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Référents théoriques de l’acceptation des technologies : une approche par les modèles

1 L’acceptabilité a priori, « avant » l’usage réel

Les théories de l'acceptabilité sociale et pratique (pour revue des théories et modèles voir Pasquier, 2012) sont particulièrement mobilisées avant l’usage réel de la technologie pour interroger les conditions pratiques et sociales d’acceptation de la technologie.

1.1 L’acceptabilité sociale

L’acceptabilité sociale s'intéresse aux représentations de l'individu et à ses intentions d'utiliser ou non une future technologie. Une question posée dans ce cadre serait par exemple : « est-ce qu’a priori, cette technologie est acceptable au regard des normes sociales ou des représentations sociales des futurs utilisateurs ? ».

28 Selon Pasquier (2012, p.26-42), les modèles princeps du cadre théorique de l’acceptabilité sociale, comme le TAM (Technology Acceptance Model, fig.4) par exemple, ne présentent pas originellement de dimensions sociales7. Pour reprendre le cas du TAM développé par Davis et collègues en 1989, ce modèle se structure en quatre composantes fondamentales qui sont l’utilité perçue (U), la facilité d’utilisation perçue (EOU), l’intention comportementale (BI) et le comportement d’utilisation. Ainsi, les caractéristiques de la technologie seraient évaluées a priori par les futurs utilisateurs. Leurs attitudes (A) seraient modulées par l’utilité ou la facilité d’usage du système qu’ils anticipent. Elles participeraient ainsi à la formation de leurs intentions d’utiliser la technologie, et par conséquent, se répercuteraient sur leur utilisation effective.

Figure 4: Technology Acceptance Model – TAM (source http://www.vvenkatesh.com/organizations/Theoretical_Models.asp)

Pour enrichir ces modèles, trois types d’évolutions (ib., p.43-61) ont conduit à la prise en compte de facteurs sociaux dans l’étude de l’acceptabilité sociale. En référence notamment aux théories psychosociales de l’Action Raisonnée (TAR, développé par Fishbein et Ajzen en 1975 ; voir par exemple Ajzen, 1991) et du comportement planifié (TCP, développé par Azjen en 1991) (ib., p. 43-90) des évolutions des modèles de l’acceptabilité, sous des formes « composites », ont été proposées (Bobillier Chaumon, 2016, p.7).

Un premier type d’évolution a spécifié les composantes organisationnelles qui entrent en jeu dans la formation des intentions d’usage. Ces composantes renvoient aux niveaux intra-individuel, interpersonnel, statutaire et culturel du contexte social, parmi lesquels la dimension sociale apparaît en plusieurs endroits.

Une seconde évolution s’exprime dans les modèles actualisés du TAM (TAM2 et TAM 3). Selon Pasquier, la dimension sociale de l’acceptabilité est ici assimilée à un phénomène de conformisme social (Pasquier, 2012, p.61).

Enfin, une troisième évolution aboutit à la combinaison de plusieurs modèles. Le modèle UTAUT (Unified Theory of Acceptance and Use of Technology, fig.5) est une de ces combinaisons

7 Pasquier investigue les modèles et définitions de l’acceptabilité selon Schakel, 1991 ; Nielsen, 1993 ; les normes ISO relatives à l’utilisabilité ; Goodhue et Thompson, 1995 (modèle d’ajustement à la tâche, TTF) ; Oliver, 1977 (infirmation des attentes) ; Rogers, 2003 (théorie de la diffusion de l’innovation) ; Davis, 1989 (acceptation des technologies, TAM).

29 significatives dans le champ de l’acceptabilité sociale. Développé par Venkatesh et collègues au début des années 2000, UTAUT reprend les principes de performance attendue et d’effort envisagé, qui sont respectivement proches des variables de l’utilité et de la facilité d’utilisation perçues présentes dans le TAM. Deux variables supplémentaires sont ajoutées (influence sociale et conditions facilitatrices). Ainsi, dans UTAUT, quatre variables influenceraient l’intention comportementale précédant la formation des intentions d’usage de la technologie. Cependant, quatre facteurs modéreraient l’influence de ces variables : l’âge, le genre, l’expérience et la volonté d’usage. Dans ce modèle la dimension sociale de l’acceptabilité apparaît donc sous la catégorie de « l’influence sociale » (Pasquier, 2012, p. 43 et 61).

