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Maladie mentale : individuation et institutions. La voix de l’héritage comme source d’apprentissage

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Master

Reference

Maladie mentale : individuation et institutions. La voix de l'héritage comme source d'apprentissage

ZUPPIROLI, Pierre

Abstract

Ce mémoire est une recherche qui concerne la santé mentale. Il traite en particulier de la problématique de l'autonomie et de la précarité des personnes malades, ainsi que de leur rapport aux institutions et à leur processus d'individuation. Il est aussi question des symptômes des personnes concernées, de leurs remèdes et de la manière dont elles font usage de leur héritage parental. A partir de l'analyse du récit de vie de trois personnes considérées par la médecine comme malades mentales chroniques, je propose une réflexion sur les épreuves comme amorce d'un processus d'individuation et sur comment l'héritage peut favoriser ce processus. Je m'appuie, pour ce faire, sur les théories de la formation d'adultes relatives aux recherches autobiographiques ainsi que celles du care et de l'éducation thérapeutique du patient.

ZUPPIROLI, Pierre. Maladie mentale : individuation et institutions. La voix de l'héritage comme source d'apprentissage. Master : Univ. Genève, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:150364

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Maladie mentale : individuation et institutions.

La voix de l’héritage comme source d’apprentissage

MÉMOIRE RÉALISÉ EN VUE DE L’OBTENTION DE LA MAÎTRISE UNIVERSITAIRE EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION-

FORMATION DES ADULTES

PAR PIERRE ZUPPIROLI

DIRECTRICE DU MÉMOIRE Maryvonne CHARMILLOT JURY

France MERHAN Jean-Michel BAUDOUIN

GENÈVE, Janvier 2021

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RÉSUMÉ

Ce mémoire est une recherche qui concerne la santé mentale. Il traite en particulier de la problématique de l’autonomie et de la précarité des personnes malades, ainsi que de leur rapport aux institutions et à leur processus d’individuation. Il est aussi question des symptômes des personnes concernées, de leurs remèdes et de la manière dont elles font usage de leur héritage parental.

A partir de l’analyse du récit de vie de trois personnes considérées par la médecine comme malades mentales chroniques, je propose une réflexion sur les épreuves comme amorce d’un processus d’individuation et sur comment l’héritage peut favoriser ce processus. Je m’appuie, pour ce faire, sur les théories de la formation d’adultes relatives aux recherches autobiographiques ainsi que celles du care et de l’éducation thérapeutique du patient.

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Photo 1 de Thomas présentée lors d’une exposition à l’Arcade 84, Genève, titre : « Nouvel horizon »

(6)

Remerciements

En premier lieu, je souhaite remercier Clara, Fred, Thomas, pour votre apport personnel et vos témoignages.

Ainsi que mon frère Luc, pour ce que tu m’as appris tout au long de ces années de vie commune.

Delphine, pour ta présence et tes conseils avisés.

Maryvonne Charmillot, pour ta disponibilité, ton écoute et tes suggestions.

Jean-Michel Baudouin, pour ton émerveillement communicatif et ta connaissance du récit de vie.

France Mehran, pour ton ouverture au dialogue et tes recommandations.

(7)

« Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos ». (Nietzsche, 1894, p. 20)

(8)

TABLE DES MATIERES

1. Introduction ... 9

2. Définition du thème de recherche ... 11

3. Formulation des questions et hypothèses de départ ... 13

3.1 L’hypermodernité en question ... 13

3.2 La formation des adultes ... 13

3.2.1 Se centrer sur les adultes ... 13

3.2.2 La recherche d’un modèle de discussion ... 15

3.2.3 L’adulte doit être écouté pour être entendu ... 15

3.3 La maladie : Le corps et « l’âme » ... 16

3.4 Caractéristiques de l’évolution de l’identité du malade : construire l’autonomie . 17 3.5 Who cares? ... 19

3.6 Définition de la capabilité ... 20

4. Orientation conceptuelle ... 22

4.1 La recherche autobiographique en formation des adultes ... 22

4.2 Prendre en compte le récit de vie des personnes ... 25

4.3 Les épreuves, les transitions, les bifurcations ... 25

4.4 La compliance thérapeutique ... 27

4.5 La maladie et le deuil ... 28

4.5.1 La maladie, les situations extrêmes ... 28

4.5.2 Le deuil ... 29

4.5.3 Maladie chronique et éducation thérapeutique du patient ETP ... 31

4.5.4 Distinctions entre maladie aiguë et maladie chronique ... 34

4.5.5 Évolution de l’ETP : l’intégration du malade dans le système de soins ... 36

4.6 Évolution des différents modèles de soins ... 39

4.6.1 Du modèle fermé vers un modèle ouvert ... 39

4.6.2 Le Health Belief Model (modèle des croyances de santé) ... 40

4.6.3 Le « locus of control » ... 41

4.6.4 Caractéristique de l’évolution de l’identité du malade ... 42

4.7 Le mimétisme : la recherche d’un bouc émissaire ... 44

5. Démarche de recherche ... 45

5.1 Introduction aux différents récits ... 45

(9)

5.2 Comment j’ai utilisé les transitions, les bifurcations pour identifier les épreuves

liées à la maladie. ... 48

5.3 Déroulement des entretiens ... 49

5.3.1 Résumé du parcours de vie de Thomas ... 50

5.3.2 Chronologie des principaux évènements ... 54

5.3.3 Les épreuves de Thomas dans son rapport aux institutions ... 55

5.3.4 Résumé du parcours de vie de Fred ... 63

5.3.5 Chronologie des principaux évènements ... 64

5.3.6 Les épreuves de Fred : son rapport aux institutions ... 65

5.3.7 Résumé du parcours de vie de Clara ... 69

5.3.8 Chronologie des principaux évènements ... 71

5.3.9 Les épreuves de Clara : son rapport aux institutions ... 71

6. Analyse des données ... 76

6.1 Les trajectoires institutionnelles et personnelles de Thomas, Fred, Clara ... 76

6.1.1 Le mimétisme institutionnel ... 76

6.1.2 Le mimétisme de Thomas, Fred et Clara : l’héritage d’un moi fractionné ... 82

6.2 L’héritage de Thomas ... 84

6.3 L’héritage de Fred ... 88

6.4 L’héritage de Clara ... 90

6.5 Héritage et maladie : y a-t-il une valeur curatrice dans la connaissance de son hérédité ? ... 92

7. Retour sur les questions de recherche ... 95

7.1 Propositions interprétatives ... 96

7.2 Des pistes pour l’amélioration des dispositifs de formation : des épreuves au sacrifice ... 97

8. Conclusion ... 97

9. Références bibliographiques ... 100

10. Annexes ... 104

10.1 Annexe 1 : les principes de la formation selon Bertrand Schwartz ... 104

10.2 Annexe 2 : Principales rubriques du dossier d’éducation thérapeutique ... 104

10.3 Annexe 3 : Léon Bourgeois et la « dette sociale » ... 106

(10)

1. Introduction

Il y a dans le film de John Cassavetes de 1974 Une femme sous influence1 (« A woman under the influence ») une scène centrale. Mabel, interprétée par Gena Rowlands, va chercher ses enfants à l’arrêt du bus qui les ramène de l’école. Rien d’inquiétant au premier abord, mais très vite, on l’aperçoit attendant le bus dans un état second, demandant l’heure de façon soucieuse à des femmes de passage qui ne lui répondent pas et l’évitent, apeurées tant elle semble errante et angoissée. Le spectateur est bousculé par ces images où la caméra suit l’actrice en plan large comme un observateur de cette scène (nous sommes presque des documentaristes en train de la suivre de loin et de près). Nous sommes témoins de sa terreur. Dans ce moment, nous ressentons la panique croissante d’une mère en proie à ses délires. Ce moment intense s’achève lorsque le bus scolaire arrive, comme à son habitude. Mabel retrouve ses enfants dans un moment d’émotion et de joie

partagée intense. S’ensuit un dialogue particulièrement émouvant entre elle et ses enfants sur la perception que ceux-ci se font de leur mère.

