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L A « COÉDUCATION » DANS LES CIRCULAIRES MINISTÉRIELLES A NNONCE DU COENSEIGNEMENT DANS LE SECONDAIRE

L’organisation du système éducatif en France depuis la fin du XIXe siècle permet aux

filles comme aux garçons de suivre des études secondaires payantes dans leurs établissements respectifs.

Pour les filles, l’objectif de l’organisation des études prévues depuis la loi Camille Sée de 1880 correspond à l’obtention du diplôme de fin d’études, dans les 174 établissements de « jeunes filles », lycées, collèges ou cours secondaires comptabilisés en 191586. Il se

prépare depuis 1897 en six années. Les matières enseignées donnent une culture générale, plutôt littéraire, mais sans latin et encore moins de grec et avec quelques matières propres à leur sexe qui conforte leur rôle de future femme et mère au foyer87.

Les garçons depuis la sixième se préparent à passer le baccalauréat à l’issue de sept années d’enseignement jusqu’à la classe terminale. Le plan d’étude redéfini par les

86 Annuaire statistique de 1928 ; Tableau VII « Elèves des lycées et collèges de garçons et jeunes filles et des cours secondaires de jeunes filles au 5 novembre de chaque année » de 1881 à 1928. Effectifs des établissement et effectifs des élèves. En 1915 il est comptabilisé 127 lycées et collèges de jeunes filles et 47 cours secondaires. Antoine Prost propose un état de la situation en 1880-1887 dans un tableau récapitulatif in Antoine Prost, « Inférieur ou novateur ? L’enseignement secondaire des jeunes filles (1880-1887) », Histoire de l’éducation n° 115-116, no 3, 2007, p. 149 à 169, p. 153. Il comptabilise 20 lycées, 23 collèges et 69 cours secondaires. En 1939 ce sont 79 lycées, 91 collèges et 25 cours secondaires qui sont comptabilisé par Jean-Michel Chapoulie in Jean Michel Chapoulie, L’École d’État conquiert la France. Deux siècles de politique scolaire, PUR, Rennes, PUR, 2010, p. 163.

87 Voir la thèse magistral de Françoise MAYEUR, L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la

Troisième République, Paris: Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977. Des matières particulières entre dans l’emploi du temps des programmes tel que des cours de musique, les travaux d’aiguilles. Les cours de morale compensent l’absence de cours de philosophie.

décrets88 de 1902 a permis d’harmoniser les trois grandes sections89 (A, B, C) qui impose

le latin et d’étendre la culture scientifique avec une nouvelle section D. Dès la classe de première une série d’épreuves communes donnent le droit de se présenter à la seconde partie du baccalauréat, en choisissant soit la dominante philosophie soit la dominante mathématique. Ainsi les élèves peuvent passer le « bac. Philo. » ou le « bac. Math-Élém. » et parfois, pour les plus brillants, les deux baccalauréats la même année90.

Ces parcours différenciés s’unifient après la Première Guerre mondiale. Il faut attendre le décret Léon Bérard du 25 mars 192491 pour envisager un parcours commun aux deux

sexes. Néanmoins, jusqu’en 1925, et les années suivantes encore, les filles peuvent se présenter en tant que candidates libres aux épreuves du baccalauréat. En effet le baccalauréat n’a jamais été légalement fermé aux filles92. Mais pour réussir elles doivent

nécessairement compléter leur formation scientifique en mathématiques, physique, chimie et leur formationlittéraire notamment pour le latin, la philosophie et le grec le cas échéant. Comme de nombreux établissements ne sont pas en mesure de répondre aux besoins des programmes de l’examen, seul leur travail personnel et des cours particuliers permettent de pallier les difficultés de leur parcours de future bachelière. Elles ont la possibilité de s’inscrire dans les institutions privées laïques ou religieuses dont certaines concurrence le public (École Alsacienne, cours Sévigné par exemple). A moins qu’elles ne soient admises auprès de leurs homologues garçons.

