Chapitre 2 Le réseau territorialisé : les proximités
2.5 Les clusters : les avantages compétitifs
3.1.2 Le réseau : une configuration spatiale favorable à la création et au transfert de connaissances
Comme nous l'avons démontré précédemment (section 1.2.1), la structure en réseau
amène des bénéfices aux firmes en réduisant l incertitude de leurs relations due aux
changements technologiques ou de l offre et de la demande et en diminuant les coûts de
transaction. Ces derniers impliquent également les coûts associés, tels que la recherche
d'informations, l identification des partenaires potentiels, la négociation des prix, afin
d éviter des comportements opportunistes.
Dans le cas des réseaux géographiquement délimités, le courant théorique
Knowledge Based View of Clusters
37met en évidence la création et le transfert de
connaissances au niveau collectif, tout en créant un avantage compétitif pour leurs
membres.
a) Le processus d interaction et de partage d informations entre les membres d un
réseau peut s effectuer d une manière continue ou ponctuelle Maskell et
Lorenzen, 2004, p. 994). Dans le premier cas, il contribue à réduire la distance
cognitive entre les acteurs par le partage progressif d un même langage et d un
système de valeurs) et à éliminer graduellement le sentiment de méfiance des
uns envers les autres, jusqu à leur permettre de développer l habilité de
travailler ensemble et de partager ainsi leurs connaissances. Rien n empêche,
cependant, que les entreprises puissent coopérer de façon temporaire, pendant
seulement la réalisation d un projet qui leur apporte des bénéfices et pour lequel
il leur manque du temps pour se coordonner aux autres.
b) Ces échanges ont lieu au niveau interentreprises, tout en favorisant la création
de connaissances au niveau collectif (Arikan, 2009). Ainsi, le transfert peut avoir
lieu sous plusieurs formes d échanges : sous-traitance, licence, consortium, entre
autres. Des études démontrent que l organisation en réseau de proximité
n augmente pas seulement la fréquence des interactions entre ses membres,
mais contribue aussi au transfert de savoirs par la facilité des contact en face à
face, les relations de confiance et le partage des normes lors des coopérations
(Maskell, 2001).
c) Encore selon Maskell (2001), dans les industries traditionnelles, à faible
investissement technologique, la connaissance est développée dans les
opérations quotidiennes comme le management de la production, de la
logistique, de la distribution, des relations industrielles, etc. Ainsi, les acteurs
réfléchissent très peu ou pas du tout à l origine de la connaissance ou à comment
ils l ont acquise, mais «c est là et ça marche » (Baumard, 1996 ; Spender, 1996 ;
repris par Maskell, 2001). Cela configure, notamment, le transfert de
connaissances tacites, plus difficiles à transmettre.
d) L apprentissage et la collaboration entre entreprises ne se font pas de manière
spontanée. Maskell (2001) met en évidence certaines difficultés que les
entreprises peuvent avoir à coopérer. D une part, l hétérogénéité des besoins en
termes de savoirs semble être un obstacle, car dans cette situation les éventuels
partenaires doivent se rencontrer pour déterminer si une coopération est
compatible avec leurs propres intérêts. D autre part, l asymétrie de
connaissances sur les opportunités du marché et sur le type de produit fabriqué
peut s avérer une barrière aux échanges. Cela résulte de la manière divergente
selon laquelle les firmes construisent leur connaissance.
e) Même si la diffusion de connaissances est perçue comme une étape
faut reconnaître le rôle de la production de connaissances dans l innovation.
Selon ces auteurs, la diffusion des connaissances apparaît comme une condition
nécessaire mais pas suffisante à l innovation, car encore faut-il que ces
connaissances contribuent à en produire de nouvelles, laissant place à la
création dans la conception
38.
. . De la diffusion de connaissances à l’innovation
La mise en relation entre connaissance et innovation est au centre de plusieurs
ouvrages académiques. Depuis les travaux classiques de Marshall et Schumpeter, la
connaissance était déjà considérée comme le vecteur de l innovation.
C'est ainsi que l innovation est généralement définie par « […] la mise en œuvre d un
produit bien ou service ou d un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d une
nouvelle méthode de commercialisation ou d une nouvelle organisation, au sens large de
ces termes, permettant d améliorer durablement l efficacité économique globale de la
société». » OCDE, , p. . Cette définition met l accent sur l aspect de la « mise en
œuvre», soit le processus d innovation, ce qui permet de mieux saisir le caractère
dynamique de cette démarche. En somme, celui-ci peut s opérer à différents niveaux :
produits, procédés, commercial ou encore organisationnel. Même si cette définition n est
pas exhaustive, elle permet de traiter de lobjet de notre thèse, à savoir les deux types
d innovation les plus courants dans la Vallée de l Arve: l innovation de produits et de
procédés.
En 1995, le « Livre Vert sur l )nnovation », publié par la Commission Européenne, la
définit comme un processus qui « consiste à produire et exploiter avec succès la
nouveauté dans les domaines économiques et social. Elle offre des solutions inédites aux
problèmes et permet ainsi de répondre aux besoins des personnes et de la société ».
Presque 15 ans plus tard, cette Commission adoptait la définition suivante :
« L innovation, c est la capacité de prendre des idées nouvelles et de les convertir plus
38 Forrest et Serrate (2011) font référence à la théorie C-K (Hatchuel et Weil, 2009), où C représente l espace des concepts et K celui des connaissances. Les auteurs de ce courant théorique, appellent « capacité d expansion » cette aptitude du processus de conception à générer du nouveau.
efficacement et plus rapidement que la concurrence en résultats commerciaux grâce à de
nouveaux produits, processus ou services.»
