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LA LITTERATURE COMORIENNE, ENTRE TRADITIONS ET MODERNITE

I. LA LITTÉRATURE ORALE

I.3. Différents aspects de la littérature orale

I.3.1 Une réalisation sous plusieurs formes

La littérature orale des Comores est très riche. On compte de nombreuses variantes quant aux rites cérémoniels qui rythment la vie de chaque Comorien tout au long de son existence. Nous pourrions plus aisément affirmer que la vie des Comoriens est jalonnée, de la naissance à la mort, de chants, de danses, de rites et de fêtes. A chaque âge, sa musique, sa danse ; à chaque évènement, une fête, une cérémonie. Le comorien est ainsi bercé dès sa plus tendre enfance par différentes sortes de rites, qui, toujours accompagnés de chants et de textes oraux conditionnent et forment son vécu.

Selon l’étude réalisée par Daniel Ahmed Abdouroihmane, la littérature orale puise ses origines auprès de diverses sources et se traduit suivant différents aspects. Les pays d’Afrique ont beaucoup inspiré les Comores; ce qui explique l’importance du swahili comme langue longtemps dominante dans les îles. En observant les populations des côtes africaines, voisines des Comores, nous sommes frappés par la forte ressemblance physique mais aussi vestimentaire entre comoriens et zanzibarites. Peut-être cela est-il justifié par l’ancienneté des

56 liens privilégiés qu’entretiennent ces deux peuples, et ainsi par les probables métissages comoro-zanzibarites issus de la présence d’une forte communauté comorienne sur ces terres, ou inversement, est-ce le résultat parlant d’une population comorienne aux origines zanzibarites et environs. Quoi qu’il en soit, les populations africaines de langue bantoue représentent la source d’une partie de l’histoire ancienne des Comores. Plus tard, ce sera la langue arabe qui s’imposera mais plus que pour la précédente, elle est difficilement accessible à tous car très souvent réservée à une élite.

Finalement, on compte de nombreuses influences autour de cette oralité (la tradition des peuples de langue bantoue, la tradition de langue arabe et parfois même malgache ou folklore français).

On comprend donc à travers les recherches menées au profit d’une unité littéraire du pays que les réponses sont très diverses car elles décrivent des itinéraires bien distincts quant à la provenance de cette tradition orale.

Toujours selon Daniel A. Abdouroihmane, les genres de la tradition orale comorienne se divisent en deux catégories. On a ainsi dans un premier temps les textes courts. Il cite les devinettes (hale za mavutsiano, ndzinyo), les proverbes… Dans un deuxième temps, il évoque les textes longs tels que les récits ou les contes. Ces récits sont appelés hadithi ou hadissi, les contes (hale), les discours (hutuba).

Cette tradition complètement enracinée dans les mœurs comoriennes nous explique l’importance des réalisations littéraires dans l’espace de l’oralité. A partir de son travail, nous allons tenter de décrire cette diversité en procédant à un relevé des différents genres littéraires appartenant au registre de l’oralité.

Le sambe est l’une des danses les plus populaires de la Grande Comore, ce qui confère au chant d’accompagnement une place de choix dans la mémoire collective. En effet, toute personne ayant assisté au ânda connaît invariablement ce chant, et ce qu’il soit issu des milieux ruraux ou non. Il existe cependant plusieurs versions en ce qui concerne les couplets mais le refrain demeure invariablement le même.

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Tableau des genres

Ce tableau présente un classement des genres de l’espace oral. Nous trouvons à la verticale leur dénomination en français et en comorien et à l’horizontale sont répertoriées des critères qui, de paires opposées, nous donnent une idée de l’appartenance de chacun des genres cités. Il est inspiré du tableau de Daniel Ahmed Abdouroihmane qu’il présente dans la revue Tarehi

n°5 sous le titre « Inventaire des genres de la littérature comorienne. » Dans son étude,

l’auteur a classé ensemble écrit et oral et proposé un relevé qui se veut schématique et complet sur tout l’ensemble de la littérature comorienne. Ici, nous avons divisé les deux aspects afin de rendre l’étude plus précise et de pouvoir mieux les dissocier. Ainsi, nous proposons, dans ce premier tableau, tous les genres oraux. Par la suite, nous nous étendrons sur l’étude plus poussée du nyandu, du halé, et du tiyatiri. Le choix de cet approfondissement sur ces genres là est arbitraire d’une part mais il est aussi guidé par l’idée que ces trois aspects de la littérature orale ont, par glissement, marqué la littérature écrite. De plus, il s’agit là des

Les genres de l'espace oral

P o p u l a i r e S a v a n t B i l i n g u e M o n o l i n g u e C h a n t é M o d e r n e T r a d i t i o n n e l S a c r é P r o f a n e A v e c a u t e u r A n o n y m e Hale Conte X X X X X

Hale ya mavutsiano, Ndzinyo

Devinette X X X X X Mrongo, waswia Proverbe, maxime X X X X X Msabaru, kaulu Dicton X X X X X Tiyatiri Théâtre X X X X X X Msimu, Ntsimo Slogan X X X X X Maswifu, Swifa Piropo X X X X X Utendi, Upvandzi Poésie en comorien X X X X X X X X

58 genres qui requièrent, selon nos sentiments, une plus grande technique et une plus grande maîtrise de l’art oratoire. En effet, étant bien plus long dans leur consistance que les autres, l’artiste qui en exploite le contenu se doit d’en assumer toute une démarche oratoire bien plus élaborée que lorsqu’il s’agit d’énoncer un kaulu (dicton).

