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Les récits de vie, pour comprendre les significations auto-attribuées à sa trajectoire professionnelle trajectoire professionnelle

5 PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES DE RECHERCHE

6.3 Les récits de vie, pour comprendre les significations auto-attribuées à sa trajectoire professionnelle trajectoire professionnelle

6.3.1 Justification de la méthode

6.3.1.1 Recueil

Après le recueil de cet entretien, il me restait plusieurs récits de vie professionnelle à enregistrer, tandis que mon contrat avec la clinique était échu. Je me suis alors tournée vers une structure associative et non plus médicale pour le recrutement d’éventuel-le-s informateurs-trices, en espérant qu’un mode de recrutement plus informel puisse susciter la confiance et la légitimité à participer à ma recherche de la part d’hommes et de femmes paraplégiques. J’espérais pouvoir recruter un nombre égal de femmes et d’hommes.

J’ai transmis une demande de collaboration à un club en fauteuil roulant cantonal de Suisse romande. Le président actuel de ce club s’est avéré être une connaissance. Il m’a enjointe à lui transmettre une présentation de mon objet et de mes objectifs de recherche, tout en en précisant les critères d’inclusion. Le président du club a diffusé mon appel à participation via le site du club. Trois personnes plus le président du club, soit trois hommes et une femme, m’ont dans un premier temps contactée et livré leur récit. Un des informateurs de ce petit groupe m’a ensuite

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mise en contact avec l’une de ses acolytes d’un club handisport. Après l’enregistrement de son récit, cette dernière informatrice m’a donné les coordonnées de l’une de ses connaissances du même club handisport. Cette connaissance, une jeune femme, a accepté de me livrer son récit de vie professionnelle.

Je tiens encore à préciser que les deux premiers récits de mon recueil ont pu être enregistrés grâce à la collaboration du Club en fauteuil roulant de Genève. Dans le cadre de la collaboration avec le Club, c’est un deuxième informateur qui s’est porté participant à la suite d’un recrutement téléphonique informel mené par une des stagiaires du Club. C’est ainsi que ce volet d’enregistrement s’est refermé sur le recueil de onze récits de vie professionnelle, ceux de six hommes et cinq femmes.

Contrairement à ce que je prévoyais, il n’a pas été aisé de recueillir ce nombre de récits.

J’imaginais-je que les informateurs-trices, en conformation avec les (auto-) représentations du

« héros paraplégique » enjoint à participer à la valorisation sociale de personnalités sauvées de leur mauvais sort par leurs mérites et valeurs personnels, seraient en plus grand nombre disposé-e-s à participer à ce recueil de récits. Peut-être ont-ils déjà souvent participé à une recherche.

Peut-être ne voient-ils pas l’impact des recherches sur les représentations que le monde valide se fait des personnes porteuses de déficiences, si bien que leur participation semble vaine, voire impudique. En effet, peut-être certain-e-s informateurs-trices potentiel-le-s se sont-ils/elles senties trop exposé-e-s, anticipant leurs perceptions du moment de la narration de leur parcours de vie. La notion de « récit » de vie a dans un cas de refus été intimidante : lors de la première prise de contact, l’informateur potentiel m’a signifié que non seulement il ne voulait pas se confier mais qu’il se sentait, de plus, illégitime à raconter la « banalité » de son existence, qui

« n’a rien d’extraordinaire » (consentement « clinique » no 2). Je remarque à tout le moins, assurément, que seules des personnes ayant repris leur trajectoire professionnelle m’ont livré leur récit, ce qui tendrait finalement à réitérer les représentations du « héros paraplégique » dont la valeur existentielle et sociale se mesure à l’aune de l’activité professionnelle accomplie.

Les récits ont été recueillis, pour la plupart, au domicile des informateurs-trices. Je pense que malgré la mise à distance de l’expérience par la narration, raconter son histoire de vie dans un environnement familier éveille confiance en soi, assurance et identification à sa propre trajectoire. Les récits durent en moyenne entre une heure et une heure et demie. J’ai posé la même question de lancement à tous-toutes les informateurs-trices : « Pouvez-vous me raconter votre vie professionnelle, depuis votre premier emploi jusqu’à aujourd’hui ? » Ensuite, j’ai laissé les informateurs-trices conduire leur récit, tout en tenant à ma disposition un guide d’entretien qui contient des questions complémentaires ayant trait aux choix d’orientation initiale et de réorientation, aux pratiques socio-sexuées d’orientation dans les professions, et à l’influence de l’environnement social sur les choix d’orientation et de réorientation.