Introduire ce travail par ce film, c’est prendre pied dans le monde de la santé mentale. C’est aussi questionner le lecteur sur ses représentations de la folie dans nos sociétés, et sur la manière dont la société juge et soigne. L’œil du spectateur est à la fois témoin et partie prenante. Mabel est au centre de ce monde et se confronte au réel imposé. Son échappatoire réside dans sa capacité à se réfugier dans le monde de l’enfance. La réalité du mari, la réalité des parents, la réalité des collègues du mari, la réalité du psychiatre, la réalité de ses enfants. Mabel bute sur cette réalité jusqu’à l’internement forcé et la séparation douloureuse d’avec sa famille.

Mon histoire biographique m’a confronté à des délires, à des angoisses. De

nombreuses personnes appartenant à mon entourage familial et professionnel sont ou ont été atteintes dans leur santé mentale. Ce que l’on pourrait appeler « la folie », telle qu’elle est définie dans le dictionnaire (Antidote) : un dérèglement plus ou moins grave de la santé mentale ayant pour conséquences des troubles du

comportement qui s’accompagnent d’un manque de jugement et d’une absence de raison.

Le comportement de ces personnes semblait irrationnel et provoquait même l’inquiétude de l’entourage, comme dans le film de Cassavetes. Mabel est considérée par les adultes comme une malade mentale.

Je côtoyais des personnes atteintes dans leur corps de différents maux qu’elles tentaient vainement de mettre en mots. Des symptômes qui s’exprimaient à travers des troubles, des signes d’une maladie, un corps fragile. Signes invisibles, qui deviennent visibles, recherche de remèdes, de soins. De nombreuses

transformations personnelles physiques et mentales ponctuent ce cheminement, cet apprentissage d’être soi et de se sentir aussi habité par la volonté d’un autre que

1https://www.dailymotion.com/video/x2gyvw (de 0 mn à 4’30 mn).

(11)

soi. Comment ce moi devenu autre peut-il se soigner ? J’écoutais et je cherchais  pour mieux comprendre de quoi il s’agissait, de quoi il en retournait.

Il était souvent question de situations de crises, d’angoisses, de maladies, de médecins, de thérapeutes, des proches, d’isolement social, d’internement. Des situations de crises qui démarraient fréquemment dans l’enfance, se poursuivaient à l’adolescence et empiraient à l’âge adulte.

Ce qui m’est apparu, c’est l’ambivalence de la maladie, porteuse à la fois de maux et d’espoirs, de devenir. Cela m’a convaincu de m’intéresser de plus près à ce sujet.

La maladie n’est-elle pas une richesse créative de transformation, certainement l’une des plus radicales de l’être ?

Thomas Bernard2 identifie ce que cette maladie a de bon pour l’homme :

« La maladie est pour l’homme le moyen le plus rapide de se trouver. C’est

probablement en observant la maladie, en faisant l’expérience de la maladie, qu’on atteint le plus haut niveau d’intensité et aussi dans la pensée. Un homme peu

instruit et malade réfléchit à des choses auxquelles il n’aurait pas pensé s’il avait été sain. Plus la maladie est intense, plus elle permet à l’homme d’en tirer profit, pour sa vie, son évolution, de nourrir son esprit, son savoir, la science, la poésie… ».

(Thomas Bernhard, 1998, documentaire dans « un siècle d’écrivains »).

Une ambivalence paradoxale car, en parallèle à cette réflexion, ces personnes malades se sentent d’abord « incomprises » puis « exclues », du travail, de leurs groupes d’ami.es, de leur famille ; la situation est souvent dramatique pour la personne atteinte par un mal indéfinissable et par rapport auquel l’entourage est bien souvent dans l’incompréhension et le désarroi.

Le plus souvent, les « délires » ou un mutisme accompagnent les premières crises.

Personne ne sait comment réagir. Parfois cela commence par une hospitalisation forcée. Le psychiatre est questionné sur la capacité de discernement du patient (qu’il a du mal à évaluer). Elle s’accompagne d’une prise en charge « médicale psychiatrique », du diagnostic, et surtout d’un traitement médicamenteux (camisole chimique) pour le temps de la crise d’abord et ensuite comme traitement à vie.

Ces premiers moments sont significatifs et paraissent essentiels lors de la prise en charge du « patient »3 et pour la suite de l’accompagnement thérapeutique de celui- ci.

Ils sont aussi significatifs des tentatives parfois désespérées pour appeler à l’aide.

Souvent ces personnes se soignent ou tentent de le faire. Comme nous le verrons, certains de leurs remèdes sont parfois pires que le mal. Mais chaque tentative pour comprendre ce mal, tenter de le traiter, sont des étapes nécessaires à la formation et à la reconstruction de la personne concernée.

2n° 176 (25/11/1998) de Jean-Pierre Limosin émission dirigée et présentée par Bernard Rapp sur France 3.

3 Si je mets des guillemets, c’est parce que « le patient » est un terme habituellement utilisé dans les milieux médicaux.

Quand je parle de la relation entre le monde médical et une personne j’utilise le terme « patient ».

(12)

L’égalité entre les êtres humains est-elle réelle dans notre société ? Peut-on s’accomplir lorsqu’on est malade ?

Le corps du malade représente le mal qu’il incarne. La vie devient le reflet de cette caractéristique infamante. On en parle comme d’une pestilence sociale morale et physique qui doit être éradiquée par la société. Cela pose la question de savoir comment les institutions4 ont pris en charge la santé mentale et la question, au fond, d’une éthique politique du care, de Michel Foucault à Martha Nussbaum.

Le film de Cassavetes me paraît très intéressant dans l’analyse qu’il fait du moi de Mabel. Un moi qui lui semble hérité de la société, de ses parents, de sa manière d’être elle-même. Nous sommes à la lisière entre le réel, l’imaginaire et le

symbolique. Un interstice qui permet à l’auteur de voir et de dire ce qui est indicible, illisible. Il y a deux niveaux dans le regard de Cassavetes : un niveau institutionnel (la famille, le travail) et un niveau personnel (le regard de Mabel sur elle-même).

Dans ma recherche, je me suis intéressé à ces deux niveaux en essayant d’avoir un regard hors cadre et d’aller vers ces personnes en souffrance pour les écouter et mieux comprendre.

2. Définition du thème de recherche

Chercher, dans le domaine de la formation des adultes, c’est forcément penser à la façon dont nous pouvons exercer notre autonomie et notre liberté. Liberté de réfléchir, d’agir, de construire. Quelles pistes pour l’exercice de ces libertés la formation d’adultes peut-elle proposer ?

Dans les domaines liés à la santé mentale, où et comment cette liberté s’exerce-t- elle ?

Pour tenter de répondre à ces questions, j’ai choisi de présenter le récit de vie de trois personnes diagnostiquées par les médecins comme des malades mentaux.

Leurs récits mettent en particulier en lumière certains moments difficiles de leur construction personnelle dans leur rapport à leur maladie, leur accès aux soins et leur recherche d’autonomie en général.

Pour cela, j’ai décidé d’utiliser ma formation de formateur d’adultes. Cela m’a permis d’observer différentes prises en charge (des dispositifs) institutionnelles et interstitielles de la maladie mentale pour comprendre comment s’effectue la démarche de soins.

Je précise dès maintenant que par « interstitiel », j’entends ce mode d’« allers- vers », un espace de « l’entre deux » personnel, et entre-deux institutionnel. Un mode d’action pour « les psychotiques qui vont choisir la rue comme mode de vie »

4 Formes et structures politiques ou sociales établies par la loi ou la coutume et qui relèvent notamment du droit public (dictionnaire Antidote).

