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La réglementation, quelques mesures A. Les fonds propres

Comment lA réCente Crise des mArChés

III. La réglementation, quelques mesures A. Les fonds propres

Monsieur P. Hildebrand a traité des mesures en matière de fonds propres, soit des mesures essentielles pour le but premier de la surveillance : protéger les créan-ciers et les clients des banques. La portée de telles mesures ne se limite pourtant pas à ce domaine ; celles-ci présentent aussi l’avantage de contraindre les instituts concernés à réévaluer leurs divers choix au vu des coûts de fonds propres induits par ces décisions. Ces mesures devraient déployer ainsi un effet indirect sur la stratégie, la structure et le niveau des risques acceptables par les banques.

La Suisse est à ce jour précurseur dans ce domaine ; toutefois, le Comité de Bâle a d’ores et déjà annoncé10 son intention d’examiner toutes les mesures propres à pallier les faiblesses de la réglementation actuelle, notamment en matière de détermination et de coût des risques, de caractère très pro-cyclique des règles ac-tuelles et de manque de coordination internationale. Dans ce contexte, le Comité préconise l’imposition de fonds propres supplémentaires pour absorber les chocs ainsi que le recours complémentaire à des instruments de mesure plus grossiers pour diminuer l’effet de levier.

B. La place de l’autorégulation

Il n’y a pas de débats, ni d’articles qui ne fustigent l’autorégulation, assimilée au laxisme et à la dérégulation, et présentée comme la source de tous les maux. La majorité des intervenants préconise dans la foulée la suppression de toute

Message, 134, p. 13 et 10. Certains passages de ce message résonnent (hélas ?) de manière très

“moderne” ou contemporaine pour le lecteur de 200…

Cf. la contribution de P. Hildebrand dans le présent ouvrage ; voir aussi le Message du Conseil fédéral concernant un train de mesures destinées à renforcer le système financier suisse, du no-vembre 200, FF 200, p. 02 ss, chiffre 3.2.

10 Texte du 20 novembre 200, disponible sous : www.bis.org/press/p01120.htm.

La crise des marchés financiers, la régulation et la surveillance 2

régulation et l’instauration d’une réglementation plus dure, sans toutefois indi-quer ce qui devrait être modifié, ajouté ou supprimé.

Il y a là un malentendu profond, volontaire ou non. S’il est probablement vé-rifiable qu’en période de croissance économique, le législateur et/ou les autorités de surveillance interviennent moins, le marché suisse n’a pas vécu dans la der-nière décennie une vague de déréglementation, ni abandonné aux banques ou aux autres acteurs des champs entiers ouverts à leur liberté ou à leur cupidité11. Au contraire, la Commission fédérale des banques a imposé, par exemple en matière de fonds propres, un certain Swiss finish (le terme reste cependant tabou) qui semble faire école12. Certes, certains domaines restent en Suisse dévolus à l’autorégulation (de par la loi13 ou par choix14). Celle-ci est toutefois de plus en plus encadrée par la Commission fédérale des banques : que l’on songe aux règles reconnues comme standards minimaux1 et aux récentes consultations sur la ges-tion de fortune et les commissions de distribuges-tion.

Ma conclusion sur ce point reste simple : ne mêlons pas laxisme, dérégula-tion et autoréguladérégula-tion. Le sujet est suffisamment sérieux pour éviter les slogans réducteurs. Il reste de la place pour l’autorégulation, si elle est encadrée et fait partie d’une stratégie globale de la surveillance. De même est-il indiscutable que certains domaines nécessitent l’intervention étatique, que ce soit par le biais de l’autorité de surveillance (qui dispose des moyens traditionnels, ordonnances, circulaires et décisions), ou par une intervention directe du législateur fédéral.

Les sujets qui suivent reflètent cette palette de moyens.

C. Les rémunérations et la gouvernance

Le premier sujet est au centre des débats depuis déjà quelques mois au moins ; le second est expressément visé par l’ordonnance du Conseil fédéral relative à la recapitalisation de l’UBS1 qui prévoit que la banque s’engage à respecter les in-jonctions du Conseil fédéral en matière de “gouvernement d’entreprise”.

11 Cette vision est contestée par certains économistes et historiens qui estiment que les règles adoptées pendant la dernière décennie ne font que remplacer des réglementations abolies au- paravant.