Nous pouvons constater que les genres énoncés ici répondent tous aux mêmes critères, à l’exception de deux d’entre eux (le tiyatiri et le utendi). Ils sont tous populaires et non savants. La société fait sienne l’origine de sa propre histoire mêlant le mythe à la réalité, le fantasque et l’imaginaire. Ainsi, la communauté crée et se recrée au travers de ses chants et ses pleurs. Nous voyons aussi que ces genres sont tous monolingues et donc en shikomori qui est la résultante des différents dialectes comoriens shingazidja, shidzuani, shimwali et

shimaore.

Puisque la communauté les dit dans sa langue et non dans celle empruntée à une société dominante ou autre, elle en est la détentrice. Elle les fait vivre en se les réappropriant. Ces genres puisent dans la tradition et se propagent toujours selon elle car en même temps, ils rendent compte de cette tradition, la véhiculent et la transmettent avec quelques oublis, quelques ajouts. De plus, un des derniers points communs est qu’ils se disent dans un total anonymat. Nous l’énoncions plus haut, le texte oral se fond dans la conscience collective et se recrée ainsi. Il s’agit en somme d’un fait humain celui de la mémoire collective comme garante d’une histoire tout aussi collective. Il semble que pour cette transmission, le comorien et le swahili soient les deux langues utilisées.

Aux genres déjà répertoriés, nous pouvons ajouter les madjimbo (chansons) et hadissi (récits) ainsi que les hadiths (récits de la vie du Prophète Muhammad (pbsl) et les sourates (Versets Coraniques). Ces derniers (hadiths et sourates), issus de la tradition arabo-musulmane font actuellement partie intégrante du patrimoine culturel comorien. Ils sont à la fois écrits et oraux. Bien que leur compréhension soit toujours réservée à une élite d’initié, (les disciples/étudiants et chercheurs) formée la plupart du temps dans les pays arabes, la non compréhension des textes par une bonne partie de la communauté n’est pourtant pas un frein à leur exploitation ni à leur vulgarisation par cette même communauté. Dans ce cas précis, la notion d’oralité est assez duelle. D’une part, les textes sont transmis oralement sans la moindre modification, d’autre part la connaissance du corps textuel qui les habille est souvent très bien maîtrisée et pourtant, le sens du texte est lui tout aussi souvent méconnu. La transmission se fait dans la langue d’origine des textes, à savoir l’arabe. C’est aussi dans ce cas précis que la communauté comorienne peut sembler arabophone.

59 Ainsi, au même titre que le chant d’un umbio (bénédiction) s’inscrit dans la vie d’un comorien comme la célébration d’un instant T lié à son évolution, la récitation d’une sourate marque l’univers spirituel du même individu et l’accompagne, par les messages de bénédiction et de protection qu’induisent cette récitation, dans le cheminement de son être. Comme nous le verrons plus loin, les connaissances liées à l’Islam étant enseignées dès le plus jeune âge, il est donc aisé pour tout comorien de réciter certaines sourates du Coran ainsi que certains chants du Mawlid sans pour autant en saisir le sens. Etant exclusivement considérées dans leur aspect religieux, ces sourates sont surtout ressenties comme des prières. Dans ce contexte, chants profanes et chants sacrés apparaissent intimement liés, partageant parfois le même espace sans pour autant partager la même histoire.

Nous voyons donc à partir du tableau que tous les genres littéraires exclusivement oraux appartiennent au domaine du profane. Ce constat témoigne du fait que la majorité de la littérature orale est aussi exclusivement populaire. Comme tout ce qui est du domaine de la parole, la littérature orale profane est sans cesse en mouvement. Au contraire de celle dite sacrée, qui s’appuie sur des écrits et dont l’aura religieuse impose l’immuabilité. En effet, une sourate même transmise exclusivement à l’oral, ce qui était le cas il y a encore quelques années, se doit absolument de conserver tout son corps de texte sans le moindre ajout, ni le plus infime retrait. Et ce, sous peine d’enfreindre une interdiction divine et d’être considéré dans le pêcher. Certaines écoles insistent même sur la justesse de la récitation afin de ne pas dénaturer le sens d’un mot et donc d’une sourate. Il est vrai que pour une langue aussi riche que l’arabe littéraire, l’appui ou non sur un accent peut réorienter le sens d’un mot, et parfois le rendre inintelligible.

Ce point mis à part, l’ensemble de la production littéraire exclusivement orale rend compte d’un art particulier qui vit, bouge et se meut au fil des âges. Il n’y a en elle aucune résonance religieuse, aucune manifestation sacrée. Dans une perspective anthropologique nous pourrions soulever l’hypothèse suivante : l’art issu de la tradition orale aux Comores, est le reflet d’une société africaine, une société sans religion monothéiste ou autre.

A ce propos, nous allons analyser les variantes de la littérature à vocation historique en insistant sur le nyandu, ou poésie épique.

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