Figure 5: Modèle UTAUT (source http://www.vvenkatesh.com/organizations/Theoretical_Models.asp)

Les modèles TAM et UTAUT présentent une bonne validité quant à l’explication des intentions d’usage d’une technologie qui se forment chez un individu (Peek et al., 2014, p.137). Les deux variables fondamentales du TAM qui sont l’utilité et la facilité d’usage perçues expliqueraient à elles seules 40% de ces intentions d’usage. Avec les variables enrichissant le modèle UTAUT, la capacité d’explication des intentions d’usage serait de 70%.

Bien qu’intéressants, ces modèles font pourtant l’objet de quelques critiques. D’une part, ils ne prennent pas en compte le fait que l’acceptabilité puisse varier dans le temps (Peek et al., ib.). Par ailleurs, en étant utilisés avant l’introduction de la technologie, ils ne permettent pas d’analyser le processus de construction des usages réels (Bobillier et Dubois, 2009, p.356). Le TAM, par exemple, est explicatif d’une partie des intentions d’usage en amont mais il n’est pas un prédicteur efficace de l’usage réel (Peek et al., ib.). D’autre part, ces modèles proposent une vision décontextualisée (voire désincarnée) d'un utilisateur qui est souvent envisagé comme s’il était totalement rationnel dans ses choix, ses intentions d’actions et ses comportements effectifs (Bobillier et Dubois, 2009, p.361). Enfin, les modèles TAM et UTAUT omettraient de considérer certains facteurs essentiels dans l’acceptation des technologies par certaines populations spécifiques, notamment les personnes âgées (Chen et Chan, 2011).

L’acceptabilité sociale a priori se révèle donc utile pour l’évaluation des intentions d’usage mais insuffisante prédire des usages réels d’une technologie.

30 1.2 L’acceptabilité pratique (ou opératoire)

L’acceptabilité pratique évalue l’utilité et l’utilisabilité (Barcenilla et Bastien, 2009), ainsi que l’accessibilité (Giraud, 2014) d’un dispositif. Ce courant se situe spécifiquement dans le cadre de l’ergonomie des IHM (Interactions Humain-Machine), qui postule que l’acceptation d’un dispositif technique sera d’autant plus forte qu’il répondra aux besoins instrumentaux et pratiques des sujets et leur offrira une expérience utilisateur satisfaisante. Une question qui peut se poser dans ce cadre est : « est-ce que la technologie permet de réaliser une action en atteignant le but fixé de façon efficiente ? ». On constate ainsi que l’étude de l’acceptabilité pratique se situe à l’intervalle entre les moments « avant » et « pendant » l’usage de la technologie. Ses concepts s’appliquent dès la conception et ils sont utiles dans des phases de tests d’usage souvent très proches de l’implantation du système en conditions réelles. Ils peuvent également servir à évaluer un système déjà utilisé (par exemple, pour comprendre des difficultés rencontrées par les utilisateurs).

1.2.1 Utilité et utilisabilité

Une technologie utile offre une adéquation entre les buts ou besoins de l’utilisateur et les objectifs effectivement atteints en utilisant le système. L’utilisabilité est un concept normalisé sur le plan international comme Barcenilla et Bastien (2009) le rappellent. La norme ISO/IEC 9126 spécifie que « l’utilisabilité est une caractéristique de l’usage et compte cinq composantes » que sont la « facilité de compréhension, d’apprentissage, d’utilisation, le pouvoir d’attraction, la conformité réglementaire. ». D’après la norme ISO 9241-11, l’utilisabilité réfère au « degré selon lequel un produit peut être utilisé, par des utilisateurs identifiés, pour atteindre des buts définis, avec efficacité, efficience et satisfaction, dans un contexte d’utilisation spécifié ».

