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Axe. Théories psychologiques du vieillissement et dimension située de l’acceptation

Discuter l’acceptation des technologies dans un contexte gérontologique : Approche interdisciplinaire

3 Axe. Théories psychologiques du vieillissement et dimension située de l’acceptation

Le vieillissement peut se définir comme une expérience complexe vécue par le sujet impliquant son corps biologique et perçu, son histoire personnelle, culturelle et sociale, et le contexte spécifique et dynamique dans lequel il vit. Le vieillissement est donc un processus de développement psychologique que l’on peut envisager du point de vue de celui ou celle qui le vit. En gérontologie, les théories psychologiques du vieillissement réussi permettent d’envisager ce développement dans une approche intra-individuelle. Cette composante subjective et expérientielle se retrouve dans les référents théoriques de l’acceptation des technologies.

51 3.1 Théories psychologiques du vieillissement réussi

3.1.1 Le « vieillissement réussi » par la préservation de capacités

Le concept psychologique de vieillissement réussi a été développé par Rowe et Khan (1987). Dans ce cadre, « bien vieillir » est un état qui résulte d’une démarche pro-active de préservation de trois capacités clés. Premièrement, il faut préserver la capacité à éviter la maladie et les handicaps, à se prémunir des risques en évitant les conduites dangereuses et en gardant une attention aux signes cliniques silencieux qui indiqueraient le développement d’une pathologie. Ensuite, bien vieillir suppose de maintenir un haut niveau de fonctionnement cognitif et physique. Enfin, un vieillissement réussi passe par le maintien de son engagement dans une vie active par la réalisation d’activités occupationnelles et par des activités sociales relationnelles notamment avec les proches. Trois critères sont alors déterminants : la densité, la qualité et l’adéquation du réseau. Ces activités sont aussi des sources de soutien aussi bien instrumental que socio-émotionnel. Les comportements de soutien par les proches seraient d’autant plus importants qu’ils encourageraient l’autonomie et le contrôle des aînés («autonomy-enhancing», Rowe et Khan, 1987, p.147). Ce modèle théorique présente le vieillissement réussi au travers de critères objectifs et très normatifs. Cette théorie sous-entend aussi qu’on ne pourrait pas « bien vieillir » lorsque l’on expérimente des déclins ou des maladies liées à l’âge. Cette approche a été vivement critiquée ; le concept de vieillissement réussi a donc évolué pour davantage rendre compte de sa dimension développementale.

3.1.2 S’adapter au vieillissement

Pour Baltes et Baltes (1990), le vieillissement réussi correspond à un processus d’adaptation impliquant un ensemble coordonné de sous-processus : sélection, optimisation et compensation (SOC). Le principe général de ce modèle se résume ainsi : si le sujet met en œuvre des stratégies de SOC, alors son vieillissement sera réussi. Ces sous-processus ont un rôle propre mais aussi conjoint dans le développement positif et la mise en œuvre de régulations efficaces tout au long de la vie. Le sujet sélectionne les buts qu’il souhaite poursuivre (S). Cette sélection dépend soit des préférences et désirs du sujet (sélection élective), soit d’une contrainte biologique, psychologique ou sociologique entraînant la nécessité de réorganiser les buts (sélection négative). Le sujet détermine et optimise les moyens pertinents à mettre en œuvre pour atteindre ces buts privilégiés (O). Dans le cas où il expérimenterait des difficultés l’empêchant de recourir à ces moyens, alors il mobilisera des stratégies de compensation (C). Le processus SOC évolue avec l’âge. Plus le sujet vieillit en expérimentant des pertes, plus il privilégie des stratégies visant à prévenir ou contrecarrer des pertes (C) plutôt que des dynamiques visant à gagner des ressources (O). L’utilisation d’aides extérieures, comme des technologies, constituent un exemple de stratégie externe de compensation. Aussi, « pour maintenir un bon fonctionnement chez l’âgé, il est nécessaire que la société lui fournisse des ressources qui créent un environnement favorable (age-friendly environment) pour l’optimisation et la compensation » (Freund et Riediger, 2001). La manière dont ces trois processus stratégiques SOC se réalisent dépend donc des ressources personnelles du sujet, des ressources disponibles dans son environnement, et de l’interaction dynamique entre le sujet et l’environnement (Freund et Baltes, 2003). Ces ressources sont à la fois données au sujet et produites par lui. En somme, pour choisir, poursuivre et atteindre ses buts

52 personnels à des fins de vieillissement réussi, il faut que le sujet dispose de ressources personnelles et environnementales qu’il puisse mobiliser de façon optimale.

