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Des démarches collectives s’opposent aux difficultés administratives.

Carte II-3 : Les lycées de garçons et le coenseignement en

II. Les familles à l’épreuve du coenseignement : les parents et leurs filles au collège ou au lycée de garçons

2. Des démarches collectives s’opposent aux difficultés administratives.

Pour obtenir satisfaction les familles jouent un rôle non négligeable. Elles exercent des pressions auprès des administrations afin d’obtenir gain de cause pour leurs filles. C’est la voix des pères, et non des mères, qui se fait entendre auprès des instances impliquées.

Ainsi le 18 septembre 1926 le conseil municipal de Villefranche (Rhône) rappelle que :

Plusieurs pères de famille ont, à maintes reprises, manifesté le désir de faire poursuivre leurs études secondaires à leurs jeunes filles et ont regretté de ne pouvoir le faire sur place puisque jusqu’à ce jour elles ne pouvaient être admises au collège qu’en fin d’études de première, philosophie et mathématiques441.

Cet extrait permet illustre à la fois le désir de donner une éducation plus poussée, les difficultés d’y parvenir pour les filles et le fait que le processus est déjà en marche. Le collège de Villefranche applique la règle valable pour les grandes classes qui se joue dans les lycées d’État.

Depuis le début des années vingt les filles entrent par le haut (classes du second cycle), mais désormais au milieu de ces mêmes années les possibilités s’ouvrent pour les collèges municipaux de les faire rentrer par le bas (classes du premier cycle). Ce n’est pas toujours facile d’obtenir les autorisations nécessaires malgré les circulaires qui se succèdent depuis 1926 (voir chapitre 1). Les contraintes sont importantes. C’est le cas à Paris lorsque les parents

440 Jean-Claude CHESNAIS, « La population des bacheliers en France. Estimation et projection jusqu’en

1995 », Population 30, no 3, 1975, p. 527-550, tableau 7, p. 538. [En ligne].

441 AN, F17 14165, « Coéducation 1917-1930 », académie de Lyon, extrait du conseil municipal de

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de 23 petites élèves encore en 7ème en juin 1930 veulent « obtenir que les jeunes filles soient

autorisées à poursuivre leurs études secondaires au lycée Carnot de Paris dans toutes les classes intermédiaires (6ème à 2nde inclusivement)442». Une réponse négative est émise le 11 janvier

1930 à la pétition des pères de famille envoyée les semaines précédentes, en 1929. C’est alors que le recteur de Paris reçoit en fin d’année scolaire, le 6 juin 1930, une lettre privée d’André Monnot des Angles, administrateur de la Société au tribunal de Commerce de la Seine, l’un des parents concernés. Il espère probablement que ses qualités professionnelles et sociales auront plus de poids que n’en a eu la pétition envoyée les mois précédents. Il récapitule la demande collective qui dit-il : « serait à titre d’essai provisoire pendant un an ». Les familles ont plusieurs arguments pour appuyer leur demande : la distance des « lycées voisins (…) trop éloignés et complets », un nombre de places suffisantes en 6ème à Carnot « sans travaux ni

aménagements, ni dépenses, sans même création d’une section supplémentaire » et l’engagement que seules les filles issues des classes primaires du lycée seraient les bénéficiaires de cette autorisation exceptionnelle à l’essai. Selon M. Monnot des Angles les parents prennent également à leur charge « toute la responsabilité de leur faire continuer leurs études secondaires dans un lycée de garçons443» espérant soulager la conscience des décideurs.