(13)

(Aubert, Scelles, 2015, p. 259), des personnes dont le « je » s’est trouvé dans une impasse identificatoire, une individuation impossible. Le lieu mis en place doit

devenir « avec ses contraintes extérieures de base, un lieu de questionnement, sans mettre à mal l’anxiété de la précarité du lien » (Aubert, Scelles, 2015, p. 261).

J’envisage la santé mentale comme un domaine de la formation des adultes et à travers ma recherche, je souhaite proposer aux personnes concernées par la MM, une ouverture, un complément à leur manière d’aborder la gestion de leur maladie.

Les personnes avec qui j’ai mené les récits de vie étaient diagnostiquées comme atteintes de troubles de la schizophrénie (2 types) pour deux d’entre elles et du TDAH (trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité) pour la troisième.

J’ai choisi comme premier axe dans mon cadre conceptuel le care, et son aboutissement hospitalier qui est l’ETP (éducation thérapeutique du patient), en particulier dans le cadre des maladies psychiques chroniques. Le care permet

d’aborder quelques éléments psychologiques de la construction du malade, tels que l’importance de la connaissance de la perte (Sigmund Freud, 2013) et de sa perte (Butler, 2014, p. 61), et d’autres plus sociologiques (évolution des notions de vulnérabilité, de charité et de besoins).

L’objectif est de comprendre quelle est la manière de s’individualiser lorsque l’on souffre d’une MM. L’individuation5 comme source d’autonomie est-elle possible et efficace pour se soigner, le care permet-il d’y parvenir ?

La notion d’autonomie sera forcément questionnée : qu’attendent les personnes d’une vie bonne, une vie éthiquement bonne, moralement bonne ? Une vie juste est- elle cette vie bonne ? La notion de besoins sera également questionnée : quels sont nos besoins et qu’impliquent-ils pour nous-mêmes et pour les autres, avec ou sans la maladie ? La notion de capabilités m’aidera à traiter ces questions, que je peux d’ores et déjà résumer en une seule : a-t-on besoin d’être autonome pour se soigner ?

La question est de savoir ce qu’il se passe dans nos sociétés occidentales lorsque la maladie entre en jeu. Quelle est la place du « pestiféré » ? Et si le pestiféré est en plus le fou, quelles sont les conséquences de son inévitable stigmatisation au quotidien ?

L’enjeu est de comprendre ce qui est fait dans le domaine de la formation en santé mentale, ce que l’on pourrait nommer l’éducation et la formation thérapeutique du patient. Que signifie l’autonomie des personnes lorsque les institutions se proposent de les rééduquer ? Que sont devenues les normes, les règles, les lois communes lorsque nous souhaitons nous occuper des désordres psychiques ?

Le formateur est installé dans un registre d’apprentissage dans lequel la finalité la plus importante est de construire l’autonomie de la personne concernée, comme une injonction de vie : le plus important c’est que tu sois autonome, même si tu es

5 Processus qui permet à une personnalité de se différencier (dictionnaire Antidote), plus précisément en Formation d’adultes je parlerai dela construction de sa personnalité, sa distinction, sa différenciation.

(14)

dépendant économiquement de la charité d’Etat et précarisé ! Cette quête d’autonomie soigne-t-elle le malade ?

Pour mieux comprendre, il faut réfléchir d’abord à ce que signifie cette évolution de l’individu dans la société.

3. Formulation des questions et hypothèses de départ

3.1 L’hypermodernité en question

Le XXIe siècle affiche l’individualisme comme l’une de ses principales valeurs. Il faut réussir sa vie à tout prix, de manière à pouvoir s’accorder l’autonomie autorisée par la société qui nous héberge alors que le lien social s’est rompu.

Quel est ce nouvel individu de nos sociétés ? Ce sujet devenu sujet de son devenir, ce « retour de l’acteur », ce « nouvel individualisme », cette « subjectivation »

(Ehrenberg, 2010, p. 7) ?

Cette subjectivation est le contraire de l’individuation que nous connaissons en apprentissage. Elle s’exprime à travers la figure du consommateur attaché à sa propre image. Cela a comme conséquences un rapport à soi qui devient difficile à supporter (Stiegler, 2004, p. 257).

Ce processus s’est déroulé rapidement, en particulier ce dernier siècle. Ce qu’Aristote nomme « la vie bonne » devient un objectif de vie de plus en plus

personnel et de plus en plus important et reconnu socialement. Contrairement à ce que pensait Aristote, cette « vie bonne » ne s’acquiert pas que par l’apprentissage de l’autonomie. Elle s’acquiert principalement par la connaissance de la précarité de chaque vie humaine.

Autonomie et précarité sont inextricablement liées dans nos sociétés. Un être est considéré comme autonome s’il est indépendant, s’il n’a presque aucun compte à rendre à la société. Dans le cas de la Maladie mentale je vais devoir approfondir ces notions et y réfléchir.

Dans une société dont la raison vacille, comment la formation d’adultes dans le domaine de la MM. peut-elle parvenir à ouvrir une brèche pour comprendre ce qui participe à l’autonomie et ce qui participe à la précarité du malade ?

3.2 La formation des adultes

3.2.1 Se centrer sur les adultes

Ma recherche est portée par la dimension militante de son propos dans le domaine de la formation des adultes et plus particulièrement celui de la santé mentale. Elle se

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veut militante à plusieurs titres : d’abord parce qu’elle est portée par des notions comme le partage, l’apprentissage et la transmission des valeurs qu’incarne le métier de formateur (Schwartz, 1997, p. 6). Ces notions nous portent, elles sont le moteur de notre tentative de voir apparaître des changements (cf. annexe 1, Les principes de la formation de Bertrand Schwartz, cité par Houssaye [2007, p. 69]).

Bertrand Schwartz (Schwartz, 1997, p. 6) prédit à quel point la société est en train de tomber dans une forme d’anomie, de résignation et tend à accepter de plus en plus l’injustice. Schwartz avait compris que l’autonomie n’était valable que dans un collectif de « confiance », que la construction de la personne humaine est reliée à un groupe par son vécu qui est aussi partagé en quelque sorte par les autres membres de ce groupe.

Les valeurs qui portent les idéaux du formateur d’adultes intégré dans un groupe peuvent se résumer en quelques mots : la formation d’adultes, pour reprendre Schwartz (1997, p. 6), c’est de changer un état de fait. Dans une époque où la société est majoritairement utilitariste dans ses actes, il n’est pas vain de le rappeler : mais changer un état de fait, pour quoi faire ?

En 1995, la Commission européenne publie un livre blanc consacré à la fonction de l’éducation et de la formation. Dans ce document, ce qui apparaît central est la notion d’autonomie. Acquérir de l’autonomie est présenté comme la valeur la plus importante et l’objectif à atteindre le plus digne d’intérêt (Barbot, Camatarri, 2015).

Je ne pense pas que c’est ce que voulait dire Schwartz, avec le sens du collectif qu’il avait.

A mes yeux, le formateur n’est pas là pour éduquer à proprement parler, mais plutôt pour échanger sur la valeur des expériences et sur le poids à leur donner lors de chacune de nos actions.

L’adulte n’apprend plus vraiment comme à l’école (les adultes qui ont peu étudié y sont souvent allergiques). Cet adulte n’est pas éduqué, ni formaté, il assume une rencontre avec l’autre de laquelle il ne sortira pas indemne.

Il y a d’autres espaces d’apprentissage dans une perspective sociale et dans un système de pratiques. Cette perspective mobilise des techniques et des savoir-faire.

Les individus se développent, c’est un apprentissage. Dans l’apprentissage et le développement, il s’agit de donner de la puissance aux gens, de la résilience6, de l’autonomie. Il s’agit pour eux d’acquérir la liberté de décider par eux-mêmes, comme une injonction d’augmenter leur pouvoir d’agir. John Dewey, Donald Schön puis Norbert Elias jalonnent le parcours de cet apprentissage par l’importance qu’ils donnent à l’expérience, à la réflexivité critique pour comprendre comment se

construisent les relations sociales. Pour cela le chercheur, l’adulte acteur peut tenter d’apprendre une forme de distanciation, un « désengagement émotionnel » comme le propose Elias (1974). Distanciation bien difficile dans le contexte d’une société

6 Aptitude à affronter un stress intense et à s’y adapter.

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devenue liquide dans laquelle on ne peut prendre appui, comme le précise Zigmunt Bauman (2013).

