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Le coenseignement comme palliatif aux manques de moyens pédagogiques de l’enseignement secondaire

Carte II-3 : Les lycées de garçons et le coenseignement en

2. Le coenseignement comme palliatif aux manques de moyens pédagogiques de l’enseignement secondaire

Accueillir des filles chez les garçons apparaît comme un palliatif. Et chaque année elles sont plus nombreuses. Les parents, les professeurs et les proviseurs ne s’y opposent pas vraiment. En confrontant la carte de la situation au début des années trente avec celle établie par Françoise Mayeur intitulée : « répartition des établissements de l’enseignement secondaire de jeunes filles en 1896 d’après C. Sée :

collèges et lycées de jeunes filles313 » force est de constater que l’existence d’un

établissement de jeunes filles érigé depuis déjà une trentaine d’années dans un certain nombre de grandes villes n’a pas empêché l’intégration du coenseignement dans le lycée de garçons de ces mêmes villes dans l’entre-deux-guerres. En effet la grande majorité des 36 villes dotées d’un lycée de jeunes filles en 1896 annoncent en 1933 la présence de jeunes filles dans leur établissement de garçons. Seules les villes d’Auxerre, Montauban, Niort et Sèvres ne vivent pas la coinstruction au début des années trente. Ce constat confirme l’idée d’une complémentarité entre les lycées de filles et de garçons, mais dans un seul sens, les garçons ne vont pas encore chez les filles. En revanche, les filles rentrent par le haut en s’associant aux dernières années de l’enseignement secondaire

Trois formes d’admissions sont repérées :

- Soit les lycées ne les admettent que dans les classes du second cycle de première et terminale, et certains les tolèrent dès la seconde (69 lycées sur 104 localisés sur la carte II-3 et 71 sur 106 avec l’Afrique du Nord) ;

- Soit ce sont les Classes préparatoires aux Grandes écoles (CPGE) des lycées de garçons qui s’ouvrent à celles qui ont déjà obtenu le baccalauréat dans leur propre établissement.

- Enfin onze lycées s’ouvrent à la fois sur le second cycle et les CPGE.

Sur les 106 lycées en coenseignement, 71 proposent un enseignement secondaire de la classe de seconde jusqu’aux deux niveaux de terminale (Philosophie et/ou Mathématiques-Élémentaires), mais les situations sont très variées314. Certains

313 Françoise MAYEUR, L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République.

op. cit., p. 160.

314 A priori lorsque les réponses à l’enquête mentionnent : « classe de Mathématiques » ou

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n’offrent que quelques places dans les classes terminales, d’autres s’ouvrent sur les trois niveaux (seconde, première, terminale). La majorité accepte les filles dans des classes de Math-Elém. et d’autres également en Philo.

Néanmoins à Parisavec sept lycées féminins la situation est particulière315. En effet

trois lycées de garçons reçoivent des fillettes en sixième, sur décision ministérielle du 13 octobre 1932. Le lycée de Versailles se charge d’une « Classe de 6ème A [où] ont été admises les jeunes filles en surnombre du lycée de jeunes filles 316 ». De même

le lycée Henri IV accueille une classe de 6ème du lycée Fénelon et Janson de Sailly

une classe de 6ème du lycée Molière. Ces deux grands lycées intra-muros de Paris

acceptent également la présence de filles dans des classes préparatoires aux Grandes écoles, tout comme cinq autres lycées parisiens (voir tableau I-1, chapitre 1). Mais seul le lycée Lakanal, à Sceaux, accueille des filles à la fois dans des classes préparatoires aux Grandes écoles (CPGE) et dans des classes du second cycle du secondaire. A contrario, les lycées Michelet, Pasteur et Versailles n’acceptent des élèves filles que dans le second cycle et non en CPGE. Enfin les lycées Carnot, Charlemagne, Montaigne, Rollin, Voltaire n’admettent pas de jeunes filles au cours de l’année scolaire 1932-1933.

Les réponses à l’enquête ne sont pas toujours précises selon les académies. Par exemple : « seul le lycée de Clermont possède des classes préparant aux grandes écoles et les jeunes filles y sont admises 317», mais aucune information n’indique si

les classes du second cycle reçoivent elles aussi des jeunes filles. Par contre, à Grenoble la réponse est plus claire, car « le lycée de garçons de Grenoble [qui] ne reçoit pas de jeunes filles dans les classes d’enseignement secondaire. La préparation du baccalauréat se fait complètement au Lycée de jeunes filles de Grenoble318 ».

