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Carte II-3 : Les lycées de garçons et le coenseignement en

I. Le regard des chefs d’établissements à partir des rapports académiques

2. Le régime du coenseignement discuté

En effet, l’ambivalence du regard porté sur la présence de filles chez les garçons apparaît au fil des annotations dans les rapports.

Le proviseur du lycée de garçons de Lons-le-Saunier raconte comment il a été accusé de misogynie par ses collègues du Conseil Académique. Alors qu’il dirigeait l’établissement masculin à Chalon-sur-Saône (Académie de Lyon) au milieu des années vingt, il demandait la création d’une classe de première pour les filles dans leur collège de jeunes filles plutôt que de créer une section dans son établissement masculin où il aurait pu les accueillir. La réaction de ses collègues est a priori violente en l’accusant d’être un « misogyne endurci » selon ses propres mots. Toutefois le proviseur relate l’événement, en réfutant l’accusations par : « […] c’est totalement faux. Je me réjouis ici [à Lons] de la présence de l’élément féminin […] ». Il n’empêche la suite de ses réflexions traduit les ambiguïtés de son positionnement à l’égard de la coinstruction. Il démontre comment les jeunes s’influencent les uns, les unes, les autres, en estimant les filles responsables des mauvaises manières des garçons :

C’est qu’en effet je suis persuadé que l’attitude des garçons est dictée par celle de leurs camarades féminins. Une longue expérience en la matière […] m’a persuadé que les désordres viennent, neuf fois sur 10, de l’attitude des demoiselles : une attitude réservée commande le respect aux jeunes gens396.

Le jugement sur les filles exprime celui de beaucoup d’autres de ses collègues. Ils estiment tous que la réussite du coenseignement repose sur la maîtrise de la discipline et le contrôle des relations entre les élèves397. L’attention vise notamment les filles qui doivent rester fidèles à

ce que l’on attend d’elles : retenue et bonne conduite . D’ailleurs le même proviseur complète ses observations l’année suivante (1938-1939) en précisant : « Je considère d’ailleurs que la

395 Ibid.

396 Ibid. ; le même paragraphe apparait aussi dans le rapport de l’année suivante 1938-1939, dans la section

« morale », p. 11.

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coéducation n’est pas une question de principe, mais de personnes, de lieu, et de nombre. Selon les circonstances, elle sera souhaitable ou à condamner ; bien conduite et très surveillée398 elle

donnera de bons résultats399 ». Voilà le programme largement partagé par tous les autres acteurs

de l’administration scolaire lorsqu’ils s’expriment dans les rapports annuels académiques. À Rennes en 1937 « Les jeunes filles ayant fréquenté nos établissements secondaires masculins ont apporté un élément d’ordre et de correction. Aucun incident n’est à signaler ; très souvent, on se loue de cette présence qui atténue l’exubérance et le laisser aller des lycéens et collégiens400». Bien mené le coenseignement est considéré comme un atout, davantage au

bénéfice des lycéens et les collégiens que de leurs homologues filles. La conclusion du rapport de 1938, toujours à Rennes, montre que la cause est entendue puisque « la rubrique devrait disparaître des rapports 401». L’auteur s’amuse alors d’une réflexion émise par le principal de

Saint Servan : « qui émet la formule savoureuse et définitive : "la coéducation surveillée me paraît, dit-il, infiniment moins dangereuse pour nos jeunes gens que la fréquentation des dancings, de casinos et les réunions mondaines" 402». Ici encore le souci d’éducation montre la

différence de traitement entre filles et garçons. Les seconds sont l’objet de l’attention des chefs d’établissement qui passe avant celui de traiter du confort des jeunes filles dans leurs établissements masculins.

Les observations de certains dirigeants montrent que des doutes s’installent au cours des quelques vingt-cinq années de l’entre-deux-guerres sur les avantages de la coinstruction. Monsieur Barraud vice-recteur de Corse, chargé du rapport de l’année 1927-1928 pour le compte de l’académie d’Aix s’intéresse longuement à la question de la « coéducation » à laquelle il souscrit pleinement. Néanmoins, le panel de réflexions émises par différents acteurs (pas d’actrices), qu’il retranscrit fidèlement, exprime une évolution des points de vue. Elles ne sont pas à l’avantage des filles.

