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ET DE SOUS FER

I- 1-5 De la Négritude à la « Tigritude »

Cette citation a été prononcée en 1962 à l’université de Makerere (Ouganda) lors d’une conférence animée par des écrivains africains anglophones dans une perspective panafricaniste. A Kampala, Soyinka et ses confrères – Chinua Achebé, Kofi Awoonor, Lewis Nkosi et Ngugi entre autres – s’étaient réunis pour donner une impulsion à un mouvement d’émancipation autour de deux principaux objectifs. Sans doute plus politique, le premier concerne tous les pays d’Afrique : il appelle à « s’imposer » en paroles et en actes ; quant au second, plus ciblé, il vise à une décolonisation mentale et culturelle. Inspiré par cet aspect de la conférence, Ngugi va quelques années plus tard lutter pour soustraire à l’emprise de l’anglais, l’écriture elle-même, en tant qu’elle procède d’une langue étrangère régie par des canons et des critères fixés et imposés par les anciens colons britanniques69. En effet, ces critères amputent une grande partie

d’écrivains de sa capacité à s’exprimer dans un anglais clair. Plus assumé chez leurs homologues francophones, l’héritage linguistique de la colonisation est autrement accueilli différemment dans l’espace littéraire francophone.

69 Il n’est pas le seul : Chinua Achebé, notamment, regrette de devoir communiquer en anglais aux différentes ethnies de son pays.

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Cependant, avant d’examiner ces implications linguistiques, tantôt perçues comme un inconvénient, tantôt comme un avantage dans la littérature africaine d’expression française, essayons de comprendre la formule de Soyinka après examen de son contexte d’apparition. Bien que récupérée et utilisée comme une proclamation allant à contresens de la Négritude, il est important de préciser que les frontières entre les deux tendances sont minces. Quelquefois, elles disparaissent même au profit d’une complémentarité, non que Senghor et Soyinka, tous deux engagés, visent le même objectif qui est celui de défendre l’Afrique. Seulement, chacun procède différemment : les deux concepts clés : « Négritude » et « Tigritude » fonctionnent comme deux faces de la même médaille, un peu comme une idéologie et son application. Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’appel de Wole Soyinka qui transcende les frontières, les clivages et les querelles entre francophones et anglophones C’est un appel panafricain. En fait, les tenants de la Négritude se réclament des ainés outre-Atlantique, dont le mouvement

Harlem Renaissance apparaît comme le pionnier de tous les mouvements noirs émancipateurs.

C’est pourquoi en réponse à la critique de Soyinka, Senghor a rappelé l’influence et les liens étroits entre Harlem Renaissance et l’ensemble des écrivains anglophones regroupés « en »

African Renaissance dont Soyinka est l’une des plus importantes figures. Tout compte fait, à en

croire Martin Mégevand :

Senghor revient sur des écrivains anglophones en une « African

Renaissance » désignant Soyinka comme une figure-clé de ce

mouvement, et associe leur combat à la notion de Darkshiness forgé par leur ancêtre commun, Langston Hughes du mouvement Harlem

Renaissance, qui avait justement été invité à la conférence de Makerere

en 1962- et dont Senghor a toujours reconnu combien la Négritude lui était redevable.70

Ainsi, à première vue, si l’on tient compte des interprétations multiples donnant à lire la formule de Soyinka comme l’exacte opposée de la Négritude, on serait porté à croire l’existence de deux approches antinomiques. Pourtant, il existe nombre d’éléments structurels et idéologiques qui les rassemblent Néanmoins, les nuances à souligner ne sont pas des

70 Martin Mégevand, « Soyinka, Senghor : retour sur un différend », Ponti/Ponts-Langues, Littératures et

Civilisations des pays francophones, Milan, Cisalpino, décembre 2012, //www.ledonline.it/Ponts/allegati/Ponts-12-

Megevand.pdf. Toujours dans cette perspective d’apaisement et de rapprochement, Mégévand explique, dans la même référence que Wole Soyinka revient sur sa position en 1999, soit environ trente cinq ans après, pour l’infléchir par rapport à la Négritude et par rapport au différend qui l’opposait à Senghor, jugeant qu’il le comprenait mieux et laissant entendre que le contexte anglophone et francophone n’étaient pas pareil.