Aussi, le mélange filles/garçons n’est accepté que dans les classes préparatoires de Première supérieure et de Mathématiques spéciales du lycée de garçons. Idem à Dijon, puisque là se situe le « seul lycée de l’Académie où est organisée la

qui sont dite aussi pour la section mathématiques « Mathématiques élémentaires » ou « Math- Elem. ». Elle est donc considérée comme la dernière classe secondaire du second cycle et non comme classe préparatoire.

315 Lycées publics féminin de Paris : Victor Hugo - Jules Ferry - Fénelon - Racine – Molière -

Lamartine - Duruy.

316 AN, F17 14 165 « enquête de 1932 ». Académie de Paris. 317 AN, F17 14 165 « enquête de 1932 ». Académie de Clermont. 318 AN, F17 14 165 « enquête de 1932 ». Académie de Grenoble.

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préparation aux grandes écoles319» écrit le recteur de l’académie de Dijon. En tout

cas les vingt-quatre lycées qui n’accueillent qu’aux niveaux des CPGE (17 académies au total) sont situés dans des villes importantes, dont douze sont les sièges de leur académie. Et en effet, elles possèdent des lycées spécifiques pour jeunes filles capables de préparer le public féminin au baccalauréat. En revanche, dans 71 villes les filles qui fréquentent le lycée de garçons sont inscrites uniquement dans les classes du second cycle. Ceci prouve que huit ans après la promulgation du décret Bérard des établissements féminins ne sont pas encore en mesure de préparer leurs élèves aux baccalauréats et encore moins aux concours des Grandes écoles.

Le coenseignement s’avère un palliatif depuis la réforme du baccalauréat votée en 1925 avec de nouveaux programmes qui l’accompagne (voir plan d’études de 1925 en annexe). La réforme commence à s’appliquer en 1927-1928 dans les classes de seconde. Donc en 1930 les élèves préparent et passent le bac nouvelle formule. Jean- Benoît Piobetta offre une analyse des conséquences de cette transformation320. Il

constate la hausse du nombre de bachelier-e-s à partir de 1919321:

Elle s’explique en partie par l’intervention massive de l’élément féminin dont les cohortes depuis que l’arrêté du 10 juillet 1925 a réalisé l’identité des horaires et des programmes des lycées et collèges des jeunes filles et des garçons, se détournant du diplôme d’études secondaires pour venir, chaque année, grossir un peu plus les bataillons serrés des candidats. Mais le problème social posé par la forte progression du nombre de bacheliers ne change pas pour autant la portée ni l’ampleur. Qu’il soit délivré à un jeune homme ou à une jeune fille, le diplôme comportant les mêmes droits, crée les mêmes ambitions ?322 Le point d’interrogation est important. Il marque le doute de l’auteur sur la légalité de l’ambition féminine.

Pour autant le nombre de bachelières ne cesse d’augmenter ce qui pose quelques difficultés, notamment aux établissements féminins en peine de s’adapter aux nouvelles exigences des programmes. Ainsi la circulaire du 11 juillet 1929 aménage des solutions car d’un côté :

319 AN, F17 14 165 « enquête de 1932 ». Académie de Dijon.

320 Jean-Benoît PIOBETTA, Le baccalauréat de l’enseignement secondaire, thèse principale pour

le doctorat ès-lettres, publiée à Paris, J.-B. Baillière et fils, 1937, p. 301-313. Jean-Benoît Piobetta, (1885-1969) est directeur du service central des examens du baccalauréat de l’Université de Paris. Voir le chapitre 14 : « La statistique du baccalauréat et le problème de l’orientation des bacheliers ».

321 Voir graphique II-1 : « Baccalauréats délivrés de 1915 à 1940, selon le sexe » 322 Ibid. p. 309

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les programmes de l’Enseignement secondaire dans les établissements féminins sont en retard d’une année sur ceux des établissements de garçons. Or beaucoup de lycées ou collèges de jeunes filles n’ont pas de classe de philosophie et la plupart de mathématiques323.

Et de l’autre côté les transformations risquent d’avoir des conséquences au détriment des filles, car si elle trouvait :

Dans les établissements de garçons l’enseignement qui leur convenait. Il n’en sera plus de même à partir de la rentrée prochaine [car] les classes de philosophie et de mathématiques devant être soumises au nouveau régime dans le plus grand nombre des lycées et collèges de garçons.

Aussi propose-t-on à tous les titulaires de la première partie du baccalauréat ancien régime d’ « opter indifféremment, à partir de 1930, à la 2ème partie de l’examen soit

pour l’ancien soit pour le nouveau régime dans les deux séries, philosophie et mathématiques ». Cet aménagement aide à sa façon les établissements féminins pour qu’ils ne perdent pas trop d’ élèves. Mais cela n’empêcha sans doute pas certaines élèves de rejoindre le lycée ou le collège de garçons à proximité de chez elles pour mieux assurer leur réussite.

