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3. L A CELLULE ALPHA

3.2. Les différents mécanismes de régulation de la sécrétion du glucagon

3.2.2. Régulations paracrines

Comme vu précédemment dans le chapitre 2, l’architecture et la vascularisation des îlots sont deux éléments importants qui influencent les interactions entre les différentes cellules en-docrines de l’îlot. Les effets paracrines peuvent notamment avoir lieu soit par la

microvascula-LA CELLULE ALPHA

risation soit via la diffusion des hormones dans l’interstice entre les cellules. Plusieurs argu-ments viennent appuyer cette hypothèse. Un des premiers constats est que la réponse du gluca-gon est fortement altérée dès lors que les cellules bêta sont détruites. En effet, il a été proposé que la perte des cellules bêta soit la cause majeure de l’augmentation de la sécrétion du glucagon en condition hyperglycémique. Cet effet est observé chez les patients diabétiques de type 1 et de type 2 (Aguilar-Parada, Eisentraut, and Unger 1969; Greenbaum, Prigeon, and D'Alessio 2002) ainsi que dans des modèles animaux rendus diabétiques par l’ajout de toxine diphtérique (Ishihara et al. 2003) ou d’alloxane (Braaten, Faloona, and Unger 1974). Il a également été constaté qu’en condition hyperglycémique, la sécrétion pulsatile de glucagon est synchronisée de manière inverse à celle de l’insuline et de la SST (Hellman et al. 2009) suggérant que les cellules alpha pourraient être régulées négativement par les cellules bêta ou delta. Au vu de ces arguments, il semble très probable que les effets paracrines jouent un rôle essentiel dans l’adap-tation de la réponse du glucagon lors de variations glycémiques.

o Cellules bêta : insuline

En plus de la destruction des cellules bêta, les patients diabétiques de type 1 présentent une altération de la sécrétion du glucagon lors des changements glycémiques. Cela se traduit par une hyperglycémie au quotidien mais également, dans certains cas, par l’absence de réponse du glucagon en condition hypoglycémique (Aguilar-Parada, Eisentraut, and Unger 1969;

McCrimmon and Sherwin 2010). Plusieurs arguments amènent à penser que l’insuline sécrétée par les cellules bêta est impliquée dans la régulation de la sécrétion du glucagon. Des études ont notamment constaté la présence de récepteurs à l’insuline sur les cellules alpha (Kisanuki et al. 1995; Franklin et al. 2005) et leur implication dans la régulation de la sécrétion du gluca-gon (Diao et al. 2005; Kawamori et al. 2009; Kawamori and Kulkarni 2009; Gromada, Duttaroy, and Rorsman 2009; Franklin et al. 2005). En effet, la création de souris transgéniques dépourvues de récepteurs à l’insuline sur les cellules alpha (αIRKO) a permis d’observer le développement d’une légère intolérance au glucose, additionné d’une hyperglucagonémie et d’une hyperglycémie chez ces souris. Ces souris présentent également des sécrétions anormales de glucagon que ce soit en condition normo- ou hypoglycémique (Kawamori et al. 2009;

Kawamori and Kulkarni 2009). De même, l’utilisation de small interfering RNA (siRNA) diri-gés contre les récepteurs à insuline dans des îlots de souris a montré une sécrétion de glucagon altérée à bas glucose (Diao et al. 2005).

INTRODUCTION

Cependant, les mécanismes moléculaires permettant de réguler la sécrétion du glucagon (via les récepteurs à l’insuline) sont encore peu connus. Deux mécanismes sont proposés. Dans le premier, il est suggéré que la fixation de l’insuline à son récepteur sur la cellule alpha active la voie de signalisation phosphatidylinositol-3-kinase/protein kinase B (PI3K/AKT), qui elle-même active la translocation des récepteurs GABAA. L’activation des récepteurs GABAA con-duit à l’activation de canaux chlorures (Cl-) provoquant l’hyperpolarisation de la membrane et par conséquent l’inhibition de la sécrétion du glucagon (Wendt et al. 2004; Xu et al. 2006). Le second mécanisme repose sur la capacité de l’insuline à diminuer la sensibilité des canaux KATP

à l’ATP dans les cellules alpha, un effet qui est médié par la voie de signalisation PI3K et qui engendre l’hyperpolarisation de la membrane suivie de l’inhibition de la sécrétion de glucagon (Franklin et al. 2005; Leung et al. 2006).

