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Conception des formes, fonctions et modalités d’interaction avec Amelis

1 Référents théoriques

1.1 Enjeux psycho-ergonomiques des IHM dans un contexte gérontologique

Les référents théoriques psycho-ergonomiques applicables à l’étude de l’acceptabilité des technologies mettent en évidence un certain nombre de critères utiles pour le développement

124 d’IHM. Dans le Chapitre 2. du manuscrit, nous avons proposé une synthèse de ces critères organisée en onze items (tab.4) : la charge informationnelle, la cohérence interne, le contrôle, l’adaptabilité, la gestion des erreurs, le guidage, l’hédonisme, la compatibilité externe, l’utilité, la facilité d’apprentissage et la facilité d’usage

Ces critères sont applicables dès la conception afin de guider des choix tant sur la forme que sur le fonctionnement et les modalités d’interaction avec un système numérique. Par exemple, l’utilité perçue a priori peut participer au développement de fonctions constituées d’un artefact, ou encore, la charge informationnelle perçue peut conduire à modifier des choix graphiques pour la présentation d’informations sur une interface. Ces critères s’appliquent également à l’étude des usages. Dans le cadre du projet Amelis, ils constituent donc une grille d’analyse transversale qui suivra le processus de avant à pendant l’usage, comme proposé par la logique progressive du protocole de recherche.

Dans le cadre de l’étude B1E2, nous mobiliserons donc ces onze critères psycho-ergonomiques afin de spécifier le système Amelis. L’enjeu est d’ancrer ce travail dans le contexte spécifique du vieillissement. A ce propos, le Chapitre 3 du manuscrit proposait notamment une mise en perspective de ces critères avec les théories biopsychosociales du vieillissement. Au travers de ce travail interdisciplinaire, les spécificités des référents théoriques de l’acceptabilité pratique et sociale dans un contexte de vieillissement avaient été discutées. Les trois paragraphes suivants rappellent ces discussions théoriques en pointant les liens entre la biologie, la psychologie, puis la sociologie du vieillissement et les onze critères psycho-ergonomiques pour l’étude de l’acceptabilité d’une technologie (entre parenthèses et en italique).

L’étude des théories biologiques du vieillissement soulignent le fait qu’une IHM doit pouvoir être utilisée malgré des transformations des fonctions sensorielles, motrices et cognitives impactées par le processus de sénescence de l’organisme humain. Pour cela, il est important de promouvoir l’adaptabilité et la flexibilité du système (critère d’adaptabilité), son accessibilité holistique (critères d’utilité, de gestion des erreurs, de facilité d’apprentissage et d’usage, de contrôle), et son impact sur la charge cognitive de l’utilisateur traitant les informations sur l’interface (critères de charge informationnelle, de cohérence interne et de facilité d’usage). Dans ce contexte, les questions qui se posent sont par exemple : Est-ce que le système permet de compenser tout ou partie des difficultés perceptives ou motrices ressenties ? Est-ce que la présentation graphique des éléments sur l’interface sollicite un traitement cognitif trop important ? Ou encore, comment développer un système qui ne génère pas d’effort d’apprentissage ou d’utilisation trop intense au regard des capacités des sujets ?

La psychologie du vieillissement montre que le vieillissement est une expérience de vie complexe mettant en jeu le sujet dans l’ensemble de ses dimensions. Cette expérience varie mais les théories psychologiques du « bien vieillir » décrivent une évolution choisie ou contrainte des buts et valeurs des aînés, l’importance du sens donné à la vie mais également de la reconnaissance de soi. Ainsi, l’enjeu est de développer une IHM qui corresponde à ces mouvements psychologiques subis ou désirés par les aînés qui se transforment pour s’adapter (critères d’utilité, d’adaptabilité, d’hédonisme). Cette restriction de buts représente donc une stratégie à visée capacitante. En effet, cela permet au sujet de s’ajuster progressivement aux changements vécus en vieillissant tout en préservant, voire en développant de façon optimale, les capacités spécifiquement sollicitées pour la

125 poursuite des buts privilégiés. Dans cette démarche, il s’appuie sur son environnement au sein duquel une IHM peut représenter une ressource à condition qu’elle serve les buts poursuivis, sans leur faire obstacle et sans générer de contrainte, et que les aînés puissent s’en saisir comme un réel atout pour « bien vieillir » (critères de guidage, de gestion des erreurs, de compatibilité externe, de contrôle).

