• Aucun résultat trouvé

Nouvelles légitimités émergeant des réformes actuelles du secteur public

m. Evolution historique de la légitimité du secteur public

V. Nouvelles légitimités émergeant des réformes actuelles du secteur public

V. Nouvelles légitimités émergeant des réformes actuelles du secteur public

Les caractéristiques les plus marquantes de la nouvelle gestion publique à la mode helvétique, telles qu'imaginées au début du mouvement de réforme (HABLlmEL et al., 1995; SCHEDLER, 1995), ainsi que les évaluations qui en ont été faites plus récemment (EMERYet GIAUQUE, 2005; KOMPETENZZENTRUM FÜR PuaLlC MANAGEMENT, 2004; Rrrz, 2003), permettent en résumé de mention-ner les orientations principales suivantes, pour lesquelles nous mettons briève-ment en exergue les argubriève-ments de légitimité sous-jacents.

Tout d'abord, mentionnons le renforcement de la direction stratégique au niveau politique, et la délégation plus forte aux organes administratifs char-gés de la réalisation. Il s'agit notamment de répartir plus clairement les res-ponsabilités, en éviter des interférences de compétences, entre tous les organes participant au «pilotage» de l'action publique. Le récent «couac» lié à la discussion du programme de législature par le Parlement fédéral illustre la difficulté des instances politiques - Parlement bien sûr, mais également Gou-vernement - d'exercer réellement ce rôle stratégique (ScHEDLER et KETTIGER, 2003). Souvent perdus dans des détails techniques ou budgétaires, les élus peinent à discuter les options fondamentales aussi parce que la complexité actuelle des thèmes est telle que même les spécialistes ont de la peine à s'y retrouver. Les arguments de légitimité concernent ici la capacité réelle de

Réformes et légitimités du secteur public

pilotage des élus, rappelant un débat plus ancien sur les pouvoirs d'influence respectifs entre le politique et l'administration.

Directement liées au point précédent, l'idée de procéder à une délégation plus claire des responsabilités et compétences au niveau des directions admi-nistratives, et celle de simplifier les processus de décision et l'utilisation des ressources attribuées. En particulier, cela porte sur les ressources financières, à travers le principe de l'enveloppe budgétaire, et sur les ressources humaines, en déléguant une partie des décisions de gestion du personnel aux chefs de service ou d'office. Cette délégation peut se concrétiser par un mandat ou un contrat de prestations entre les autorités politiques et les services de l'ad-ministration chargés de la mise en œuvre. Les expériences pilotes en Suisse fournissent de nombreux exemples de cette manière nouvelle de définir les engagements réciproques entre politique et administration, mais également les limites d'un dispositifqui n'a pas de réelle valeur contractuelle et se trouve confronté à d'innombrables contraintes issues d'autres dispositifs connexes:

dépenses liées non modifiables, règles transversales circonscrivant l'exploi-tation des ressources dans les services opérationnels, notamment. Les argu-ments de légitimité portent ici d'une part sur une délimitation plus claire, une forme de désenchevêtrement des responsabilités entre les autorités poli-tiques et les gestionnaires publics, évitant les rones de flous ou d'absence de responsabilités, mais également sur l'importance de laisser aux gestionnaires publics une réelle capacité de management au sein de leur unité, plutôt que de les confiner à un rôle d'administrateur de règles de gestion (F ARNHAM et al., 1996). Cette responsabilisation s'inscrit aussi dans l'idée d'accroître l'im-putabilité des résultats de l'appareil administratif sur des instances précises - politiques ou administratives - de manière à pouvoir améliorer les actions en cours ou réajuster les objectifs poursuivis. Mais également et plus fonda-mentalement, de manière à pouvoir en tirer plus clairement les conséquences qui, le cas échéant, s'imposent: non-réélection pour les poli-tiqùes, déplacement ou rupture des rapports de travail pour les cadres diri-geants. D'une certaine façon, tous les programmes de désenchevêtrement des tâches - entre la Confédération et les cantons, ou entre les cantons et les communes - s'inscrivent dans la même logique, tout en comportant des as-pects supplémentaires liés à la décentralisation et à la maîtrise des finances publiques notamment.

La transfonnation de l'administration d'un instrument d'exécution des tâches publiques en une entreprise de services publics efficace et orientée «clients».

La conception classique wébérienne du fonctionnement de l'appareil politico-administratif profile en effet les services de l'administration en tantqu'unités neutres réalisant sans autonomie stratégique les décisions et prescriptions émanant de l'autorité politique. Cette forme d'autorité exercée par le poli-tique sur l'administration, en théorie et dans l'esprit de fonctionnement dé-mocratique des institutions, subsiste à l'heure actuelle. Cependant, les premières publications portant sur la nouvelle gestion publique (DELLEY, 1994;