12 A cet égard, le débat des années précédentes sur la surréglementation paraît assez surréaliste, cf.

par exemple Zuffery J. B. / Mader L., Rapports à la Société suisse des juristes, 2004.

13 La loi sur les bourses et le commerce de valeurs mobilières, art. 4.

14 Cf. le rapport de la CFB de juillet 200 sur l’autorégulation, disponible sous : www.ebk.ch/f/

publik/medienmit/200004/200004_02_f.pdf.

1 Circulaire CFB 04/2 (remplacée dès le 1er janvier 200 par la circulaire FINMA 0/10 du 20 no-vembre 200).

1 Du 1 octobre 200, RS 11.0, art. 2, let. d.

30 Anne Héritier Lachat Sous ce vocable, il semble pour l’heure que le Conseil fédéral vise surtout les rémunérations et le paiement d’indemnités de départ. La communication publique de l’autorité n’a jusqu’ici que peu donné d’informations sur un autre contenu1. Le sujet reste donc ouvert et pourrait au vu de son énoncé bien vague englober d’autres domaines traditionnels de la gouvernance, à savoir le contrôle et l’organisation du conseil d’administration.

Pour l’autorité de surveillance, et cela en application des règles existantes, ces deux questions (rémunérations et gouvernance) font déjà partie de son champ d’intervention. La Commission fédérale des banques a émis en particulier une circulaire sur l’organisation du contrôle interne qui concerne aussi le rôle du conseil d’administration1 et s’est prononcée dans le rapport UBS publié le 16 oc-tobre sur ce point important1.

Il faut rappeler que la mise en place d’une organisation appropriée et d’un sys-tème de rémunérations ne déployant pas d’effets pervers sur la prise des risques relèvent des obligations de base d’un conseil d’administration. Dans ce contexte, la politique de rémunération est un élément essentiel qui doit être examiné et aussi rendu plus transparent. En ce qui concerne l’exigence de transparence, si la phraserépétée à l’envide Brandeis, “sunlight is said to be the best of disinfec-tants”, n’a pas la portée universelle et salvatrice qu’on lui prête20, la nécessité d’ex-pliquer, après les avoir fixés, les critères de rémunération constitue à mon avis un exercice salutaire de bonne gouvernance. Cet exercice est indispensable et devra être mieux encadré à l’avenir par l’autorité de surveillance. La seule information sur certains montants versés, telle que prévue par les règles boursières21, ne suffit pas ; en effet, on a depuis longtemps mis en lumière les effets pervers de la simple transparence qui tend souvent à initier une course à la hausse puisqu’elle permet uniquement une comparaison sommaire. Le concept de base des diverses distri-butions doit être aussi suffisamment explicité.

La discussion sur le niveau et la composition des rémunérations des conseils d’administration et des dirigeants est inévitablement idéologique, ou marquée par de telles prémisses ; cependant, un certain consensus existe maintenant sur le fait qu’il faut, pour la partie variable des rémunérations (en espèces ou en titres),

1 Cf. le message précité note , sous 3.1.

1 La circulaire 0/ (remplacée dès le 1er janvier 200 par la circulaire FINMA 0/24 du 20 no-vembre 200), discutée lors de la JDBF 200, p. 101 ss.

1 Rapport sous : www.ebk.ch/e/publik/medienmit/200101/ubs-subprime-bericht-ebk-e.pdf.

20 Pour une discussion intéressante et critique de la transparence et de ses effets en matière de produits complexes (et non de rémunérations), voir Schwarcz S. L., “Rethinking the Disclosure Paradigm in a World of Complexity”, in University of Illinois Law Review, 2004, p. 1-3, disponible sous : http://eprints.law.duke.edu/13.

21 Cf. la directive sur la corporate gouvernance disponible sous : www.six-swiss-exchange.com/

admission/being_public/governance_fr.html.

La crise des marchés financiers, la régulation et la surveillance 31

détacher partiellement au moins celle-ci des résultats d’un seul exercice. Les in-téressés doivent en effet participer tant aux bénéfices qu’aux déficits. Il existe plu-sieurs solutions qui doivent être bien entendu adaptées aux entreprises, mais il est essentiel que les profits répartis soient “lissés”, soit versés après un certain délai qui tienne compte de l’évolution sur plusieurs exercices . De cette manière, l’on instaure un système de bonus/malus qui devrait éviter en partie la favorisation des gains immédiats et corriger la comptabilisation de tels gains le premier jour.

