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DIMENSIONS PAMPHLÉTAIRES CHEZ MONGO BÉTI, AHMADOU KOUROUMA ET FATOUMATA KÉITA

II- 2-2 Du réquisitoire pamphlétaire à un univers manichéen : un éthos pamphlétaire

La dimension religieuse et ses corollaires touchant la notion de bien et de mal, de transcendance, participent d’un éthos pamphlétaire qui sous-tend les œuvres étudiées. C’est à cet éthos que Marc Angenot attribue l’appellation de « couples notionnels » : en effet, le critique affirme que les écrits agoniques reposent sur une structure profonde qui organise le discours de manière binaire : « les couples semblent l’outil par excellence du discours cognitif »339. Ils sont abstraits, c’est-à-dire que le lecteur ne les déduit ou ne les construit qu’au

fur et à mesure de sa compréhension du texte. Cependant, « l’assemblage » de termes ou de notions qui les constitue induit une antithèse et une dialectique se traduisant par nombre de tensions entre les idéologies qui cohabitent le discours.

- Polarisation des thèses : un réquisitoire manichéen

Pour atteindre ce résultat, l’écrivain se concentre sur des mots-phares dont l’usage implique nécessairement et implicitement leur contraire. Par exemple, l’emploi du vocable « gouvernement » suppose celui de « gouverné » ou de « peuple » ; de même, celui de riche suppose son pendant « pauvre »et vice versa. Marc Angenot note au sujet des couples notionnels que :

[C’] est probablement le trait axiomatique de toute pensée non- critique que d’aboutir à la mise en place de telles ‘oppositions faussement synthétiques qui résistent par nature à toute mise en question et permettent de regrouper des idéologèmes épars en les polarisant. C’est

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la constitution du Sujet dans l’idéologie qui semble exiger ce manichéisme, lequel permet deseconcevoir comme un « Nous »opposé aux « Autres »340.

Cette polarisation des antagonismes est graduellement conduite par l’écrivain tout au long du réquisitoire pour atteindre son paroxysme où quasiment toutes les nuances s’annulent. Au lieu d’être relativisées, les charges sémantiques des vocables sont diamétralement opposées sous l’influence du couplage axiomatique. Ce genre de technique a pour objectif de transmettre une perception plutôt caricaturale de la situation. C’est par excellence la marque d’un discours éminemment passionné où il arrive que des sentiments de rejet – comme la haine – dominent le discours au détriment de toute analyse pouvant faire preuve de modération, et donc de concéder quelques avantages à la cible. Autant dire qu’elle repose sur un certain extrémisme et se caractérise par un processus de figement irrémédiable des positions, du moins de celle du pamphlétaire visant à réduire toutes les prises de position de ses adversaires. Ainsi l’écrivain affiche une position qui ne tolère aucune ambiguïté quant à son but ultime. Cette stratégie, que l’on pourrait qualifier de manichéisme militant, apparaît dans les textes de Kourouma, Kéita et Béti de différentes manières. Par ailleurs, pour qualifier le mode de fonctionnement de ce binarisme, Marc Angenot évoque le « manichéisme sémantique » qui consiste à tracer pour le lecteur un schéma conceptuel simplifié dans un but heuristique. Ce dernier n’aura alors aucune difficulté à cerner les idées exposées. À présent, nous allons tenter d’établir une liste récapitulative de couples antagoniques émergeant grâce à une analyse de structure à la fois dans

Sous fer, En attendant le vote des bêtes sauvages et Perpétue et l’habitude du malheur. À

l’image de la vision dichotomique opposant le colon au colonisateur qui caractérisait les œuvres africaines francophones d’avant les années soixante, une perception dichotomique gouvernant/gouverné semble inhérente à celles produites après les indépendances. Et, bien qu’elle soit non exhaustive au regard de tout ce qui a été précédemment exposé, la liste suivante signale la manière dont s’articulent les couples synthétiques au travers des discours militants des écrivains :

340 Ibid., p. 118. Il faut distinguer ce manichéisme propre au pamphlet du manichéisme souvent rejeté par nombre de critiques craignant que la production littéraire des anciennes colonies ne s’y confine. Ici, il s’agit d’un éthos pamphlétaire qui participe des écrits agoniques comme n’importe quel autre éthos d’ailleurs.