J’ai tenté d’intervenir le moins possible dans le récit. J’avais à cœur de laisser les informateurs-trices construire la mise en intrigue, le rythme et la finalité (ou les finalités des épisodes) de leur narration. La plupart des informateurs-trices ont procédé à cette conduite de façon autonome, articulant les temporalités du vécu dans un ordre et des relations de causalité originales, ménageant des transitions discursives explicites entre les temporalités racontées. J’ai tenu à poser, le plus souvent, des questions d’éclaircissement, de clarification, à partir du

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discours même des informateurs-trices. Le guide d’entretien a servi dans des moments d’impression de complétude du récit. Il m’est arrivé de nommer des phénomènes (par exemple,

« discrimination ») à la place des informateurs-trices lorsqu’affleuraient des euphémismes qui obscurcissaient ma compréhension. J’ai tenu à maintenir en toutes circonstances une attitude à la fois d’écoute, d’empathie et de stimulation bienveillante dans le dialogue, dénuée de tout jugement de valeur ou de comparaisons d’expériences qu’aurait pu susciter mon point de vue situé. D’emblée, j’ai tenté de susciter chez les informateurs-trices une posture de distanciation face à la mise en intrigue de leur expérience, la posture même que j’ai adoptée lors du recueil des récits, et que je conserve dans ma recherche de compréhension des récits. Je souhaite cette compréhension la plus inductive possible, en effet, et pense qu’une distanciation face, d’une part, au maniement personnel de la narrativité par les informateurs-trices et, d’autre part, face à leur expérience, favorise une compréhension inductive de leur récit. Les informateurs-trices, pour la plupart, ont livré un récit où je remarque une structuration cohérente et appliquée de l’intrigue. J’attribue l’autonomie des informateurs-trices dans la conduite de leur récit, à une réaction d’adaptation au contexte d’énonciation que j’ai contribué à construire, un contexte où ma distance face à leur posture de narrateur-trice et au contenu de leur parole les a amené-e-s, il me semble, à une certaine liberté d’expression. Mon attitude est certainement attribuable au soupçon qui pourrait planer sur la validité de ma procédure de recueil des récits, et sur la scientificité de leur analyse, en raison de l’empreinte que mes perceptions et représentations situées pourraient laisser dans les récits des trices. En réalité, les informateurs-trices de ma recherche et moi-même avons construit un « modèle de contexte » (Van Dijk, 2009) à la délivrance du récit, c’est-à-dire un cadre d’interaction dynamique que nous avons fait évoluer en fonction des spécificités du contenu et de l’impact de la situation de communication sur chacun-e de nous.

6.3.1.2 Définitions, ancrages historiques, épistémologiques et disciplinaires des récits de vie L’histoire de vie, ou le récit de vie, est une méthodologie de recherche compréhensive et participante. Par sa contribution sous forme de récit ou d’histoire de vie, l’informateur-trice fournit un matériau autobiographique susceptible « de rendre plus riche et plus significative la connaissance de la réalité sociale » (Pourtois & Desmet, 2007, p. 140). Les récits permettent de

« comprendre un problème social » et d’en éclairer des composantes plus fines, tels l’ « état morphologique de la société », le « mode de vie », les « valeurs, normes et mentalités, représentations… » (Raybaut, 2009, p. 221).

Le paradigme compréhensif s’est constitué dès la fin du XIXème siècle par un refus, dans les sciences humaines et sociales naissantes, du modèle de l’interprétation prévalant dans les sciences de la nature, dans le paradigme positiviste. Les sciences humaines et sociales du XIXème siècle (comme l’anthropologie et la sociologie) fondent, avec des chercheurs comme Dilthey, le projet de comprendre l’humain avec des méthodes nouvelles. Pour Dilthey (1988), les sciences de la nature relèvent d’explications et de prédictions, alors que les êtres humains sont à comprendre par les « sciences de l’esprit (Geisteswissenschaften) » (in Pineau & Le Grand, 2007, p. 40). Comprendre, « par l’esprit », l’ « esprit » des êtres humains, c’est ouvrir un accès à la compréhension de leur expérience. Voilà bien ce qui distingue les êtres humains des autres êtres : leur expérience, que Dilthey (1988), dans L’édification du monde historique dans les sciences de l’esprit, situe dans un espace-temps. L’expérience individuelle se construit

