• Aucun résultat trouvé

Carte II-3 : Les lycées de garçons et le coenseignement en

I. Le regard des chefs d’établissements à partir des rapports académiques

1. Le régime du coenseignement accepté

Au fil des rapports de Besançon se dégage une vue générale de l’évolution non seulement des représentations, mais aussi de l’organisation pratique du coenseignement dans les établissements du Doubs, Haute-Saône, Jura et Territoire de Belfort. Les paragraphes de la rubrique « coéducation » régulièrement renseignée par le rédacteur sont à l’image des remarques relevées dans les rapports des autres académies. L’analyse montre le glissement d’une situation qui au départ est exceptionnelle et temporaire pour en quelques années devenir un régime accepté sans difficulté et même souhaité.

Au début des années 1920 le rapporteur mentionne le fait que « se développe une pénétration croissante dans le régime secondaire masculin, où un nouveau point de contact vient d’être ouvert par une mesure accordant aux jeunes filles l’accès des classes de Mathématiques et de Philosophie dans les établissements de garçons377» alors que le lycée de jeunes filles de

Besançon prépareau diplôme et qu’il « demeure un grand lycée scientifique, réputé. Mais le caractère, il le doit à sa magnifique 6° année, qui est une colonie formée de l’élite diverse de lycées et d’Écoles normales ». Pourtant le lycée de jeunes filles s’adapte pour que « L’élément proprement secondaire tend[e] ses forces vives et les ajuste peu à peu à la poursuite du baccalauréat378» et parce qu’« on délaisse le diplôme qui fait pauvre figure et on achève de

déserter les brevets primaires379». Finalement ce rapport ne dit pas si des filles fréquentent le

lycée de garçons en 1921. En revanche lorsque la première circulaire concernant les collèges est promulguée en 1926, des filles sont admises dans les collèges masculins des villes de moindre importance. Le rédacteur en fait un constat positif puisque :

La mesure prise en faveur des jeunes filles qui ne disposaient d’un établissement féminin pour terminer leurs études se révèle comme définitivement excellente. Aucune difficulté sérieuse n’a surgi nulle part 380.

La proportion de filles concernées n’est pas négligeable : « Les groupes de jeunes filles sont, pour chaque établissement, de quatre ou cinq en moyennes dans les classes d’examen381».

L’auteur poursuit ses considérations. Il oscille entre approbations et réserves en ce qui concerne l’organisation pratique. Par exemple « Le rapprochement des deux sexes présente des

377 AN, F17 13928, académie de Besançon, rapport de 1921-1922, section : « Études et enseignement dans

les établissements de jeunes filles », p. 26.

378 Ibid. 379 Ibid.

380 AN, F17 13 929, académie de Besançon, rapport de l’année 1927-1928, paragraphe : « coéducation », p. 7.

147

inconvénients évidents qui nécessitent sans doute une surveillance vigilante382» ; les efforts

d’adaptation peuvent être, en effet, perçus comme des contraintes pour les établissements. Ils doivent adopter des mesures de discipline avec des aménagements et le personnel nécessaire. En revanche sur le plan éducatif la « coéducation » a

[…] aussi des avantages certains : la classe a plus d’attrait, l’émulation y est plus vive, la tenue plus correcte. Comme toujours, la présence de la femme entraîne le poli des manières. Ce sont là, au point de vue de l’instruction et de l’éducation, des conséquences appréciables383.

À l’image des processus de socialisation des relations entre femmes et hommes, les filles sont considérées comme des éléments de régulation. Ainsi, grâce à l’exemplarité de leur comportement qui induit réserve, sérieux, travail personnel, bonnes manières elles pacifient celui des jeunes garçons adolescents trop souvent turbulents. Cet argument est très souvent avancé par ceux et celles qui justifient et défendent le bien-fondé du coenseignement. D’ailleurs le rapport de l’année suivante (1928-1929), après avoir énuméré l’extension du processus à tous les collèges des trois départements (Jura sauf Saint-Claude, Doubs et Haute- Saône), reprend la phrase du proviseur de Lons. Il écrit : « Les jeunes filles ont donné un excellent exemple à leurs camarades garçons et ont suscité chez eux une émulation des plus profitable384». En effet, l’intérêt de l’expérience concerne avant tout celui des garçons, car

« Dans les classes où elles se trouvent, les jeunes filles donnent l’exemple et les études des garçons, leurs camarades, en reçoivent une heureuse stimulation385» déclare le principal de