Enfin, les théories de la gérontologie sociale indiquent qu’une IHM utilisée par des aînés doit pouvoir accompagner un processus social et identitaire global, engageant les sujets vieillissants et la société, et par lequel le rôle, le réseau ainsi que les activités des aînés se redéfinissent. Notamment, on identifie une centration sur les liens forts et porteurs de sens, un engagement dans des activités significatives et une mise à distance des interactions coûteuses. L’IHM doit donc s’intégrer en cohérence avec ces caractéristiques sociologiques du vieillissement (critère de compatibilité externe) et s’adapter aux évolutions des buts, activités et des préférences chez la personne aînée (critères d’adaptabilité et d’utilité). Afin de limiter les interactions coûteuses avec l’artefact ou encore avec des tiers, l’IHM doit aussi être facilement utilisable. Cela implique que la personne puisse aisément apprendre à l’utiliser et se sente suffisamment accompagnée par le système pour une utilisation autonome, sans difficulté et sans l’inconfort éventuel du recours à l’aide d’un tiers (critères de facilité d’apprentissage, de facilité d’usage, de guidage, et d’hédonisme).

En résumé, au moment de la conception, les critères psycho-ergonomiques pour l’étude de l’acceptabilité a priori d’une IHM peuvent être mobilisés de deux manières. Premièrement, ils permettent d’opérer les choix pour le développement du système. Deuxièmement, ils permettent d’identifier les atouts et les limites potentiels du dispositif pour des aînés au regard des caractéristiques de l’expérience biopsychosociale du vieillissement. Trois caractéristiques biopsychosociales principales structurent cette expérience :

 Caractéristique 1 : une évolution des capacités sensorielles, motrices et cognitives qui oriente les aînés vers la sélection ou de développement de ressources internes comme externes qu’ils seront en mesure d’utiliser à des fins de maintien des capacités ou de compensation des déclins ;

 Caractéristique 2 : un resserrement des buts et des activités sur des objets signifiants pour le sujet, porteurs de sens vital ;

 Caractéristique 3 : une redéfinition du réseau social avec le renforcement des sociabilités fortes et une mise à distance des interactions sociales coûteuses.

1.2 L’agent virtuel émotionnel, une modalité d’interaction émergente L’agent virtuel émotionnel (AVE) correspond à une modalité d’interaction encore émergente. Des prototypes d’agents virtuels sont conçus, parfois testés, auprès d’aînés, mais leur développement n’a fait que rarement l’objet d’un travail concerté avec cette population. Le développement de l’AVE pour Amelis représentera donc un enjeu particulier. Après avoir défini ce qu’est un agent virtuel émotionnel, nous présenterons le modèle informatique de l’AVE d’Amelis puis une étude

126 de la littérature précisera ce que l’on sait des attentes des aînés envers ce type de personnage virtuel.

1.2.1 Définition de l’agent virtuel émotionnel

Les agents virtuels correspondent à des personnages en 2D ou 3D animés (Fig.25) capables de communiquer avec l’utilisateur d’un système en adoptant un comportement ressemblant à celui des humains, dans le but de favoriser des interactions les plus naturelles possibles (Wrobel et al., 2013). Leur manière de communiquer est multimodale. Ils peuvent s’exprimer de façon verbale et non-verbale. Dans le but de proposer une expressivité la plus réaliste possible ils doivent montrer une gestuelle et/ou des expressions faciales significatives.

Figure 25: Agent Virtuel MARC (Courgeon, 2011) utilisé pour développer l'AVE d'Amelis

La commande des réponses émotionnelles d’un agent virtuel repose sur des architectures informatiques et graphiques complexes (Courgeon, 2011). Le principe général du modèle informatique émotionnel d’Amelis est présenté par la figure 26 (Loued et Pigot, 2016). Dans le module émotionnel, la valeur émotionnelle d’un événement (ex : annuler un rendez-vous inscrit au calendrier) est évaluée par le système. A partir de cette valeur, le système déduit la réaction émotionnelle de l’agent virtuel et l’exprime sur l’interface (module expressif).