A lui seul, un tel système n’évite pas toutes les dérives ; il oblige cependant les responsables, en définitive les conseils d’administration qui fixent leur propre rémunération et celle de la direction, à s’expliquer sur les règles qu’ils entendent appliquer22 ; il s’agit d’une véritable tâche stratégique de ces organes. De même faut-il mettre en œuvre dans ces entreprises une politique générale de rémunéra-tion qui favorise un développement durable23.

Enfin, aussi longtemps que le Code des obligations n’est pas modifié24, une règle statutaire est nécessaire pour que l’assemblée générale puisse se pronon-cer sur les critères applicables à la rémunération des administrateurs2 ; un vote consultatif, à l’instigation du conseil d’administration ou à la demande de cer-tains actionnaires, demeure en tout état possible2. Les conseils d’administration confrontés à des actionnaires curieux ou furieux devraient s’en souvenir.

La gouvernance au sens plus large, soit la mise en place de checks and bal-ances, devrait déjà être la base d’une organisation adéquate ; au vu de certaines expériences récentes, il est souhaitable qu’une plus grande attention y soit por-tée par l’autorité de surveillance. Ici encore, les bases et moyens légaux existent et devraient dans un premier temps suffire ; le cas échéant, les règles pourraient être adaptées. Toutefois, plutôt que de recourir maintenant à la prescription de règles trop détaillées ou trop générales, donc inadaptées, il convient de laisser l’initiative et la réflexion aux conseils d’administration, qui sont les premiers res-ponsables, tant en vertu des lois spéciales que du Code des obligations, de choisir un modèle adéquat.

22 Voir le rapport UBS sur ce sujet à l’occasion de l’assemblée générale du 2 novembre 200, dispo-nible sous : www.ubs.com/1/e/investors/compensationreport.html.

23 Dans ce cadre, la restitution “volontaire” de boni et indemnités diverses ne saurait tenir lieu de politique saine de rémunération, ni n’en corriger les excès.

24 Le Conseil fédéral entend proposer des modifications supplémentaires sur le sujet dans le cadre de la révision en cours du CO. Le 2 octobre, elles n’étaient pas encore connues.

2 Par exemple, Werlent T. / Schnydrig A., “Festlegung von Entschädigungen der Verwaltungs-rats- und Geschäftsleitungsmitglieder durch die Generalversammlung”, RSDA 200, p. 101 ss ; Nobel P. Board und Management Compensation, Zurich (Schulthess) 200.

2 Par exemple Dubs D. / Truffer R., Commentaire bâlois, no ad CO et no 4b ad 03 CO, 3e éd.

200.

32 Anne Héritier Lachat Enfin, l’attention portée à la problématique des rémunérations comme de la gouvernance ne devrait bien entendu pas s’arrêter aux grands instituts ; il existe un large champ d’amélioration chez toutes les autres entités surveillées. Dans ce cadre, la Commission fédérale des banques envisage de procéder par voie de circulaire.

D. La protection des dépôts

Depuis octobre 2008, on a assisté à une sorte de course à la garantie des dépôts entre les divers pays touchés par la crise du système bancaire2. Cette surenchère, dont le but louable est de rétablir une confiance bien mise à mal par les récents événements, a aussi déployé des effets en Suisse. Dans un message qui sera traité par les Chambres en décembre 2008 déjà, le Conseil fédéral vient de proposer une première mesure relative à la garantie des dépôts2. Cette novelle prévoit plusieurs mesures sans changer fondamentalement le système de base du fonds de garantie alimenté à la demande par les banques :

− une nouvelle limite de protection par déposant fixée à CHF 100 000 au lieu de CHF 30 000 ;

− une hausse de la somme maximale garantie qui passerait de 4 à 6 milliards ;

− une protection séparée des dépôts liés à la prévoyance, et enfin,

− une obligation pour les banques de conserver en Suisse des biens liquides pour couvrir 125% de cette garantie.