D’autre part, la perfusion d’insuline exogène inhibe la sécrétion de glucagon que ce soit chez des patients diabétiques de type 1 dépourvus de cellules bêta fonctionnelles (Gerich et al.

1975; Asplin, Paquette, and Palmer 1981) ou dans des modèles animaux rendus diabétiques (Weir et al. 1976; Dunbar and Brown 1984). De plus, la neutralisation de l’insuline par des anticorps dans des pancréas humains perfusés provoque l’inhibition de la sécrétion du glucagon à bas glucose alors qu’à haut glucose la sécrétion de glucagon est augmentée (Brunicardi et al.

2001). Le même effet a pu être observé dans des pancréas de rats perfusés (Maruyama et al.

1984).

Un autre effet de l’insuline sur la cellule alpha a également été proposé, notamment pour la régulation du glucagon en contexte hypoglycémique. Cet effet switch-off propose que la baisse de la glycémie combinée à une diminution rapide de la sécrétion d’insuline sont des éléments nécessaires à la sécrétion du glucagon (Zhou et al. 2004; Hope et al. 2004; Banarer, McGregor, and Cryer 2002; Cryer 2012a). Ces études ont notamment montré que des rats dia-bétiques, traités à la streptozotocine (STZ), n’étaient plus en mesure de sécréter du glucagon lors d’un challenge hypoglycémique (Zhou et al. 2004). Pour rétablir l’effet switch-off sur les cellules alpha, de l’insuline a été perfusée chez des rats diabétiques, puis stoppé à bas glucose.

Cette simulation de l’action de l’insuline sur les cellules alpha a permis de restaurer la sécrétion de glucagon en contexte hypoglycémique (Zhou et al. 2004). Parallèlement, l’usage de modèles mathématiques a permis d’établir les différents mécanismes impliqués dans la régulation du glucagon et leurs dérégulations associées dans le contexte de diabète (Farhy and McCall 2009).

LA CELLULE ALPHA

Ces modèles mathématiques ont notamment permis de confirmer que les cellules alpha ont be-soin de la réduction d’un signal inhibiteur (SST ou insuline) ainsi que d’une baisse de la glycé-mie pour provoquer la sécrétion du glucagon (Farhy et al. 2008). Toutefois, d’autres méca-nismes ont été proposés pour expliquer la perte de sécrétion du glucagon en contexte hypogly-cémique, ils seront développés plus en détails dans la partie 3.3.

Bien que tous ces résultats semblent indiquer clairement un rôle de l’insuline dans la régulation de la cellule alpha, il reste à déterminer si les effets glycémiques observés sur la cellule alpha sont liés directement au glucose plasmatique ou indirectement à l’insuline. En effet, certaines études ont pu mettre en évidence que la sécrétion de glucagon est inhibée par des concentrations de glucose qui ne provoquent pas la sécrétion de l’insuline (Walker et al.

2011; Ravier and Rutter 2005; Gylfe and Gilon 2014). Il est donc probable que l’insuline ne soit pas le seul facteur paracrine impliqué dans la régulation du glucagon.

o Cellules bêta : Le zinc

En plus de l’insuline, les granules de sécrétion des cellules bêta contiennent également du Zn2+. Le Zn2+ est accumulé dans les granules de sécrétion via les transporteurs du zinc (ZnT8) où il va co-cristalliser avec l’insuline pour former une structure hexamèrique (Chimienti et al. 2006). L’insuline et le Zn2+ seront ensuite co-sécrétés dans l’espace extracellulaire avant de se dissocier (Gee et al. 2002; Kristiansen et al. 2001). Bien que de nombreuses fonctions physiologiques aient été attribuées au Zn2+, l’étude d’Ishihara et al. a été la première à suggérer que le Zn2+ sécrété par les cellules bêta inhibe la sécrétion de glucagon (Ishihara et al. 2003).

Plusieurs études sont venues agrémentés cette hypothèse (Franklin et al. 2005; Hardy et al.

