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Axe . Théories sociologiques du vieillissement et dimension sociale de l’acceptation

Discuter l’acceptation des technologies dans un contexte gérontologique : Approche interdisciplinaire

1 Axe . Théories sociologiques du vieillissement et dimension sociale de l’acceptation

Les référents théoriques présentés pour l’acceptation des technologies montrent que ce concept a une dimension sociale. Dans le cadre de l’acceptabilité sociale, la technologie est d’autant plus acceptable qu’elle rencontre a priori les attentes et représentations de la société. La théorie instrumentale met en évidence que l’instrument a une construction sociale. Le social est présent dès la conception de l’artefact puis, lors de son appropriation par le sujet puisque les schèmes

41 s’élaborent en partie au cours d’interactions sociales. L’instrument a également une portée sociale dans la mesure où il soutient des médiations interpersonnelles. Enfin, le cadre de l’acceptation située considère pleinement le processus d’acceptation en fonction du contexte systémique et dynamique dans lequel il se déroule.

Le vieillissement a également une dimension sociale. La gérontologie analyse la réalité sociale du vieillissement en théorisant les interactions entre la personne aînée et son environnement social proche (famille, amis, etc…) mais aussi général (société). Les théories de l’activité, du désengagement et de la déprise mettent en évidence la manière dont le processus de vieillissement engage la redéfinition des rapports sociaux. Cette redéfinition reposerait sur des stratégies d’ajustement réciproque entre aînés et Société.

1.1 Théories du vieillissement social

La théorie de l’activité développée par Havighurst et Albrecht dans les années 1950 propose que la perte de certains rôles sociaux (comme ceux liés à la profession exercée avant un départ à la retraite) soit compensée par la création ou l’intensification de rôles nouveaux ou moins centraux jusqu’alors (Katz, 2000). Cette approche met en avant la possibilité pour les aînés de s’engager dans de nouvelles activités afin de demeurer insérés dans la société.

La théorie de la déprise met aussi en avant ce mouvement de concentration des rapports sociaux (Barthe, Clément et Druhle, 1988). La déprise est un processus de réaménagement des activités qui permet de gérer une perte d’élan vital liée au vieillissement. C’est donc un processus développemental qui suppose que les aînés déploient leur créativité et leur pouvoir d’agir. Aussi, «la déprise apparaît comme un principe d’économie des forces, un travail de prévention consistant à se ménager afin de continuer à faire ce qui a le plus de sens pour soi.» (Caradec, 2001, p.98). Sur le plan social, les liens « forts » sont préservés. Ils « caractérisent le cercle social intime des individus aux attributs semblables, alors que les liens faibles caractérisent les relations peu fréquentes et périphériques entre individus différents. » (Lin, 1995, p.691).

Selon la théorie de la déprise, les aînés se replient donc stratégiquement dans des espaces où les interactions sont les plus significatives (ex : entretenir le rapport affectif avec les petits-enfants), alors que les interactions les plus coûteuses sur le plan vital sont mises à distance (ex : vivre des rapports de concurrence dans une association). La théorie du désengagement envisage cette mise à distance de façon plus radicale. Dans cette approche, les aînés seraient engagés universellement, inévitablement et irrémédiablement dans un retrait de la vie sociale. Ce mouvement de retrait serait réciproque entre les aînés qui se centreraient sur les valeurs leur paraissant essentielles, et la société qui leur attribuerait moins de rôles sociaux. Selon la théorie du désengagement, ce double mouvement est fonctionnel, il aboutit à un équilibre social nouveau qui doit satisfaire à la fois la personne aînée et la société (Caradec, 2001). A partir de cet équilibre, on assistera potentiellement à un accroissement de l’isolement social de la personne âgée à moins que cette dernière développe de nouveaux engagements comme le suggère la théorie de l’activité (Maâlaoui et al., 2012). Le vieillissement n’est donc pas qu’un processus intra-individuel, c’est aussi une expérience identitaire et relationnelle ancrée dans un contexte social. Au fil de l’avancée en âge, les relations

42 sociales soutiennent des transactions identitaires de types « relationnelles » qui trouvent leur source dans l’image de soi renvoyée par autrui9. Ainsi, « le vieillissement advient au cours des interactions quotidiennes » (Caradec, 2001, p.104). Pour que ces interactions aient une valence positive et soient favorables aux aînés, différents facteurs entreraient en jeu : qualité et durabilité des relations avec la famille et les amis, réciprocité, spiritualité, et réseaux sociaux intergénérationnels (Bonder et Bello-Haas, 2009, p.386).

1.2 Liens théoriques entre le vieillissement et l’acceptation des technologies

La redéfinition du réseau, des activités et des rôles sociaux des aînés constitue donc une composante théorique forte du vieillissement social. Les théories gérontologiques de l’activité, de la déprise et du désengagement mettent en évidence que le vieillissement social s’accompagne : - d’un processus de redéfinition de l’identité sociale de la personne aînée, engageant aussi bien la personne que la société,

- d’une centration sur les liens forts et porteurs de sens,

- d’un engagement dans des activités nouvelles et/ou significatives, - d’une mise à distance des interactions coûteuses.

