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Chapitre 2 Le réseau territorialisé : les proximités

2.1 Le district industriel marshallien : « l’atmosphère industrielle »

2.1.1 Les économies externes

Marshall explique l agglomération d entreprises par les avantages qu elle procure

aux firmes spécialisées dans une même branche de production et proches

géographiquement les unes des autres. Ces avantages, qui assurent la compétitivité du

district, proviennent des économies externes liées à l environnement des entreprises

plutôt qu à l organisation interne de chacune d elles. Elles résultent de l interdépendance

technique entre une industrie principale et des industries complémentaires (situées

techniquement en amont et en aval de l industrie principale qui est à la base de la

division du travail, des échanges de savoir-faire, du développement local du commerce

et des transports, des contacts étroits avec les fournisseurs et les acheteurs, de

l élargissement du marché du travail spécialisé, du renouvellement de la capacité

entrepreneuriale, etc. En somme, ces « avantages créés» sont à l origine d une ambiance

favorable au développement des entreprises.

En outre, ces externalités, dues à la proximité physique entre les producteurs,

bénéficient l entreprise dans son activité de production sans qu elle soit obligée à

supporter les coûts. De ce point de vue, le marché n est pas le seul mécanisme à

déterminer les coûts de transaction, car ceux-ci relèvent de l environnement social, voire

des relations de confiance réciproque entre les entrepreneurs.

Marshall souligne l importance du contact personnel, de la communication entre les

branches de production connexes surtout en ce qui concerne la production pas encore

standardisée dont les coûts de prospection de marché (informations sur les clients,

Avec l expression « atmosphère industrielle», Marshall montre qu une culture

industrielle d inscription socio territoriale favorise tout particulièrement les échanges

d information et de compétences et la diffusion d un savoir-faire spécifique. L analyse

marshallienne va donc bien au-delà de l économie : elle met en valeur les ressources

« immatérielles » de localisation (les relations, la culture) pour montrer que la

dynamique industrielle ne peut être réduite à sa nature marchande.

C est dans ce contexte que Marshall introduit l idée d innovation comme une

démarche collective et graduelle à l opposé de la logique individuelle et presque fortuite

qui caractérise l acte d invention/innovation de Schumpeter. Sachant que dans

l entreprise, surtout dans les petites et moyennes, la figure de lentrepreneur a un rôle

non négligeable, du fait que c est à lui de prendre les décisions stratégiques, il est

intéressant donc d évoquer ces deux approches opposées quant à leur rôle dans la

dynamique d innovation

23

.

. . L’innovation : une démarche individuelle ou collective ?

Pour Schumpeter , l innovation relève d une démarche individuelle : la

disposition à rompre avec le conformisme et à entreprendre des actions créatrices

résulte de l état d esprit de l individu, voire de l entrepreneur, plutôt que d une incitation

venant de la collectivité

24

. L entrepreneur schumpétérien, individu hors du commun,

capable de prévoir de nouvelles possibilités commerciales et prêt à courir les risques

d un développement technologique, constitue l exemple typique du capitalisme

innovateur. Pour Marshall, tout au contraire, le changement technique est fondé sur des

idées déjà existantes selon une dynamique de continuité propre au district industriel où

« chacun tire profit des idées de ses voisins, en trouvant de nouvelles inspirations en

contact avec qui est intéressé à de nouvelles expérimentations, et toute invention…. A la

23 En même temps, « l entrepreneur, en tant que l incarnation de la découverte a toujours tenu une place privilégiée dans les théories de l innovation » (Gordon, 2006, p. 173).

24Le mérite de l analyse de Schumpeter est pourtant détachée de la démarche de l entrepreneur d une vision opportuniste liée uniquement au profit qu il peut tirer de ses inventions : « Une des capacités de

l entrepreneur se situe dans la conception qu il se fait de l action libre dont la motivation et le résultat ne se

résument pas seulement au calcul économique et à l appât du gain » (Bonnafous-Boucher et alii, 2011, p. 26).

probabilité, une fois introduite, de se répandre et de s améliorer » (Marshall, 1890, cité par

Whitaker, 1975).

Chez Schumpeter, l innovation prend aussi un caractère inespéré et représente une

fracture par rapport aux connaissances jusqu ici accumulées, alors que pour Marshall, il

s agit d un processus graduel et cumulatif qui s inscrit dans la longue période et

concerne souvent plusieurs générations. )l s agit d une démarche créative, fruit d un

processus collectif d apprentissage situé dans un contexte à la fois productif,

institutionnel, politique et culturel très particulier. C est donc l agglomération

d entreprises qui favorise la diffusion des innovations et encourage par-là l esprit

innovateur de l entrepreneur, qui s inspire de l expérience des autres : « Lorsque de

grandes masses d hommes dans la même localité sont engagées dans des tâches similaires,

il est constaté que par l association de l un ou de l autre, ils s éduquent l un et l autre. Pour

utiliser un langage que les travailleurs utilisent eux-mêmes, la compétence ou le savoir

-faire, requis dans leur travail, est dans l air et les enfants la respirent en grandissant »

(Marshall, 1920).

En somme, pour Marshall , l innovation ne vient pas de l extérieur, mais est

endogène. Par la notion de « bien collectif », il montre que les rapports de confiance

entre producteurs, clients et fournisseurs, fondés sur des relations personnelles, incitent

à une coopération constructive en termes de recherche, de diffusion d informations, de

***

L approche pionnière de Marshall, concernant les avantages créés à partir de la

proximité géographique des entreprises, a donné lieu à toute une série d'études sur les

réseaux territorialisés

25

. Marshall soulève la notion de « ressources immatérielles »

partagées, à savoir les rapports de confiance, la diffusion des informations, etc. ; qui

pourraient bénéficier à l émergence de l innovation. Contrairement à la vision

schumpétérienne, l innovation serait construite collectivement sur la base de relations

entre individus et non seulement dépendante de la figure de l entrepreneur innovateur.

Ces notions ont été reprises par des auteurs s intéressant au développement des PME

localisées dans les districts industriels.

25Un grand nombre d auteurs anglo-saxons font référence aux « clusters » pour désigner les agglomérations des entreprises proches géographiquement.