Tout d’abord il fait parler le recteur qui se dit un partisan déterminé depuis toujours de la coéducation :

398 Souligné dans le texte.

399 AN, F17 13 932, académie de Besançon, rapport de l’année 1938-1939, dans la section « morale », p. 11. 400 AN, F17 13 932, académie de Rennes, rapport de l’année 1936-1937, p. 9. Jeanne Galzy, Une femme chez

les garçons (Paris: F. Rieder et Cie, 1924). Evelyne HERY, « Quand le baccalauréat devient mixte », Clio. Histoire, femmes et sociétés, dossier « Coéducation et mixité » sous la direction de Françoise

Thébaud et Michelle Zancarini-Fournel, n° 18, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2003, p. 77 à 90.

401 AN, F17 13 932, académie de Rennes, rapport de l’année 1937-1938. 402 Ibid.

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Mais de plus en plus j’ai l’impression que la situation change et que l’évolution de nos jeunes filles se fait dans un sens qui ne leur est pas favorable. Je ne suis plus aujourd’hui certain que leur présence dans les établissements de garçons ne constitue pas un danger. En tout cas il y a des précautions à prendre403.

Les réserves portent essentiellement sur deux points. Le premier concerne la catégorie d’âge. Ainsi ce chef d’établissement qui « commence à croire que « de 17 à 20 ans, il vaut mieux laisser les jeunes filles entre elles404» même s’il se déclare « toujours partisan de la coéducation

du point de vue intellectuel ». Cette remarque suggère la question des flirts entre les élèves que les efforts de surveillance disciplinaire ne peuvent guère empêcher. Le second point répond à l’impression générale d’« une éducation familiale trop faible » qui explique, selon eux, les flirts. À plusieurs reprises, les parents sont accusés de laxisme ou plutôt de rendre leurs enfants « capricieuses, victimes sans doute d’une éducation familiale trop faible, et qui paraissent disposées à se conduire en classe, en "enfant gâtées". Elles ont été ainsi tout près de donner des distractions à leurs camarades garçons ?405 […]», raconte le rapport. Donc, pour les

responsables la vigilance s’impose, car : « Il y a dans les premières rencontres entre les jeunes filles et nos jeunes un moment délicat, où apparaît toute l’importance de l’éducation qu’elles ont reçue chez elles ». La formulation « nos jeunes » est peu inclusive pour les filles qui paraissent comme "de passage" dans l’espace scolaire des jeunes garçons, titulaires des lieux. Sur le plan éducatif les filles sont classées en deux catégories qui correspondent aux représentations genrées du comportement des femmes :

Les unes savent, sans rien perdre de leur bonne grâce, se présenter avec réserve et une discrétion qui imposent tout de suite le respect. D’autres affectent, ou ont naturellement, une familiarité qu’elles confondent avec les marques d’une bonne camaraderie, et devant laquelle un garçon mal avisé, se croit vite permis le sans- gêne. Celles-là, il est plus difficile de les défendre d’elles-mêmes que de les protéger contre les garçons. Quand on leur recommande la réserve, elles croient qu’on leur conseille la pudibonderie, et ce n’est qu’à l’expérience qu’elles se rendent compte que les plus discrètes étaient les mieux avisées406.

La seconde catégorie, celle qui occupe le rédacteur reste la moins courante puisque les proviseurs et principaux n’ont eu aucun incident grave à signaler au cours des années vingt et trente. Ce que résume bien la note du rapport de Besançon en 1934 : « Plus d’un chef

403 AN, F17 13 929, académie d’Aix, rapport de l’année 1926-1927, section : « situation morale », paragraphe

intitulé « Discipline - Tenue, Hygiène morale », p. 13 à 17.

404 Ibid. Toutes les citations suivantes sont tirées de la même source. 405 Le point ? est bien noté

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d’établissement affirme, pour la correction des manières, la tenue du langage, l’émulation de l’esprit, le bienfait de la coéducation407 ».

Avantages et inconvénients de la coinstruction se bousculent. Les acteurs qui travaillent sur le terrain en témoignent lorsqu’on leur donne la parole. Le dossier commandé par le recteur de Toulouse en 1930, restitue la teneur des réflexions émises dans les autres rapports ou correspondances conservées par le ministère408. Grâce à une enquête exhaustive auprès des

collègues de l’académie le rapporteur rédige un dossier de plusieurs pages sur la « coéducation ».

3. La coinstruction expérimentée par le personnel enseignant est

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