Poligny. Le rapport de 1929-1930 conclut ainsi « Aucune critique sérieuse n’est donc plus maintenant élevée contre ce système d’éducation386». Le rapport suivant commence par : « La

coéducation continue à donner les résultats les plus satisfaisants387» et se termine en disant que

« La coéducation doit donc être considérée comme un régime des plus heureux au moins dans la mesure restreinte où il est mis en vigueur ». En effet « mesure restreinte » dont l’objectif est de garder la réputation de l’établissement. Mission réussie à Pontarlier puisque « des familles réputées comme très religieuses n’hésitent pas à confier au collège leurs jeunes filles ». D’autant qu’il est mentionné pour la première fois les précautions parce qu’ :

il peut éclore quelques flirts assez innocents (Vesoul) et des rappels à l’ordre peuvent être nécessaire (pour la première fois cette année, des observations ont dû

382 Ibid. 383 Ibid.

384 AN, F17 13 930, académie de Besançon, rapport de l’année 1928-1929, paragraphe : « coéducation », p.

17.

385 Ibid.

386 AN, F17 13 930, académie de Besançon, rapport de l’année 1929-1930. 387 AN, F17 13 930, académie de Besançon, rapport de l’année 1930-1931.

148

être faite à une jeune fille du lycée de Lons-le-Saunier). Mais aucun incident grave n’est signalé et par contre on enregistre partout les heureuses conséquences de la coéducation au point de vue de l’émulation388.

Comme on le voit ici, les aspects positifs contrebalancent les dangers potentiels. Cette tonalité domine également dans les autres rapports s’attardant sur la question et les impressions évoluent dans le bon sens. Par exemple le rapport suivant, datant de 1934, estime que « Nul ne réprouve [la coéducation], comme on ferait une institution pernicieuse. Aussi ne paraît-il pas excessif de considérer qu’elle est désormais habitude prise389». Le rédacteur suggère que le

regard tolérant sur la pratique ne suscite pas de suspicion ; alors qu’à l’époque où « garçons et filles recevaient l’instruction de part et d’autre d’une cloison étanche390» des incidents graves

ont parfois eu lieu chez les garçons, rappelle-t-il. C’est à cet endroit du discours qu’il propose de faciliter la surveillance en engageant des « fonctionnaires femmes plus aptes à redresser, dans le langage qui convient, une attitude incorrecte, plus prompte à percevoir, au besoin, le manège des jeunes pour en prévenir les effets391». C’est aussi un moyen de demander du

personnel supplémentaire capable de s’occuper plus particulièrement de ce nouveau public féminin au milieu des garçons. Comme il est écrit : « À établissement mixte, personnel mixte392 ». Des propositions de cette nature marquent la volonté d’une pérennité de la

"coéducation" puisqu’« Elle semble être rentrée dans les mœurs393» écrit le rapporteur de 1936-

1937. Et de rappeler « Il n’est plus que quelques esprits irréductibles pour nier les bienfaits d’un régime qui peut être une source de saine émulation entre les élèves394».

De nombreux chefs d’établissement lorsqu’ils prennent la plume défendent avec conviction les expériences qu’ils ont pu rencontrer au cours de leur carrière. Même s’ils ne manquent pas de rappeler parfois quelques incidents, leur regard est positif. D’autant que stratégiquement une présentation favorable permet de plaider les qualités de l’établissement qu’ils administrent. Ils jouent donc au mieux de leurs intérêts. Ainsi le rapport renvoyé en décembre 1937 fait état de l’augmentation sensible des effectifs féminins chez les garçons en particulier dans les collèges plutôt que dans les lycées. À titre d’exemple, vingt-neuf filles dans les classes secondaires du collège de Pontarlier, au moins trente-cinq à Dôle se répartissent dans les

388 Ibid.

389 AN, F17 13 930, académie de Besançon, rapport de l’année 1933-1934, paragraphe intitulé

« coéducation » p. 6 bis et 7.

390 Ibid. 391 Ibid. 392 Ibid.

393 AN, F17 13 932, académie de Besançon, rapport de l’année 1936-1937, p. 7. 394 Ibid.

149

différents niveaux de classe. Ce qui fait écrire au rédacteur que : « Tous les chefs d’établissement font remarquer l’énorme avantage éducatif de la coéducation395». Pour

confirmer l’intérêt de ce régime ils s’appuient sur un argument auquel ils sont tous sensibles ; le fait que les familles de plus en plus nombreuses sont prêtes à leur confier la scolarité de leur(s) fille(s).

Cependant les expérimentations positives n’empêche pas des réserves voir des résistances auxquelles les réponses sont d’ordre disciplinaire.

Outline

Documents relatifs