88 La réforme de 1902 a été mise en œuvre par décret comme la plupart des réformes de l’enseignement.

Elle a donné l’architecture de l’enseignement secondaire qui a duré jusqu’en 1959. Les études secondaires sont organisées depuis laréforme de Georges Leygues de 1902 en deux cycles qui se divisent ainsi : le 1er cycle de la 6ème à la 3ème propose 3 sections : A (latin et grec), A’ (latin, une langue vivante)

et B (sans langues mortes, deux langues vivantes). Le reste des programmes étaient suffisamment similaire jusqu’en première pour qu’à l’issue de la première partie du baccalauréat les élèves puissent choisir entre la classe de philosophie et celle de mathématiques qui correspondent aux classes terminales afin de présenter la seconde partie du baccalauréat. Malgré des tentatives de réformes proposées entre 1923 et 1932 et sous le Front Populaire (ministre Jean Zay) pour uniformiser, tout au moins le système du premier cycle, l’organisation perdure avec des ajustements jusqu’à la réforme Berthoin de 1959.

89 Les nouvelles sections tentent de confondre l’enseignement classique et l’enseignement dit moderne

car sans latin. Ainsi la section A : latin –grec ; section B : latin – langues ; section C : latin-sciences et la section D (issue de l’enseignement spécial qui était lui-même devenu moderne en 1891) : langues- sciences

90 En annexe les plans d’études de 1902 et de 1925 sont représentés sous forme graphique. 91 Le décret Bérard est étudié dans la première partie de ce chapitre.

92 Karen OFFEN, « The Second Sex and the Baccalauréat in Republican France, 1880-1924 », French

Historical Studies, no 3, 1983, 252 à 288. « In fact, the classical baccalauréat had never been legally

En 1913 les statistiques 93 du ministère de l’Instruction public dénombrent 346

bachelières dont 305 en Philosophie et 41 en Mathématiques. Mais le nombre ne cesse de croître, avec 135 bachelières supplémentaires en 1914. En 1916 on compte 685 lauréates soit quasiment le double de 1913. La période de la Grande Guerre est un accélérateur de la tendance qui s’accentue encore au début des années vingt. En 1925 la France compte 1 967 filles pour 10 81994 bachelier-e-s soit 18 % de lauréat-e-s, alors que l’application de la

réforme Bérard commence tout juste à s’appliquer et que très peu d’établissements féminins sont en capacité de les préparer.

De fait, les portes des établissements de garçons s’entrouvrent pour les filles grâce à la conjugaison de plusieurs facteurs95. Dans le contexte de la guerre il est désormais

concevable, de former des femmes dans des secteurs qui jusque-là n’était pas convenables pour elles, telles les écoles d’ingénieurs, pour pallier au manque d’hommes jeunes et diplômés. En même temps elles sont de plus en plus nombreuses à se présenter au baccalauréat, elles peuvent ainsi prétendre suivre les classes préparatoires aux grandes écoles et passer des concours. Or, pour réussir elles ont absolument besoin de compléter la formation proposée dans leurs établissements puisque les programmes ne sont pas conçus pour ces cas de figure (baccalauréat et classes préparatoires). Seuls les établissements de garçons des collèges municipaux et lycées d’État ont suffisamment de personnel formé pour assurer l’enseignement de toutes les matières évaluées au baccalauréat.

Accepter de réunir des jeunes personnes des deux sexes pour s’instruire, parce que leurs besoins de formation apparaissent communs, ne va pas de soi. Pourtant des mesures se sont imposées et les textes réglementaires montrent le cheminement des idées des représentants de l’enseignement secondaire et des législateurs. La difficulté réside dans la justification de dispositions contraires à la norme de la séparation des sexes alors que l’État se donne pour mission de garantir l’instruction de chacun et de chacune.

93 Voir courbe de la progression de l’obtention du baccalauréat chez les filles entre 1913 et 1926 d’après

Jeanne P. CROUZET-BENABEN, « Le bilan d’une génération scolaire féminine » », Revue Universitaire, Paris, 1927, 2, Bulletin ESJF, p. 61 – 62. Les statistiques des jeunes filles reçues bachelière sont publiées par le ministère de l’instruction publique depuis 1905. Voir graphique en annexe

94 Source : Ac’ADoc, base documentaire des services statistiques. Baccalauréat 1910-1940 -Ac'Adoc

arch001-2015-06-23.