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Élite versus Peuple

Gouvernant versus gouverné Mensonges versus Vérité Subordination versus Rébellion

Langue française versus Langues africaines Forme versus Informe

Modernité versus Tradition Abondance versus Pénurie Richesse versus Pauvreté Bonheur versus Malheur Oppresseurs versus Opprimés Militaires versus Civils Exploiteurs versus Exploités Dictatures versus Démocratie Oppresseurs versus Opprimés Corruption versus Justice Imposture versus vérité Coupables versus Innocents Eux versusNous

Prison versus Liberté Ténèbres versus Lumières

Doctrine fausse versus Doctrine vraie Néocolonialiste versus indépendantistes Conservateurs versus Progressistes Traditionalistes versus Réformistes

Les couples « doctrine vraie/doctrine fausse », « vrai/faux » sont diffus dans toutes les argumentations et constituent ainsi le fondement même des œuvres, l’enjeu principal pour le locuteur – l’écrivain – étant toujours de faire valoir ses arguments contre ceux de ses adversaires – régime, tradition, coutume – supposés infondés et dangereux. Les autres couples notionnels viennent s’y greffer en tant qu’appuis argumentatifs, participant ainsi à chaque niveau du discours à l’unique thèse émanant de l’écrivain. On découvre chez Mongo Béti et Ahmadou Kourouma certaines formes du discours qui offrent des exemples illustrant cette dichotomie qu’est le manichéisme.

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– Dénoncer par l’exemplum : une stratégie de figement

Se servir d’un exemplum341 pour mieux transmettre un message, dénoncer, peut

conduire à une rencontre entre l’oralité et l’écriture. Historique ou fictif, l’exemplum se présente comme une modélisation à suivre. De valeur souvent morale, il est proposé au lecteur ou au personnage de papier et peut exister sous plusieurs formes : parabole, allégorie, fable ou proverbes, histoire illustrant une morale. Certes, ces formes propres au récit traditionnel ne sont pas l’apanage de l’oralité africaine, cependant, l’utilisation qui en est faite plonge le lecteur dans une réactualisation créatrice. Par ailleurs, il existe principalement deux types d’exemplum. D’abord, l’exemplum historique qui propose des exemples se basant sur l’histoire, ensuite l’exemplum fictif qui tire ses exemples d’épisodes purement imaginaires visant à donner un enseignement. Nous allons à présent analyser leur fonction de persuasion en tant que stratégie de figement de thèses antagoniques présentes dans les textes de Kourouma et de Béti. Cette fonction présente les deux camps : l’un, cynique, immoral, laid, qui apparaît sous ses aspects les plus effrayants, l’autre qui concentre les meilleures valeurs et qui doit servir de modèle au lecteur. D’après Suzanne Suleiman,

tout texte parabolique est articulé selon trois niveaux hiérarchiquement liés : le niveau narratif, le niveau interprétatif et le niveau pragmatique. Le propre du discours narratif, c’est de présenter une histoire ; le propre du discours interprétatif c’est de commenter l’histoire pour en dégager le sens (ce dernier pouvant être résumé) ; le propre du discours pragmatique, c’est de démontrer de dégager une règle d’action qui aura la forme d’un impératif adressé au destinateur (lecteur ou auditeur) du texte342.

Pour ces raisons, le fratricide commis par Essola mérite d’être examiné. Il y a dans

Perpétue et l’habitude du malheur un exemplum très instructif qui intègre à certains égards la notion

de bien et de mal. Son modèle est l’histoire de Caïn et Abel mais dans le roman, Béti déplace les