3.2.2 La recherche d’un modèle de discussion

Schwartz insiste sur la qualité de l’écoute, une écoute ciblée sur ceux qui vivent des difficultés pour pouvoir correctement poser les problèmes et les résoudre avec eux (Schwartz, 1997, p. 14). Judith Butler ajoute la dimension de témoignage,

d’archivage, le devoir de deuil en se référant à Primo Levi et à son devoir d’« archive indiscutable, comme la trace indélébile qui porte avec elle le devoir du deuil »

(Butler, 2014, p. 77).

3.2.3 L’adulte doit être écouté pour être entendu

L’adulte souffrant de problèmes liés à sa santé mentale doit être écouté pour être entendu, et cette écoute implique une action commune qui exige de trouver un consensus (Schwartz, 1997, p. 15).

La formation des adultes est donc une pratique fondée sur un consensus d’expériences, et ce mélange d’expériences est l’amalgame de plusieurs subjectivités. En cela cette pratique de formation repose sur des paroles qui racontent l’Histoire sociologique d’une personne, d’un groupe, comme le précisait déjà Primo Levi, qui « institue du réel » (De Certeau, 2016, p. 106).

Cette pratique de formation est aussi l’expression d’une réalité subjective, d’un

« je » agissant mais pas d’un « je » réduit à des idéaux cloisonnés et obsédé par le gain et l’écrasement des autres.

L’individuation est au centre de notre travail, qui souhaite définir le processus qui permet à un individu de se différencier. La question qui se pose d’emblée est de savoir si une véritable individuation est possible dans le domaine de la santé mentale. La maladie mentale est-elle une régression admise, une infantilisation de l’adulte touché dans son corps qui ne peut s’extraire d’une aide sociale faussement maternante ?

Dans la MM, comment se bloque ce processus d’individuation (la construction de la personnalité, sa distinction, sa différenciation) ?

L’origine du désordre est en lien avec l’importance du mystère que nous percevons pour le diagnostic. Le bonheur est déjà difficile à atteindre sans souffrance, mais si l’on se sent en plus pénalisé par une injustice mystérieuse, alors ce processus d’individuation devient impossible (Tessier, 2013, p. 59).

Ce qui m’interroge, c’est ce qu’Émile Durkheim nomme l’unité organique

sociale (Paugam, 2015, p. 72) : le lien se construit dans toute société à travers un tissage. Dans nos sociétés, qualifiées « d’organiques » par Durkheim, s’est

développée une conscience individuelle incapable de faire face à la fissuration des valeurs morales qui permettaient à nos prédécesseurs de venir en aide aux plus démunis en les intégrant. La folie d’alors ou celle présente dans certaines sociétés

(17)

était admise comme un accompagnement rituel de certaines « âmes perdues » ou errantes.

Tableau 1 : distinction entre solidarité mécanique et organique (Durkheim, cité par Paugam, 2015, pp. 41-42)

Fonction Fondements Liens entre

les individus Conscience

collective Système juridique

Solidarité mécanique (caractéristique des

sociétés traditionnelles)

Intégration sociale*

Homogénéité Valeurs et croyances partagées, Nombreux rituels

Similitudes des individus et de leurs fonctions

Forte Existence commandée par des impératifs et des interdits

sociaux

Droit répressif Sanction des fautes et des

crimes

Solidarité organique (caractéristique des sociétés modernes)

Intégration sociale*

Diversité Valeurs et croyances distinctes

Interdépendance comme effet de la

division du travail

Différenciation des individus et complémentarité

des fonctions Pluralité des liens

sociaux et variation de leur intensité selon les

individus

Faible et en déclin Marge d’interprétation plus étendue des impératifs sociaux

Droit restitutif ou coopératif Le but est de réparer les fautes et de

favoriser la coopération des individus

*au double sens d’intégration des individus à la société et d’intégration de la société Dans la solidarité organique c’est la cohésion sociale, l’autonomie, dans le sens de l’exercice d’une citoyenneté accrue qui vise à prévenir les exclusions pour en

corriger les effets. Le droit individuel prédomine : respect de la dignité, de l’intégrité, de la vie privée, de la sécurité, une prise en charge, un accompagnement

individualisé permettant le développement de l’autonomie, en favorisant les choix et les droits des personnes (Paugam, 2015, pp. 41-42).

C’est un changement radical dans la reconnaissance et la distinction entre l’âme et le corps. Ce qui est appelé organique n’est plus incarné mais devient comme la recherche individuelle d’une âme séparée de son corps. Le corps social s’est fissuré. Chaque individu cherche son propre bonheur. Même si cela s’effectue au détriment de l’autre, au détriment de son propre corps, pour y élever son âme et devenir l’égal d’un dieu.

Comment expliquer cette dissociation actuelle de l’âme et du corps et cette

dissociation du moi et de l’autre, qui est selon moi un frein à la formation et un frein à la guérison du malade psychique ?

3.3 La maladie : Le corps et « l’âme »

C’est un changement historique depuis les années 80 : la santé mentale est devenue une préoccupation majeure de nos sociétés.

Un basculement a eu lieu ces dernières décennies, un changement dans la prise en compte du « dedans » et du « dehors » de la personne. Tâchant de trouver des raisons au mal qui habite nos corps, la médecine trouve ses réponses dans la

clinique en définissant la pathologie, ses causes et son traitement. Cela suffit-il ? Ce qui était autrefois en lien avec la religion et la morale est devenu un problème de médecine (Ehrenberg, 2008 pp. 72-73).

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Le médecin est devenu médecin de l’âme et du corps, allant dans le même sens que l’hypermodernité autonomisante. Il a endossé la figure du démiurge capable de décider la stratégie d’existence de l’autre(Nathan, 2001, p. 10).

Pour comprendre comment le médecin est parvenu à ce « statut démiurgique », je rappellerai que la maladie est un domaine symbolique très puissant, qui est souvent même utilisé pour juger des croyances des personnes concernées. C’est un levier de l’exclusion et un levier de la compassion et de la pitié. Dans les textes bibliques, le malade doit être exclu de la cité pour la protéger (Bénézech, 2013, p. 32). L’âme est damnée et le corps impur, teinté du mal qu’il incarne.

Et pour le corps ? Lorsque l’âme est torturée, mise à mal, il se passe quelque chose ailleurs que dans l’âme, quelque part où je sens mieux la douleur, dans mon corps.

Ce corps symboliquement représentant du mal qu’il incarne.

3.4 Caractéristiques de l’évolution de l’identité du malade : construire l’autonomie Mais que ce passe-t-il lorsque « ça tourne mal » dans le corps d’une personne ? La dimension physique et la dimension mentale semblent être entremêlées

intimement (Assoun, 1997, 2015, p. 2). Mais le mauvais fonctionnement du corps est toujours expliqué par le parallèle ramené au schéma médical habituel : symptôme, diagnostic, traitement.

Donc en général mon médecin ne voit pas que je suis malade de « l’âme » : il recherche de quel symptôme physique il doit s’occuper pour trouver un remède.

La guérison est devenue une obligation « de société », une guérison qui passe, dans le domaine de la santé mentale, par une série d’obligations thérapeutiques très violentes. Et la guérison passe par la reconnaissance du dieu Médecine tout

puissant(Nathan, 2001, p. 9) car c’est un entre-deux social qu’occupe la médecine entre le dedans et le dehors de soi, un entre-deux occupé auparavant par la religion, la foi et sa morale (Ehrenberg, 2008 pp. 72-73). La médecine remplace une part de ce qui était auparavant occupé par la foi.