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moindres : elles représentent l’étape à franchir pour que le discours de la Négritude devienne une réalité. Outre son important aspect politique, la posture de Soyinka exhorte à la réalisation des promesses faites aux peuples désormais déçus et désorientés. Il pose la question de l’efficacité de la parole littéraire en Afrique : c’est-à-dire quel est le pouvoir de la parole de l’écrivain africain lorsque celle-ci ne reflète pas la réalité ? Que vaut-elle ? En effet, le discours de la Négritude est en ce sens anachronique. Il est jugé incongru par l’écrivain nigérian et ne permet pas de surmonter les défis du moment. La Tigritude, quant à elle, postule une philosophie de l’action mais elle va bien au delà d’un simple pragmatisme. Une autre différence entre Négritude et Tigritude réside dans la place et la mission assignées à l’écrivain et dans l’attitude que celui-ci devrait adopter. Dans son rapport à la politique et suivant un contexte particulier d’oppression, le pouvoir de l’écrivain, son écriture doivent être à même « d’abattre » le pouvoir politique inique. Pour ce faire, son discours relève de l’agôn71. Autant dire qu’on a

affaire à un maître du langage qui manipule les mots avec dextérité, niant, affirmant, confirmant, fustigeant, attaquant sa cible dans le but de l’abattre. Soyinka préconise outre la conscience révoltée, un esprit conquérant qui doit, coûte que coûte passer à l’action. En fait, la Tigritude est une invitation à promouvoir un Africain qui agit, sans attendre que lui soit tranquillement accordé l’objet de ses réclamations. En outre, cherchant l’arrêt de l’oppression et donc de l’oppresseur, il mobilise son intelligence, ses capacités et l’ensemble de toutes ses ressources dans le but de renverser l’ordre établi. L’impact de Soyinka, comme celui de Yambo Ouologuem ainsi que de nombre d’autres écrivains adoptant une posture iconoclaste, est indéniable. Comme si toute l’utilité de la littérature se trouvait soudainement renfermée dans l’évocation et l’analyse des dictatures qui ont secoué le continent africain. La majorité des textes publiés après les années soixante focalisent leur réflexion sur des facteurs endogènes des crises. En effet, traiter de la responsabilité de l’Afrique dans ses souffrances devient une urgence. Selon Amina Azza Bekkat, spécialiste de littérature africaine et maghrébine, « les œuvres produites à l’époque portent toutes les traces de ce désenchantement »72.

71 Joute oratoire, polémique.

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Les écrivains francophones africains s’attaquent à toutes les dérives. Dans son roman La

saison des pièges73, Seydou Badian s’oppose à un monde qui a perdu les valeurs morales et les

traditions et qui vit dans la corruption généralisée, comme c’est le cas au Mali sous le règne de Moussa Traoré. Pareillement, dans Les soleils des indépendances74, Ahmadou Kourouma

déplore la déchéance du peuple malinké. Fama, dernier prince du Horodougou, est une des premières victimes du nouveau pouvoir politique. L’indépendance n’a rien apporté sinon l’abâtardissement de la nation et un système politique conduisant inéluctablement à l’entropie, pour utiliser le terme de Lilyan Kesteloot75, c’est-à-dire l’ampleur du désordre qui caractérise

l’état de la société évoluant vers une situation de crise toujours plus anarchique. Au Sénégal, Cheikh Hamidou Kane, dans Les Gardiens du Temple76, dénonce la dictature instaurée par