3.1.3 Actualiser son potentiel de façon optimale

La théorie de l’actualisation optimale du potentiel en lien avec les sens de la vie (Leclerc, 2002 ; Lefrançois et al., 1998) enrichit les travaux déterministes de Baltes et Baltes, ainsi que l’approche adaptative de Rowe et Khan, en mettant en évidence l’importance des dimensions subjectives et spirituelles dans le processus de vieillissement réussi.

« Quand on définit le vieillissement réussi (…) comme un idéal optimal qui prend en compte le point de vue subjectif du sujet et qui tient compte de sa situation, de ses ressources personnelles et de celles de son milieu, on peut mieux expliquer pourquoi certaines personnes, même très âgées et handicapées, peuvent réussir leur vieillissement, (Leclerc, 2002, p.73).

Dans ce cadre, on considère que chaque personne tente de se réaliser pour réussir son vieillissement. L’atteinte de ce but requiert d’actualiser ses potentiels, c’est-à-dire de développer de façon optimale plusieurs de ses capacités en tenant compte de ses ressources et de celles de son environnement. Ce développement optimal doit reposer sur des objectifs « atteignables » en fonction de critères que le sujet se fixe lui-même (il ne s’agit donc pas d’un développement « maximal » qui se rapporterait à des critères normatifs universels comme dans la théorie de Baltes et Baltes). Le sens donné à la vie est fondamental dans ce processus. Il renvoie à l’ensemble des valeurs et croyances qui attribuent une orientation, une valeur et une signification à la vie, et dans lesquelles s’ancrent nos buts et finalités. Une des plus grandes sources de sens à la vie est d’être « en lien ». Cette expression « être en lien » est à entendre dans un sens vraiment large, par exemple : être en lien avec une cause qui nous est chère, en assurant la charge d’un animal de compagnie, en développant sa spiritualité ou encore, en entretenant des relations interpersonnelles.

Pour synthétiser, les théories psychologiques du bien vieillir révèlent le vieillissement comme une activité développementale. Cette activité repose sur l’engagement du sujet dans une démarche d’adaptation motivée notamment par le sens donné à la vie. Le sens donné à la vie est un concept qui se décompose selon trois dimensions :

- Téléologique, en rapport avec les buts et les orientations poursuivis, - Axiologique, en fonction des valeurs du sujet,

- Sémantique, référant à la signification accordée aux phénomènes.

Le recours à des stratégies et moyens d’optimisation des ressources et/ou de compensation des pertes est incontournable pour « bien vieillir ». Le vieillissement réussi est également un processus relationnel et co-produit dans la mesure où il se déroule au fil des interactions entre la personne aînée et son environnement.

53 3.2 Vieillissement réussi et acceptation des technologies

Les théories du vieillissement réussi permettent de comprendre qu’une technologie destinée à être utile dans le quotidien d’une personne âgée n’est pas acceptable en soi. Cette technologie doit s’inscrire en cohérence avec l’expérience complexe du vieillissement qui met en jeu la subjectivité de la personne aînée, ses buts et motivations pourvoyeurs de sens, ses ressources internes et externes ainsi que les stratégies qu’elle déploie pour s’adapter au vieillissement dans la situation et le milieu qui sont les siens.

3.2.1 Spécification des référents sur les buts et les valeurs

La notion de buts se retrouve dans le critère de volonté d’usage proposé par le modèle UTAUT, dans les critères d’utilité et d’utilisabilité de l’acceptabilité pratique des technologies, ainsi que dans l’objet des activités médiatisées par des instruments. Dans ces modèles, la nature de ces buts n’est pas précisée. Les théories psychologiques du vieillissement précisent que le sujet se centre progressivement sur la poursuite de buts privilégiés. Cette priorisation est opérée soit par nécessité, soit pas choix. Lorsqu’il s’agit d’une nécessité, le but poursuivi par le sujet est biologiquement, socialement ou psychologiquement contraint.

Dans cette situation, l’acceptation de la technologie sera probablement favorisée par le caractère obligatoire voire vital du but poursuivi, plus que par les valeurs ou la subjectivité de la personne aînée. Par contre, lorsqu’il s’agit d’un choix, le sujet peut réaliser un souhait, satisfaire un désir ou une envie. Alors, le but présente une composante hédonique. Dans ce contexte, les facteurs d’acceptation liés au sens et aux valeurs auront potentiellement un impact plus fort. Finalement, selon le contexte et la façon dont le sujet âgé détermine les buts qu’il poursuit, il peut être difficile de hiérarchiser l’importance des valeurs et celle des besoins dans le processus d’acceptation d’une technologie.