Ce projet a reçu à ce jour un accueil plutôt favorable de la part des parlementaires et devrait vraisemblablement être accepté et mis en vigueur rapidement.

Une révision plus fondamentale a été d’ores et déjà annoncée pour 2009, sans que les contours n’en soient définis ; au vu des propositions actuelles, elle devrait concerner le financement du système et le mode de garantie.

Ces travaux législatifs doivent être salués, s’agissant d’un domaine où la concur- rence entre les différentes places financières est directe et facilement constatable ; elle évite un possible “tourisme” des déposants attirés par des garanties plus éle-vées. Elle concerne en outre la protection des déposants, qui constitue le but pre-mier de la loi sur les banques. On ne peut cependant pas déterminer si la mesure aura un effet sur la confiance des épargnants et des consommateurs, ce d’autant moins que l’économie globale, “l’économie réelle” selon la terminologie usuelle, s’engage dans une période très difficile.

2 Pour un état (incomplet… car évolutif), voir par exemple le message précité note , sous 1.1.2.

2 Message relatif au renforcement de la protection des déposants, du novembre 200, FF 200, p. 1 ss.

La crise des marchés financiers, la régulation et la surveillance 33

E. Autres domaines possibles d’intervention

Un certain nombre de sujets ont encore occupé l’attention d’une manière accrue depuis l’éclatement de la crise ; ce sont les opérations de prêts de titres, les produits structurés et les agences de notation. Dans ces domaines, un besoin de protection ou de clarification des règles est apparu avec plus ou moins de force.

Dans son rapport 20072 déjà, la Commission fédérale des banques a annoncé son intention de réglementer le domaine des prêts et emprunts de titres (securities lending and borrowing). Les mésaventures d’un des actionnaires importants de l’UBS dont les titres ont été perdus dans le cadre des faillites de la banque Lehman (ouvertes en Europe et aux Etats-Unis) ont rappelé la nécessité pour les clients dépositaires de mesurer les risques liés aux prêts de titres et à la perte des droits réels attachés à leur dépôt régulier. Une circulaire de la Commission fédérale des banques devrait régler ces questions et interdire probablement l’opération de prêt non couverte pour les clients privés30.

La faillite de la banque Lehman a aussi mis en lumière en Suisse certains des problèmes liés aux produits structurés que le législateur a décidé en 2006 d’ex-clure du champ d’application de la LPCC31 et de ne réglementer qu’en imposant une certaine information. Or, malgré cette exigence, et nonobstant le fait qu’en tout état les règles relatives aux devoirs des négociants, comme celles du mandat, imposent une information adéquate des clients, il apparaît que le risque de base des produits structurés, le risque d’émetteur, n’ait que peu ou mal été présenté aux investisseurs. Il faut en conséquence se demander si d’une part les règles d’autorégulation et d’autre part la pratique des instituts rendent nécessaire une intervention réglementaire, voire légale. Il s’agit d’une question encore ouverte.

Enfin, le rôle des agences de notation32 et leur surveillance font l’objet de cri-tiques et de discussions, tant au niveau des Etats que des forums internationaux.

Compte tenu du caractère transfrontalier de leur activité et de l’importance que les accords de Bâle II leur font jouer, il apparaît clairement que les forums précités devront constituer le lieu privilégié du dialogue, voire le cas échéant de proposi-tions de réglementation.

2 Rapport de gestion CFB 200, II.1., p. 3.

30 Idem V., p. 4.

31 Art. LPCC.

32 Par exemple, les travaux du CESR (Committee of European Securities Regulators) disponibles sous : www.cesr-eu.org/index.php ?page=groups&mac=0&id=43 ; ceux de la Commission euro-péenne qui a proposé le 12 novembre une réglementation disponible sous : http://europa.eu/

rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/0/14&format=HTML&aged=0&language=FR

&guiLanguage=en et les travaux et réflexions du Comité de Bâle disponibles sous : www.bis.

org/list/bcbs/index.htm.

34 Anne Héritier Lachat Toute conclusion serait téméraire. La crise fournit certes l’occasion de poser des questions, d’analyser et de réglementer des domaines où l’on hésitait ou ter-giversait. Dans ce contexte, il reste indispensable de se donner des moyens adé-quats, tout en évitant de succomber aux effets d’annonce et de mode…