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5 PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES DE RECHERCHE

6.1 Le recueil de données statistiques et d’entretiens

Le premier type consiste en une collecte statistique à partir de chiffres publiés annuellement par l’Assurance-invalidité (AI) via des sites internet de l’Administration fédérale. Ces statistiques témoignent de l’intégration des personnes handicapées dans le monde du travail, à l’échelle de la Confédération. La collecte de ce premier type de données a été précédée par un questionnaire exploratoire (auquel je ne reviendrai plus dans cette recherche) à destination de cinquante membres du Club en fauteuil roulant de Genève. L’objectif de ce questionnaire fut, tout d’abord, d’entrer en contact avec une structure associative qui pouvait m’aiguiller vers des informateurs-trices potentiel-le-s pour le volet « récits de vie » de mes entretiens, puis de prendre connaissance des autoreprésentations du retour à l’emploi, et de la vie au travail, de personnes devenues paraplégiques. Il ressort de ce questionnaire que les personnes enquêtées perçoivent, dans leur activité professionnelle, le moyen d’affirmer leur « utilité sociale » et de satisfaire des motifs hédonistes et épistémiques, un « goût » pour leur métier. Le deuxième type

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de données est un recueil d’entretiens semi-directifs avec trois orienteurs-euses professionnel-le-s d’une clinique de réhabilitation de Suisse romande. Au cours de ces entretiens, les orienteurs-euses font part de leurs pratiques d’orientation avec des patient-e-s paraplégiques. A cela, s’ajoute un entretien de début de réorientation entre une orienteuse professionnelle et un patient en consultation ambulatoire de la clinique. Le troisième type de données est composé de onze récits de vie professionnelle d’ancien-ne-s patient-e-s de centres de réhabilitation de Suisse romande.

6.1.1 Collecte statistique : indications sur la politique d’activation vers l’emploi des personnes porteuses d’une déficience physique (PPDD)

Depuis la mise en œuvre de la Loi sur l’Assurance-invalidité (LAI) en 1960, il incombe aux offices cantonaux de l’Assurance-invalidité (OCAI) d’amener vers un emploi jugé adapté les personnes handicapées en général, et les personnes devenues paraplégiques en particulier. La prise en charge de la réorientation professionnelle des paraplégiques s’effectue, par l’Assurance-invalidité, après la sortie de ces personnes de centres de réhabilitation. Ce type d’institution hospitalière se charge de tous les aspects fonctionnels de la réhabilitation des personnes devenues paraplégiques : les aspects physiques, psychologiques et sociaux. Parmi ces fonctions prend place la réhabilitation professionnelle.

L’Assurance-invalidité mène une politique ferme de « réadaptation » (selon le terme introduit par la 5e révision de la LAI entrée en vigueur en 2008 [Le portail du Gouvernement suisse, 2018]) des personnes handicapées dans le travail formel. Un des principes de la Loi sur l’Assurance-invalidité est que « la réadaptation prime sur la rente » (OFAS, Office fédéral des assurances sociales, 2015). L’intensité d’action et les effets de cette politique d’activation peuvent être évalués à partir d’une collecte statistique. Celle-ci s’effectue prioritairement auprès d’institutions étatiques en charge des statistiques regardant les personnes handicapées, tout spécialement l’OFAS.

Quand bien même je mène une recherche compréhensive à partir de récits de vie professionnelle individuels, la collecte statistique me permet de saisir les enjeux et les pratiques socio-politiques qui structurent à la fois les protocoles de réorientation professionnelle des cliniques de réhabilitation, et la recomposition des parcours professionnels individuels. Mon objectif a été de recueillir des chiffres ciblés selon deux entrées précises : tout d’abord, des chiffres sur le retour au travail des personnes paraplégiques spécifiquement (et non des personnes déficientes moteur en général) ; et ensuite, des données sexuées sur les mesures prises en faveur des femmes, distinctement des hommes, à l’intérieur du groupe des paraplégiques.