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dans l’historicité d’une communauté ou d’une société qui lui octroie un sens et une direction pour en faire son histoire. En affirmant la dimension historique de l’expérience, Dilthey pose les fondations de l’approche biographique en sciences humaines et sociales. L’approche biographique se constitue progressivement en une épistémologie et une méthodologie. Alors que le paradigme positiviste ou interprétatif continue de disputer la scientificité du paradigme de la compréhension de l’expérience humaine, Victorri (2002, in Lani-Bayle, 2013), ébauche une réconciliation épistémologique entre l’interprétation des phénomènes naturels et la narrativité humaine, au moins au sein des sciences de la nature. Pour lui, les premières saisies cognitives des phénomènes naturels sont narratives : « Raconter une histoire pour rendre compte d’un phénomène naturel est, presque toujours, le premier pas vers des descriptions et des explications de nature plus scientifique » (p. 25). Lani-Bayle (2013) ajoute que si la narration du phénomène ne va en aucun cas le modifier, le récit de ce dernier a le pouvoir de modifier la façon dont le-la chercheur-euse va se représenter ce phénomène et, partant, la façon dont il-elle va le penser (p. 25).

Les récits, ou histoires de vie, en tant que courant épistémologique et méthodologique, trouvent leur origine dans les genres littéraires de la biographie ou de l’autobiographie, advenus au tournant de la modernité. Pour avoir osé écrire ses Confessions, Rousseau a été fustigé, accusé en son temps de céder à l’ « indécence » (Lejeune, 2009, p. 50) d’exposer son vécu, une vie considérée comme bien insignifiante. Rousseau a pourtant marqué la littérature d’une

« révolution » (Lejeune, 2009, p. 49) autobiographique en faisant du soi un objet d’étude et en ébauchant la prescience d’une approche des micro-réalités sociales à travers leurs acteurs-trices.

Rousseau conçoit une publication d’autobiographies qui épouseraient les contours de l’histoire, qui ne chercheraient pas à la modeler (Lejeune, 2009, p. 59). Dès l’époque de Rousseau, le récit de l’existence est animé d’une « esthétique de la vérité » (Lejeune, 2009, p. 59) : « De même qu’on avait vu le Bien subordonné au Vrai, c’est maintenant le tour du Beau » (Lejeune, 2009, p. 59). L’autobiographie du XVIIIème siècle est étroitement associée à la thématique de la formation : la formation de soi. On a le souci de savoir « comment un être est devenu ce qu’il est » (Delory-Momberger, 2005, p. 24 ; l’auteure souligne). Le genre biographique se confond parfois avec le Bildungsroman, le roman de formation connu dans la tradition littéraire germanique. La « biographisation » (Delory-Momberger, 2005, p. 15), le travail qui consiste à faire de sa vie un récit trouve une origine dans la confession religieuse. Il s’agit d’extérioriser son « propre ennemi ». Ici se profile une intention de transformation de son rapport à la connaissance et à la connaissance de soi, mâtinée de progrès moral. Tandis que la lutte entre les tenants de l’approche interprétative et ceux de l’approche compréhensive fait rage dans les sciences sociales naissantes, le XIXème voit l’affirmation de l’autobiographie avec le courant romantique, principalement ancré en littérature.

En sciences sociales, la pratique des récits de vie a été initiée dans les années 1920 par la première Ecole de Chicago fondée par William I. Thomas et Robert E. Park. Cette école sociologique, dont l’influence s’étend grâce à leurs successeurs des années 1910 à 1940, est soucieuse de connaître les réalités sociales telles qu’elles sont vécues par les acteurs-trices sociaux, dans une approche d’inspiration à la fois anthropologique et ethnographique. D’un point de vue épistémologique, la première Ecole de Chicago pose comme principe de socialisation l’interactionnisme symbolique. Ce concept décrit, dans les interactions

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individuelles, la construction de systèmes symboliques (comme le langage) qui permettent aux individus d’attribuer du sens à des objets. Autour de significations partagées, les individus peuvent attendre certaines réponses à leurs actes et discours, et moduler leur propre positionnement dans leurs actions et interactions, du fait des attentes d’autrui (Delory-Momberger, 2005, p. 110). La première Ecole de Chicago voit les humains en interaction avec leur environnement ; de cette interaction naissent des significations variables, aussi variables que les contextes environnementaux dans lesquels les humains évoluent. Du point de vue méthodologique, la première Ecole de Chicago a la volonté de saisir la complexité de la vie sociale moderne grâce à des outils permettant de capter les signes de changement social et de mettre en interaction des facteurs subjectifs et objectifs dans l’analyse. L’Ecole de Chicago recourt, pour atteindre ces objectifs, au récit de vie ; elle fonde le courant ethnosociologique qui considère le récit de la vie d’un individu comme un révélateur des institutions, des valeurs et des pratiques pertinentes pour la société dans laquelle, et avec laquelle l’individu interagit.