OSBORNE et GAEBLER, 1993) insistaient d'emblée sur cet «esprit d'entreprise»

qui devait animer la condnite des services de l'administration, comme pour insister sur le manque d'innovations et le poids des habitudes venant trop souvent «plombeD> leur fonctionnement. Il fa~lt y voir ici non seulement la légitimation a priori de la gestion privée, par hypothèse plus dynamique et innovante, mais également le recours au potentiel inexploité de nombre de gestionnaires publics, en quelque sorte «bridés» dans leurs pratiques par des contraintes devenues trop lourdes, ou encore indnisant des comportements dysfonctionnels tels que la fameuse utilisation des soldes budgétaires en fin d'année. Dans cette optique, la source de légitimité à laquelle il est ici fait référence reflète l'exigence, souvent précisée par le législateur, d'une utili-sation (Plus) rationnelle des deniers publics. Actuellement, cet aspect est plus que jamais important au moment où bon nombre d'administrations, à commencer par l'administration fédérale, sont confrontées à des programmes d'économies sans précédent, qui les forcent, si ce n'est à supprimer des tâches, en tous les cas à repenser leurs modalités de fonctionnement2.

Cette inspiration entrepreneuriale comporte également une forte orientation culturelle: il s'agit non seulement d'introduire de nouvelles manières de tra-vailler, mais également de nouvelles valeurs, amenées à produire un change-ment de la cu·lture de l'administration. Cette évolution culturelle visant une motivation accrue des agents publics, à travers une orientation plus affirmée vers les performances, la prise de risque et de décisions claires, demeure une gageure dans la plupart des projets de nouvelle gestion publique, parce que ces derniers ont le plus souvent été pensés uniquement en terme d'instruments

2 Les récents résultats de votations dans les Cantons de Vaud et de Genève, où le Souverain dit non à la fois à des nouvelles recettes et à la suppression de tâches, poussent le Gouvernement et l'administration à revoir, encore une fois serait-on tenté de dire, leur fonctionnement interne.

Réfonnes et légitimités du secteur public

de gestion. Sans vouloir disserter sur le choc des valeurs - entre mondes civique et marchand en particulier (BOLTANSKI et THÉvENOT, 1991) -, rappe-lons que l'on touche ici le niveau le plus abstrait de légitimation, soit le réfé-rentiel de valeurs et une fonne de Weltanschauung fondant l'action publique et l'existence même de l'Etat-nation tel que nous le connaissons aujourd 'hui.

Finalement, l'on pourrait encore rappeler ici l'importance, pour les entreprises privées souhaitant survivre et se profiler sur des marchés hautement compé-titifs, de bien connaître leur structure de coûts et d'apprécier l'adéquation de leurs prestations (biens et services) aux besoins évolutifs de leurs clients.

L'entrepreneur apporte ainsi une «valeur ajoutée» à ses clients, qui sont prêts à payer les prestations fournies, tout en assurant à son propre capital une rentabilité lui permettant de prospérer. S'il est clair que la finalité des organi-sations publiques ne saurait être celle de réaliser des profits ou de «rentabili-ser» leur capital, il faut voir ici une fonne de légitimité orientée sur la notion de «valeuD>, que les anglo-saxons appellent volontiers «Value for Money»

s'agissant de leurs services publics vus du point de vue des citoyens. Ainsi, l'efficience interne, au cœur des programmes de réductions budgétaires pré-sentement introduits, devrait se conjuguer avec la poursuite d'une efficacité managériale et politique accrue: meilleure adéquation des prestations four-nies par l'administration aux publics-cibles concernés, et cela autant dans le fond que dans la forme, et amélioration des effets contribuant à la résolution des problèmes publics identifiés. Pour y parvenir, nombre de méthodes déve-loppées avant tout au sein des entreprises privées, telles que la comptabilité analytique et les techniques de marketing, pourront être exploitées, tout en gardant encore une fois à l'esprit que la finalité de l 'administrati.:m publique demeure clairement différente de celle de l'entreprise privée. Les difficultés rencontrées dans certains projets de nouvelle gestion publique, qui ont par-fois abouti à l'interruption pure et simple des projets en cours, permettent toutefois de souligner que certains des outils mis en œuvre, typiquement ceux que nous venons de mentionner, demcurent utilisés parce qu'ils apportent plus de transparence dans la gestion des services (RlTz, 2003). En parallèle, on peut observer une tendance à simplifier le cadre normatif prescrivant les modalités de réalisation de l'action publique, comme c'est typiquement le cas dans le domaine du droit de la fonction publique (EMERvet UEBERHART, 1999), et l'émergence de clauses d'évaluation dans les nouvelles lois produites par les parlements fédéraux et cantonaux, clauses destinées à questionner périodiquement la pertinence des dispositions arrêtées par rapport à l'évolution

YVESEMERY

des problèmes publics concernés. Toutes ces tendances peuvent être rap-portées à une même source de légitimité, inspirée d'une approche fonctionnaliste de l'appareil administratif: celle de la finalité poursuivie par rapport aux besoins de la collectivité.

Si de très nombreux projets sont déjà développés dans ce sens, nous aime-rions dans le paragraphe qui suit mettre en exergue quelques pistes plus particulièrement porteuses pour, à notre sens, accroître la légitimité de l'action publique au sein de la population.