Les tableaux statistiques annuels et détaillés de l’Assurance-invalidité sont publiés sur les sites internet de l’Office fédéral de la statistique et de l’OFAS. Ce dernier site présente des tableaux statistiques détaillés des prestations de l’Assurance-invalidité, incluant des chiffres réservés aux mesures professionnelles à destination des personnes porteuses de déficiences physiques. Des tableaux concernant le traitement spécifique du retour au travail du groupe des personnes paraplégiques (distingué d’autres groupes de personnes déficientes), par l’entrée de la catégorie du sexe, pour les années allant 2007 à 2014, que ce soit en Suisse ou dans le Canton de Genève, ont été transmis par un statisticien de l’OFAS à Dre Geneviève Mottet, collaboratrice scientifique dans ma recherche, sur sa demande. Le statisticien de l’OFAS nous a présentés des

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tableaux concernant également le volume des dépenses dévolues aux mesures professionnelles à destination des personnes paraplégiques ; des tableaux regroupant les types de moyens auxiliaires (qui peuvent être vus comme des soutiens à la réinsertion professionnelle des personnes paraplégiques) ont aussi été transmis. La sélection des tableaux annuels pour la période courant de 2007 à 2014 est pertinente, car les tableaux pour 2007 indiquent une situation antérieure à l’année de l’entrée en vigueur, en 2008, de la 5e révision de la Loi sur l’assurance-invalidité, et les tableaux pour 2014 indiquent une situation deux ans après l’entrée en vigueur de la révision 6a. Les tableaux concernant la situation dans le Canton de Genève, pour chacune de ces années, permet de comparer la situation dans la plus grande partie de mon bassin de recrutement, avec la situation en Suisse pour chacune des années sélectionnées. Ces tableaux ont servi à l’élaboration des résultats statistiques comparatifs, que Geneviève Mottet et moi interprétons dans notre rapport sur l’évolution du traitement du retour à l’emploi des personnes paraplégiques, selon le sexe, pour la Suisse et pour le Canton de Genève, à la suite de l’introduction de la 5e révision, et de la révision 6a de la Loi sur l’Assurance-invalidité (LAI).

Des résultats partiels de ce rapport sont livrés ci-dessous, dans la partie dévolue à l’analyse de mes données.

6.1.2 Tentative de collecte auprès de l’Office cantonal de l’Assurance-invalidité du Canton de Genève

Préalablement à toute recherche de données statistiques via les sites internet de l’OFAS, il m’a paru nécessaire d’établir un contact avec l’Office cantonal de l’Assurance-invalidité (OCAI) du Canton de Genève. L’office cantonal dispose de statistiques annuelles sur la réorientation professionnelle des personnes dans le groupe spécifique des paraplégiques qui résident et/ou travaillent dans le Canton de Genève.

J’ai situé mes demandes statistiques au croisement de catégories (comme « personnes valides/personnes handicapées »), en ciblant graduellement des groupes plus restreints (« personnes handicapées/personnes paraplégiques »), la catégorie du sexe étant transversale à toutes les demandes dans ma collecte statistique. Mes demandes à l’OCAI ont porté sur le pourcentage de personnes handicapées existant par rapport à toute la population du Canton de Genève ; sur le pourcentage de personnes paraplégiques dans le groupe des personnes handicapées ; sur le pourcentage de personnes qui travaillent dans le groupe des personnes handicapées, puis dans le groupe des personnes paraplégiques ; sur le pourcentage de femmes dans la catégorie des personnes handicapées, puis dans le groupe des personnes paraplégiques ; sur la proportion de femmes, dans le groupe des personnes paraplégiques, engagées dans l’emploi formel ; et enfin, sur la répartition, dans les différentes classes d’âge de la vie active, des femmes paraplégiques engagées dans le travail formel. Cette dernière question m’a paru pertinente du fait, dans certains pays européens tels que la France ou les pays scandinaves, du retour marqué des femmes à l’emploi quelques mois ou années après leur-s maternité-s (Maruani, 2011). Il m’intéressait de savoir si ce constat pouvait être étendus au groupe des femmes paraplégiques, bien qu’en Suisse, le retour à l’emploi des femmes en général, après une période de non-activité professionnelle, ne soit pas marqué (Maruani, 2011). Mes questions adressées à l’OCAI furent spécifiquement les suivantes :

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- Combien de personnes handicapées vivent-elles dans le Canton de Genève, dont combien de paraplégiques ?

