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4. Orientation conceptuelle

4.6 Évolution des différents modèles de soins

Les modèles biomédicaux ont fini par évoluer vers des modèles qui prennent un peu plus en considération l’environnement des patients et les facteurs sociaux. Le

modèle d’approche de la maladie ouvre un nouvel espace thérapeutique et éducatif.

Tableau 7 : Modèles de soin ouvert ou fermé d’après Bury cité par (Assal & Lacroix, 1998, p. 65).

Modèle fermé=modèle biomédical Modèle ouvert=modèle global La maladie est principalement organique La maladie résulte de facteurs

complexes, organiques et sociaux Elle affecte l’individu Elle affecte l’individu, la famille et

l’environnement Elle doit être diagnostiquée et traitée

(approche curative) Par des médecins

Dans un système autonome, centré autour d’hôpitaux dirigés par des

médecins

Elle demande une approche continue de la prévention à la réadaptation, qui tienne compte des facteurs organiques

et sociaux

Par des professionnels de la santé travaillant

en collaboration Dans un système ouvert et interdépendant avec la communauté

Dans la pratique médicale, il faut non seulement maîtriser les deux modèles, le biomédical et le global, mais aussi apprendre une nouvelle langue. Il faut être capable de passer d’un système de pratique à l’autre, parfois très rapidement, suivant la situation. La difficulté est que cette capacité est rendue d’autant plus problématique que la formation médicale privilégie un seul modèle, le biomédical, adapté à la maladie aiguë. C’est un modèle qui ne fonctionne pas dans le traitement de la MM.

Par ailleurs, comme je l’ai montré, la MM infuse largement dans tous les pans de la société, s’est construite une « représentation sociale de l’exclu » (Castra 2015, pp.

79-80). Si je m’intéresse au « noyau central » de cette représentation qui stigmatise encore plus les personnes touchées dans leur santé mentale, je trouve chez Denis Castra les termes suivants « absence de projet, sentiment d’échec, image négative de soi, passivité, dépendance » et « ruptures familiales », mais aussi « besoin de soutien », « besoin de relation privilégiée » ; c’est un système de représentation en vase clos. La névrose d’échec due à l’hypermodernité (dont j’ai déjà parlé) construit selon Castra « une représentation de l’exclu qui serait d’ordre psychopathologique » (Castra 2015, p. 82). On parle du malade comme d’un exclu et de l’exclu comme d’un malade. Il n’y a donc pas grand-chose à attendre de lui, et la communication avec les personnes devient une série d’évidences et de représentations fausses ou tronquées.

C’est donc un dialogue global qui doit s’instaurer entre le soignant et le patient au sens de Hans-Georg Gadamer et qui permet d’« entrer dans le pays de la

communication avec le malade » (Gadamer, 1998, pp. 145-146). Ce dialogue entre le médecin et le patient n’a donc pas seulement fonction d’anamnèse. Il permet au patient de parler de son propre point de vue en se remémorant son passé. Le

médecin recherche en réalité à faire en sorte que le patient oublie qu’il est un patient et qu’il est en train de suivre un traitement. On ne peut faire l’expérience de ce type de dialogue « que lorsqu’il devient quasiment semblable à ceux dont nous faisons l’expérience, par ailleurs, dans notre vie sociale, c’est à dire lorsque nous entrons dans une conversation que personne ne mène vraiment, mais qui nous mène tous.

(…). Mais tout se passe de manière à ce que dans ce type de dialogue, l’autre soit amené à voir les choses par lui-même » (Gadamer, 1998, pp. 145-146).

Une individuation devient alors possible une fois oublié que l’on est un patient, un malade, un exclu. Je persiste tout de même à chercher ce qui pourrait m’apporter des pistes dans cette ETP pour faire émerger autre chose qui puisse m’aider à comprendre qui est ce moi et comment il s’individualise pour exister. Pour cela, j’ai de nouveau été chercher un modèle, celui des croyances de santé. Pourquoi avoir étudié ce modèle ? Parce qu’il s’occupe principalement du traitement des malades, des remèdes et non plus seulement des symptômes.

Il tente de répondre à la question : comment faire respecter l’injonction

thérapeutique du traitement ? Peut-être la foi y parvient-elle ? C’est un souci majeur de la psychiatrie. Comment le psychiatre peut-il forcer à un malade mental de

prendre le traitement qu’il lui prescrit ?

