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La réforme du service public de l'eau, du gaz et de l'électricité*

FRANÇüISBEILANGER

Professeur

à

l'Université de Genève, avocat

ET

CAROLINE CAVALERI RUDAZ

Assistante à l'Université de Genève, titulaire du brevet d'avocat

L Introduction

La libéralisation du secteur énergétique constitue la seconde étape du pro-cessus de déréglementation et de privatisation des services publics tradition-nels. Après les services postaux, les transports et les télécommunications, le législateur envisage de soumettre la production et la distribution d'électricité à la concurrence.

Ioans le prolongement des initiatives lancées par l'Union européenne, la Suisse a initié au début des années 90 un processus de libéralisation du marché de l'électricitél . Enjuin 1995, l'Office fédéral de l'énergie a publié un premier rapport sur l'ouverture du marché de l'électricité suisse, connu comme le

«Rapport CAITIN»2. Ce rapport proposait plusieurs mesures destinées à dé-réglementer le secteur de l'énergie afin de réduire les coûts et, par voie de conséquence, le prix de l'électricité. Il a été suivi en 1997 d'un second docu-ment, connu cette fois comme le «Rapport KIENER», qui précisait les conclu-sions du rapport CA1TIN et proposait des mesures additionnelles comme l'institution d'une société suisse d'exploitation du réseau haute tension3 .

2 3

Etat au 31 juillet 2005

Pour un rappel du contexte historique, voir VOUILLOZ FRANÇOIS, «Droit énergétique - Evolutions récentes», RVJ 1997. p. 369 55, not. 402 55. Voir également MÜLLER GEORG 1 HOSLI PETER 1 VOUILLOZ FRANÇOIS (1997), Introduction au droit énergé-tique suisse, Zurich.

Office fédéral de l'énergie, Ouverture du marché de l'électricité, Berne, 1995.

Office fédéral de l'énergie, Ouverture du marché dans le domaine de l'électricité, Berne, 1997.

FRANÇOIS BELLANGEREf CAROLINE CAVALER! RUDAZ

A la suite de ces deux rapports, le Conseil fédéral a mis en consultation un avant-projet de loi cadre sur le marché de l'électricité en février 1998, pré-voyant une libéralisation complète du marché en neuf ans. L'accueil de ce projet par les partis politiques et les différentes organisations concernées a été mitigé. La plupart des entités consultées ont accepté, voire soutenu, le principe de la libéralisation du marché. En revanche, elles ont critiqué le calendrier de la réforme et les moyens retenus pour la dérégulation, notam-ment la création d'une société nationale de transport". En dépit de ces oppo-sitions, le Conseil fédéral a publié le 7 juillet 1999 un projet de loi sur le marché de l'électricité, prévoyant une libéralisation du marché à l'issue d'une période transitoire de 6 anss. La loi a été adoptée le 15 décembre 2000 par le Parlement6 mais une demande de référendum a abouti. Avec la crise californienne en toile de fond, les opposants au projet ont mis en avant une possible augmentation des prix, une péjoration probable du service publjc, des risques d'atteinte à l'environnement et une augmentation des dangers liés à la sécurité des installations. La loi a été finalement refusée par 52.6%

des électeurs le 22 septembre 2002.

'ce vote négatif a marqué un coup d'arrêt temporaire à la transformation du secteur énergétique, notamment dans les secteurs du gaz et de l'eau. Un projet de loi sur le marché du gaz a été enterré par l'administration, car il aurait probablement subi la même sanction que le projet relatif au marché de l'électricité. Pour le marché de l'eau, la réflexion n'a même pas été initiée dans la mesure où l'approvisionnement des utilisateurs est assuré, du point de vue de l'administration fédérale, à des conditions et prix convenables sur l'ensemble du territoire, avec pour conséquence l'absence de nécessité d'une ,privatisation.