Jérémie Lasko77 et ses tentatives de faire main basse sur l’État sénégalais et sur les institutions

du pays. Utilisant le genre autobiographique, il dresse un réquisitoire contre le règne d’un autocrate manipulateur et paranoïaque. Au Cameroun, les textes les plus connus de Mongo Béti font le procès de la dictature camerounaise et ses conséquences ravageuses, telle la fragilisation physique et mentale de la femme, en proie à un monde capitaliste violent et corrompu. Il dénonce aussi les méthodes mises en place par le régime pour abattre toute initiative subversive. L’écrivaine malienne Fatoumata Kéita, quant à elle, accuse les dirigeants de son pays de négliger la femme dont elle déplore la situation sociale. Comme ses consœurs féministes africaines, elle critique les deux formes d’autorité de son pays – le pouvoir politique et les autorités traditionnelles – d’être complices pour perpétuer les malheurs de la femme. Déçue par les nouveaux maîtres de l’Afrique, elle dénonce les régimes ayant « isolé » et leurs promesses progressistes jamais tenues. On pourrait multiplier les exemples qui révèlent les thématiques développées par la littérature francophone : immoralité, incompétence et l’incapacité des nouveaux régimes à satisfaire aux besoins primaires de leurs peuples. Tenons- nous en à quelques auteurs et à quelques textes emblématiques. Ces textes-pamphlets dévoilent

73 Seydou Badian, La saison des pièges, Paris, Présence africaine, 2008. 74 Ahmadou, Kourouma, Les soleils des indépendances, Seuil, 1970.

75 Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Karthala, 2001, p. 328. Précisément, lorsqu’elle dit de certains événements catalyseurs de crises qu’ils : « participent à l’entropie de la société africaine, à la dérive des institutions, à l’angoisse qui monte d’un cran à chaque annonce d’un sinistre, d’un conflit ou d’un coup d’État ». 76 Cheikh Hamidou Kane, Les gardiens du temple, Nouvelles éditions ivoiriennes, 1997.

77 Toutes les analyses portent à croire le premier Président de la République sénégalaise, Léopold Senghor. D’ailleurs les autres personnages sont tous identifiables.

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souvent des figures héroïques paradoxales : ils mettent en scène des personnages empêtrés dans de nombreuses péripéties et impuissants à changer le cours des événements.

Par ailleurs, nous avons précédemment expliqué à la suite de Jacques Chevrier, que la littérature africaine francophone était née de la contestation de l’oppression coloniale. Cependant, si le colon part à la faveur des indépendances, sa langue, au moyen de laquelle s’exprime l’écrivain, reste présente et vivante. En effet, le français, soit décrié, soit positivement perçu comme un élément du métissage, fait toujours autorité ; il est toujours une contrainte imposée à l’écrivain. Ainsi le plurilinguisme des hommes de lettres africains d’expression française est source de tension. À ce propos, il semble important de préciser que la notion de lieux communs et de palimpseste, chers à Gérard Genette, intéressent notre étude parce qu’elles vont permettre d’examiner le conflit à la fois linguistique et idéologique des textes de notre corpus. Ce conflit s’inscrit dans une perspective d’émancipation, de liberté et d’indépendance. D’où la nécessité de recourir à l’ethno-texte78 qui apparaît comme une sorte

d’interférence entre la langue française et la langue et la culture de l’écrivain africain. Ce genre de procédé – qui est légion dans la production littéraire africaine francophone – traduit, en partie, une volonté de se défaire des règles d’une langue jugée trop guindée.

La langue française, plus qu’un élément de communication, est un outil idéologique complexe. En effet, la francophonie est vue comme un symbole de domination et de catégorisation des textes et des écrivains d’expression française. Née dans un contexte colonial, elle reproduit la même logique de domination et la perpétue après les indépendances. Pierre Bourdieu, dans Ce que parler veut dire, explique la manière dont une communauté linguistique se structure autour du capital linguistique dont le degré d’acquisition est fonction de distinction entre les individus et les groupes composant différentes strates.

S’il est légitime de traiter les apports sociaux et les rapports de domination eux-mêmes comme des interactions symboliques c’est-à- dire comme des rapports de communication impliquant la connaissance et la reconnaissance, on doit se garder d’oublier que les rapports de

78 « Le terme ethno-texte sera utilisé pour désigner les modèles littéraires de la tradition orale africaine, le mythe, le conte, la légende, le panégyrique, la joute oratoire, les devinettes, les proverbes… C’est à dire l’ensemble des modèles ethno-littéraires comparable aux "formes" qui ne sont définies ni par la poétique, ni peut-être par l’écriture qui ne deviennent pas véritablement des œuvres […], bref à ces formes qu’on appelle communément légende, geste, devinette, locution mémorable, conte ou trait d’esprit » (Alioune Tine, Pour une théorie de la littérature

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communication par excellence que sont les échanges linguistiques sont aussi des rapports de pouvoir symboliques où s’actualisent les rapports de force entre les locuteurs ou les groupes respectifs79.