L’efficacité correspond à la capacité effective de l’utilisateur à satisfaire aux objectifs de la tâche. Cela se mesure grâce au résultat obtenu (réussite/échec ou écart nul/partiel/total) par rapport à l’objectif prévu. L’efficience se rapporte à l’effort fourni pour réaliser la tâche. Ainsi, lorsque l’effort est faible, l’efficience est bonne. Un effort important indique une charge de travail importante générée par l’usage d’un outil ou d’un dispositif. La satisfaction est proche de ce que l’on nomme « l’expérience utilisateur ». Il s’agit du degré de plaisir ressenti par l’utilisateur. Ainsi, la norme ISO/IEC CD 25010.2 préconise la mesure du confort, de la confiance dans le produit, et des réponses émotionnelles qu’il suscite.

Il apparaît donc que l’évaluation de l’utilisabilité repose sur des mesures qualitatives et quantitatives à partir d’une utilisation effective de l’outil. Dans le domaine des IHM, un ensemble de critères d’utilisabilité d’une interface peuvent être répertoriés. Le tableau présenté en annexe B propose une synthèse de ces critères ergonomiques, liés à l’usage d’interfaces web ou de logiciels particulièrement. Huit critères principaux sont présentés. Ils concernent la densité des informations, la briéveté, le guidage, l’homogénéité et la cohérence, l’esthétique, la gestion des erreurs, le contrôle explicite et l’adaptabilité du système. Ils se subdivisent ensuite en 16 sous-critères. Cette synthèse repose sur l’étude des travaux de Bastien et Scapin (1993), Boucher (2009), Meinadier (1991), Scapin (1986), Shneiderman (1998), ainsi que Villey Migraine (2004).

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1.2.2 Accessibilité numérique

L’accessibilité numérique renvoie à la prise en compte des besoins spécifiques de tous les utilisateurs, notamment ceux présentant des déficits cognitifs, sensoriels, moteurs ou des désavantages sociaux ou culturels. Dans une logique de « conception inclusive » ou « universelle », les dispositifs technologiques sont adaptés pour en permettre un accès non discriminant. Deux approches s’affrontent concernant l’accessibilité. Premièrement, l’approche «exhaustive » vise à assurer l’accessibilité normative – selon le postulat que l’accès au dispositif sera facilité par l’application de normes officielles8 d’accessibilité. La deuxième approche, «holistique » vise l’accessibilité normative et l’accessibilité effective. C’est l’utilisabilité réelle de l’interface qui est recherchée grâce à l’analyse des contextes et expériences d’usage. Elle se montre particulièrement pertinente dans le contexte de la déficience visuelle en permettant de réduire la charge cognitive et de favoriser l’utilisabilité de lecteurs d’écrans (Giraud, 2014).

1.3 Complémentarité et synthèse

1.3.1 Complémentarité de l’acceptabilité sociale et pratique

Les approches de l’acceptabilité sociale a priori et de l’acceptabilité pratique se complètent en prenant en compte des dimensions individuelles et collectives, objectives et subjectives, liées aux sujets et aux objets. Le modèle de Nielsen (datant de 1993 présenté en fig.6, à partir de Tricot et al., 2003, p.397) présente d’ailleurs une volonté de regrouper ces aspects pratiques et sociaux. Aussi, « l'acceptabilité sociale fait référence au degré avec lequel le système obéit et/ou satisfait aux exigences de la société (éthique, légalité, etc.). L'utilisabilité et l'utilité « théorique » (c'est-à-dire le but que le système est censé permettre d'atteindre) sont deux dimensions de l'utilité «pratique » (c'est-à-dire le but que le système permet effectivement d'atteindre). L'utilité pratique est elle-même une sous-dimension de l'acceptabilité pratique » (Bastien et Tricot, 2008, p.209).