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Figure 26: Modèle informatique émotionnel d'Amelis, selon Loued et Pigot. (2016)

Ce processus d’évaluation puis de réponse émotionnelle dépend de plusieurs paramètres qui interagissent : un paramètre constant fixant la « personnalité » de l’AVE, une « valeur émotionnelle » pour chaque évènement, et un paramètre « humeur de l’AVE » résultant de l’interaction entre les deux paramètres précédents. La personnalité définit l’humeur neutre de l’AVE. Face à un évènement à l’instant t0, l’humeur va donc varier puis tendre à revenir progressivement à son état neutre initial à un temps t1.

Le rapport mathématique qui détermine le paramètre « humeur » en liant les paramètres «émotion» et « personnalité » est défini par le modèle PAD (Pleasure, Arrousal, Dominance) de Mehrabian et Russel (1974). Dans ce modèle PAD, le paramètre de personnalité est calculé à partir du Five Factor Model (FFM), qui constitue d’ailleurs l’un des modèles les plus utilisés pour développer la « personnalité » pour un AVE (Mehrabian, 1996 ; Kasap et Magnenat-Thalmann, 2007). Le modèle FFM, autrement référé sous le nom des Big Five, propose de structurer une personnalité selon cinq traits majeurs (« OCEAN ») :

- Ouverture à l'expérience (O, profondeur et originalité),

- Conscience (C, penser avant d'agir, organisation, planification…), - Extraversion (E, sociabilité, affirmation de soi, émotions positives…), - Agréabilité (A, orientation sociale, altruisme, confiance…),

- Névrosisme (N, éprouver des émotions négatives, tristesse, anxiété…).

Ainsi, la réponse émotionnelle de l’agent virtuel repose en partie sur les valeurs mathématiques composant son modèle informatique de personnalité.

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1.2.2 Etat de l’art sur les attentes de personnes aînées envers un agent virtuel

La similarité entre l’expressivité d’un agent virtuel (AV) et celle des humains enclencherait chez les aînés la perception d’interagir avec une machine personnifiée, ce qui lèverait des freins à l’usage de technologies (Ortiz et al., 2007). Afin de mieux comprendre l’ensemble des attentes des aînés envers les agents virtuels émotionnels, une revue de la littérature a été conduite (méthode adaptée de la scoping review présentée en Annexe G ; Arksey et O’Malley, 2005 ; Colquhoun et al., 2014 ; Peters et al., 2015). Trois catégories d’attentes ont émergé. Elles concernent l’apparence, le comportement, et des capacités spécifiques que l’AV doit démontrer (Tab.23). Les attentes pour l’apparence d’un AV portent sur sa taille à l’écran, son réalisme, les parties du personnage animées (embodiement) et la façon dont elles sont animées, le genre et l’âge, et la possibilité de personnaliser ou de styliser l’agent. On repère notamment qu’aucun consensus ne se dégage des études au sujet des attentes concernant le genre d’un AV, ou encore, que les aînés préfèrent qu’une seule partie du corps soit représentée et animée de façon réaliste à l’écran pour limiter la charge cognitive induite par ses mouvements. La revue de littérature montre aussi que les aînés apprécient la possibilité de personnaliser l’AV en choisissant notamment ses vêtements ou encore son âge avec une préférence pour un AV plus jeune que l’utilisateur.

Les attentes concernant le comportement de l’agent virtuel portent sur son rôle, la fonction qu’il accomplit auprès de l’utilisateur aîné et ses traits de personnalité. La littérature montre qu’au moment de leur conception, les AV se voient attribuer différents rôles comme celui de partenaire de jeu, d’ami, de pourvoyeur de soins relationnels (ou « caregiver »), ou encore d’assistant personnel. Les rôles d’assistant et d’ami semblent privilégiés par les aînés. Ils consistent respectivement à assurer des fonctions de gestion d’agenda et de rappels d’événements, et de stimuler la communication, la socialisation et la réalisation d’activités favorables au bien-être. Sous la forme d’assistant personnel, les aînés attendent un AV sérieux et performant, focalisé sur la tâche à accomplir. Dans l’absolu, l’AV stimule et guide la personne aînée sans se substituer à elle et sans être directif, il soutient une relation agréable et transmet des émotions positives.

