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Carte II-3 : Les lycées de garçons et le coenseignement en

I. Le regard des chefs d’établissements à partir des rapports académiques

4. Indifférence ou embarras ?

Les remarques et les jugements des proviseurs et des principaux qui vivent au quotidien la cohabitation des élèves des deux sexes sont relatés par les rapporteurs lorsqu’ils s’intéressent au sujet. Le nombre des rapports annuels mentionnant cette pratique représente un indice de fréquence relatif. Certes intuitifs, mais aux vues de la faiblesse en quantité comme en contenu, nous le traduisons comme une forme de silence que l’on peut interpréter de différentes façons. Est-ce la marque de certaines réticences afin de rester conforme au discours dominant ? Est-ce de l’indifférence à l’égard de la pratique ? Nous pouvons supposer aussi qu’une forme de

420 Jeanne P. CROUZET-BENABEN, « Les résultats de l’assimilation », in Revue Universitaires, t. 1, n° 5 mai

1935, p. 420-435. Nous respectons la typographie de la source pour désigner Madame Crouzet-Benaben qui peut également se trouver sous la forme : Crouzet-Benaben. Elle est la femme de Paul Crouzet. Jeanne P. Crouzet-Benaben s’est chargée d’analyser les résultats d’une enquête lancée par la revue en 1932 auprès de ses lecteurs et lectrices, personnel de l’enseignement secondaire. Les résultats ont été publiés dans deux articles consécutifs en mai (n° 5) et juin (n° 6) 1935 par la Revue Universitaires en 1935.

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normalité rend la pratique invisible. En effet, s’il n’y a pas de problèmes particuliers, pourquoi nommer les "choses" ? De sorte que sous le signe de la dénégation l’école devient un lieu de socialisation peu à peu « mixte », dans l’oubli de questionnement sur la coinstruction421.

François Jacquet-Françillon le dit à propos de la mixité dans l’enseignement primaire au XIXe

siècle :

À long terme, la banalisation de la mixité et de la coéducation, leur extension aux écoles urbaines, viendront plus directement de l’effacement du schéma sexuel de représentation de l’enfant, ou du moins de représentation de la sociabilité et des mœurs422.

Les notions de « banalisation » et « effacement du schéma sexuel » s’appliquent tout autant, si ce n’est plus, à l’histoire de la mixité des jeunes adolescent-e-s du XXe siècle.

On aurait pu croire que l’enquête diligentée en 1932 auprès des lycées d’État pour évaluer l’ampleur de l’accueil de filles dans les établissements de garçons pousse les rapporteurs à évoquer la situation sur le plan académique. La même année les lecteurs et lectrices de la Revue

Universitaire, revue de référence pour les administrateurs-trices de l’éducation, ont été

sollicité-e-s pour répondre à une enquête portant, non pas sur la coinstruction, mais, sur l’assimilation des programmes et les compétences des filles et des garçons. Or le questionnaire s’adresse plus particulièrement aux :

- parents pouvant observer journellement frères et sœurs au travail - professeurs enseignant dans des classes mixtes proprement secondaires

- professeurs de l’enseignement masculin délégués, pour des heures supplémentaires dans un établissement féminin

- professeur de Première supérieure ou de Mathématiques spéciales préparant des élèves des deux sexes à l’École Normale423

421 Sur les 144 rapports répertoriés dans les cartons cotés F17 13928 à 13932 trois académies sont plus

silencieuses que les autres. Alger et Paris mentionnent la situation une seule fois en 1950. Mais la collection n’est composée que de deux dossiers pour la première (1929_30 ; 1949-50) et de quatre pour la seconde (1927-28 ; 1928-29 ; 1936-37 ; 1949-50 ; D’autres années sont consultables dans la série AJ 16 pour Paris). Strasbourg, en revanche a laissé huit rapports au cours de cette période ce qui représente davantage que la moyenne. Or aucun n’évoque, à un moment ou un autre, la présence de filles dans les établissements masculins. Pourtant l’enquête de 1932 en donne la preuve en ce qui concerne les lycées d’État. La récente thèse d’Éric Ettwiller le confirme pour le collège municipal de Sarrebourg de l’académie strasbourgeoise (p. 2004). Éric ETTWILLER, « L’enseignement secondaire des filles en Alsace-Lorraine et dans l’académie de Nancy de 1871 à 1940 », thèse pour le doctorat en histoire contemporaine, Strasbourg, 2017, p. 1197 pour l’académie de Nancy et p. 2004 pour le seul collège de l’académie de Strasbourg.