En 1918, Thomas et Znaniecki, dans la volonté de connaître les réalités expérientielles surtout urbaines d’une large minorité de la population des Etats-Unis au début du XXème siècle, rédigent le Paysan polonais en Europe et en Amérique sur la base d’une enquête menée conjointement en Amérique et en Pologne, longue de dix ans, à partir d’environ 8000 documents biographiques. La traduction française du Paysan polonais reproduit le récit de vie d’un immigré polonais, Wladeck. Le Paysan polonais articule les significations subjectives attribuées par un acteur à l’activité sociale, aux faits sociaux objectifs qui font de l’acteur-trice ce qu’il est pour certaines parts de son identité (Pineau & Le Grand, 2007). Dans les années 1930, Schütz poursuit l’objectif de validation de l’approche compréhensive en alliant l’ethnométhodologie de Thomas et Znaniecki aux concepts de la phénoménologie husserlienne : le monde social est un donné certes objectif, mais il n’est intelligible que par la compréhension de ses phénomènes, de ses « manifestations sensibles extérieures » qui, elles, sont perceptibles. Les humains objectivent un monde social – tout aussi opaque, intrinsèquement, que le monde de la nature - auquel ils doivent s’adapter. Dans ce rapport d’objectivation, ils développent des idéalisations qui leur permettent de s’adapter au monde et d’y faire valoir leur expérience singulière parmi d’autres expériences singulières, jusqu’à ce que des systèmes de visions communes émergent de ces idéalisations (une « interchangeabilité des points de vue », une « conformité des systèmes de pertinence » [Delory-Momberger, 2005, p. 111]). L’ethnométhodologie du Paysan polonais accorde une large place à la compréhension des phénomènes langagiers et à leur portée pragmatique, c’est-à-dire à l’effet qu’ils produisent sur l’interlocuteur-trice. Dans le courant ethno-méthodologique, les significations du discours des interlocuteurs-trices prennent leur pleine mesure lorsqu’elles sont indexées à leur émetteur-trice particulier-ère ; le discours d’un sujet acquiert, par indexicalité, sa propre signification. La réflexivité de l’émetteur-trice, alliée à l’indexicalité de son discours (la relation exclusive qui unit le sujet à son discours), est susceptible de livrer « le monde du locuteur » (Delory-Momberger, 2005, p. 113). L’approche ethno-méthodologique fait entrer en sociologie une analyse qui tient compte du sujet, de son développement dans sa propre histoire et dans celle des événements. Cette approche introduit le singulier, le séquentiel et le contingent – bref, l’historicité - comme modificateurs des structures. Celles-ci ne se transforment pas seulement par les lois de la théorie du changement social et des analyses sérielles, mais aussi par les

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actions, forcément temporelles, d’individus appartenant à, et influant sur l’histoire (Grossetti, 2004).

Des années 1940 aux années 1970, l’approche biographique en sociologie connaît une durable tombée en disgrâce. Les progrès techniques, dans le champ socio-sanitaire en particulier (Ville, 2014a), réaffirment la scientificité des recherches en sciences sociales par le recours aux sciences mathématiques. La quantification des faits sociaux est à nouveau à l’honneur. Dans les années 1930 déjà, l’Ecole fonctionnaliste de Columbia de Talcott Parsons avance qu’une méthodologie par questionnaires est moins chronophage, plus économique et mène aux mêmes résultats que la méthodologie des histoires de vie. Dans les années 1960, la montée du structuralisme dans les sciences sociales avec Lévi-Strauss, Bourdieu et Foucault, « tend à faire disparaître le sujet derrière la structure » (Pineau & Le Grand, 2007, p. 46). Le marxisme, également, concourt au délaissement de la méthodologie des récits de vie, l’homme étant vu comme le produit des superstructures (Pineau & Le Grand, 2007, p. 46-47).