4.6.2 Le Health Belief Model (modèle des croyances de santé)

Voici une version simplifiée de ce modèle qui comporte quatre postulats :

Pour accepter de se traiter et pour persévérer dans l’application de son traitement, un patient doit :

Tableau 8 : le Health Belief Model (Assal&Lacroix,1998, p. 66).

Le Health Belief Model (modèle des croyances de santé) Postulats

concernant la maladie

1 Être persuadé qu’il est bien atteint par la maladie.

2

Penser que cette maladie et ses conséquences peuvent être graves pour lui.

Postulats concernant le

traitement

3 Penser que suivre son traitement aura un effet bénéfique.

4

Penser que les bienfaits du traitement contrebalancent avantageusement les effets secondaires, les contraintes psychologiques, sociales et financières

engendrées par ce traitement.

On voit que de ces quatre postulats, les deux premiers touchent la maladie en tant que telle et les deux suivants le traitement. Il n’y a aucune prise en compte de

l’environnement, ni du contexte personnel de la personne malade. Il s’agit de prendre un traitement « les yeux fermés » et de croire ce que dit le médecin.

« Les croyances concernant la santé et la maladie sont à considérer comme des représentations ou des conceptions ayant une incidence directe sur la détermination du patient à adopter tel ou tel comportement » (Assal & Lacroix, 1998, p. 43).

Comment pourrais-je modifier ses croyances de santé, se demandent les médecins, pour « tordre » un peu plus mon patient ? C’est-à-dire qu’il accepte « sans

moufeter » son traitement, qu’il augmente sa compliance ?

A aucun moment il n’est question de formation ni d’éducation du patient, ni d’éducation pour la santé, encore moins d’individuation, c’est un modèle où l’on obéit, quelle que soit l’injonction du médecin. C’est un modèle qui peut être efficace dans certaines circonstances et pour certaines maladies. Mais majoritairement, il va à l’encontre du traitement de la MM chronique. Il ne peut s’exercer dans la durée sans la création d’un dialogue plus approfondi sur le pourquoi et le comment de la MM. comme Gadamer le préconise précédemment.

Ce modèle est un modèle systémique car chaque postulat est interdépendant des autres et ils doivent tous être acceptés par le patient. Si ce n’est pas le cas, les médecins doivent alors faire face à « des négligences, un refus, voire un abandon du traitement » (Assal & Lacroix, 1998, p. 44). Pourtant, différentes études (d’un

médecin naturopathe, d’un psychologue, de médecins) ont montré l’intérêt de cette approche dans le domaine aussi bien de l’asthme, de l’hypertension, du cancer et du diabète (Ruzicki, 1984 ; Rosenstock, 1988, cités par Assal & Lacroix, 1998, p. 44).

Poursuivons cette logique médicale pour comprendre le processus qui amène le médecin et le patient à déterminer et à définir le type de contrôle dont il est question, que l’on appelle le « locus of control ». Est-ce qu’il permet une prise en charge de mon « moi malade » plus facile ?

4.6.3 Le « locus of control »

Il s’agit ici d’identifier ce qui est en relation avec le contrôle interne et le contrôle externe du patient (Assal & Lacroix, 1998, p. 44).

Tableau 9 : contrôle interne et contrôle externe du patient (inspiré de Assal & Lacroix, 1998 p. 44).

Contrôle externe Contrôle interne

Le système ne prend pas en considération la trajectoire, ni l’avant ni l’après de son devenir de malade qui permet au malade de s’adapter, de pouvoir accepter la soumission mais aussi d’être dans une forme d’autonomie de sa dépendance.

Le patient ne s’individualise guère.

Ce modèle m’intéresse car il met en évidence ce contrôle qui est appelé « externe » de la maladie, et c’est cela qui me paraît significatif des lacunes de cette médecine, car fondamentalement il n’y a pas plus interne que de penser que c’est Dieu qui contrôle ma maladie, c’est ce « ça » de mon moi qui s’exprime ici comme un désir puissant de ma réalité interne, un moi remède qui même s’il est dans l’erreur n’en demeure pas moins « de moi », subjectif, il a son explication.

C’est mon moi qui devient un « bouc émissaire », victime de quelque chose d’autre que je ne saurais définir mais qui est bien moi. Pourquoi la chance n’aurait-elle pas d’effet sur moi ? En aucun cas je n’abandonne ce moi, mais je le renforce en

quelque sorte. Ce peut être bien sûr pour trouver de « faux remèdes », mais c’est une tout autre question.

Il y a quelques évolutions positives de la prise en compte de l’identité du malade (qui n’est pas encore en médecine un moi social malade, un tout) mais qui est et reste un corps (un morceau de moi) qui a des symptômes et besoin d’un traitement.

