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Conclusion : instrumentalité de la méthode d’analyse des récits, et modalités pratiques d’analyse des récits pratiques d’analyse des récits

5 PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES DE RECHERCHE

6.4 Conclusion : instrumentalité de la méthode d’analyse des récits, et modalités pratiques d’analyse des récits pratiques d’analyse des récits

Dans mon analyse des onze récits que j’ai recueillis, je me servirai des instruments élaborés grâce aux concepts des études biographiques, de l’ethnométhodologie et de la sémiologie, avec pour but de rendre compte de la subjectivation et de la temporalisation de l’expérience de reconstruction de leur trajectoire professionnelle par les informateurs-trices. Quant aux méthodes appliquées à l’analyse des deux autres types d’entretiens (l’analyse catégorielle et l’Analyse critique du discours), elles serviront à comprendre les discours et les pratiques du soutien éducatif apporté aux personnes paraplégiques dans le processus de reconstruction de leur trajectoire professionnelle.

Des instruments d’analyse importants sont ceux qui articulent concepts sémiologiques (ou sémantiques) des textes, et concepts de narrativité et de temporalité dans les études biographiques. Les épreuves seront les supports privilégiés de mes instruments d’analyse.

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Ceux-ci sont construits à partir d’outils sémiologiques (le signe tétradique de Hjelmslev, [1971]) et d’outils narratologiques utilisés dans l’analyse des temporalités des récits de vie, dans le champ de la formation des adultes (De Villers, 1996). Une attention particulière sera portée à la textualité (le produit de la narration) et à la narrativisation (les moyens narratifs et sémantiques mis en œuvre dans la production du récit) de l’ensemble du parcours professionnel, et de formation, et des épreuves en particulier.

Baudouin et Pita (2006) montrent que les pratiques sociales suscitent la production des genres de texte, et que les genres de textes configurent l’expérience délivrée dans le récit. Les pratiques sociales donnent les principes de la narrativisation de l’expérience. Certaines pratiques sociales, à esquisser dans l’analyse, génèrent des cadres à l’intérieur desquels l’expérience de genre et de handicap va trouver un lieu d’expression. Ces cadres fixeront notamment la limite entre l’explicite et l’implicite de l’expérience (la forme de l’expression de l’expérience), c’est-à-dire une frontière, plus ou moins conscientisée, entre ce qui peut ou ne peut pas être légitimement exprimé. Ce sentiment de légitimité dépend de l’autorisation donnée à soi-même, ou de l’autorisation donnée par autrui à l’expression de l’expérience. Autrement dit, quelles pratiques sociales ébauchent-elles ce qu’il est pertinent ou tolérable d’exprimer de sa propre expérience de genre et de handicap ? C’est un des cadres de la narrativisation des épreuves que je tenterai de décrire.

La gestion de l’explicite et de l’implicite, par les informateurs-trices, influe sur l’étayage du récit de l’expérience, qui est un indicateur des épreuves, et sur lesquelles je porterai la focale.

Ensuite, je repérerai les formes de relations causo-temporelles à l’intérieur de chaque épreuve, et surtout entre certaines des épreuves racontées (significativement, entre les épreuves-sanctions et les épreuves-défis [Martuccelli, 2015]). Pour ce faire, je recourrai aux instruments analytiques que j’ai articulés à l’appui de la théorie du signe tétradique et des temporalités dans les récits de vie. A l’aide de ces outils, j’analyserai les deux temporalités que je considère les plus instrumentales dans la compréhension des épreuves : le temps vécu, qui recouvre les temporalités de l’expérience passée, voire présente, qui sera parfois mis en relation avec des événements extra-biographiques (comme les scansions, sur les trajectoires biographiques, des révisions de l’Assurance-invalidité) ; et le temps raconté, qui est le présent historique (la temporalité qui rassemble toute l’expérience vécue dans le temps de l’énonciation), qui colore l’expérience passée, présente, et les projets futurs, ainsi que les représentations passées et actuelles de genre et de handicap des informateurs-trices. C’est dans le temps raconté que sont construits, par les informateurs-trices, les cadres de la narrativisation de leur expérience. Dans les deux temporalités principales des récits, je montrerai quelles représentations de genre et de handicap participent des épreuves biographiques, et prioritairement de l’épreuve de reconstruction de la trajectoire professionnelle. Des concepts fortement instrumentaux (tels les modèles biographiques, les « turning points » ou les bifurcations) seront mobilisés pour ouvrir l’analyse à l’expérience vécue des informateurs-trices, dans ses dimensions diachroniques, socio-historiques, selon la conception réaliste des récits de vie de Bertaux (2003).