Van de Ven , p. introduit déjà l environnement dans son concept
d innovation : « le développement et l implémentation de nouvelles idées par des
personnes engagées dans des transactions avec d autres dans un contexte
institutionnel »
39. Pour ce faire, l auteur fait la distinction entre la démarche d invention
et celle de l innovation: si la première peut se passer au niveau individuel, l innovation
suppose un processus collectif vers l adoption de ces nouvelles idées. D o‘ l importance
cruciale, d après lui, de dynamiques sociales et politiques d appui pour la concentration
des efforts et des engagements nécessaires au développement de l innovation.
La définition d innovation de Rogers , p. approfondit ce raisonnement en
montrant explicitement l importance de la proximité spatiale sur la diffusion
d innovations. En effet, d après l auteur, cette diffusion dépend de la disposition des
individus à l accepter ou à la rejeter, ce qui dépend à son tour de la manière, assez
variable, selon laquelle ceux-ci la perçoivent : la nouveauté peut être interprétée en
termes de connaissances, de persuasion ou de décision à adopter l innovation. D o‘ son
concept d innovation comme «une idée, pratique ou objet perçu comme nouveau ».
Pour cette raison, certains réseaux constituent un lieu privilégié pour le partage de
connaissances. L expression « effet de voisinage » (Hagerstrand, 1953, cité par Rogers,
, p. exprime l idée qu une innovation se transmet plus facilement si les
individus se situent près les uns des autres.
La proximité entre les acteurs d un réseau leur permet d appréhender plus
facilement les modes de fonctionnement des relations entre les entreprises, et en
particulier dans un réseau de sous-traitance, qui peut varier beaucoup d un secteur à un
autre. Christensen (2000) indique que plusieurs entreprises ne sont pas capables
d accompagner les nouvelles dynamiques du marché lorsqu elles ne comprennent pas
leur chaîne de valeur (value network). La chaîne de valeur est le contexte dans lequel la
firme identifie et répond aux nécessités du client, résout des problèmes, réagit aux
compétiteurs et se bat pour obtenir des rentes.
Selon cet auteur, l un des grands défis de la gestion des innovations est la tâche
complexe de gérer le processus d allocation de ressources dans une organisation, plus
encore lorsque il s agit d un processus intégrant plusieurs entreprises. Cela configure le
grand défi des partenariats innovants comme dans le cas d un réseau.
Récemment, certaines entreprises ont positionné leur stratégie de manière à
bénéficier d une créativité collective à travers l innovation ouverte. Le succès de ce
modèle peut être perçu notamment dans l industrie de développement de softwares.
Chersbrough, Vanharberke et West (2008) ont appelé « innovation ouverte »,
l utilisation délibérée de flux de connaissances internes et externes pour accélérer
l innovation interne et étendre des marchés avec l usage de l innovation. Le paradigme
de l innovation ouverte stipule que les entreprises peuvent et doivent utiliser les idées
internes et externes pour chercher des marchés et augmenter les perspectives de
l utilisation des avancées technologiques dans une dynamique de stratégie de
l organisation.
. . . Une typologie de l’innovation
L innovation fait l objet de plusieurs typologies. D abord, celle basée sur la
distinction entre l élaboration d un nouveau concept innovation radicale et
l amélioration d un concept déjà existant innovation incrémentale Christensen, .
La critique adressée à cette typologie porte sur la vision dichotomique qui néglige les
formes intermédiaires d innovation. )l faudrait plutôt parler d un « continuum » entre
ces deux extrêmes.
La catégorisation et l identification des dimensions de l innovation servent à
augmenter la compréhension commune et permet de faciliter son évaluation, pour
faciliter sa gestion et une réflexion stratégique de l innovation. Certes, la capacité
financière à investir dans un projet d innovation est primordiale mais n assure
pas nécessairement le processus de création. Un autre facteur dont il faut tenir compte
est « l effet de milieu», car il peut être également à l origine d idées nouvelles.
Comme le démontre Noailles , un exemple d innovation incrémentale réside
dans les années 1900, il y a eu des progrès techniques importants, mais qui ne
caractérisent pas une innovation de rupture. La seule exception est l apparition du
véhicule électrique, identifié comme une innovation radicale.
L innovation peut adopter plusieurs classements. Dans notre travail, nous avons
choisi de les classer de manière très objective, sous peine de ne pas prendre en compte
toutes les innovations possibles. Néanmoins, ce choix était nécessaire pour simplifier
son analyse auprès des PME.
Dans un premier temps, nous traiteront la typologie d innovation la plus connue,
l innovation de produit qui fait référence à une amélioration importante (incrémentale)
ou à la création d un produit nouveau incrémentale et radicale . Ensuite, nous
aborderons l innovation de procédés (incrémentale), qui constitue les améliorations
dans le processus de fabrication du produit. Même si, en général, l innovation de
procédés n est pas perçue comme une « vraie » innovation, elle est la plus répandue
dans les entreprises, car elle ne demande pas autant d investissements en termes de
temps, de connaissances et de moyens financiers que l innovation de produit.
***
En somme, le réseau devient un lieu privilégié pour la création et le transfert de
connaissances (innovation). Ainsi, la cohésion sociale entre ses membres devient un
facteur facilitateur des échanges et d un apprentissage collectif de nouvelles
connaissances (tacites et explicites).
Le transfert de connaissances peut se révéler ainsi un résultat positif des relations
entre les partenaires d un réseau. La section suivante démontre que les relations entre
Dans le document
Le pôle de compétitivité Arve Industries : les effets sur la dynamique partenariale des PME locales
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