La revue de littérature a également montré que les aînés attendraient deux capacités spécifiques chez un AV : la capacité d’adaptation et la capacité de sécurisation. Pour juger de la capacité d’adaptation d’un AV, les aînés s’attendent à ce qu’il sache réagir aux incertitudes et aux incompréhensions. Pour cela, il devrait déployer des stratégies adaptées pour une communication naturelle, s’assurer de la compréhension de l’utilisateur et mobiliser adéquatement les connaissances qu’il détiendrait concernant les goûts et besoins spécifiques de l’utilisateur. Par ailleurs, l’interaction avec un agent virtuel peut créer un sentiment d’insécurité. Pour limiter ce ressenti, les aînés s’attendent à ce que l’AV assure une sécurisation de leurs données et de leur personne. Ils sont rassurés lorsqu’ils connaissent « qui se cache » derrière un agent virtuel. Par ailleurs, la protection de leur intimité et de leur vie privée constitue une attente cruciale.

La revue de littérature a donc permis d’identifier des attentes de personnes aînées envers un agent virtuel. Le tableau 23 présente les principales attentes identifiées. Ces résultats théoriques sont intéressants pour guider la conception des caractéristiques graphiques et comportementales d’un agent virtuel. Ils seront confrontés aux résultats de l’étude ergonomique de la modalité d’interaction « agent virtuel » pour Amelis, ainsi qu’aux résultats de l’étude portant sur la caractérisation de l’apparence et de la personnalité de l’AVE. Ils révèlent aussi des liens avec les

129 caractéristiques du vieillissement. En effet, les attentes concernant l’apparence de l’agent virtuel semblent en grande partie dépendre des capacités sensorielles et cognitives des aînés. Le rôle attribué à l’agent ainsi que les fonctions tenues auprès des aînés semblent liés aux buts et activités signifiants. La question du réseau social et de la qualité des interactions traverse également les résultats. On identifie par exemple la primauté accordée aux rapports humains ou encore des attentes concernant la proposition d’un agent virtuel à la personnalité accompagnant. L’agent virtuel, selon ses caractéristiques, pourrait donc présenter un intérêt pour accompagner les aînés dans un parcours de « vieillissement réussi ».

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Attentes concernant l’APPARENCE de l’agent virtuel Références Taille à l’écran Pas de consensus

Cereghetti & al., 2015 Chattaraman & al., 2011 Chilcott & Smith, 2011 Costa & al., 2014 Cyarto & al., 2016 Marin Mejia, 2015 McSeveny & al., 2013 Spiekman & al., 2011 Tsiourti & al., 2016 Wrobel & al., 2013 Réalisme Pas de consensus

Animation Tête animée Genre Pas de consensus Âge Plus jeune que l’utilisateur Style et accessoires Possibilité de personnalisation

Attentes concernant le COMPORTEMENT de l’agent virtuel Bickmore & al., 2013 Cereghetti & al., 2015 Chattaraman & al., 2011 Chilcott & Smith, 2011 Costa & al., 2014 Cyarto & al., 2016 Heerink & al., 2010 Loued & Pigot, 2016 Marin Mejia, 2015 McSeveny & al., 2013 Spiekman & al., 2011 Tsiourti & al., 2016 Wrobel & al., 2013 Zancanaro & al., 2013 Rôle Assistant personnel

Ami

Fonction Gestion et rappel d’activités* Communication et socialisation* Bien-être physique et mental*

(* Uniquement pour les tâches que la personne ne peut faire ni seule, ni avec de l’aide) Traits de personnalité Agréabilité, émotions positives

Sérieux, performance, focalisation sur la tâche Stimulant, soutenant, guidant

Contrôlable, non directif Discret

Attentes concernant des CAPACITES SPECIFIQUES chez l’agent virtuel

Cyarto & al., 2016 Hanke et al., 2016 Heerink & al., 2010 McSeveny & al., 2013 Tsiourti & al., 2016 Zancanaro & al., 2013 Yaghoubzadeh & al., 2015 Adaptation Réagir aux incertitudes

Corriger et éviter les erreurs

Feedbacks et vérification de la compréhension par l’utilisateur

Pluralité de stratégies de communication (notamment communication naturelle, simple et concise) Personnalisation en fonction des caractéristiques de l’utilisateur

Communication naturelle d’informations simples et concises. Sécurisation Protection intimité

Sécurité de la personne

Ne se substitue pas aux rapports humains

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