En conséquence, cet article portera essentiellement sur le seul secteur pour lequel une privatisation est d'actualité, le domaine de l'électricité. Le Conseil fédéral a en effet préparé un nouveau projet de loi tenant compte des critiques formulées à l'encontre de son prédécesseur.

Après avoir rappelé le contenu de la réglementation en vigueur dans les domaines de l'électricité, du gaz et de l'eau (11.), nous examinerons le projet

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Message du Conseil fédéral du 7 juin 1999 concernant la loi sur le marché de l'électri-cité (LME), FF 1999, p. 6646 ss.

Projet de loi sur le marché de l'électricité, FF 1999, p. 6741 ss.

FF 2000, p. 5761.

r

La réfonne du service public de l'eau, du gaz et de l'électricité de libéralisation du marché de l'électricité et ses conséquences (Ill.), avaut de conclure (IV).

n. La réglementation nationale en vigueur

A.

L'électricité

Le marché suisse de l'électricité est fortement fragmenté. Il comprend quelques neuf cents entreprises, dont sept grandes entreprises régionales, et environ quatre-vingts producteurs. Ces entreprises présentent pour des rai-sons historiques de grandes différences entre elles, que ce soit au niveau de leur taille (aire de desserte, quantités de courant livrées), ou de la structure de leur exploitation (production, transport, distribution). Leurs fonnes juridiques sont également très diverses: elles peuvent aussi bien faire partie d'une ad-ministration cantonale ou communale qu'être organisées sous la forme d'un établissement de droit public autonome, d'une coopérative locale, ou d'une société anonyme. Elles ont cependant presque toutes un point commun: elles' se trouvent principalement en mains publiques; en 200 l, les collectivités pu-bliques (cantons et communes) participaient à hauteur de 75% à leur capital;

le solde étant détenu à hauteur de 15,3% par des personnes privées et de 9,7% par des investisseurs étrangers7. Ce secteur est enfin caractérisé par l'importance des participations croisées entre entreprises8

La production suisse est composée principalement d'énergie hydraulique (env. 60%) et d'énergie nucléaire (env. 40%)9.

L'article 89, alinéa 1, de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst.)\O attribue une compétence parallèle à la Confédération et aux cantons en les chargeant de <<promouvoir un approvisionnement énergétique suffi-sant. diversifié, sûr. économiquement optimal et respectueux de

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8

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Sur ce point, voir la présentation de la structure du marché suisse sur le site Internet de l'Office fédéral de l'énergie: hrtp://www.suisse-energie.ch/internet/00060/

index.h/mI?lang~fr·

Sur la structure du marché de l'électricité, voir SBVR VU, JAGMETIl RICCARDO (2005), Energierecht, Bâle, p. 799 SS.

Un faible pourcentage se constitue d'autres sources (principalement d'énergie themlique conventionnelle, y compris d'installation d'incinération des ordures) dont les nouvelles technologies énergétiques ne constituent que 0,03%.

RSlOI.

FRANçoiS BELLANGEREf CAROLINE CAVALERIRUDAZ

l'environnement, ainsi qu'une consommation économe et rationnelle de l'énergie». Il appartient à la Confédération de fixer les principes applicables à l'utilisation des énergies indigènes et des énergies renouvelables et à la consonunation économe et rationnelle de l'énergie (art. 89, al. 2, Cst.). Au surplus, la Confédération ne peut, dans ce domaine, légiférer que sur la consonunation d'énergie des installations, des véhicules et des appareils (art. 89, al. 3, Cst.). La Confédération ne dispose ainsi que d'une compétence limitée qu'elle a concrétisée dans la loi sur l'énergie du 26 juin 1998 (LEne )".

Est en revanche du ressort de la Confédération la législation sur l'énergie nucléaire12 conformément à l'article 90 Cst. qui lui attribue une compétence globale avec effet concurrent et dérogatoire subséquent13Il en va de même de la réglementation du transport et de la livraison d'électricité en application de l'article 91, alinéa l, Cst. Cette compétence a été reconnue dans le but de garantir un approvisionnement sûr et régulier de la Suisse 14. Elle n'a pas 'été utilisée pour l'instant, mais constitne le fondement d'une future réglementa-tion du marché de l'électricité.