Ces quatre points permettent d’éclairer sous un angle gérontologique une partie des référents théoriques relatifs à la part sociale de l’acceptation des technologies.

1.2.1 Spécification des facteurs liés au réseau social et à son influence

Le cadre de l’acceptabilité sociale considère que l’influence sociale est un facteur modulant l’intention d’usage d’une technologie. On retrouve aussi ce facteur d’influence sociale au travers de la dimension interpersonnelle et de la dimension transpersonnelle de l’acceptation située. Au cours du vieillissement, selon les théories gérontologiques, le réseau social se resserre autour de la personne aînée dont l’identité et les rôles sociaux évoluent. Ainsi, ce sont les interactions au sein de ce réseau restreint et l’influence sociale exercée par les membres le composant qui pourraient favoriser ou non l’acceptation d’une technologie par un aîné.

Cette proposition est théorisée par Caradec (1999). Les proches assureraient, activement ou passivement, une médiation qui peut faciliter l’acceptation d’une technologie ou la freiner. Les médiations favorables à l’acceptation sont caractérisées par la figure métaphorique du pont, les

9 L’autre type de transaction identitaire proposé par Caradec (2001) correspond à des transactions dites « biographiques ».

43 autres sont symbolisées par la figure de la porte. Quatre types de médiations par les tiers se dégagent et influencent l’acceptation de la technologie par la personne âgée : active, pont-passive, porte-active, porte passive.

Le tableau 6 illustre ces médiations porte/pont analysées dans le cadre d’un projet de conception d’un environnement pervasif de téléassistance au domicile de personnes âgées (Bobillier Chaumon et al., 2014). Parmi ces modalités de médiation, la modalité « passive » est la moins évidente à appréhender car elle met en jeu les représentations que les aînés se construisent des tiers et de la technologie. Figure Pont Porte Médiation Active Favorable à l’acceptation

La famille encourage l’acquisition et l’usage du dispositif CIRDO.

Défavorable à l’acceptation

Le dispositif est utilisé par les aidants pour contrôler et surveiller la personne aînée.

Passive

Favorable à l’acceptation

La personne aînée perçoit le dispositif comme un moyen pour rassurer et décharger ses aidants.

Défavorable à l’acceptation

La personne âgée perçoit le dispositif comme un révélateur de ses fragilités ou comme un obstacle aux relations sociales. Tableau 6: Médiations dans l'acceptation de la technologie CIRDO - Extraits (Bobillier Chaumon et al., 2014)

1.2.2 Spécification des facteurs liés aux activités sociales instrumentées

Selon les référents théoriques de l’acceptation, une technologie est d’autant plus acceptable qu’elle soutient l’activité de l’utilisateur. Selon les théories gérontologiques de l’activité et de la déprise, le vieillissement se traduirait par un engagement dans des activités privilégiées. D’autre part, la théorie du désengagement présente le vieillissement comme un mouvement retrait réciproque de la personne âgée et de la société. Dans ce mouvement de désengagement, les activités et les relations interpersonnelles se réduiraient d’autant plus.

Ainsi, la personne âgée sélectionne les activités dont l’objet présente un sens particulier. Elle sélectionne aussi les autres sujets avec qui interagir. Dans un contexte gérontologique, une technologie sera acceptable si elle soutient les activités dont l’objet est au centre des préoccupations des aînés. La technologie devra aussi favoriser des médiations interpersonnelles adressées à un cercle restreint de tiers.

1.3 Conclusion de l’axe « social »

Pour conclure, les théories de la gérontologie sociale permettent de spécifier des concepts théoriques de l’acceptation des technologies. La gérontologie sociale permet d’éclairer spécifiquement les facteurs sociaux de l’acceptabilité sociale a priori, les concepts de médiations interpersonnelles et de médiations vers l’objet d’activités rattachés à l’approche instrumentale de l’acceptation, ainsi que les dimensions interpersonnelles et transpersonnelles du cadre de l’acceptation située. En établissant les liens théoriques entre ces concepts et la gérontologie

44 sociale, l’acceptation des technologies par les aînés peut être interrogée de manière spécifique au vieillissement (tab.7).

Tableau 7: Théories sociologiques du vieillissement et dimensions sociales de l'acceptation des technologies – Synthèse

Dans le chapitre 2, nous avions identifié le caractère situé de l’acceptation des technologies. Ainsi, l’objectif du présent chapitre est de préciser les concepts de l’acceptation dans le cadre gérontologique. Nous avons commencé par expliciter les liens théoriques entre la dimension sociale de l’acceptation et celle du vieillissement. Dans le point suivant, nous poursuivons cette analyse interdisciplinaire en discutant du rapport entre l’acceptation des technologies et les théories biologiques du vieillissement.

2 Axe 2. Théories biologiques du vieillissement et dimension