3.2.2 Spécification des éléments rattachés aux capacités du sujet

Parmi les référents théoriques de l’acceptation, on identifie l’importance que la technologie s’adapte aux capacités de la personne, que l’apprentissage et l’usage soient cohérents avec les capacités perçues a priori et vécues réellement par l’utilisateur, et aussi que l’instrument permette au sujet de déployer son pouvoir d’agir. Le vieillissement réussi suppose que la personne aînée puisse maintenir, optimiser et développer ses capacités. Dans ce contexte, le fait que la technologie permette au sujet de déployer concrètement ses capacités au service du bien vieillir sera un critère important d’acceptation. Par ailleurs, pour bien vieillir, la personne devra aussi parvenir à compenser la perte de capacités en recourant à des ressources personnelles et environnementales. D’après les théories gérontologiques, l’environnement est donc un appui capacitant (Falzon, 2005) pour soutenir le vieillissement réussi de la personne aînée. Une technologie acceptable doit donc être en mesure de tenir ce rôle de ressource capacitante d’un point de vue :

- Préventif, en préservant la personne des risques pesant sur leurs capacités d’actions futures ;

- Universel, en compensant des difficultés liées à l’âge ou à la maladie et admettant les différences inter-individuelles ;

54 - Développemental, en permettant aux personnes de développer des compétences et des connaissances, d’exercer du contrôle sur leurs actions et d’élargir leurs possibilités d’agir en autonomie.

3.2.3 Spécification des référents sur l’appropriation

Le rôle capacitant d’une technologie n’est cependant pas donné d’emblée. Cela va dépendre de la façon dont le sujet se l’approprie. Ce constat vaut pour l’ensemble des ressources environnementales envisagées par les théories du vieillissement réussi. En effet, elles mettent en évidence que l’environnement est une ressource co-produite, à la fois donnée et élaborée par le sujet. La manière dont la personne s’approprie cette ressource est en grande partie imprévisible et dépend des interactions dynamiques avec l’environnement (social, matériel, etc…). Ainsi, le processus de genèse instrumentale trouve une pertinence particulière dans le cadre de la psychologie gérontologique. D’ailleurs, le processus SOC (Sélection-Optimisation-Compensation) présente des points communs avec le processus de genèse instrumentale (GI).

En effet, en phase de sélection (S) le sujet détermine les buts qu’il souhaite poursuivre pour bien vieillir. Lors de la GI, les buts du sujet motivent également le processus d’appropriation d’une technologie. La phase d’optimisation (O) correspond à l’acquisition, au raffinement et à l’application de moyens pertinents pour atteindre les buts visés pour bien vieillir. Dans le cadre de la GI, le mouvement d’instrumentalisation correspond à cette même activité de spécification de l’artefact pour lequel des fonctions nouvelles peuvent être attribuées et/ou des fonctions constituantes peuvent être abandonnées. Enfin, la compensation (C) correspond à une transformation des stratégies mises en œuvre par le sujet pour faire face à une situation de pertes et continuer à agir pour bien vieillir. Lors d’une GI, le sujet expérimente également la transformation de ses schèmes afin de les accommoder au contexte réel. Ainsi, il parvient à développer son pouvoir d’agir par l’usage de l’instrument qu’il s’approprie.

La genèse instrumentale dans un contexte de vieillissement peut donc être assimilée au processus d’adaptation par SOC. La possibilité pour le sujet de transférer facilement ses stratégies SOC vers l’appropriation d’une technologie pourrait en favoriser l’acceptation.

3.2.4 Spécification des dimensions liées à la réalisation et la reconnaissance de soi

Pour les théoriciens du vieillissement réussi, la possibilité de la personne à se reconnaître et à développer un sentiment de réalisation de soi sont deux composantes essentielles qui procurent du sens à la vie. Dans cette mesure, le concept de médiations instrumentales réflexives au cours desquelles le sujet est lui-même l’objet de son activité et le concept de dimension transpersonnelle de l’acceptation située des technologies trouvent une résonnance particulière. Ainsi, une technologie serait d’autant plus acceptable pour une personne aînée qu’elle participerait au sens de soi. Cette perspective incarnée du sujet justifie la pertinence d’une approche située de l’acceptation des technologies.

55 3.3 Conclusion de l’axe « psychologie »

Les théories psychologiques du vieillissement rendent compte du vieillissement comme une activité à part entière mettant en jeu le sujet dans toute sa complexité. Ces propositions théoriques s’accordent particulièrement avec le caractère indéterminé, imprévisible et situé de l’acceptation des technologies. En effet, l’acceptation d’une technologie pourra varier au fur et à mesure que l’expérience du vieillissement se développe chez le sujet. Ce constat a permis de spécifier quatre dimensions des référents théoriques sur l’acceptation (tableau 10) : les dimensions liées aux buts et aux valeurs, les dimensions liées aux capacités du sujet, celles liées à l’appropriation instrumentale de la technologie et enfin, les dimensions se rapportant au sens (donné à la vie et à soi).

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