Chapitre 2 Le réseau territorialisé : les proximités
3.2 Les relations entre firmes
3.2.1 Les caractéristiques
Si auparavant une démarche de coopération entre firmes semblait contradictoire
avec la conception de jeu concurrentiel, aujourd hui elle se révèle une stratégie porteuse
d avantages compétitifs
40. Cette coopération s effectue pourtant sous certaines
conditions (3.2.1.1) et se trouve associée à une forte rivalité sur le marché (3.2.1.2).
3.2.1.1 La coopération
La notion de coopération suppose une attitude à l opposée d actions opportunistes.
Elle suppose une « interaction plus ou moins étendue entre les activités de deux
entreprises juridiquement distinctes » (Heitz, 2000). Elle constitue une notion
fondamentale pour expliquer les échanges qui s effectuent dans le domaine technique à
l intérieur du réseau, car, d une part, «la technologie ne peut pas toujours être transférée
par la vente des droits d utilisation d un processus. D autre part, elle est rarement
réductible à une simple somme d informations diffusées, mais implique aussi l acquisition
d expérience et de savoir-faire » (Richardson, 1972, p. 895, cité par Heitz, 2000). Enfin, la
coopération répond donc à une logique d addition ou d intégration de compétences
spécifiques impossibles à transférer, si ce n est par le mode d organisation en réseau.
40 Selon, par exemple, la conception traditionnelle de Porter à propos des avantages compétitifs à long terme, les entreprises seraient amenées à rivaliser au lieu de coopérer avec d autres firmes. Dans ses termes, l entreprise aurait un avantage compétitif lorsqu elle maîtrise mieux que ses rivaux les forces dans
Douard et (eitz distinguent deux catégories de réseaux d entreprises selon
le type de coopération en vigueur. La première suit une logique additive , dans laquelle
les entreprises s engagent dans une relation « gagnant-gagnant », tout en mettant en
commun leurs ressources tangibles et intangibles pour la réalisation d un nouveau
produit ou la mise en œuvre d un procédé.
Pour illustrer ce type de coopération, les auteurs montrent l exemple de Gemplus
(leader mondial de la carte à puce) qui a entrepris à Singapour, en 2000, un partenariat
basé sur la logique additive. L entreprise a créé le porte-monnaie électronique
rechargeable directement sur les téléphones portables. Ce service a été réalisé grâce au
partenariat entre les banques et un opérateur mobile.
Figure 8. La logique additive
Source : Adapté de Douard et Heitz (2003, p. 25)
La deuxième catégorie suit la logique d intégration qui a lieu dans le cas de la
fabrication de produits impliquant plusieurs phases dans la chaîne de valeur. )l s agit ici
de coordonner les activités dont dépend le résultat final. Cette logique peut être illustrée
par la dynamique de production du secteur automobile où le produit final est dépendant
de l organisation de la chaîne de production. C est-à-dire que chaque partie mobilise ses
compétences pour la fabrication de la voiture : les constructeurs, les équipementiers, les
sous-traitants de premier rang et de second rang.
Figure 9. La logique d'intégration
Source : Adapté de Douard et Heitz (2003, p. 26)
A partir de l étude de ces deux catégories, Douard et (eitz ont identifié une
troisième dimension dans le processus de coopération, à savoir la spécificité des actifs .
Cette dimension tient compte de l émergence d un actif matériel ou immatériel résultant
de l interaction entre les partenaires. Par exemple, la mise en commun des savoirs faire
et la mise en commun des moyens pour un bureau d études en R&D peut être envisagée
comme le résultat de la coopération entre les membres du réseau. Les auteurs ont établi
en outre une relation entre le taux de spécificité des actifs et la stabilité dans le temps de
la coopération. Ainsi, « plus la spécificité des actifs du réseau est importante, plus on tend
vers des situations de stabilité dans le temps de la coopération » (Douard et Heitz, 2003, p.
27-28).
Toutefois, les liens entre les membres du réseau reposent également sur des
rapports de compétition. L ambiguïté qui caractérise les relations entre les acteurs d un
réseau a donné lieu au terme de « coopétition ».
3.2.1.2 La « coopétition »
Aujourd hui, si la coopération entre les entreprises est une pratique plus répandue,
rien n empêche que le partenaire puisse s avérer un allié et un concurrent à la fois. Cela
et coopération, qui suppose que les entreprises peuvent collaborer sur certains points et
se concurrencer sur d autres. Cela correspond aux stratégies des firmes face à un
environnement de plus en plus compétitif (Nalebuff et Brandenburger, 1996).
La popularisation du terme coopétition est due à l ouvrage de Nalebuff, B. J. ;
Brandenburger, A. (1996). La co-opétition : une révolution dans la manière de jouer
concurrence et coopération, Village Mondial, Paris. Cependant, la création du terme
coopétition est attribuée à Ray Noorda, fondateur de la société Novell. Noorda explique
que «il faut concurrencer et coopérer en même temps» pour définir les situations dans
lesquelles l entreprise a des comportements nuancés entre la coopération et
l opportunisme.
La coopétition est définie comme « une forme de relation entre concurrents qui
combine des échanges à la fois économiques et non économiques… », plus précisément, il
s agit d une «relation dyadique et paradoxale qui émerge quand deux entreprises
coopèrent dans quelques activités, et sont en même temps en compétition l une avec l autre
sur d autres activités » (Dagnino et alii, 2007, p. 90). Pour Hamel (1991), les firmes qui
sont engagées dans une coopération concurrentielle visant à internaliser des
compétences, doivent se considérer à la fois comme partenaires et comme concurrents.
Si cette forme de coopération peut paraître contradictoire, elle devient de nos jours
une pratique assez courante. Ainsi, Apple et Microsoft, les deux géants de l informatique,
peuvent coopérer dans la conception de softwares compatibles avec les deux systèmes
opérationnels, (par exemple, le pack Office pour Macintosh) et, en même temps, rester
des adversaires en ce qui concerne la conception d autres produits. En somme, la
coopétition suppose que la confiance et l opportunisme régulent les alliances d un
réseau.
Dagnino et Padula (2002) distinguent quatre formes de coopétition selon le nombre
de participants dans la relation et le nombre d activités dans la chaîne de valeur faisant
Tableau 11. Les formes de coopétition
Nombre de firmes impliquées
Deux Plus de deux
Nombre
d’activités de la
chaîne de valeur
Une Coopétition dyadique simple Coopétition en réseau
simple Plusieurs Coopétition dyadique
complexe
Coopétition en réseau complexe Source : Adapté de Dagnino et Padula (2002)