Pourtant, le marxisme des années 1960 admet que les individus sont porteurs en eux-mêmes de leur dialectique personnelle et du germe de leur transformation émancipatrice (Sève, 1968, in Pineau & Le Grand, 2007, p. 48). L’Ecole de Francfort, avec entre autres Adorno et Habermas, reprennent l’idéal d’émancipation de la personne (Pineau & Le Grand, 2007, p. 48). Le biographique fait ainsi son retour, tout d’abord pour éclairer des études de cas ou des études longitudinales, puis dans le champ de l’anthropologie, avec la parution en 1961 des Enfants de Sanchez d’Oscar Lewis, l’autobiographie à plusieurs voix écrites par les membres d’une famille pauvre de Mexico. Dans l’introduction de son ouvrage, Lewis (1961) écrit : « Cette méthode donne une vision cumulative, multiple et panoramique de chaque individu, de la famille dans son ensemble et de nombreux aspects de la vie du prolétariat mexicain » (p. 5). Cette méthode, qui fait se recouper des données à la fois micro-, méso- et macrosociales, affirme sa scientificité.

A cette époque, l’analyse du matériau biographique est toutefois toujours considérée comme non scientifique. La forte croissance économique et les progrès techniques et médico-sanitaires des Trente Glorieuses, produisent des bouleversements démographiques (par l’urbanisation, par exemple), économiques et sociaux (essor, puis crises, chômage), qui affectent profondément les parcours biographiques et ramènent la focale sur l’histoire des individus « ordinaires », et non plus celles des élites. Dès les années 1950, le sociologue italien Ferrarrotti (1983) utilise les histoires de vie pour comprendre les phénomènes humains liés à l’industrialisation et à l’urbanisation des populations, à la manière de la première Ecole de Chicago quelque quarante ans plus tôt. Pour Ferrarrotti (1983), l’homme est un être historique, il est le lien entre l’Histoire (en tant qu’historicité des événements) et sa propre histoire de vie, indubitablement traversée par les mouvements de l’Histoire. Mills (1971, in Pineau & Le Grand, 2007) voit l’étude de l’humain au carrefour des sociétés, de l’histoire et du biographique. L’auto-narration a d’abord pour vocation de rendre compte d’une singularité de l’expérience, qui n’est cependant pas

« solipsiste » mais « traversée, informée par le social, au sens où le social lui donne son cadre et ses matériaux » (Delory-Momberger, 2014, p. 14 ; l’auteure souligne). L’homme est pétri de questions historiques et biographiques, imbriquées, qui « nervurent » son parcours biographique ; ces questions s’étendent dans les structures dans lesquelles l’homme agit, et qu’il infléchit parfois. On parle du « retour de l’acteur » (pour reprendre l’expression de

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Touraine qui a ainsi intitulé son ouvrage de 1984) pour évoquer cette centration renouvelée sur la biographie, et la biographisation des individus.

Dès les années 1970 et jusqu’à aujourd’hui, la biographie et l’autobiographie en particulier, sont devenues une méthodologie de recherche-action, de formation dans le champ de l’éducation des adultes, dans le milieu du travail formel également (Dominicé, 2002 ; Pineau

& Le Grand, 2007 ; Domincé & Pineau, 2011, pp. 321-323). Aujourd’hui, le récit biographique a envahi jusqu’aux tutoriels d’accès aux nouvelles technologies (Bachelart, 2009) : la narration de soi stimule les identifications d’autrui à sa propre expérience, qui ouvrent des chemins vers de nouveaux apprentissages, formels ou informels.

Bachelart (2009) met en garde contre la réification de soi, la fixation de son identité par le récit, qui pourrait provenir d’une « nouvelle doxa narrative » (p. 10). Le « tout-biographique » est lié à un mouvement culturel d’individualisme qui s’est renforcé dès les années 1970, et qui va se renforçant. Delory-Momberger (2009) remarque une « idéologie de l’autoréalisation » (p. 81)

Bachelart (2009) met en garde contre la réification de soi, la fixation de son identité par le récit, qui pourrait provenir d’une « nouvelle doxa narrative » (p. 10). Le « tout-biographique » est lié à un mouvement culturel d’individualisme qui s’est renforcé dès les années 1970, et qui va se renforçant. Delory-Momberger (2009) remarque une « idéologie de l’autoréalisation » (p. 81)