Cette réalité existe au sein des groupes d’une même communauté, ce qui est très manifeste dans les pays vivant une situation de diglossie ou de diglossie enchâssée où la langue française domine politiquement. C’est le cas des anciennes colonies de la France. De même, ce phénomène sociolinguistique exposé par Bourdieu existe dans les rapports que la France entretient avec les francophones. De plus, la littérature est le lieu où ce jeu de domination s’illustre le mieux. L’ensemble de la production littéraire des pays dits francophones n’y échappera pas. En effet, les écrivains africains sont soumis à des critères et à des contraintes fixés par les critiques littéraires hexagonaux et sur lesquels ils n’ont pas de véritable contrôle. C’est sur la base de ces règles que les théoriciens de la littérature jugent les textes bons ou médiocres, selon qu’ils s’en éloignent ou s’en rapprochent.

Félix Guattari et Gilles Deleuze utilisent les termes de littérature mineure pour désigner la littérature francophone subsaharienne80. Dès lors ils opèrent une classification fixant le sort

de cette littérature avec des paramètres particuliers81. Cette dernière sera opposée à celle dite de

littérature majeure, qui elle, serait plus conforme aux règles d’usage établies par les critiques

littéraires de la métropole. Or, cette catégorisation aux forts relents de domination consiste précisément à établir l’existence d’une littérature nettement moins importante. En réalité, il y a en filigrane de cette classification, la question du pouvoir et du rapport à l’Autre, qui est en l’occurrence un rapport de force indéniable et de dominant/dominé. Il va sans dire que les écrivains face à ce schéma développent des réflexes séditieux. D’autre part, dans la littérature

79Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, p.14. 80 Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, Minuit, 1975, p. 29.

81 Les auteurs de la littérature mineure se voient contraints de s’exprimer dans une langue qui n’est pas la leur mais qui est leur imposée en quelque sorte. C’est une langue non locale, et donc décontextualisée, pour servir de langue d’expression, d’où la notion de déterritorialisation. C’est une littérature qui se trouve envahie par des problématiques sociopolitiques à telle enseigne que tous les sujets a priori touchant la sphère familiale, conjugale, intime, en d’autres termes, l’affaire individuelle sont examinés dans un contexte politique, de façon que le schéma œdipien servant habituellement à en expliquer les complexités, est écarté et le contexte sociopolitique demeure le principal facteur déterminant. Ainsi tout ce qui est individuel devient collectif. La littérature devient l’affaire du

peuple, comme si son utilité se résumait à l’urgence du moment, à savoir les défis de gouvernance politique,

économique, sociale desquels dépend la liberté du peuple. Tout prend une valeur collective. Cette conjoncture particulière prive l’écrivain de la possibilité d’exprimer véritablement un talent individuel au moyen d’une

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francophone subsaharienne se côtoient la notion de pensée éclatée (cf. Achille Mbembé82) et

celle de langue éclatée (cf. Béida Chikhi83). Ces deux notions, en plus de pouvoir concrétiser le

métissage, cher à Senghor, sont perçues comme les principaux vecteurs d’ouverture et de rapprochement entre les peuples, entre pays anciennement colonisés et ancien colonisateur. Néanmoins, elles sont aussi considérées par beaucoup de critiques comme source d’aliénation. Quoi qu’il en soit, nous pouvons affirmer que face à cette situation les écrivains perçoivent l’écriture comme un acte de liberté. Aussi, pour prétendre à l’éveil des consciences, c’est-à-dire pour participer à la libération, l’écriture doit, en premier lieu, pouvoir se libérer elle-même. C’est de là que sont nés différents phénomènes synonymes de subversion : ils se manifestent par la présence d’éléments, notamment l’ethno-texte et la superposition de la langue d’origine de l’auteur et de son peuple à la langue française (envahie par des structures linguistiques étrangères). Ahmadou Kourouma84 est sans doute l’un des plus célèbres auteurs africains qui ait