Cette demande pourrait être légitime en province, mais dans le cas de Paris c’est différent. D’une part, la ville est dotée d’établissements féminins desservant dans un périmètre raisonnable les besoins des habitants, d’autre part il n’y a pas de collèges communaux (qui sont les seules structures répondant aux circulaires de 1926 à 1930 pour les petites classes du secondaire). C’est pourquoi Monsieur Vial, directeur de l’enseignement secondaire répond, dès le 11 janvier 1930, par la négative au recteur de Paris, lui-même chargé de transmettre aux parents comme au proviseur du lycée Carnot la décision ministérielle. Elle s’appuie sur l’avis de la section permanente du CSIP à propos des lycées d’État. Les autorisations sont uniquement valables pour les classes terminales de philosophie et mathématiques et pour les classes préparant aux Grandes écoles. Monsieur Vial en profite pour rappeler au Recteur de Paris qui gère une immense académie de neuf départements limitrophes que les règles s’appliquent à toutes les villes possédant des établissements d’enseignement secondaire féminin puisque « les familles ont à leur disposition les moyens de communication » c’est à dire les transports

442 AN, AJ16 8679 : « Académie Paris : Cas particuliers relatifs aux admissions : instructions/ 1922 1946 »,

sous chemise : « 1925-1946, Q. pratiques ».

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urbains pour qu’elles s’y rendent444. Il est entendu, encore en 1930, que l’on ne déroge pas à

la rigueur réglementaire établie par les membres de la direction centrale. La règle de fond reste la séparation des sexes et des établissements au détriment du confort des élèves et des volontés familiales.

Les interventions collectives de pères de famille sous forme de pétitions apparaissent à plusieurs reprises dans les archives ministérielles concernant la question de la « coéducation ».

Le cas exemplaire de la commune de Compiègne illustre comment un groupe de pression mobilise, à tous les échelons, les différents acteurs de l’espace public dont les pouvoirs et l’influence peuvent jouer sur les décisions locales. Compiègne dépendante de l’académie de Paris est contrainte aux mêmes règles édictées par Monsieur Vial au recteur de Paris (dont il vient d’être question). Or le contexte géographique la positionne dans une situation commune à la plupart des villes départementales de province des autres académies, c’est-à-dire trop éloignées d’un centre urbain doté d’un collège ou lycée de jeunes filles. Tout commence avec le préfet de l’Oise qui, le 2 mars 1929, transmet directement au ministère de l’Instruction publique une pétition signée de 32 chefs de famille de Compiègne et Margny-lès-Compiègne, « tendant à l’admission des jeunes filles dans toutes les classes du Collège de Compiègne » où il n’y a pas d’établissement féminin public. Il termine son bordereau de transmission par la phrase suivante : « J’appuie cette requête de mon avis favorable ». Les pères qui ont signé manuellement la pétition en ajoutant chacun leur adresse postale, partent du principe que les expériences de « coéducation » dans les classes élémentaires donnent « d’excellents résultats ». A cela s’ajoutent trois considérations à replacer dans leur contexte :

- La première réclame une égalité de traitement entre filles et garçons « Considérant […] l’injustice faite aux élèves filles qui, après s’être distinguées, se voient à proprement parler exclues du Collège en fin de septième ». En effet elles doivent attendre le droit d’intégrer la classe de Première pour être autorisée à revenir au collège.

- Aussi, les parents contestent cette règle, car « elles [les filles] risquent de ce fait d’être admises trop tôt dans cette classe, et s’y trouvent en état d’infériorité manifeste vis-à-vis des garçons qui ont bénéficié du cycle complet d’études secondaires ». Il faut comprendre que l’impatience de les faire retourner au collège provoque à titre individuel, des préparations accélérées, mais insuffisantes.

444 L’académie de Paris comprend, outre Paris intra-muros et le département de la Seine (75), les départements

du Cher (18) ; Eure-et-Loir (28) ; Loiret (45) ; Loir-et-Cher (41) ; Marne (51) ; Oise (60) ; Seine-et-Marne (77) ; Seine-et Oise (78, 91, 92).

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- Enfin pour terminer leur réclamation les parents attendent : « la création en cette ville d’un établissement laïque d’enseignement secondaire féminin ».