Mais ce qui est devenu une injonction au traitement est en contradiction totale avec l’idée même que le sujet puisse « se rendre malade -in corpore- »(Assoun, 1997, 2015, p. 19).

Une violence de cette guérison est à lier à ce qu’est la maladie mentale, c’est-à-dire une forme de maladie du désir, visible dans le corps meurtri(Assoun, 2015, p. 19).

Penchons-nous à présent sur les conséquences de la maladie sur le parcours institutionnel du malade.

Avant les années 70, la MM était beaucoup plus cachée qu’aujourd’hui, l’hôpital psychiatrique était considéré comme un asile de fous ; les schémas de traitement restent cependant équivalents. Même si le recours aux électrochocs est devenu rare

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– la camisole étant devenue chimique –, le schéma institutionnel reste le même, comme nous le verrons plus loin (figure 7, p. 77). Fait étonnant : les personnes atteintes de MM suivent des chemins moins « marqués », plus individuels ; pourtant lorsqu’il s’agit de se soigner, le parcours est très standardisé et ce sont toujours les mêmes institutions qui interviennent à tel moment de ce parcours.

Les institutions tentent d’intégrer ce qui devient la norme, à savoir la folie de notre société et de ses membres. La gestion de la folie est devenue l’un de ses piliers.

Une manière de se protéger d’elle-même en assumant sa propre folie, mais en stigmatisant ses fous. Pourtant la barrière entre le réel, la réalité et la folie est ténue.

Des fous, il y en a partout et ce ne sont pas, le plus souvent, ceux que l’on croit. Il s’agit bien souvent d’un jugement de valeur sans intérêt pour le traitement.

L’évolution de cette identité du malade se perçoit notamment dans l’éducation à l’autogestion. On y distingue les théories francophones en lien avec une solidarité sociale et législative comme celle de Tourette-Turgis, des théories anglophones du

« care » (ou vulnérabilité et dépendance de la personne), qui sont en relation avec une exigence morale, une éthique de la justice, un « empowerment » selon Carol Gilligan (1982), qui prône « le développement d’une autonomie individuelle à la signification renouvelée » (1982, citée par Garrau & Le Goff, 2015, p. 77). On peut résumer les implications du caredans le tableau suivant.

Tableau 2 : implications du care (inspiré de Garrau & Le Goff, 2015, pp. 119-120).

Traduction Implication de soin Phase 1 Caring about « Se soucier de » Un besoin demande une

forme d’attention Phase 2 Taking care of « Prendre en charge »

Une responsabilité par rapport au besoin identifié pour

trouver une réponse Phase 3 Care giving « Prendre soin »

Répondre au besoin en accomplissant un travail matériel, lequel implique la

mise en œuvre de compétences

Phase 4 Care receiving « Réception du soin » Adéquation du soin au besoin mettant en jeu la réceptivité Il faut considérer les phases comme une gradation du care qui amène le soignant à être mieux à l’écoute, à s’autocorriger dans sa manière de donner.

Le care engage une responsabilité morale étendue à tous les acteurs sociaux, ne se limitant pas uniquement à une activité de maternage, mais incluant les soins

préventifs et curatifs des corps et des subjectivités, les activités éducatives et l’ensemble des activités de service, le travail social, le travail ménager, l’urbanisme et l’écologie. L’étude même de l’interdépendance entre les êtres est ce qui

caractérise le care (Garrau & Le Goff, 2015, p. 124).

(20)

A-t-on trouvé une manière plus globale de se soigner où l’on s’occuperait à la fois de l’âme et du corps des personnes malades psychiques sans faire appel au médecin ?

3.5 Who cares?

J’ai repéré deux approches historiques de ce care très différentes l’une de l’autre.

S’agit-il d’un colonialisme de la pensée, d’une acculturation et du vol de l’identité des malades comme l’entend Frantz Fanon7 (Morgan W. John, Guilherme Alex, Nicole G. Albert, 2013, p. 50) ? Il y a là l’idée que le patient doive se rebeller, cesser d’avoir sa pensée « colonisée », et pour y parvenir, la violence et l’apprentissage de sa culture sont d’excellents moyens de se libérer de l’oppresseur et de la maladie mentale. Ou bien, s’inspirant de la tradition phénoménologique, et notamment des travaux de Albert Martin Buber, s’agit-il d’une forme de dialogue. Un dialogue qui se concentre sur l’attitude du pourvoyeur de care, décrit comme une attitude de

réceptivité entièrement orientée vers autrui et qui se définit par un double

mouvement. Un premier mouvement empathique, qu’il appelle « engrossment », est rendu possible par une ouverture à l’autre et une passivité première, pour « accueillir l’autre en soi », à se laisser envahir par lui. Un second mouvement consiste dans un déplacement de la motivation de soi vers l’autre, par où le pourvoyeur de care adopte le point de vue de l’autre en considérant son existence comme une possibilité pour lui-même (Garrau & Le Goff, 2015, p. 83).

Il est intéressant de noter que ceux qui sont dépendants ne peuvent rendre

d’aucune manière le soin qui leur est donné. Eva Feder Kittay, citée par Garrau et Le Goff (2015, p. 178) expose cette forme de non-réciprocité en utilisant le terme de doulia ou doula du grec doulé signifiant servante, en se référant à l’accompagnante qui informe et soutient la mère ou le couple pendant et après l’accouchement et qui s’occupe non de l’enfant mais de la mère. Il s’agit de personnes qui s’occupent d’autres personnes et qui ne peuvent par conséquent pas s’occuper d’elles-mêmes.

Pour notre développement, il faut donc savoir créer une coopération sociale pour obtenir un soutien de la collectivité afin de donner et recevoir du care (Garrau & Le Goff, 2015, p. 178). On revient ici aux principes de Schwartz.

Il y a donc une relation complexe entre autonomie et dépendance. Faut-il du care pour développer l’autonomie ? La vulnérabilité doit-elle, comme Kant et Aristote l’ont compris, être assimilée au simple destin humain, à sa chance, et à sa mort ? Y a-t-il une dépendance inévitable ?

L’autre question que soulève le care est celle des moyens à mettre en œuvre pour faciliter l’accès de toute vie humaine à un ensemble de capacités de base sans pour autant l’assujettir à des formes de domination qui brident les libertés individuelles

7Psychiatre de profession, il introduit en Algérie des méthodes de « sociothérapie » ou « psychothérapie institutionnelle ». Il entreprend une désaliénation et une décolonisation du milieu psychiatrique algérien, explore les mythes et rites traditionnels de la culture algérienne, s’engage auprès du FLN pour libérer l’Algérie. Auteur de nombreux textes anticolonialistes et sur l’aliénation du colonisé, il est considéré comme le précurseur du multiculturalisme. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Frantz_Fanon#cite_note-3)

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pour promouvoir uniquement la satisfaction de leurs besoins(Garrau & Le Goff, 2015, p. 185).

Martha Nussbaum propose dix capabilités fondamentales comme minimum social obligatoire. La question est de savoir comment chaque État doit s’impliquer pour permettre l’accès à ces capabilités fondamentales.

Tableau 3 : capabilités fondamentales (Garrau & Le Goff, 2015, p. 195).

Capabilités fondamentales

1 La vie

2 La santé

3 L’intégrité physique

4 La liberté de penser et d’imaginer

5 La liberté de ressentir

6 La liberté de développer sa vie émotionnelle et sa raison pratique

7 L’appartenance

8 Les interactions avec les autres espèces

9 La dimension ludique de l’existence

10 Le contrôle -politique et matériel- sur l’environnement 3.6 Définition de la capabilité

C’est le travail d’Amartya Sen sur les « déficits de capabilités » – qui prolonge son travail sur les famines – qui lui ont valu le prix Nobel. Son travail montre que la famine n’est pas simplement causée par une nourriture insuffisante : elle est affaire d’opportunités manquantes pour obtenir certaines choses nécessaires (par

exemple, en raison du chômage). On ne peut donc y remédier par des aides alimentaires ou des allocations. Pour proposer une véritable solution, « il faut affronter les déficits de capabilités qui touchent les populations vulnérables, en procurant du travail ou d’autres sources de droits aux biens de première nécessité » (Nussbaum, 2011, p. 252).