En conséquence, en l'état du droit, la question de l'approvisionnement de l'électricité est réglée pour l'essentiel par les collectivités publiques cantonales et conununales qui contrôlent les entreprises actives dans ce domaine. Toute-fois, le Conseil fédéral a souligué dans un récent rapport que cette absence de la Confédération n'a pas eu d'impact négatif majeur en raison, soit de l'intervention directe des citoyens sur le plan conununal s'agissant du niveau des tarifs ou des conditions d'approvisionnement, soit du contrôle indirect exercé par les organes de surveillance cantonaux ou conununaux sur les prix et les conditions appliqués par les entreprises électriquesl5 .

IAprès le refus du premier projet de loi fédérale sur le marché de l'électricité, le Tribunal fédéral a ouvert une importante brèche en faveur d'une libéralisa-tion totale du marché, dans un cas opposant Watt Suisse AG (Watt) et la Fédération des Coopératives Migros (Migros) aux Entreprises Electriques

11 12

13

14 15

RS 730.0.

Voir notamment la loi fédérale sur l'énergie nucléaire du 21 mars 2003 (LENu;

RS 732.1) et les textes légaux ou réglementaires édictés en relation avec cette loi.

Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 19971 l, p. 272.

Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 (n. 13), p. 273.

Rapport du Conseil Fédéral du 23 juin 2004, «Le service public dans le domaine des infrastructure,,>, FF 2004 p. 4336.

La réfonne du service public de l'eau, du gaz et de l'électricité Fribourgeoises (EEF), établissement de droit public distinct de l'EtatI6. En effet, deux filiales de la Migros avaient résilié les contrats de livraison d'énergie qui les liaient aux EEF, d'une part, et demandé, d'autre part, à cette dernière de faire transiter le courant acheté à un tiers sur leur réseau. Les EEF ont rejeté cette requête, ce qui a provoqué le recours des deux entreprises. Le Tribunal s'est notamment posé la question de savoir si, après le rejet par le peuple du projet de loi sur le marché de l'électricité, l'ouverture forcée du marché de l'électricité par le biais du droit de la concurrence ne serait pas contraire à la volonté populaire. Le Tribunal fédéral a répondu de manière négative en jugeant, sur la base des recommandations du Conseil fédéral pour la votation populaire, que «les citoyens devaient savoir qu'un rejet de la loi sur le marché de l'électricité n'empêcherait pas une libéralisa-tion de l'approvisionnement de l'électricité, mais qu'il pourrait au contraire conduire à une libéralisation incontrôlée, des problèmes d'ordre pratique n'étant pas un motif juridique valable pour exclure l'application de la loi sur les cartels» 17 Le Tribunal fédéral a ainsi conclu que la loi sur les cartels est applicable à l'acheminement du courant et que le refus par les EEF de laisser passer le courant de tiers sur son réseau consti-tuait un abus de position dominante. Ce faisant, le Tribunal fédéral a penni~

une libéralisation non régulée du marché de l'électricité.

B. Le gaz

Selon l'article 91, alinéa 2, Cst., «la législation sur les installations d~

transport par conduites de combustible ou de carburant liquides ou gazeux relève de la compétence de la Confédération». Se fondant sur cette disposition, l'Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les instal-lations de transport par conduites de combustibles ou carburants liquides ou gazeux du 4 octobre 1963 (LITC)18 Elle pennet depuis 1964 l'accès des tiers au réseau haute pression: l'article 13, alinéa l, LITC prévoit que l'entre-prise propriétaire du réseau de transport est tenue de se charger par contrat d'exécuter des transports pour des tiers dans les limites des possibilités techniques et des exigences d'une saine exploitation et pour autant que le tiers offre une rémunération équitable.

16 17 18

A TF 129/2003 II 497, Entreprises Electriques Fribourgeoises (EEF).

