste plus possible.

S.C. : Mais, tu en parlais autour de toi à tes collègues ? Clara : Non, jamais. Ça débloquait bien grave !

S.C. : à un moment donné, tu ne vas plus travailler ?

Clara : Bien, j’entendais mes pensées au travail et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J’avais l’impression que tout le monde entendait. Donc, pour moi c’était une torture.

P. Z. : En fait, quand est-ce que tu as pu verbaliser cela pour la première fois ?

Clara : Bien deux ans après. J’ai passé deux ans chez moi à l’assurance perte de gain. Puis, après j’ai dû être expertisée, puis on m’a passée à l’assurance invalidité.

S.C. : Donc, là le travail s’arrête à ce moment-là ?

Clara : Oui. Je n’étais plus capable. Même avec les enfants, je n’étais plus capable. Ça ne jouait plus.

S.C. : Et le théâtre encore ?

Clara : Oui le théâtre, j’ai continué un moment et ensuite même cela je n’ai plus pu. C’était pareil, j’avais l’impression qu’ils entendaient mes pensées pendant que je faisais mon théâtre et puis que tout le monde rigolait. Donc, cela n’était plus gérable, j’ai dû arrêter.

S.C. : Donc, il y a une espèce de période parenthèse, où il n’y a pas le travail, où il y a la maladie,

mais pas encore vraiment verbalisée et c’est deux ans, comme cela un peu…

Clara : Ah, oui, c’était deux ans compliqués

Bien déjà, j’ai mis deux ans à en parler, parce que mes symptômes étaient tellement impressionnants que je n’osais en parler à personne. (l. 983-984)

Les délires de Clara la plongent dans un grand isolement, elle se sent épuisée, ne contrôle plus du tout ses pensées.

J’ai eu des grosses crises de psychose, j’ai eu des gros délires, des paranoïas assez violentes et puis surtout j’ai eu des échos de pensées qui se sont mis à se réverbérer dans la rue. En fait, ça me fait comme un vocaphone, je n’entends pas de voix, mais mes propres pensées. Mais de la puissance d’un stade de foot ! (l. 988-991)

Trente et un ans, c’est dans la trentaine que cela se déclare. Bon, il y a eu des choses qui font que j’étais épuisée qui n’ont pas aidé et puis ayant fumé beaucoup de substance aussi, je pense que cela n’a pas aidé non plus. Mais, cela se serait sûrement déclaré de toute façon. (l. 1012-1014) L’institution médicale (2) : « des médicaments qui m’ont fait délirer encore plus »

Clara vit dans l’isolement le plus total depuis deux ans, elle a peur de parler de ses crises de paranoïa, de ses crises « d’échos », elle a peur de se faire enfermer dans une institution psychiatrique.

Elle subit d’abord un mauvais traitement qui accentue ses symptômes. Puis, la rencontre avec un psychiatre qui lui prescrit des neuroleptiques. Et une démarche d’analyse qui commence.

Et là, j’ai consulté mon généraliste qui m’a donné un premier traitement, qui n’a pas du tout marché, parce qu’il m’a donné des médicaments qui m’ont fait délirer encore plus. (…). Je ne supportais plus mon appartement, je ne pouvais plus vivre chez moi.

Donc, je suis restée deux ans chez moi, ensuite j’ai consulté mon généraliste, qui m’a recommandé un psychiatre. Et du coup, ils m’ont prescrit un traitement et ils m’ont mis à l’assurance invalidité.

(…) cela fait trois ans maintenant que je fais de la rédaction à l’institut X, (…). Ils prennent vraiment des personnes qui sont en panne dans leurs vies professionnelles, ou qui ont eu des problèmes de santé, ou autres problèmes. (…). Je travaille là-bas à mi-temps, à raison de cinq demi-journées par semaine. J’ai un coaching d’une personne qui me coache toutes les semaines, j’ai mon

responsable, avec qui je prévois le programme et puis j’ai décidé de faire une analyse avec lui, d’ailleurs, parce que l’on s’entend vraiment bien. Je la paye de ma poche. J’ai aussi mon psychiatre qui lui est remboursé par l’assurance, qui me prescrit les médicaments, tout ce qui est de l’ordre de la paperasse pour l’assurance et ce genre de choses. Et puis, bon, c’est vrai que je me suis vite rendu compte qu’avec mon psychiatre, j’avais moins de marge de manœuvre au niveau de la discussion, parce que c’est plutôt il écoute et puis voilà. Par contre, mon analyste, on parle vraiment. On approfondit, on discute, on échange. Cela me permet de faire un peu la lumière sur des choses qui sont compliquées. (l. 1129-1155)

On lui donne des neuroleptiques qui font disparaître la majorité de ses symptômes.