- Combien de personnes handicapées vivant dans le Canton de Genève travaillent-elles ? Dont combien de personnes paraplégiques ?

- Combien de femmes paraplégiques y a-t-il parmi les paraplégiques vivant dans le Canton de Genève ?

- Parmi les femmes paraplégiques vivant dans le Canton de Genève, combien de femmes travaillent-elles ?

- Comment le travail des femmes paraplégiques est-il réparti dans les différentes classes d’âge ?

(Extrait de ma lettre d’août 2012 adressée à l’Office cantonal de l’assurance-invalidité du Canton de Genève)

Je n’ai malheureusement jamais obtenu de chiffres de la part de l’Office cantonal genevois de l’Assurance-invalidité. Lorsque la collaboratrice scientifique à ma recherche, Geneviève Mottet, a demandé à l’OCAI genevois de telles statistiques, elle s’est vue opposée un argument de non-pertinence, par rapport à mon objet de recherche, des données à disposition de l’office.

Ce dernier a argué que ses statistiques annuelles présentent des entrées par une combinaison de déficiences. Selon l’office, l’accès à des statistiques sur le retour à l’emploi formel des personnes spécifiquement paraplégiques (et « uniquement » paraplégiques) n’est pas possible.

Je me suis donc tournée vers les statistiques annuelles de 2011 (l’année du début de ma recherche) de l’Assurance-invalidité suisse et, plus précisément, vers les tableaux détaillés des statistiques de l’Assurance-invalidité publiés sur le site de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS).

6.1.3 Les chiffres de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) : l’absence de catégorisation des personnes paraplégiques

L’Assurance-invalidité (AI) fait partie du premier pilier, étatique et financé par un système de distribution (des cotisations perçues sur le travail) du système de la sécurité sociale en Suisse.

Toutes les personnes de nationalité suisse, et toutes les personnes travaillant en Suisse, sont donc assurées à l’Assurance-invalidité. L’Assurance-invalidité est régie par une loi, la Loi sur l’assurance-invalidité, qui définit les critères d’éligibilité aux prestations de l’assurance en cas de problème de santé (d’invalidité ou de maladie chronique) entraînant une incapacité de travail. Les personnes en incapacité de travailler, complètement ou partiellement, s’adressent à des offices cantonaux AI. Ceux-ci ont été créés dans les années 1990, à la suite de l’introduction de la 3e révision de la Loi sur l’assurance-invalidité. Les offices AI ont trois missions principales :

• « Ils soutiennent la réadaptation professionnelle » des personnes présentant un problème de santé invalidant

• « Ils fixent le taux d’invalidité » (qui va déterminer le type de rente, complète ou partielle)

• « Ils déterminent le montant de l’indemnité qui revient à une personne assurée en raison de son impotence » (comme le calcul de la rente) (https://www.ahv-iv.ch).

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La Loi sur l’AI est régulièrement révisée, dans une optique de réduction de ses coûts. La mise en œuvre des révisions de la Loi AI, ainsi que leur application, sont contrôlées par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). L’OFAS, de façon plus générale, « veille au maintien (…) du système des assurances sociales en Suisse », et « prépare l’adaptation régulière des lois aux modifications des réalités sociales » (https://www.ahv.iv.ch). A ce dernier titre, l’OFAS est un interlocuteur du Parlement et du Conseil fédéral suisses, car il est en mesure de fournir toutes les informations statistiques nécessaires à l’évaluation des changements sociétaux qui peuvent entraîner des modifications des lois sur les assurances sociales. L’OFAS a encore pour mission de transmettre des informations d’ordre général sur la sécurité sociale en Suisse, à destination des citoyen-ne-s, via des sites internet, des rapports de recherche, etc. L’OFAS y publie des statistiques annuelles sur les prestations (types, destinataires, que ce soit les cantons ou les personnes, etc.) octroyées par les assurances sociales, et sur le volume et la structuration de leurs coûts. L’OFAS transmet ainsi les tableaux statistiques sur les prestations annuelles de l’Assurance-invalidité.