95 Françoise MAYEUR , L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République, Paris,

Graphique I-1 : Nombre de bachelières entre 1913 et 1926

Source : Jeanne P. CROUZET-BENABEN, « Le bilan d’une génération scolaire féminine » », Revue Universitaire, Paris, 1927, 2, Bulletin ESJF, p. 61 - 62. 191 3 191 4 191 5 191 6 191 7 191 8 191 9 192 0 192 1 192 2 192 3 192 4 192 5 192 6 Philosophie 305 412 447 603 718 970 1021 1112 1098 1281 1372 1454 1689 1806 Mathématique 41 69 55 82 145 140 211 214 250 195 240 292 278 328 TOTAL 346 481 502 685 863 1110 1232 1326 1348 1476 1612 1746 1967 2134 0 500 1000 1500 2000 2500

I.

Depuis la Grande Guerre des textes réglementent la

cohabitation scolaire des filles et des garçons dans

l’enseignement secondaire

A l’échelle nationale, les différentes politiques scolaires sont l’objet de réflexions au sein d’instances collégiales. Leurs avis et conseils guident les décisions du ministre de l’Instruction publique qui n’hésite pas à faire appel à la compétence de ces commissions96.

Le Conseil supérieur de l’Instruction publique (CSIP) se réunit deux fois par an. Il chapeaute les autres instances permanentes comme le Comité consultatif de l’enseignement public, mais surtout il s’appuie sur les travaux préliminaires de la Section permanente chargée de préparer les débats du conseil. La Section ou Commission permanente est un rouage clef de l’administration centrale d’autant que les trois directeurs des enseignements sont membres de droit, les autres membres étant nommés par le pouvoir exécutif. En tant qu’organe consultatif, présidé par le ministre97 (bien que ce dernier soit le plus souvent

représenté par un membre désigné), la Section permanente étudie et donne des avis sur toutes sortes de questions telles que les programmes et règlements scolaires, les mesures administratives, les problèmes disciplinaires ou les contentieux. De nombreuses décisions prises à partir des conclusions qu’elle élabore au cours des discussions entre ses membres prouvent ses rapports étroits avec la vie administrative du ministère. Ainsi, les directives sous forme de circulaires ou de notes ministérielles98 sont, pour beaucoup, l’émanation de

la réflexion de la Section permanente, suscitée par le ministre lui-même.

Si une circulaire est signée par le ministre ou son cabinet, elle n’a pas la valeur juridique d'une loi ou d’un décret signés par le Président du conseil dans la première moitié du vingtième siècle99. Il s'agit plutôt d'une note de service de l'administration pour exposer les

principes d'une politique, fixer les règles de fonctionnement des services et commenter ou orienter l'application des lois et règlements.

Il en est ainsi pour la question de la cohabitation des filles et des garçons dans l’enseignement secondaire. Le dialogue s’effectue en interne entre les membres de la Section permanente du CSIP et le ministre pour guider la hiérarchie de l’encadrement

96 Yves VERNEUIL, « « Corporation universitaire et société civile : les débats sur la composition du

Conseil supérieur de l’instruction publique pendant la Troisième République » », Histoire de l’éducation, no 140 141, 2014, p. 51 à 72.

97 Le CSIP est également présidé par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. 98 La note ministérielle a la même valeur que la circulaire sous la IIIème République.

scolaire tels les recteurs, proviseurs, principaux de collèges ou directrices d’établissements féminins qui peuvent faire appliquer des règles en s’appuyant sur les notes et circulaires du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts qui devient celui de l’Éducation nationale après 1932100.

Un corpus de documents administratifs se complètent et permettent de cerner les décisions prises concernant la possibilité d’enseigner à des élèves des deux sexes dans une même salle de classe101 [Tableau I-1 en annexe].

Dans un premier temps, en pleine Première Guerre mondiale, les délibérations débouchent sur des décisions de principes qui montrent la volonté d’intransigeance vis-à- vis d’une position conforme à la norme de la séparation des sexes. Mais comment réagir entre les pressions sociales, les bouleversements politiques et économiques et les décisions des autres ministères ? Finalement, au milieu des années vingt l’administration centrale se résout d’accepter des dérogations pour régulariser des situations de faits.

1. Les premières discussions au sein du CISP

102

dès 1915 à l’origine des

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