2011), et certaines autres ont également montré une implication du Zn2+ dans la sécrétion du glucagon en condition hypoglycémique (Zhou et al. 2007; Solomou et al. 2015). Pour étudier l’implication du Zn2+ dans la régulation des cellules alpha, des souris transgéniques dépourvues de transporteurs ZnT8 ont été créées. Ce transporteur étant préférentiellement choisi à cause de son implication possible dans le développement du DT1 et DT2 (Nicolson et al. 2009; Kawasaki 2012). Les études utilisant ces souris ont montré que la délétion du ZnT8 a un impact sur le stockage du Zn2+ dans les granules ainsi que sur leur relargage. De façon intéressante, il a été constaté que ces souris ne présentent aucune altération dans la sécrétion de glucagon (Ravier and Rutter 2005; Hardy et al. 2011; Nicolson et al. 2009; Wijesekara et al. 2010; Cheng-Xue et

INTRODUCTION

cette délétion n’a aucun impact sur la régulation de la cellule alpha. Par conséquent, les résultats obtenus avec ces souris ont clairement remis en question le rôle du Zn2+ dans la régulation de la sécrétion du glucagon.

o Cellules bêta : GABA

Bien que le GABA soit un neurotransmetteur inhibiteur majoritairement trouvé dans le système nerveux central, sa présence a également été constatée dans le pancréas endocrine.

Dans les cellules bêta, le GABA est synthétisé à partir du glutamate par l’enzyme glutamate decarboxylase 65 (GAD 65) puis est transporté dans les synaptic-like microvesicles (SLMVs) avant d’être relargué dans l’espace extracellulaire (Franklin and Wollheim 2004; Thomas-Reetz and De Camilli 1994). Le relargage du GABA par les SLMVs fait suite à l’augmentation de Ca2+ cytosolique induite par la dépolarisation de la membrane par les canaux calciques voltage-dépendants (Franklin and Wollheim 2004). Une fois relargué, le GABA peut ensuite aller se fixer sur deux types de récepteurs : le GABAA et le GABAB. Le GABAA est un récepteur ex-primé sur les cellules alpha humaines (Xu et al. 2006) et de rongeurs (Wendt et al. 2004), et qui est directement impliqué dans la régulation de la sécrétion du glucagon. Comme vu précédem-ment, l’insuline sécrétée par les cellules bêta va également provoquer la translocation des ré-cepteurs GABAA sur la membrane des cellules alpha (Wendt et al. 2004). La fixation du GABA au récepteur GABAA est responsable de l’augmentation d’ions Cl- dans la cellule provoquant une hyperpolarisation de la membrane et par conséquent une inhibition de la sécrétion du glu-cagon. Cet effet inhibiteur du GABA sur la sécrétion du glucagon a pu être observé dans des pancréas de rats perfusés (Gilon et al. 1991) ainsi que sur des îlots de rats ou de souris (Wendt et al. 2004; Gilon et al. 1991; Rorsman et al. 1989). Malgré ces différentes observations, cer-tains travaux s’opposent à la théorie de l’effet inhibiteur du GABA sur les cellules alpha (Vieira, Salehi, and Gylfe 2007; Hjortoe et al. 2004). De même, l’utilisation d’antagonistes sur le ré-cepteur GABAA a eu des effets controversés sur la sécrétion du glucagon (Wendt et al. 2004;

Gilon et al. 1991; MacDonald et al. 2007). D’autre part, il n’est pas certain que le relargage du GABA soit médié par le glucose ou l’ATP (Winnock et al. 2002). De plus, il a été remarqué qu’en condition hyperglycémique, le relargage du GABA est inhibé contrairement à l’insuline (Winnock et al. 2002; Smismans, Schuit, and Pipeleers 1997). Par conséquent, l’ensemble de ces résultats amène à penser que le GABA n’est pas forcément responsable de l’inhibition de la sécrétion du glucagon par le glucose.