4.6.4 Caractéristique de l’évolution de l’identité du malade

Souvent, le locus of control est déterminé par un « paradigme biomédical de la dépendance ». Il n’y a pas de « visée sociale intégrative », il n’y a qu’une « vision médicale assistentielle » pour une prise en charge de l’état pathologique du patient malade (Garrau & Le Goff, 2015, p. 37).

J’ai déjà montré que selon Tourette-Turgis et Thievenaz (2014, p. 23), en général, les maladies chroniques exigent du patient un changement de ses comportements et un engagement qui va dans le sens d’un ensemble de transformations de ses habitudes de vie et d’activité.

Je peux définir à travers un tableau le type d’action habituel pour assurer

l’observance thérapeutique (suivi du traitement) dont il est question en fonction de la maladie afin de préciser ce qui est attendu de mon moi malade pour le rendre plus autonome. Dans la schizophrénie, qui m’intéresse plus particulièrement en tant que maladie mentale, il y a ces trois éléments qu’il me paraît important de relever. Pour le rétablissement, accéder à une forme nouvelle d’autonomie et d’individuation, il y a besoin de l’émergence d’une culture qui articule : le savoir expérientiel, le soutien et l’apprentissage (l’aide à l’apprentissage).

Tableau 10 : Type de maladie, type d’observance thérapeutique, (inspiré de Tourette-Turgis & Thievenaz, 2014, p.

23)

Maladie Observance thérapeutique

Cancer L’accompagnement prime sur les apprentissages

Diabète Les apprentissages priment sur le soutien et l’accompagnement

VIH La culture de l’observance

thérapeutique est articulée à une culture du soutien psychosocial

Maladies neuro-dégénératives La culture de la réadaptation reste prégnante

Schizophrénie Processus de rétablissement

(recovery) :

émergence d’une culture articulant le savoir expérientiel, le soutien et l’apprentissage (supported education)

J’ai là quasiment ce qui pourrait se faire de mieux en ETP et dans la prise en charge de la maladie par le monde médical (avec des « registres différents dans l’offre d’éducation et notamment dans la posture et les attentes vis-à-vis des patients » en fonction de la pathologie (Tourette-Turgis & Thievenaz, 2014, p. 23). Ce que je comprends, c’est la difficulté de la médecine à prendre en compte la culture des patients.

Il n’y a plus qu’à vérifier ce qu’en disent les personnes qui souffrent de problèmes psychiques.

De mon point de vue, en formation des adultes, la santé individuelle et surtout la maladie sont des catégories qui relèvent généralement de la sphère privée. Les acteurs de la formation sont donc amenés à réfléchir entre différentes logiques de formation et au rapport sphère privée/sphère publique. En fait, parler de l’intime du patient, faire en sorte que le sujet en formation se raconte lui-même oralement ou dans un récit, c’est avant tout de la sphère privée. Même si son histoire personnelle raconte aussi l’Histoire de la société, cela n’intéresse pas vraiment le médecin psychiatre de l’hôpital.

Cela crée chez le malade deux dynamiques opposées qui s’entrecroisent dans la formation : « celle de sa sauvegarde en tant que vivant, et celle de son

assujettissement aux dimensions économiques, épidémiologiques et morales de la science et de la médecine » (Tourette-Turgis & Thievenaz, 2014, p. 23).

D’un côté, son moi malade qui cherche des remèdes à ses symptômes, et de l’autre, le regard de la société qui est une soumission aveugle demandée par les médecins.

Pour cela j’ai déjà exploré dans ma démarche conceptuelle la recherche

autobiographique, la maladie et le deuil ainsi que l’évolution des différents modèles de soin pour connaître la maladie du moi et comment la médecine soigne cette

dernière. Il me faut aborder un dernier point qui me paraît important pour finaliser cette partie et aborder ma démarche de recherche.

Dans la société prédomine un phénomène d’auto-reproduction (qui est efficace pour apprendre et construire mon moi) : naturellement, j’essaye d’imiter l’autre et c’est comme cela que je m’individualise en m’identifiant à lui. L’avantage de ce

phénomène est que nous sommes guidés non par nos instincts, mais par les besoins de l’autre.

Pour les personnes atteintes de troubles psychiques, ce mimétisme les amène à identifier leur moi malade à un moi d’héritage et, par conséquent, à adopter l’attitude d’un bouc émissaire, d’une victime. C’est ce que je vais essayer

d’expliquer dans la section suivante en m’appuyant sur les thèses de René Girard (2003).