Dans notre contexte d’étude, il s’agit de repenser les dispositifs de formation pour permettre aux malades d’accéder à des soins qui leur garantissent de pouvoir exercer pleinement leurs droits.

Quelles sont les possibilités offertes à chaque individu ? Il est nécessaire pour le savoir de prendre connaissance des récits de vie en tenant compte du contexte politique et social dans lequel ils sont produits. Il s’agit ensuite de comprendre les significations construites par les personnes dans leur contexte de vie, pour pouvoir agir ensuite sur ce contexte et la réalité plus large qui l’englobe. Qu’est-ce qui affecte la qualité d’une vie humaine ? Pour répondre à cette question, il faut

comprendre ce que chaque être humain est véritablement capable de faire et d’être (Nussbaum, 2011, pp. 37-38).

Les capabilités offrent des pistes de réflexion et d’action. L’obésité par exemple, largement répandue aux États-Unis, traduit des inégalités de santé et

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d’alimentation, ce qui est un échec inacceptable dans un pays aussi riche. Il s’agit donc de lutter pour une qualité de vie et une justice minimale véritablement

acceptables. « Tous les pays échouent actuellement à assurer dignité et opportunités pour chacun » (Nussbaum, 2011, pp. 42-43).

Nussbaum distingue trois niveaux de « capacité ». Le législateur devrait s’efforcer de cultiver chez les citoyens la « capacité de base » (« capacité B ») pour lui permettre d’atteindre, par l’éducation, « la capacité interne » (« capacité I ») et lui fournir les moyens, institutionnels et sociaux, d’exercer la « capacité I » pour accéder à la « capacité externe » (« capacité E ») (Goldstein, 2015, p. 110).

Figure 1: Les différents niveaux de capacité (inspiré de Nussbaum, cité par Goldstein, 2015, p. 110)

A travers les capabilités, Nussbaum passe d’une morale aristotélicienne à une éthique de la justice. Cette morale est néanmoins fragile puisqu’elle dépend de la capacité de chaque État de prendre en charge les plus faibles et les plus malades :

« Dans quelle mesure ceux qui prennent soin de personnes en situation de handicap peuvent-ils revendiquer l’aide de la collectivité au nom de la justice, et non de la charité ? » (Garrau & Le Goff, 2015, p. 169).

L’individuation et l’autonomie sont deux dimensions bien distinctes. L’individuation de la personne considérée comme malade mentale est nécessaire tandis que son autonomie, c’est autre chose.

Cette autonomie, c’est celle que le médecin voudrait inculquer à son patient (nous y reviendrons dans le détail), une autonomie qui est en fait une économie de moyens dans le domaine de la santé mentale mais aussi une forme de précarisation de la santé.

Voici quelques questions qui nous paraissent essentielles d’explorer pour la suite :

• D’abord, ce «  moi  » dont nous parlons, quel est-il ? Comment s’exprime-t-il lors du deuil (du passage de l’état sain à l’état malade chronique) ? Ce deuil,

Le niveau 1

Le niveau 2 Capacité interne: I Capacités de base: B Cultiver chez le citoyen

Atteindre par l’éducation

fournir les moyens

institutionnels et sociaux Le niveau 3 Capacité externe

= capacité combinée: E

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nous le verrons par la suite, est la conséquence de la perte de quelque chose de soi et il est inévitable. Comment ce moi apprend-il à être malade  (si cela peut s’apprendre) ? Comment acquiert-il son autonomie ? Où devient-il précaire ? Y a-t-il individuation de la personne malade psychique?

• Comment se met à l’œuvre le care dans cette éducation thérapeutique, autrement dit cette formation en adéquation avec le patient ? Comment celui- ci est-il pris en charge en particulier avec ce que nous avons appris de cette transformation du « moi » (de sa maturation) et au regard des études menées auprès des malades chroniques ?

• Les dispositifs de formation étudiés sont-ils adaptés aux épreuves subies dans les parcours de vie des personnes atteintes par la maladie mentale ? L’ETP réussit-elle à rassembler en une seule pièce le moi fragmenté entre le corps et son symptôme, l’institution sous sa forme d’éducation et de formation du patient et les proches aidants ? Y a-t-il là quelque chose qui pose problème au

malade dans sa transformation, et pourquoi ? Il y a dans cette articulation psycho- socio-institutionnelle quelque chose qu’il nous semble important d’approfondir pour comprendre que les schémas d’ETP sont dysfonctionnels (ou inefficaces) à

plusieurs titres dans le cas de la maladie psychique chronique. Quels dispositifs de formation puis-je proposer à des personnes malades psychiques chroniques qui prennent en considération leur parcours de vie et qui soient à cheval entre une croyance mythique, inspirée par les épreuves qu’elles ont subies, et un sacrifice rituel qui les aide à soulager leur souffrance et leur donne accès à une certaine individuation et à une capacité de transformation d’elles-mêmes ?

4. Orientation conceptuelle

4.1 La recherche autobiographique en formation des adultes Ce domaine de la santé mentale et des maladies chroniques en particulier sera abordé dans une perspective relative aux sciences de l’éducation et dans notre spécialité, la formation des adultes. C’est le courant de recherche autobiographique en formation des adultes qui guide ce choix. Gaston Pineau, dans les années 1970, décide dans la lignée de « l’école de Chicago » des années 1910-1920 d’explorer la problématique des processus d’autoformation grâce aux récits de vie.

Dans cette perspective, les histoires de vie de collectivité présentent à notre sens un intérêt majeur sur le plan de la recherche. Elles permettent de se pencher sur les trajectoires individuelles des acteurs sociaux en identifiant ce que les chercheurs, depuis les travaux des sociologues de l’école de Chicago, nomment des

« définitions de situations » (Gaulejac & Legrand, 2012, p. 85).

Il s’agit en fait de comprendre la manière dont les acteurs sociaux vivent et ressentent les situations dans lesquelles ils se trouvent à partir de leurs propres représentations. Ce repérage est essentiel, dans la mesure où ces définitions de

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situations ne correspondent pas nécessairement aux caractéristiques objectives de la situation telles qu’un observateur « étranger » pourrait les définir.

Néanmoins, ces représentations subjectives structurent le rapport au réel des individus et sont concrètes dans leurs conséquences. Les histoires de vie, en permettant l’accès à la subjectivité de l’acteur social, permettent donc de saisir la manière dont les acteurs vivent et se représentent les situations expérientielles dans lesquelles ils se trouvent impliqués (De Gaulejac & Legrand, 2012, p. 82).

On peut retenir trois points clés qui traversent la démarche des pionniers de ce courant des histoires de vie. Les histoires de vie « s’appréhendent

comme démarches de formation ; elles présentent un caractère critique et militant, développé dans une perspective émancipatoire ; elles se définissent comme méthodes de recherche » (Baudouin, 2010, p. 12).

Par ses liens avec la sociologie et ses dimensions d’« empowerment », l’histoire de vie intègre de manière privilégiée l’histoire sociale et collective, en favorisant des formes d’expression étroitement liées à la dimension communautaire et politique.

L’on perçoit aussi de manière nette que des projets visent clairement une dimension émancipatoire et sont sous-tendus par des systèmes de valeurs souvent au

carrefour atypique de l’existentialisme athé, du personnalisme chrétien et du

marxisme. Nous voyons aussi que la frontière entre l’action sociale et la production de connaissance n’est pas de ce point de vue infranchissable. Il y a aussi une vision éthique du rôle du sociologue et de son travail, en articulation avec une

transformation sociale. Loin d’être seulement une méthode de recherche, l’histoire de vie fait ici partie d’une orientation praxéologique avec une visée « politique » au sens d’intervention sur la vie de la cité, en particulier l’émergence d’une parole sociale spécifique (De Gaulejac & Legrand, 2012, p. 80).