L’outillage développé dans cette partie peut porter sur tout le texte des récits. Pourtant, le matériau des récits ne peut être à ce point systématiquement décomposé, étant donné les contenus composites des textes. Certains récits, extrêmement cohérents du point de vue du processus de reconstruction de la trajectoire professionnelle, peuvent être intégralement

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appréhendés selon la méthodologie décrite. Au contraire, d’autres récits manifestent principalement une centration sur la description de l’activité actuelle (les récits de type

« théorique » selon Merhan [2013, p. 77]), qui côtoie le récit de reconstruction de la trajectoire professionnelle à proprement parler. Seules ces dernières parts de récits seront exploitées. Ce choix s’opérera, initialement, en fonction du critère d’inclusion à ma recherche : avoir travaillé avant la survenance de la déficience.

Compte tenu du critère d’inclusion de ma recherche, je traiterai également des récits de reconstruction de trajectoire dans la perspective structuraliste des travaux d’Abbott (2001, 2010). Selon Abbott (2001, 2010), les individus passent d’une trajectoire professionnelle socio-historiquement construite, préexistante aux choix individuels, à une autre trajectoire. Abbott a principalement travaillé sur des cheminements vers des transitions d’une activité professionnelle à une autre, et non sur les orientations initiales. C’est dans cette optique que j’ai envisagé le critère d’inclusion à ma recherche, pensant que les processus de resocialisation et de formation, dans la nouvelle profession, sont différents de ceux qui se construisent au passage du milieu scolaire au milieu professionnel.

En conclusion : l’approche textuelle des récits de vie sera favorisée, qui portera au jour les relations causo-temporelles à l’œuvre dans l’expérience, et dans les récits quand cela est repérable. Je tenterai de comprendre l’expérience de genre et de handicap sémantisée ou semi-sémantisée des informateurs-trices, et son impact sur la reconstruction et la temporalisation de leur trajectoire professionnelle. Dans les relations causo-temporelles seront repérés les épreuves, les « turning points », les bifurcations et les séquences qui marquent l’expérience de reconstruction. De plus, je montrerai dans quelle mesure les représentations de genre et de handicap véhiculées dans le projet de réhabilitation professionnelle et dans l’expérience au travail ou en formation, ont eu, et ont une influence sur l’autodétermination que les informateurs-trices paraplégiques ont pu déployer pendant la reconstruction de leur trajectoire, et peuvent déployer dans leur activité professionnelle actuelle. Je me questionnerai sur la qualité synchronique, ou diachronique, de ces représentations : les représentations de genre et de handicap du passé, sont-elles rapportées en tant que telles ? Posent-elles sur les cadres de la narrativisation présente de l’expérience ? Influent-elles sur l’expérience biographique présente ? Ou, au contraire : les représentations du présent colorent-elles l’expérience passée ? Posent-elles les cadres de la narrativisation, présente, de l’expérience ? Influent-elles sur l’expérience présente ?

J’organiserai textuellement l’analyse de chaque récit de la façon suivante : chaque informateur-trice sera présenté en un rapide portrait (relativement approximatif pour ce qui concerne son âge et la chronologie des événements et actions de son existence, puisque je marque moins d’intérêt pour les surdéterminations sociohistoriques de l’expérience ou les périodes socialement reconnues de l’existence (« les âges de la vie »), que pour les ressources et ressorts personnels de l’action engagés dans la reconstruction de la trajectoire. Je donnerai les circonstances du recrutement de chaque informateur-trice. Je retracerai le parcours biographique dans son ensemble. Puis j’analyserai le récit entier, ou les parts de récit pertinentes (y compris quelques parts de récits théoriques), en m’appuyant sur les relations de causalité temporelles créées par l’informateur-trice. Je suivrai, pour la plupart des récits, leur construction textuelle, afin que le déroulement de l’entretien et, précisément, les relations de

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causalité temporelle à l’intérieur du récit, puissent être perceptibles. Ensuite, l’achéologie personnelle des informateurs-trices sera repérée, en ce qu’elle explique et soutient les registres d’action. Puis, les épreuves-sanctions et les épreuves-défis (Martuccelli, 2015) seront analysées en profondeur, ainsi que les stratégies déployées pour les résoudre, c’est-à-dire en en montrant les conséquences sur la poursuite du parcours professionnelle, ou de formation, ou même biographique dans son ensemble. Dans la dernière phase d’analyse des récits, j’évaluerai l’impact des rapports sociaux de sexe, dans le traitement socio-structurel du retour à l’emploi formel de mes informateurs-trices, mais surtout j’en remarquerai les effets au niveau biographique. Finalement je tenterai de formaliser, dans une perspective de genre et de handicap, des schèmes expérientiels (des modèles d’expérience) communs aux informateurs-trices, qui ont facilité ou limité leur empowerment dans la résolution de leurs épreuves et, de fait, dans le processus de reconstruction de leur parcours professionnel, et/ou de formation.

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7 Le traitement socio-structurel de l’éducation et du travail des femmes,