341 Selon L’Encyclopédie Universalis, « outre le sens habituel d’exemple, le mot latin exemplum désigne une ressource de la rhétorique utile à qui veut susciter la persuasion. Aristote rapprocher l’exemple, qui repose sur une inférence implicite, (raisonnement inductif) du syllogisme incomplet (déductif) ; après lui, la rhétorique latine (Cicéron, Quintilien, Valère Maxime) distingue le signe (preuve matérielle), l’argument (raisonnement déductif établissant le probable sur le certain) et l’exemple (fait ou dit d’un personnage célèbre du passé qu’il est conseillé d’imiter) dont un sous-genre est l’image, incarnation d’une vertu dans un homme », [https://www.universalis.fr/encyclopedie/exemplum/]

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rôles et fait assumer à son héros celui de justicier qui rend justice par le parricide. Toutefois, la notion de bien et de mal reste le schéma directeur de cette scène : ainsi, présentée comme un acte de justice, la mise à mort de Martin par Essola, traduit une inversion subtile de l’exemplum biblique. En effet, à l’origine, c’est Caïn qui tue son frère Abel ; dans le roman de Béti, ce dernier est un pécheur ivrogne, un clochard, et son frère ainé un être sage et combatif. Face à son frère cadet qui incarne le mauvais gouvernement et les pires pratiques traditionnelles, il symbolise les valeurs morales. L’acte d’Essola invite donc le lecteur à suivre son exemple. Si ce scenario implique la notion de bien et de mal, toutefois refuse le déterminisme qui confine l’homme dans les limites du destin. Pour lui, l’homme doit sa destinée et doit militer pour son salut. Quant à l’exemplum, nous pouvons le qualifier d’historique puisqu’il s’inspire de la Bible. Différent est le meurtre de Martin

qui s’inspire d’un exemplum historico-culturel343 et fait l’objet d’une mise en abyme singulière. En

effet, lors de son enquête, Essola rencontre son cousin d’Amougou qui lui raconte l’histoire d’une

vieille femme (« tu ne connais pas l’arbre-à-Mammy-Ndola ? »344) qui, lasse des chapardages de

son neveu, a préparé un plan minutieux pour le tuer. Le scenario qu’elle met en place est identique à celui d’Essola :

Essola le transporta au pied de l’arbre-à-Mammy-Ndola et lorsqu’il le déposa au milieu des broussailles et des feuilles mortes, le paysan s’affala sur le côté, un bras sous la tête, les jambes repliées, comme un enfant qui s’endort en faisant des rêves joyeux […]. C’était le moment de venger Perpétue en utilisant le supplice infligé à son neveu par Mammy Ndola. Il s’y prit avec sûreté, sang-froid et une cruauté impassible comme s’il avait commis ou répété ce crime mille fois345.

Outre la punition infligée aux médiocres que Béti considère comptables des maux qui rongent sa patrie (« si nous en sommes toujours là, nous autres les Noirs, c’est la faute des gens

comme Martin »346), la mise en abyme est un clin d’œil complice au lecteur. En effet, il est invité à

ne pas reproduire le cheminement de Martin, à éviter les pièges dans lesquels ce dernier est tombé. Ici, a contrario de l’exemplum historico-culturel tiré de l’histoire de Mammy Ndola, ainsi que des Écritures saintes, un exemplum fictif, forgé par l’auteur qui l’expose en tant qu’un mauvais modèle à ne reproduire. Mieux, il oppose les exemples des deux personnages dans une vision simplifiée et teintée de manichéisme.

343 Cet exemplum se construit à partir de données culturelles partagées par l’auteur et le lecteur. Le texte le reconfigure pour mieux s’en servir en fonction de ses objectifs.

344 Mongo Béti, Perpétue et l’habitude du malheur, cité, p. 61. 345 Ibid., p. 295.

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En attendant le vote des bêtes sauvages propose aussi des exemplums historiques très

instructifs, liés aux repères ethnoculturels de Kourouma et aux notions de bien et de mal. Le

donsomana est censé purifier l’âme de Koyaga, notamment des impuretés liées aux crimes que

celui-ci a commis durant son règne. Or, il est le seul à bénéficier de cette catharsis. Cela suppose que les autres dictateurs soient autant – sinon plus – empêtrés que Koyaga dans les crimes. En effet, c’est l’Afrique tout entière qui sert d’exemplum historique au romancier. Outre les nombreuses analogies que nous avons établies entre texte et réalité, se dégage une impression générale de la propagation du mal, toujours lié au totalitarisme. D’un côté, la dictature occupe tout l’espace africain (du nord au sud, de l’est à l’ouest), de l’autre, émerge une espèce de figure unitaire du dictateur. Autant dire que la dictature se profile comme un actant au sens greimassien du terme ; à ce propos, Diandué Kacou Bi Parfait mentionne cette particulière évolution de la dictature dans le texte kouroumien :