422 François JACQUET-FRANCILLON, « Le problème de la mixité scolaire au XIXe siècle », in Egalité entre les

sexes : mixité et démocratie, Claudine BAUDOUX et Claude ZAIDMAN (dirs.), Paris, L’Harmattan, 1992, p. 18 à 30, p. 28.

423 « Enquête comparative sur les résultats obtenus dans les mêmes études par les jeunes gens et les jeunes

filles », in Revue Universitaires, n° 10, t. 2, décembre 1932, p. 385 et 386. C’est à partir de ce questionnaire que trois ans plus tard, Jeanne P. Crouzet-Benaben rédige le compte-rendu évoqué. Voir note précédente.

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Preuve que le système associant les deux sexes dans les classes est suffisamment répandu pour qu’on interroge directement les enseignant-e-s et les parents concernés. Pourtantl’intérêt n’apparaît pas dans les rapports annuels du début des années trente. Plus étonnant, les débats soulevés par le vote de la loi de 1933 sur la gémination dans l’enseignement primaire, ne suscite pas un regain d’intérêt sur ce qui se passe dans le secondaire.

En revanche, entre 1928 et 1930, un léger sursaut du nombre d’évocations de la « coéducation » apparaît424. Or cette période encadre la promulgation de l’encyclique papale

du 31 décembre 1929, Divini illius magistri, sur l’éducation chrétienne de la jeunesse même si aucun des rapports n’y fait référence. Cette dernière condamne fermement la « coéducation » ; tout particulièrement à l’école et « principalement durant l'adolescence, la période la plus délicate et la plus décisive de la formation425 ». Aussi la recrudescence des remarques sur la

question et quelques analyses approfondies, dans les bilans annuels des académies ne sont peut-être pas complètement fortuites. Elles pourraient être une forme de réaction influencée par la réflexion suscitée par cette encyclique. Pourquoi réaction ? Parce que contrairement à ce que préconise l’encyclique, les descriptions et les avis portés sur ce « nouveau procédé pédagogique » sont en grande majorité positifs et encourageants. En ce qui concerne l’enseignement secondaire, les critiques négatives sont peu nombreuses et atténuées par des considérations qui font la part des choses. Les rapports des professionnels qui observent la pratique du coenseignement sur le terrain ne remettent pas en cause de façon radicale les bienfaits du coenseignement.

Qu’en est-il des familles françaises qui envoient leurs filles dans les lycées ou collèges de garçons ? Le contexte politique et économique de l’entre-deux-guerres est difficile. Bouleversés par les traumatismes de la Première Guerre et touchée par les crises qui précèdent la Seconde, la société est en pleine mutation. Les transformations s’opèrent dans les mentalités, par capillarité (comme aime dire Jean-François Sirinelli), l’ordre social est déstabilisé. Des mouvements de fonds impalpables suscitent résistances au changement pour les uns, ouverture d’esprit pour les autres. Cependant comme le remarque Antoine Prost « ni la jeunesse populaire

424 AN, F17 17929 à F17 17930, 14 rapports sur les 40 conservés évoquent la coéducation dans certains

établissements de leur académie. Certains de façon sibylline, la majorité la décrive dans un seul paragraphe et trois approfondissent le sujet : Aix en 1928, Besançon en 1929 et Toulouse en 1930.

425 Divini illius magistri, lettre encyclique du pape Pie XI, Aux Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques

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ni la jeunesse bourgeoise ne sont en opposition avec la société, dans la France de cette époque. Les mécanismes d’intégration sont beaucoup plus forts que les conflits de génération426 ».

II. Les familles à l’épreuve du coenseignement : les parents et leurs

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