écrit des romans où se côtoient et se superposent deux langues : le français et le malinké, langue de son ethnie d’origine brouillant volontiers les repères du français. Ses analyses mettent en exergue cet acte révolutionnaire visant la langue, mais également l’architecture même du roman, construite sur des éléments appartenant à l’oralité africaine. Selon Lylian Kesteloot, cet acte que l’on peut à présent qualifier de transgression des règles du français, se remarque chez beaucoup d’écrivains africains voulant rompre avec une langue jugée français trop normée. C’est ainsi que Kourouma est comparé au conteur traditionnel africain par le ton, le rythme et le choix des personnages auxquels il prête la fonction de conteur ou de griot. Fatoumata Kéita n’a pas ce statut au sein de la critique littéraire : il n’empêche que Sous Fer85 procède de la même

manière que le roman de Kourouma. En effet, à travers un récit -où français et malinké se mélangent – l’écrivaine malienne s’insurge contre l’hégémonie de l’Académie Française et

82 Achille Mbembé, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, cité. 83 Dans son ouvrage Enseigner le monde noir (Paris, Maisonneuve & Larose, 2007), Chikhi explique que le roman africain se présente comme l’espace des lieux communs universels du fait de son bilinguisme, de son plurilinguisme. C’est aussi un lieu de rencontre de l’Afrique telle qu’elle fut avant et pendant l’esclavage et la colonisation et de l’Afrique (francophone subsaharienne) telle qu’elle est aujourd’hui, à savoir envisagée dans ses rapports à l’Occident, que ce soit dans la langue ou dans les idées. Par conséquent, il se dégage du roman africain un effet palimpseste incontestable. Ainsi, dans son processus de création, il se construit sur un substrat protéiforme En d’autres termes, le roman africain est construit sur le socle d’un langage-palimpseste genéttien à grand renfort d’hypersexualité (hypotexte et hypertexte) : un concept qui part du principe que tout texte (hypertexte) est conçu et formé à partir d’un autre texte antérieur (hypotexte).

84 Nous reviendrons sur cette catégorie d’écrivains qui ont opéré une vraie révolution littéraire dans la deuxième partie de notre thèse.

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fustige la mauvaise gouvernance qui, selon elle, provoque l’émigration forcée de jeunes maliens en quête de vie décente vers l’Europe et l’Occident. Bien qu’ayant une écriture plus académique, Mongo Béti fustige lui aussi la langue française, instrument colonial qui empêche, à une grande majorité des populations africaines, l’accès au savoir :

Tout comme à l’apogée de la colonisation, l’absolutisme de la langue française était un humus empoisonné [où] poussaient nécessairement des plantes malsaines : l’apprentissage jamais achevé de ses raffinements retenait dans l’infantilisme ; l’exclusion inévitable ou calculée hors de ce paradis de l’immense majorité des populations produisait l’obscurantisme, la stagnation sociale et politique, ainsi que la frustration des masses86.

En définitive, nous pouvons affirmer que la dimension pamphlétaire apparaît comme une thématique traversant plusieurs genres à travers lesquels les hommes de lettres africains se sont illustrés. En effet, peu importe le genre où s’exprime l’écrivain, l’esprit combattif se dégage comme une constante, la thématique commune demeurant la lutte pour la liberté sur le plan politique comme artistique. C’est pour parvenir à ce résultat que les stratégies pamphlétaires se déploient contre les régimes dictatoriaux mais également contre la francophonie et les instances littéraires hexagonales. Cela nous conduit à réaffirmer que la littérature subversive naît aussi de plusieurs conjonctures : littéraires, sociales, politiques, économiques, environnementales, qui forgent ses orientations. Selon Marc Angenot et Frédéric Saenen, c’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit d’écrits à caractère polémique et