Figure 6: Modèle de l'acceptabilité selon Nielsen

8 Exemple : EN 301 549 « destinée notamment aux organismes publics afin de s’assurer que les produits et services des TIC sont accessibles directement ou à partir d’un ajout supplémentaire d’une interface d’assistance compatible, telle que l’oralisation du texte pour un public déficient visuel » (Giraud, 2014, p.12)

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1.3.2 Une proposition de synthèse des critères communs

Dans la mesure où les théories et modèles de l’acceptabilité sociale et pratique se complètent, les critères qu’ils évaluent doivent donc pouvoir être regroupés. Néanmoins, les points précédents permettent de comprendre que cela représente un nombre de concepts important. Nous avons donc construit une synthèse dans laquelle nous proposons de réunir les deux approches autour de onze critères psycho-ergonomiques clés (tab.4). Cette synthèse offre une grille de lecture et d’analyse de l’acceptabilité a priori et/ou dans l’usage des IHM.

Critère Définition

Charge

informationnelle

Quantité d’informations ou de composants et leur représentation graphique (ex : taille, espacement, lisibilité des éléments) sur l’IHM pouvant engendrer une charge mentale. Cohérence

interne

Concordance des informations, composants et actions (ex: dénomination, vocabulaire, codes, couleurs, formats) proposés d’un écran à l’autre.

Contrôle

Possibilité pour l’utilisateur de maitriser le lancement et le déroulement de ses actions jusqu’à l’achèvement du but (ex : système qui n’exécute que les actions demandées, pas trop prescriptif ; utilisation explicite et facile pour éviter les erreurs motrices).

Adaptabilité Flexibilité, capacité de l’IHM à réagir, à s’adapter et à être personnalisée selon le contexte, les besoins, les préférences et le degré d’expertise des utilisateurs.

Gestion des erreurs

Réduction ou absence d’interruptions et d’erreurs ; possibilité d’identifier clairement et de corriger les erreurs lorsqu’elles surviennent.

Guidage Assistance offerte à l’utilisateur pour initier des actions et vérifier l’état du système et/ou l’état d’avancement de son action en cours.

Hédonisme Perceptions esthétiques et réactions émotionnelles suscitées par le design de l’interface et/ou l’utilisation du système.

Compatibilité externe

Cohérence et compatibilité de l’IHM avec : le monde réel, le contexte social, ainsi que le langage, les référents et les logiques d’actions des utilisateurs.

Utilité Pertinence des fonctions au regard des besoins réels ; buts que le système permet d’atteindre et efficacité avec laquelle ces buts sont atteints.

Facilité

d’apprentissage

Coûts ou efforts d’apprentissage VS connaissances déjà acquises ou conditions facilitatrices du processus d’apprentissage permettant l’usage du système.

Facilité d’usage Aisance à comprendre et à effectuer les actions nécessaires à l’utilisation du système sans que l’usage ne sollicite trop d’efforts chez l’utilisateur.

Tableau 4: Synthèse des critères psycho-ergonomiques pour l'étude de l'acceptabilité a priori et/ou dans l’usage d’une IHM 1.3.3 Conclusion

Les deux approches de l’acceptabilité sociale et pratique se complètent pour l’analyse du rapport entre les technologies et des utilisateurs potentiel. Ils sont intéressants à mobiliser en amont de l’usage, dans des phases de conception par exemple. Dans une certaine mesure, ils peuvent aussi être utilisés après la conception. Par exemple, ils peuvent structurer une démarche de tests utilisateurs. Ils permettent alors d’analyser le rapport des personnes à la technologie en se référant à une première expérience d’utilisation.

Ainsi, l’approche par l’acceptabilité permet d’anticiper et d’objectiver une part du rapport d’acceptation qui se construit entre les utilisateurs et les technologies. Cependant, cela fige la mesure à un moment donné sans pouvoir suffisamment rendre compte du processus d’acceptation global dans le contexte dynamique et situé de l’activité agie et éprouvée. De plus, cela ne tient pas

33 non plus compte « de la communauté sociale et de pratiques dans lesquelles ces technologies s’inscrivent» (Bobillier Chaumon, 2016, p.12).

Pour conclure, l’acceptabilité sociale et l’acceptabilité pratique sont intéressants dans le moment « avant » l’usage. Mais ces référents théoriques ne permettent pas de prédire avec exactitude l’acceptation réelle d’une technologie, ni de l’expliquer. Pour une étude fine de l’acceptation réelle, il est donc pertinent de recourir à une approche située. Cette approche est présentée dans la partie suivante.