ATF 129/2003 II 497, 5t3-514,Entreprises Electriques Fribourgeoises (EEF).

RS 746.1.

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C'est sur cette base que l'industrie gazière a mis sur pied un accord de branche, visant à coordonner, à unifier, et, partant, à simplifier l'accès au réseau haute pressionl9. En cas de différend, l'Office fédéral de l'énergie (OFEN) est compétent, selon l'article 13, alinéa 2, LITC, pour décider si l'entreprise du réseau de transport concerné doit conclure un contrat et pour en arrêter les conditions contractuelles.

Cette disposition légale a consacré une ouverture du réseau de transport suisse dès le milieu des années soixante. Elle est toutefois restée lettre morte jusqu'en 2001. Ce n'est qu'après la libéralisation du niarché de l'Union euro-péenne que des tiers étrangers ont souhaité pouvoir profiter de la possibilité d'utiliser le réseau de transport suisse. En revanche, à notre connaissance, aucun consommateur suisse n'a bénéficié d'un accès au marché étranger.

Compte tenu de l'accès existant pour des tiers au réseau de transport, du fait que le prix du gaz en Snisse reste dans la moyenne européenne, et de l' exis-tence de sources d'énergie alternatives au gaz comme le mazout ou l'électri-cité, l'Office fédéral de l'énergie a gelé à la fin de l'année 2002 le projet de loi sur le marché du gaz sur lequel il travaillait.

De plus, l'OFEN entend, outre son rôle d'arbitre relatif à l'accès par des tiers au réseau de transport, observer l'évolution du marché en collaborant avec les entreprises de la branche, et proposer éventuellement les ajuste-ments nécessaires. Dans la mesure où les intérêts des acteurs du marché sont satisfaits, un nouveau projet de loi sur le marché du gaz n'est pas prévu, l'accord conclu par la branche gazière ayant l'avantage d'être bien accepté, d'application rapide, tout en étant compatible avec la réglementation européennej

C. L'eau

La Confédération ne dispose que de compétences limitées dans le domaine de l'eau. Elle doit, selon l'article 76, alinéa l, Cst. atteindre trois objectifs. En premier lieu, il lui appartient de veiller à une utilisation raisonnable des res-sources hydrauliques naturelles. En deuxième lieu, elle a pour mission de lutter contre l'action dommageable de l'eau, notamment en organisant les mesures de protection contre les inondations comme le reboisement ou

19 Rapport du Conseil Fédéral (n. 15), p. 4337.

,\",.

1

1 La réfonne du service public de l'eau, du gaz et de l'électricité l'allégement des sols20. Enfin, la Confédération est chargée de la protection des eaux2!. La Confédération a reçu une compétence législative globale uni-quement pour ces deux derniers objectifs (art. 76, al. 3, Cst.). Au surplus, la Confédération ne bénéficie que d'une compétence législative limitée aux principes22

Les cantons ont donc conservé leur souveraineté sur les ressources hydrau-liques. Ils peuvent les exploiter dans les limites de la législation fédérale (art. 76, al. 4, Cst.). Il leur appartient d'octroyer des concessions d'utilisation limitées par un seuil de capacité d' exploitation23 .

La conséquence de cette situation légale est un éclatement complet du marché.

L'approvisionnement en eau potable est assuré à l'heure actuelle en Suisse par plus de 3 '000 entreprises, actives au niveau communal pour la plupart. Une libéralisation éventuelle du marché devrait modifier cet état de fait. Les entreprises l'ont compris et ont tendance à fusionner au niveau régional de manière à anticiper un futur changement de réglementation.

Toutefois, les autorités fédérales estiment à l'heure actuelle qu'il n'y aucun~

nécessité de privatiser l'approvisionnement en eau en Suisse. De plus, toute réfonne impliquerait au préalable un transfert de compétence en faveur de la Confédération. Il est donc peu probable qu'une réfonne intervienne dans ce ___ J 1

secteur à moyen tenne.