Une lente démarche médicale de traitement commence.

Clara : Non, c’est qu’à un moment donné, je n’en pouvais plus, je suis allée parler. Parce qu’au début je me suis dit, c’est tellement fou, je vais me faire enfermer, je ne voulais pas en parler.

J’avais peur. (l. 1016-1019)

S.C. : Et puis, alors, est-ce qu’il t’ont enfermée ? Clara : Non, jamais.

S.C. : Et cela t’a soulagée ?

Clara : Le traitement ? De pouvoir en parler, oui. Maintenant je suis sous neuroleptique depuis sept ans, cela se passe bien, j’ai encore des crises d’échos, mais principalement les délires, les psychoses et les paranoïas sont parties, mais les crises d’échos j’en ai encore, sauf que cela a diminué. Je n’entends plus aussi fort. Puis je gère maintenant. (l. 1022-1031)

Il a fallu pour cela qu’elle arrive à « bout psychiquement » P. Z. : Mais la souffrance est très forte !

Clara : Ah c’était hyper violent ! C’était épouvantable, clair ! C’était un gros choc.

. : C’était vraiment cette souffrance psychique ?

Clara : Oui. C’était trop violent. Je ne me rappelle plus avec qui j’étais, mais je ne crois pas que j’étais seule.

S.C. : Tu te dis ça cloche ?

Clara : Bien, je me disais qu’est-ce qui se passe ? Oui, là, au secours ! J’entendais porter plainte en bas de chez moi tous les jours.

S.C. : C’est quoi qui fait que tu sors pour aller consulter ? C’est le fait que t’es au bout de la caisse- maladie, tu n’as plus le choix, ou il y a un évènement ?

Clara : Je pense que c’était finalement l’échéance qui m’a poussée à faire les démarches et j’étais à bout psychiquement. (l. 1111-1125)

Le remède auquel elle veut accéder est difficile à maintenir, elle se sent fragile.

Oui, mais bon, ça fait des mois que je rumine, que je procrastine comme dit mon ami, parce que je remets toujours au lendemain, lorsqu’il s’agit des papiers. Après je suis dans des états pas

possibles, je m’angoisse et tout. Donc, cela me bouffe depuis des semaines cette histoire-là.

(l. 340-343)

Tableau 15: Évaluation des dispositifs en fonction de l’appréciation de Clara

Clara Dispositif

-Le travail (le rapport avec les collègues)

Diagnostic Psychiatre - Les squats

-Le partenaire -École de diététicienne -Les addictions (alcool,

Pour Clara, l’institution scolaire est une épreuve qu’elle ressent rapidement parce qu’elle y subit une forme d’exclusion de la part des autres élèves. Elle a d’ailleurs l’impression de répéter dans l’institution du travail ce même schéma avec comme conséquences des problèmes lors de son activité dans les crèches.

Ses remèdes sont des remèdes de fuite qui ne laissent que peu de place à ses symptômes, qui finissent par devenir omniprésents.

L’IG la plonge dans une grande souffrance et une longue dépression au moment même où elle quitte sa famille recomposée qui lui apparaît alors comme

décomposée. Des difficultés surviennent avec les institutions médicales lors de l’IG puis lors de son premier traitement suite à ses crises d’échos.

Enfin, après deux ans de paranoïa et de délires, un neuroleptique lui permet de reprendre pied. Fragile, elle se laisse facilement déborder par son incapacité à faire ses papiers.

L’héritage de Clara : « cela vient de ma famille »

C’est en plein milieu de son récit qu’apparaît le lien entre sa maladie et celle de sa famille. Un héritage moins précis que pour Thomas et Fred. On ne sait pas à quel membre de sa famille elle fait référence, mais il y a un lien de causalité.

C’était affreux, j’étais épuisée et puis ma maladie est génétique, tout de façon cela vient de ma famille. Donc, elle se serait déclarée à un moment donné ou à un autre. (l. 974-975)