En attendant le vote des bêtes sauvages met en scène une famille, une

dynastie de dictateurs. Chacun de ces dictateurs développe, dans sa pratique du pouvoir, un aspect de la dictature en tant que système liberticide de gouvernement des peuples. La dictature devient le moule générique et englobant au sein duquel les personnages et leur faire s’inscrivent. La dictature est donc bien un actant347.

Ainsi la dictature acquiert une identité abstraite et imaginaire spécifique. Elle est décrite comme obsessionnelle puisque, omniprésente, elle hante tous les esprits. Par ailleurs, elle incarne le mal, non seulement par le mensonge, la duplicité et les promesses manquées mais aussi par la sauvagerie qui caractérise les chefs d’États, décrits comme des bêtes féroces faisant la chasse aux gibiers – c’est-à-dire les citoyens – : « la politique est illusion pour le peuple, les administrés. Ils y mettent ce dont ils rêvent. On ne satisfait les rêves que par le mensonge, la duperie. La politique ne réussit que par la duplicité ? »348. Ainsi apparaissent deux mondes

parallèles : le monde maléfique de la politique et celui de la spiritualité et du bien, incarné par le donsomana. Dans cette perspective, le roman de Kourouma révèle les laideurs et la corruption, les expose, les fait connaître et reconnaître dans le but d’une réelle renaissance

347 Diandué Bi Kacou Parfait, « Une géocentrique de la dictature dans l’imaginaire d’Ahmadou Kourouma »,

Epistemocritique, automne 2011 [http://epistemocritique.org/une-geocritique-de-la-dictature-dans-limaginaire-

dahmadou-kourouma/].

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éthique. Ainsi l’œuvre, dans son intégralité, se présente comme un exemplum fictif du vrai

donsomana (le vrai rituel de la confrérie des chasseurs qui a inspiré Kourouma) : elle raconte

« l’histoire d’un chasseur de la ‘tribu des hommes nus’, qui au fil des ans, devient dictateur. Une allégorie à peine déguisée des grandes personnalités politiques contemporaines de l’Afrique349 ». Si l’on se réfère au monde ésotérique des donso (chasseurs), on constate de la

part de Kourouma, une manipulation très subtile : les cryptonymes totémiques ne correspondent pas toujours à la réalité du système de croyance. Par conséquent, d’autres raisons semblent motiver les choix du romancier dans l’attribution de tel totem à tel dictateur. Généralement, les noms des pays s’effacent au profit de ceux des dictateurs qui les dirigent et par lesquels ils deviennent encore plus connus : « pays du dictateur au totem caïman» ; « pays du dictateur au totem hyène », « pays du dictateur au totem faucon », etc. Il va sans dire qu’on a affaire à une entreprise se situant à la croisée de la fiction et du réel, de la satire et de la parodie. Et c’est à juste raison que Kourouma compare les chefs-dictateurs à des animaux, cruels et bêtes à la fois (l’empereur Bossouma, notamment). L’auteur organise le logos de telle manière que l’éloge est presque radicalement évincé par le blâme. Les dirigeants deviennent des « modèles ». Cette parabole de la dictature, entité abstraite et néanmoins agissante, est une parabole qui apparaît à plusieurs endroits du récit, chaque histoire de président dictateur y participant et l’étoffant progressivement.