LA CELLULE ALPHA

Plus récemment, il a été proposé que le γ-hydroxybutyrate (GHB) relargué par les cel-lules bêta pourrait avoir un effet inhibiteur sur la sécrétion du glucagon lors de l’exposition au glucose (Li et al. 2013). Le GHB est synthétisé à partir du GABA dans les cellules bêta et est lui aussi considéré comme un neurotransmetteur inhibiteur.

o Cellules delta : somatostatine

La SST est une hormone peptidique sécrétée par les cellules neuroendocrines, le système gastro-intestinal ainsi que par les cellules delta du pancréas. Il existe deux isoformes de la SST : l’isoforme 14, qui est produite par les cellules delta (Patel, Wheatley, and Ning 1981) et qui représente moins de 5% de la totalité de la SST circulante (Taborsky and Ensinck 1984;

D'Alessio and Ensinck 1990) et l’isoforme 28, qui est produite par les cellules intestinales et qui constitue la quasi-totalité de la SST circulante (Patel and O'Neil 1988). Étant donné la quantité de SST produite par les cellules intestinales, les études in vitro s’avèrent être le meilleur modèle pour étudier l’effet de la SST sécrétée par les cellules delta sur les autres types cellulaires de l’îlot. De nombreuses études s’accordent sur le fait que la SST sécrétée par les cellules delta exerce un effet inhibiteur sur la sécrétion de glucagon ainsi que sur la sécrétion d’insuline (Gerich, Lovinger, and Grodsky 1975; Strowski et al. 2000). Cinq types de récepteurs à la SST (SSTR) ont été identifiés (SSTR1-SSTR5) et sont exprimés dans les îlots humains (Kumar et al. 1999; Strowski and Blake 2008; Kailey et al. 2012) et de rongeurs (Ludvigsen et al. 2004). Les cellules alpha expriment majoritairement le SSTR2 (Kailey et al. 2012; Hunyady et al. 1997) alors que les cellules bêta expriment plus généralement le SSTR1 et le SSTR5 (Kumar et al. 1999). Comme pour l’insuline, la sécrétion de la SST est dépendante de la concentration en glucose dans les îlots. En effet, d’après certaines études, les cellules delta répondent à des concentrations plus faibles de glucose (3-5 mM) comparé aux cellules bêta (6-7 mM) (Hauge-Evans et al. 2009; Vieira, Salehi, and Gylfe 200(6-7)

Plusieurs études ont montré que le SSTR2 est impliqué dans l’effet inhibiteur de la SST sur les cellules alpha (Kailey et al. 2012; Strowski et al. 2000). Trois mécanismes d’inhibition sont actuellement proposés. Le premier mécanisme a été mis en évidence lors d’études électrophysiologiques, et propose que la fixation de la SST sur le SSTR2 provoque l’activation de la protéine protein-gated inwardly rectifying K+ (GIRK), entrainant l’hyperpolarisation de la membrane et l’inhibition de la sécrétion du glucagon (Yoshimoto et al. 1999; Gromada, Hoy,

INTRODUCTION

SSTR2 inhibe l’adénylate cyclase provoquant une réduction de l’AMPc ainsi que de la PKA et par conséquent l’inhibition de la sécrétion du glucagon (Schuit, Derde, and Pipeleers 1989;

Fehmann, Strowski, and Goke 1995). Le dernier mécanisme repose sur la capacité de la SST à inhiber l’exocytose du glucagon en supprimant les granules de sécrétion via l’activation des protéines Gi2 et de la calcineurine (Gromada, Hoy, Buschard, et al. 2001).

Différentes expériences ont été menées pour investiguer le rôle inhibiteur de la SST sur la sécrétion du glucagon. L’utilisation de souris knockout pour la SST ou le SSTR2 a notamment permis de mettre en évidence une augmentation de la sécrétion du glucagon en condition hyperglycémique chez ces souris, suggérant l’importance de la SST dans l’inhibition de la sécrétion du glucagon (Strowski et al. 2000; Hauge-Evans et al. 2009; Cheng-Xue et al.

2013). Cette même réponse est observée lorsque la SST est neutralisée à l’aide d’anticorps ou que les récepteurs SSTR2 sont bloqués (Vieira, Salehi, and Gylfe 2007). L’ensemble de ces résultats montre que la sécrétion de la SST induite par le glucose joue un rôle important dans l’inhibition de la sécrétion du glucagon. Toutefois, plusieurs chercheurs doutent du fait que l’effet inhibiteur de la SST sur la sécrétion du glucagon soit médié par le glucose (Vieira, Salehi, and Gylfe 2007; Walker et al. 2011; Cheng-Xue et al. 2013).