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3. Formulation des questions et hypothèses de départ

3.2 La formation des adultes

3.2.1 Se centrer sur les adultes

Ma recherche est portée par la dimension militante de son propos dans le domaine de la formation des adultes et plus particulièrement celui de la santé mentale. Elle se

veut militante à plusieurs titres : d’abord parce qu’elle est portée par des notions comme le partage, l’apprentissage et la transmission des valeurs qu’incarne le métier de formateur (Schwartz, 1997, p. 6). Ces notions nous portent, elles sont le moteur de notre tentative de voir apparaître des changements (cf. annexe 1, Les principes de la formation de Bertrand Schwartz, cité par Houssaye [2007, p. 69]).

Bertrand Schwartz (Schwartz, 1997, p. 6) prédit à quel point la société est en train de tomber dans une forme d’anomie, de résignation et tend à accepter de plus en plus l’injustice. Schwartz avait compris que l’autonomie n’était valable que dans un collectif de « confiance », que la construction de la personne humaine est reliée à un groupe par son vécu qui est aussi partagé en quelque sorte par les autres membres de ce groupe.

Les valeurs qui portent les idéaux du formateur d’adultes intégré dans un groupe peuvent se résumer en quelques mots : la formation d’adultes, pour reprendre Schwartz (1997, p. 6), c’est de changer un état de fait. Dans une époque où la société est majoritairement utilitariste dans ses actes, il n’est pas vain de le rappeler : mais changer un état de fait, pour quoi faire ?

En 1995, la Commission européenne publie un livre blanc consacré à la fonction de l’éducation et de la formation. Dans ce document, ce qui apparaît central est la notion d’autonomie. Acquérir de l’autonomie est présenté comme la valeur la plus importante et l’objectif à atteindre le plus digne d’intérêt (Barbot, Camatarri, 2015).

Je ne pense pas que c’est ce que voulait dire Schwartz, avec le sens du collectif qu’il avait.

A mes yeux, le formateur n’est pas là pour éduquer à proprement parler, mais plutôt pour échanger sur la valeur des expériences et sur le poids à leur donner lors de chacune de nos actions.

L’adulte n’apprend plus vraiment comme à l’école (les adultes qui ont peu étudié y sont souvent allergiques). Cet adulte n’est pas éduqué, ni formaté, il assume une rencontre avec l’autre de laquelle il ne sortira pas indemne.

Il y a d’autres espaces d’apprentissage dans une perspective sociale et dans un système de pratiques. Cette perspective mobilise des techniques et des savoir-faire.

Les individus se développent, c’est un apprentissage. Dans l’apprentissage et le développement, il s’agit de donner de la puissance aux gens, de la résilience6, de l’autonomie. Il s’agit pour eux d’acquérir la liberté de décider par eux-mêmes, comme une injonction d’augmenter leur pouvoir d’agir. John Dewey, Donald Schön puis Norbert Elias jalonnent le parcours de cet apprentissage par l’importance qu’ils donnent à l’expérience, à la réflexivité critique pour comprendre comment se

construisent les relations sociales. Pour cela le chercheur, l’adulte acteur peut tenter d’apprendre une forme de distanciation, un « désengagement émotionnel » comme le propose Elias (1974). Distanciation bien difficile dans le contexte d’une société

6 Aptitude à affronter un stress intense et à s’y adapter.

devenue liquide dans laquelle on ne peut prendre appui, comme le précise Zigmunt Bauman (2013).

3.2.2 La recherche d’un modèle de discussion

Schwartz insiste sur la qualité de l’écoute, une écoute ciblée sur ceux qui vivent des difficultés pour pouvoir correctement poser les problèmes et les résoudre avec eux (Schwartz, 1997, p. 14). Judith Butler ajoute la dimension de témoignage,

d’archivage, le devoir de deuil en se référant à Primo Levi et à son devoir d’« archive indiscutable, comme la trace indélébile qui porte avec elle le devoir du deuil »

(Butler, 2014, p. 77).

3.2.3 L’adulte doit être écouté pour être entendu

L’adulte souffrant de problèmes liés à sa santé mentale doit être écouté pour être entendu, et cette écoute implique une action commune qui exige de trouver un consensus (Schwartz, 1997, p. 15).

La formation des adultes est donc une pratique fondée sur un consensus d’expériences, et ce mélange d’expériences est l’amalgame de plusieurs subjectivités. En cela cette pratique de formation repose sur des paroles qui racontent l’Histoire sociologique d’une personne, d’un groupe, comme le précisait déjà Primo Levi, qui « institue du réel » (De Certeau, 2016, p. 106).

Cette pratique de formation est aussi l’expression d’une réalité subjective, d’un

« je » agissant mais pas d’un « je » réduit à des idéaux cloisonnés et obsédé par le gain et l’écrasement des autres.

L’individuation est au centre de notre travail, qui souhaite définir le processus qui permet à un individu de se différencier. La question qui se pose d’emblée est de savoir si une véritable individuation est possible dans le domaine de la santé mentale. La maladie mentale est-elle une régression admise, une infantilisation de l’adulte touché dans son corps qui ne peut s’extraire d’une aide sociale faussement maternante ?

Dans la MM, comment se bloque ce processus d’individuation (la construction de la personnalité, sa distinction, sa différenciation) ?

L’origine du désordre est en lien avec l’importance du mystère que nous percevons pour le diagnostic. Le bonheur est déjà difficile à atteindre sans souffrance, mais si l’on se sent en plus pénalisé par une injustice mystérieuse, alors ce processus d’individuation devient impossible (Tessier, 2013, p. 59).

Ce qui m’interroge, c’est ce qu’Émile Durkheim nomme l’unité organique

sociale (Paugam, 2015, p. 72) : le lien se construit dans toute société à travers un tissage. Dans nos sociétés, qualifiées « d’organiques » par Durkheim, s’est

développée une conscience individuelle incapable de faire face à la fissuration des valeurs morales qui permettaient à nos prédécesseurs de venir en aide aux plus démunis en les intégrant. La folie d’alors ou celle présente dans certaines sociétés

était admise comme un accompagnement rituel de certaines « âmes perdues » ou errantes.

Tableau 1 : distinction entre solidarité mécanique et organique (Durkheim, cité par Paugam, 2015, pp. 41-42)

Fonction Fondements Liens entre

les individus Conscience

*au double sens d’intégration des individus à la société et d’intégration de la société Dans la solidarité organique c’est la cohésion sociale, l’autonomie, dans le sens de l’exercice d’une citoyenneté accrue qui vise à prévenir les exclusions pour en

corriger les effets. Le droit individuel prédomine : respect de la dignité, de l’intégrité, de la vie privée, de la sécurité, une prise en charge, un accompagnement

individualisé permettant le développement de l’autonomie, en favorisant les choix et les droits des personnes (Paugam, 2015, pp. 41-42).

C’est un changement radical dans la reconnaissance et la distinction entre l’âme et le corps. Ce qui est appelé organique n’est plus incarné mais devient comme la recherche individuelle d’une âme séparée de son corps. Le corps social s’est fissuré. Chaque individu cherche son propre bonheur. Même si cela s’effectue au détriment de l’autre, au détriment de son propre corps, pour y élever son âme et devenir l’égal d’un dieu.

Comment expliquer cette dissociation actuelle de l’âme et du corps et cette

dissociation du moi et de l’autre, qui est selon moi un frein à la formation et un frein à la guérison du malade psychique ?