Dans Sous fer, l’exemplum est moins manichéen que celui d’En attendant le vote des

bêtes sauvages. Fata, la mère de Nana, est un personnage dont les engagements féministes

sincères sont phagocytés par le système patriarcal, à cause notamment de son matérialisme outrancier. En effet, cet appât de gain est l’expression manifeste d’un vice inhibiteur et responsable de son échec. Fata est prise au piège de ses contradictions ; à l’inverse, sa fille Nana, comme Kéita, a un idéal même si elle est soumise aux coutumes ancestrales »350. Kanda,

lui aussi espère en l’adolescente :

349 Kathleen Thorpe, Hospitality and Hospitality in the Multinlingual Global Village, Copenhague, Sun Media Metro,2014,p.164.

350 La protagoniste de Sous fer possède nombre de traits de sa créatrice qui affirme lors d’un entretien : « J’ai été très surprise que je sois découverte ; j’ai dit que j’ai une part de moi en Nana » (« Sous fer, premier roman de

Fatoumata Keita, entretien avec Françoise Dessertine, vice présidente de l’association MALIRA (Mali-Rhône-

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Cependant, c’était sur la réussite de Nana que Kanda misait. Celle-ci, pensait-il, mieux que quiconque, pourrait être un exemple pour ses cadets. Ne disait-on pas que les pintades regardaient celles qu’elles suivaient ? Si cela était vrai, pourquoi l’exemple de Nana n’inspirerait-il pas un jour ses frères et sœurs, plus particulièrement Magan, à redoubler d’efforts pour réussir à l’école ? Le père décida alors de mettre tous les moyens à la disposition de sa fille afin de la soutenir dans ses études351.

C’est pourquoi, dès le début du roman, les parents de Nana s’assurent qu’elle soit dans les meilleures conditions scolaires et à l’abri de certains besoins matériels. Sa mise « sous fer » (excision) intervient sans pourtant parvenir à la désarmer. En effet, Nana incarne l’espoir du changement : elle est la femme modèle qui a intégré les valeurs nécessaires à l’épanouissement de la femme africaine. Les nombreuses discordances entre Nana et Fata viennent du fait que la mère retourne sa veste alors que c’est surtout par elle que Nana est introduite dans la lutte féminine et qu’elle s’y voit confier certaines responsabilités (exposé et prise de parole lors de la rencontre contre l’excision). Avec l’acceptation de la dot d’un prétendant non désiré par sa fille, et la résignation à se soumettre à la coutume symbolisée par l’excision, le revirement de la mère atteint son paroxysme. Ainsi, Fata devient un agent actif d’un système sociétal qu’elle était censée pourtant combattre.

On remarque en dernier lieu que l’exemplum est un élément persuasif qui permet de mieux dénoncer certaines situations en adoptant vis-à-vis de la réception la posture d’un pédagogue. Se basant sur la production de modèles et d’anti-modèles, il permet de figer les thèses ou les doctrines en présence par l’intermédiaire de scenarii à connotation généralement morale ou éthique. Bref, il permet de jeter un regard synoptique et simplifié sur des ensembles plus complexes. Cependant, dans le cadre de notre analyse, il est à intégrer dans un ensemble d’outils rhétoriques qui permettent de s’afficher comme détenteur de la vérité. C’est en effet dans cette perspective que s’expliquent les nombreuses manipulations discursives examinées dans cette partie de notre analyse. Selon Marc Angenot, la dénonciation par la manipulation de l’argumentatif, par le manichéisme, le recours à une transcendance participe plus ou moins d’un

éthos propre à l’écriture agonique qu’on nomme atopie (du préfixe privatif a ainsi que du

radical topie (de topos, qui signifie sujet ou lieu). D’ailleurs, pour exprimer la même idée, Angenot parle aussi d’exotopie. L’écrivain adopte la posture de pédagogue face à la population,

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ne soutenant alors ni les gouvernants, ni les gouvernés. Au contraire, il fustige chaque camp et déplore d’un côté, comme de l’autre, quantités de tares et de manquements qu’il désigne comme les sources des maux et du contexte précaire dans lequel la nation est plongée. Ainsi il se croit le seul capable d’orienter tout le monde. En effet, Sous fer, En attendant le vote des

bêtes sauvages et Perpétue et l’habitude du malheur peuvent être perçus comme des outils

critiques nécessaires à une édification de masse.