Les parents montrent leur attachement au service public républicain. Il existe en effet le Cours Sévigné, institution privée pour les jeunes filles. Dans l’entre-deux-guerres il remplaçait l’école des Sœurs de la Compassion, congrégation religieuse enseignante pour l’éducation des filles, qui était installée à Compiègne avant son éviction dans le cadre des lois laïques445.

A l’issue de l’envoi de la pétition, le collège de garçons entre en scène au début de l’été 1929. Le Bureau d’Administration du collège se réunit pour approuver la demande parentale, il considère même comme un devoir de recevoir des collégiennes. S’appuyant sur la circulaire d’octobre 1928 le principal, monsieur Touzé annonce une capacité d’accueil, en tenant compte du nombre des externes de son effectif, pour vingt nouvelles élèves446. Qui sont les membres

du bureau d’administration ? La séance du 6 juillet, ouverte par son président le Député-Maire M. Fournier-Sarlovèze, est composée de dix personnes alors que le sous-préfet (M. Rousselot), l’inspecteur d’Académie (M. Duval), un représentant de la Chambre de commerce et le sous- directeur des Haras se sont excusés. Les autres personnalités sont pour les unes associées à la vie du collège : deux enseignants (M. Julliard, professeur et M. Henry, répétiteur) le principal, le médecin du collège (Docteur Tournant) et deux ex- présidents de l’amicale des anciens élèves (MM. Barbier et Davesnes) ; les autres sont associées à la vie locale tels le conseiller municipal (M. Lefèvre), le président du Tribunal (M. Puech) et l’adjoint au maire (M. Ancel). Si les parents n’ont pas de représentants au conseil d’administration du collège, ils sont soutenus pas tous ceux qui incarnent les institutions politiques et économiques locales.

A la fin du même mois c’est au tour du Conseil municipal de prononcer son approbation à l’admission de filles dans toutes les classes du collège en laissant carte blanche au principal de les choisir. Enfin, à la veille de la rentrée scolaire de 1929 - 1930 la hiérarchie administrative entre en jeu. L’inspection académique, sous couvert du recteur, appuie d’un avis favorable les familles signataires en faisant remarquer que les 32 pétitionnaires sont plus nombreux que les vingt places envisagées. Cette remarque a pour objectif d’interpeller la municipalité « de la nécessité de créer un collège ou tout au moins un cours secondaire pour donner satisfaction au vœu des familles ». Il n’empêche que le 30 septembre une réponse favorable à l’accueil

445 En 1949 l’école est revenue dans le giron de la Congrégation qui a repris la direction. Voir :[En ligne :

http://sevigne-compiegne.fr/notre-histoire/ ]. En 1932 est également implanté une école privée pour jeunes filles Notre Dame par Sœur Marie Cécile, ursuline de la Compagnie de Saint Ursule du convent de Tours, qui devient Notre Dame de Tilloye.en 1945.

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d’élèves filles à tous les niveaux du secondaire est décrétée par le ministère pour la ville de Compiègne. Rappelons que ce n’était pas gagné d’avance puisque la ville était normalement contrainte aux règles particulières énoncées par M. Vial à propos de l’académie de Paris.

Cette histoire met en scène la coalition des forces de pression qui réussit à faire bouger les lignes de conduite. Elle témoigne du changement progressif des mentalités. Les hommes, les parents, voient avant tout l’intérêt de leur progéniture. Le lent changement des représentations facilite l’acceptation de nouvelles règles pragmatiques qui dépassent le principe de la séparation des sexes. C’est plutôt une dilution de l’idée de la séparation des sexes et non, à proprement parler, une volonté consciente et collective.

En fait, les premiers pas vers l’instruction en commun sont les résultats d’un jeu d’influences entre les tendances admises au plan national et les besoins locaux. Ainsi, une petite ville comme Compiègne joue un rôle sur la tendance au décloisonnement de l’éducation en agissant concrètement sur son territoire. Mais cette revendication est réalisable parce que depuis la sortie de la Première Guerre mondiale la même inclination se réalise à l’échelle nationale.

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