Les tableaux statistiques détaillés de l’Assurance-invalidité suisse comprennent les statistiques fédérales et cantonales qui concernent la réintégration professionnelle des personnes porteuses de déficiences. Ces statistiques permettent d’interpréter l’intensité, les priorités et les restrictions de l’Assurance-invalidité dans sa politique de réinsertion des personnes porteuses de déficiences motrices dans le monde du travail. Les mesures qui permettent un retour facilité vers l’emploi des personnes porteuses de déficiences, sont nommées « mesures professionnelles » et sont incluses dans les mesures individuelles octroyées aux assuré-e-s, par opposition aux mesures accordées à des collectivités (fondations d’aide, etc.). Les « mesures de réadaptation d’ordre individuel » (Circulaire OFAS, 2014, p. 9) comprennent des mesures de réadaptation aussi bien médicales (traitements, octroi et entretien de moyens auxiliaires comme les fauteuils roulants, etc.) que strictement professionnelles, telles les « mesures d’intervention précoce » (vers le reclassement anticipé de personnes en incapacité de travail depuis au moins 6 mois), ou l’ « allocation d’initiation au travail » versée aux employeurs chez qui sont placé-e-s des employé-e-s porteurs-euses de déficiences, pendant le temps d’information de l’employeur sur les conditions d’employabilité du-de la travailleur-euse déficient-e. Les mesures professionnelles particulières qui intéressent ma recherche sont les

« contributions aux frais des mesures de réadaptation d’ordre professionnel » - tout spécialement, les « frais supplémentaires de formation initiale », ou le « reclassement », qui affectent la réorientation des personnes paraplégiques vers un emploi adapté eu égard au diagnostic de leur déficience (Circulaire OFAS, 2014, p. 10 ; OFAS, 2015). Plus pratiquement, ce sont l’aménagement de la place de travail en faveur des personnes devenues paraplégiques, ou des séances d’orientation professionnelle, qui incombent à l’Assurance-invalidité une fois la réhabilitation en centre terminée.

L’OFAS fournit donc les chiffres annuels des mesures professionnelles octroyées aux personnes porteuses de déficiences travaillant en Suisse. Les statistiques des mesures professionnelles indiquent plusieurs critères de catégorisation de leurs bénéficiaires. Elles sont détaillées au niveau national et cantonal, par types de mesures professionnelles, par tranches d’âges de la vie active et par sexe, mais pas par catégorie de déficience, ce qui ne me permet pas de connaître quels pourcentages de mesures professionnelles – et quels types de mesures

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professionnelles - sont accordées à des personnes paraplégiques au niveau national, dans les différents cantons, et dans les différentes classes d’âge de la vie active. La catégorie de la paraplégie n’est pas isolée à l’intérieur de la catégorie des déficiences motrices. Autant dire que les données sexuées n’existent pas concernant le retour au travail formel des hommes et des femmes paraplégiques. Il me manque donc le pan assurantiel des moyens socio-éducatifs accordés par les OCAI aux femmes et aux hommes paraplégiques retournant à l’emploi. Cette absence de catégorisation est pour le moins étonnante : les paraplégiques constituent le groupe-cible par excellence des mesures de réhabilitation médicale et de réadaptation vers le travail formel. La déficience qu’est la paraplégie est jugée fortement, voire totalement compensable par l’Assurance-invalidité, d’après mes entretiens avec les orienteur-euses et le médecin-chef (entrevues informelles) du service de réhabilitation professionnelle de la clinique qui m’a fourni les appuis logistiques et scientifiques dans le cadre de ma recherche.

L’absence de catégorisation du groupe des paraplégiques dans les statistiques de l’Assurance-invalidité, rend impossible l’interprétation plus fine des conditions structurelles qui influent sur la reprise de leur trajectoire professionnelle par les informateurs-trices du recueil des récits de vie.