La dimension émancipatoire est présente dans ma recherche qui est à la fois ancrée dans la réalité sociale et dans l’expérience subjective de la personne qui raconte sa vie.

Pierre Dominicé explique en quoi son propre récit de vie est à la fois une modalité de formation,: « l’histoire de ma vie, résultante de tout un parcours, valide

l’authenticité de mes choix (…) une construction biographique qui s’apparente à ce que Paul Ricoeur nomme en suivant Emmanuel Kant et Wilhelm Dilthey, une

« synthèse de l’hétérogène ». Dominicé amène « ce qui vibre en lui, ce dont il est issu, ce qui continue à l’habiter » (Dominicé 2015, p. 117).

Autrement dit, c’est mon parcours qui, en s’entremêlant avec celui qui me raconte sa vie, permet de faire surgir dans l’entre-deux de nos réalités symboliques quelque chose de plus.

Le plus important, l’essence du récit, est de donner sens, dans sa propre histoire de vie, à un métissage biographique dans lequel on puisse « vivre des équilibres entre les parts à attribuer à moi-même, aux autres et au monde » (Dominicé 2015, p. 398).

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De Gaulejac explique en citant Pineau : « Cet entre-deux relationnel qui permet l’émergence de sens : le locuteur est immergé dans sa vie, l’interlocuteur ne l’est pas et est vu comme l’autre extérieur ouvrant un espace d’expression et de compréhension ». Il y a dans cette « rencontre », la recherche d’un point de vision optimum qui permet au locuteur de « se distancier de sa vie en s’approchant des systèmes de compréhension et à l’interlocuteur de s’approcher suffisamment de cette vie en sortant de ses systèmes conceptuels » (De Gaulejac & Legrand, 2012, p. 81).

C’est aussi, comme le décrit Pierre Rosanvallon (2014, p. 105), un outil sociologique pour « raconter la vie », « une tentative pour rentrer dans la réalité subjective de l’autre », éliminant ainsi les peurs et les angoisses liées à son étrangeté, due à sa méconnaissance, pour rendre cet autre plus proche de moi, dans l’espoir

d’améliorer la société tout entière en rendant visible ce qui semblait étrange ou étranger à soi.

Comment connaître cet autre dans toute l’étendue de sa diversité culturelle et biologique à travers mon propre regard et mes propres expériences ?

Les récits et trajectoires de vie, qui mélangent des « histoires singulières et des portraits types », auront pour objectif d’appréhender sensiblement la société et de permettre ainsi de rendre leur importance aux « métiers mal connus, aux

expériences ignorées, en les rendant plus visibles. Ils plongeront dans le quotidien d’activités célébrées mais qui restent abstraites. Ils appréhenderont des métiers situés à des points de tension du social et s’attacheront aux figures de moments critiques. Ils parleront des catégories émergentes ou des communautés mal répertoriées » (Rosenvallon, 2014, p. 105).

Il ne s’agit pas, comme le relève Dominicé (2015), de rendre cette histoire plus héroïque qu’elle ne l’est dans la réalité, même si l’actualité montre qu’il faudrait s’inventer une vie plus valeureuse pour être reconnu socialement.

« Le projet ambitieux, mais stimulant, consistant à « faire de sa vie une histoire », qui prolongeait cette volonté d’émancipation, a toutefois tendance à se muer, de nos jours, en obligation sociale » (Dominicé, 2015, p. 213).

Ce ne sera pas ici notre propos, qui est d’apporter des éléments de compréhension dans l’évolution du statut de malade. Nous aurons néanmoins le souci de « rendre des comptes » (De Gaulejac & Legrand, 2012, p. 83) individuellement à chacun des acteurs des récits.

Au niveau théorique, les histoires de vie permettent de mettre en rapport les expériences vécues, c’est à dire les « faits », et les constructions théoriques « qui permettent de comprendre comment les acteurs sociaux construisent le social autant qu’ils se trouvent modelés par lui » (De Gaulejac & Legrand, 2012, p. 86).

L’articulation individu-collectif permet d’accéder à une réalité biographique qui

« dépasse le narrateur et qui le façonne comme sujet social ». Cela permet de comprendre « comment la subjectivité des acteurs sociaux s’objective dans les actes (et) permet de formuler des hypothèses sociologiques quant à la manière dont

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s’organisent les communautés de travail auxquelles ils appartiennent au-delà même de la singularité des trajectoires » (De Gaulejac & Legrand, 2012, p. 86).

Dans ma recherche, les histoires de vie vont donc permettre d’étudier comment s’organise la vie des personnes interviewées, et permettre au-delà de la trajectoire singulière d’en tirer des conclusions plus générales dans le domaine de

l’individuation des personnes affectées par la MM.

4.2 Prendre en compte le récit de vie des personnes

Pour cela ce n’est pas « l’Histoire avec un grand H » de l’historien dont il est

question, mais bien de la confrontation dialectique entre les faits historiques vécus par l’acteur et leur signification subjective dans le cours de sa vie. Ce n’est pas la

« vérité » objective et inaccessible d’une situation passée qui nous intéresse, mais bien « la confrontation d’une réalité factuelle avec le récit croisé d’acteurs engagés à la recomposition narrative d’une histoire où faits objectifs cohabitent

nécessairement avec les sentiments auxquels ils ont donné lieu » (De Gaulejac &

Legrand, 2012, pp. 82-83).

Certains événements de la vie sont prévus, institués, d’autres sont plus inattendus et moins, voire non désirés. D’autres types d’événements viennent complètement transformer la vie des personnes et le récit qu’elles en font. Pourtant, ces ruptures, mises en scène dans les récits biographiques, vont au-delà des dynamiques personnelles. Si les événements marquent et structurent les parcours des personnes, ils sont aussi la résultante de processus sociaux et constituent des moments de recomposition, de redéfinition, tant de soi que des rapports sociaux dans lesquels ils s’insèrent. « Ils interrogent ce qui allait de soi, ce qui était jusqu’à présent significatif pour les personnes, pour la société » (Bessin, 2009, p. 17).

Ces évènements sont des réalités qui, sans être vraies, sont des moments de la vie.

Souvent, dans les récits, ces moments de la vie sont idéalisés, symboliques ; ils apparaissent à travers des épreuves, qui sont en général des drames personnels.

Il arrive même fréquemment que ces drames semblent identiques (sous leur forme symbolique) d’un récit à l’autre.

4.3 Les épreuves, les transitions, les bifurcations

L’histoire subjective met en avant « ce qui ne va pas ». L’évènement est d’abord une déchirure, une frustration, un accident, une maladie, un malheur, une crise (De Certeau, 2016, p. 111). De cette façon, le sujet peut recoudre ces déchirures en leur donnant un langage de sens. Et réciproquement, « les malheurs sont inducteurs de récits, ils en autorisent l’inlassable production » (De Certeau, 2016, p. 114).

C’est la trame du récit : tous ces malheurs sont reconstruits et permettent de raconter sa vie.

Le récit de vie permet au passé de ressurgir, il utilise des supports variés, verbaux et non verbaux, pour libérer l’imagination. « Entre le réel (les événements de la vie),

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l’imaginaire (les fantasmes et l’histoire rêvée) et le symbolique (le récit élaboré de l’histoire), la démarche mobilise tout à la fois des possibilités d’investigation pour retrouver les traces de ce passé » (de Gaulejac & Legrand, 2012, p. 41). Cet imaginaire enfin libéré, le sujet pourra alors mettre en ordre et en forme son récit : « Perlaboration, reconstruction et reconfiguration se conjuguent pour

développer les capacités de symbolisation du sujet » (De Gaulejac & Legrand, 2012, p. 40).

Cette individuation s’effectue à travers les crises subies.