Enfin, huit lycées de garçons de petites villes excentrées : Foix, Tulle, Mont-de- Marsan, Chaumont (Haute-Marne, académie de Dijon), Pontivy, Alençon et Elbeuf (annexe du lycée de Rouen) qui déclarent dans l’enquête de 1932 avoir quelques filles dans leurs effectifs ont déjà montré leur volonté de les recevoir en 1926. En effet ils ont tenté d’obtenir les mêmes dérogations que les collèges municipaux (circulaires du 10 août 1926) pour pallie l’offre incomplète des établissements féminins locaux. Mais leurs demandes ont été refusées au motif qu’ils n’étaient pas des collèges.

À titre d’exemple, complétons avec le cas particulier de l’annexe Saint-Rambert- l’Ile-Barbe (69) du lycée du Parc à Lyon324 pour qui la direction réclame une

dérogation en 1926 afin de recevoir 25 à 30 filles. Ceci, afin de compenser l'insuffisance de l'accueil du lycée Quinet de Lyon qui est surchargé parce qu’il reçoit

323 AN, F17 17500, « École unique 1924-1925 ; Enseignement secondaire 1922 -1939; surmenage

scolaire 1929 – 1930 », dossier : « Horaires et programmes de l’enseignement secondaire 1926- 1936 »

324 Saint-Rambert-l’Ile-Barbe (69)324 une ancienne commune du département du Rhône, annexée

à Lyon par le décret du 1er août 1963. Elle constitue aujourd'hui un quartier du 9ème arrondissement de Lyon.

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des élèves venant de la banlieue lyonnaise325. Le rapport annuel 1924-1925 illustre

la situation tendue entre l’offre et la demande de prise en charge des élèves 326 : Le courant qui entraîne les jeunes filles vers l’enseignement masculin est de plus en plus fort. Cette année là, la moitié de l’effectif des nouvelles classes de 6ème (ancienne préparatoire 3ème année) a demandé à faire du latin et le nombre d’élèves qui, renonçant au Diplôme de fin d’études secondaires, désertent les classes de 5ème année ou de 1ère

Diplôme, comme vous voudrez, pour la préparation de la première partie du baccalauréat. Dans presque toutes les classes de première et de philosophie de nos lycées ou collèges se trouvent des jeunes filles sauf à Lyon et à Saint-Étienne où la préparation au baccalauréat a pu être complètement organisée dans les lycées de jeunes filles327.

La dernière phrase laisse à penser qu’à Lyon et Saint-Étienne les lycées de jeunes filles organisent de façon complète l’enseignement des filles, pourtant la demande de dérogation pour Saint-Rambert-l’Ile-Barbe et l’enquête de 1932 disent le contraire, elles sont bien présentes dans les classes des lycées de garçons dans ces deux villes. En 1925, au moment de la demande de dérogation l’académie de Lyon compte 5014 élèves garçons répartis dans treize établissements (six lycées et sept collèges) et 58,2 % des 223 candidats obtiennent le baccalauréat deuxième partie (équivalent du baccalauréat terminal actuel). Du côté des filles, elles sont 1872 élèves dans sept établissements (cinq lycées et deux collèges) avec 85% de réussite au baccalauréat 2ème partie, ce qui représente 23 reçues pour 27 présentées. Ces nombres illustrent le

différentiel des effectifs filles/garçons. Et les écarts de taux de réussite aux examens parlent d’eux-mêmes. Pourtant le rédacteur du rapport n’a fait aucun commentaire à propos de celui des filles, il renvoie simplement au tableau statistique. En revanche il met bien en évidence le résultat des réussites d’entrées aux concours des Grandes écoles des élèves garçons.

Au demeurant, même si sur le plan quantitatif les lycéennes bachelières sont peu nombreuses par rapport aux garçons, l’objectif général est de pourvoir une offre scolaire complète aux filles dans leurs propres établissements, sur le plan national et académique. Aussi les chefs d’établissements de garçons se retrouvent dans une situation ambivalente. Ils répondent aux vœux des familles en accueillant dans le coenseignement de futures bachelières, mais ils vont à l’encontre des politiques

325 Voir la correspondance d’un père de famille de Saint-Rambert du 16 août 1932 qui fait une

demande individuelle pour ses trois filles.

326 AN, F17 13 929 « rapports annuels académiques » ; académie de Lyon. 327 Ibid. AN, F17 13 929 « rapports annuels académiques »

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publiques fidèles à la norme de la séparation des sexes. Les lycées ne sont pas les seuls, puisque l’évolution du coenseignement se propage également dans les collèges municipaux.

III. Les filles rentrent par le bas (classes du premier degré) à

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