Pour promouvoir cet imaginaire, le sujet occidental du récit utilise ses

« malheurs », « ses crises », ce que l’on nomme des épreuves :

« L’individuation est toujours le résultat d’une combinaison d’épreuves à géométrie variable, qui s’impriment progressivement au travers de certaines matrices

narratives, jamais totalement indépendantes des expériences de vie, et transmettant -ou non- un sentiment global de maîtrise temporelle de leur déroulement »

(Martucelli, 2006, p. 958).

Parmi ces épreuves, certaines constituent des bifurcations : elles transportent plus de sens que les autres. Pour prendre un exemple mythique, je pourrais dire que la mort de Polynice va créer une bifurcation dans la vie de sa sœur Antigone qui va amener celle-ci à se pendre. L’épreuve aurait pu, même si elle n’était pas anodine, se terminer par un enterrement mais a pris une tout autre tournure, fatale.

« Le terme de « bifurcation » est apparu pour désigner des configurations dans lesquelles des événements contingents, des perturbations légères peuvent être la source de réorientations importantes dans les trajectoires individuelles. » (Bessin, M., 2009, p. 18). Et selon Bidart (2010, p. 224), « la bifurcation a été en effet définie ici comme impliquant une rupture, une réorientation du parcours, un changement du régime d’action. »

L’exemple mythologique montre que ces épreuves sont déterminées par le lien que chaque individu construit dans son univers social, et dans la société dans laquelle il se trouve. L’Histoire telle qu’elle est écrite dans notre présent.

Danilo Martucelli résume cet univers social et cette société en « quatre domaines ».

D’abord, l’univers social représenté par : « l’expérience scolaire ; le rapport au travail et la situation d’emploi ; la relation à l’espace et à la mobilité-notamment dans ses composantes urbaines ; la vie familiale ». (Martucelli, 2006, p. 24).

Puis, ce qu’il appelle la société avec : « en deuxième lieu, les dimensions du lien social présentes également dans toute existence personnelle : le rapport à l’histoire, aux collectifs, aux autres et à soi-même. Ces deux axes se croisent constamment tout au long du déroulement d’une vie, tout en ayant des modes d’inscription très différents – les premiers sont globalement davantage formalisés que les seconds, parce que davantage façonnés par des institutions » (Martucelli, 2006, p. 24).

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Les épreuves mettent aussi en évidence différents remèdes que je nommerai des dispositifs personnels et institutionnels8 qui tentent de répondre aux préoccupations de quelqu’un considéré comme un(e) malade (au même titre qu’Antigone par

exemple). Ont-ils été efficaces pour elle ? C’est pour cela que j’ai cherché à comprendre pourquoi certains de ces dispositifs n’avaient aucune efficacité. Au même titre que l’obligation légale de ne pas enterrer Polynice.

L’institution médicale est omniprésente, chacun de nous a son histoire, et la mienne n’est pas la même que celle de mon médecin qui me soigne. Mon moi malade se laisse guider par l’institution médicale. C’est ce même médecin qui me donne des remèdes, m’impose des traitements. Pour comprendre un peu mieux de quoi il s’agit vraiment, je vais réfléchir à l’évolution de la médecine ces dernières années et aux dispositifs mis en place par cette médecine pour me soigner.

4.4 La compliance thérapeutique

Que se passe-t-il si je suis malade mental (diagnostiqué comme tel en tout cas) et que je me présente ou est présenté par un proche soit aux urgences psychiatriques soit chez un psychiatre, que ce psychiatre me dise que je suis très malade et que je doives suivre un traitement ?

Au départ la compliance est un terme de physique que la médecine s’est approprié.

La compliance est égale au rapport de la déformation (D) sur la force (F). L’élasticité est le résultat de la force (F) exercée sur le volume (D) de l’objet. Plus il faut de pression pour obtenir un volume donné, moins la compliance sera grande (Assal &

Lacroix, 1998, p. 76).

Il est question au départ de traiter le malade comme un objet plastique que l’on peut comprimer ou étirer suivant les besoins du traitement. On utilise alors le terme de compliance.

Savoir se « plier » aux recommandations du médecin, accepter sans sourciller son traitement, suivre ses prescriptions, voilà ce qui distingue le bon du mauvais

malade. Celui qui se plie aux prescriptions. « (…) le patient pense à sa qualité de vie et le soignant à la prévention des complications » (Golay, Lagger & Giordan, 2009, p. 35).

Au départ la compliance est un terme de physique que la médecine s’est approprié.

La compliance est égale au rapport de la déformation (D) sur la force (F). L’élasticité est le résultat de la force (F) exercée sur le volume (D) de l’objet. Plus il faut de pression pour obtenir un volume donné, moins la compliance sera grande (Assal &

Lacroix, 1998, p. 76).

8 La définition générale d’un dispositif consiste en un ensemble de pièces qui constituent le mécanisme d’un appareil ou cet appareil, c’est l’ensemble des moyens mis en œuvre dans un but particulier.

Un dispositif permet en général de compenser un état de déséquilibre, dans notre cas il peut viser par exemple à harmoniser certaines frustrations en les sublimant.

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Plus le patient est « forcé » par son médecin, plus il obéit sans sourciller.

La compliance s’impose comme un rapport de force entre le médecin et son patient. La pression subie par le patient ne semble pas l’amener nécessairement à mieux accepter sa maladie et son traitement. En effet, la compliance est souvent problématique chez les patients souffrant d’une maladie psychique chronique.Il faut prendre en considération aussi le contexte global de la vie du patient, ce qui

implique de passer d’un modèle biomédical à un modèle biopsychosocial  (Assal &

Lacroix, 1998, p. 76).

Ce sont deux modèles qui s’affrontent, celui « médico-centré » où l’on traite de la

« compliance » du patient et l’autre, qualifié de « patient-centré » où l’on traite de l’autonomisation du patient(Tourette-Turgis & Thievenaz, 2014, p. 15).

Ce système d’« éducation du patient » est une ingénierie d’intervention qui se veut efficace en termes de réduction des coûts de santé et de « normalisation des comportements des malades » (Tourette-Turgis & Thievenaz, 2014, p. 16).

L’empowerment, autrement dit la recherche d’autonomie du patient, répond aux exigences économiques et politiques des systèmes de santé. Il ne s’agit plus de développer le sujet mais de le protéger de lui-même en restreignant son autonomie.

On oppose donc empowerment et observance des prescriptions médicales (Tourette-Turgis & Thievenaz, 2014, pp. 16-17).

C’est un changement de paradigme dans la prise en compte du patient qui

s’amorce en particulier par l’intégration des théories concernant le deuil. Revenons à ce « moi » malade. Comment se définit-il ?

C’est une incursion dans le domaine de la psychologie qui me permet de faire comprendre au lecteur pourquoi un malade n’accède pas facilement à l’autonomie, comment il est dépossédé de lui-même et incapable de se transformer.

4.5 La maladie et le deuil

4.5.1 La maladie, les situations extrêmes

Dans l’origine du désordre de la maladie, c’est la recherche du mystère de ce mal qui devient insupportable et cette ignorance empêche le patient de se traiter (Tessier, 2013, p. 59). Dans le cas de la MM, le mal est un malheur commun, le

« fou » est comme puni par la main de dieu, il est méprisé en général car on pense qu’il a commis une faute. Mais c’est aussi un mal individuel dans lequel l’être se freine et n’arrive plus à agir dans le sens que prône la société (Ehrenberg, 2010, p.

623).

Le care essaye de faire disparaître cette notion de faute en définissant la

dépendance comme une relation nécessaire et potentiellement positive, un besoin que le mal n’oblitère pas. Un besoin physiologique autant qu’émotionnel en

particulier lorsque nos capacités sont limitées comme dans le cas de la MM.

Ce besoin du patient d’être reconnu par-delà les fantasmes qu’il nourrit et son désir d’omnipotence ne facilite pas les choses (Assal & Lacroix, 1998, pp. 52-54). Cela ne

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