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LA LITTERATURE COMORIENNE, ENTRE TRADITIONS ET MODERNITE

I. LA LITTÉRATURE ORALE

I.3. Différents aspects de la littérature orale

I.3.2 Le niyandu : une poésie épique

Le nyandu est une forme de poème assez particulière et unique en son genre dans le contexte shikomori car il s’agit d’une poésie guerrière qui traduit au fil de ses vers, les exploits guerriers du groupe participant à la cérémonie d’intronisation, c’est la forme épique par excellence. Il est l’un des genres les plus anciens de la littérature orale. Peu de Comoriens en connaissent l’existence et très peu seraient capables d’en donner une définition si on le leur demandait mais ce fait de la marginalisation de ce genre poétique et sa méconnaissance nous poussent à en faire une étude.

A partir des recherches effectuées par Moussa Saïd Ahmed, nous avons nous aussi appris qu’il existait un genre de littérature guerrière appartenant à la poésie. En effet, il existe des genres biens plus connus tels que les madjimbo za mahaba (chansons d’amour), les

hutuba (discours) et autres, bien plus exploités que le nyandu dont seules certaines personnes

que l’auteur de Guerriers, Princes et Poètes aux Comores dans la littérature orale nomme les traditionistes73 ont connaissance.

Le nyandu comme forme de poésie nous intéresse dans le sens où, bien que les Comoriens d’aujourd’hui ne le connaissent pas, il nous permet de justifier nos propos autour de la littérature orale comme garante de la culture et de l’histoire du pays. Les Comoriens d’aujourd’hui n’en ont pas connaissance et ce parce que, le nyandu n’est plus utilisé depuis bien longtemps à présent. Il servait comme chant d’intronisation au temps des fe et des bedja, selon les sources de notre chercheur. Il écrit :

« La tradition de la passation du pouvoir entre les groupes générationnels guerriers (bea), aux temps des fe et des bedja, voulait, comme nous l’avons signalé, qu’un chant appelé nyandu exaltant les exploits et la témérité du futur chef, accompagnât et marquât la cérémonie d’intronisation. Ce chant prestigieux était proféré par un guerrier qui devait aussi être bûcheron- ce qui était le cas de la plupart des guerriers, et c’était souvent au moment de la coupe du bois destiné, entre autres, à la fabrication des pirogues que les vers étaient composées.»74

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Ici, l’auteur nomme « traditionistes » les vieilles gens dont la mémoire encore fraîche a pu aider à en apprendre davantage sur les traditions. Nous utiliserons nous aussi ce terme pour parler de ces hommes ou femmes qui ne sont pas des griots africains mais les détenteurs d’une histoire en mouvement et qu’il faut conserver.

74 Saïd Ahmed Moussa, Guerriers, Princes et Poétes aux Comores dans la littérature orale, L'Harmattan, 2000, pp.218-219.

61 Selon Moussa Saïd Ahmed, le terme lui-même de nyandu a été donné par les conteurs rencontrés. Il existait donc seulement dans le vocabulaire des initiés. Pour étoffer ses recherches, le chercheur a orienté ses pas vers différents villages de Ngazidja. Il y a rencontré un homme qui lui a parlé de ces poèmes épiques. Il a aussi recueilli les poèmes mêmes et les a comparés entre eux ce qui lui a permis d’en donner la forme maîtresse et les caractéristiques relatives au genre.

Ainsi, le nyandu « se présente comme un chant déclamé, entrecoupé de chœurs, repris par l’assemblée des guerriers. » Il note deux mouvements distincts dans ce récit particulier des temps forts des élections du mfomabéa, littéralement, chef guerrier. Le premier grand mouvement renvoie à l’évocation « des guerriers redoutables de l’île contre lesquels il (le nouveau chef) sera bientôt appelé à combattre.»75

Les nombreux exploits des adversaires sont évoqués dans et par leurs noms et surnoms. Le deuxième fait état de la force physique et morale du nouveau roi, de ses qualités de chef guerrier. C’est donc ce mouvement-ci qui explique à l’assemblée en quoi et pourquoi le nouveau chef a été sacré tel. Cette sorte de présentation du nouveau est suivie des acclamations de l’assistance. Nous pouvons en déduire les tonalités élogieuses et emphatiques qui en fixent les intonations.

Le nyandu suivant a été retranscrit par Moussa Saïd Ahmed. Nous le réécrivons tel quel en maintenant son découpage afin de respecter la composition qu’il en a donnée. Les quelques propos tenus sur le nyandu comme forme poétique se fondent sur le texte ci-dessous. La justification d’un tel classement n’ayant pas été donnée par l’auteur, nous nous sommes proposé d’en faire ressortir succinctement, sans nous lancer dans une analyse approfondie du poème lui-même, les traits stylistiques définissant le nyandu comme forme de chant épique.

62 Nyandu du XVIème76

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Moussa Saïd Ahmed, op.cit. p.p122 à124. Ce texte est le plus ancien des trois Nyandu présentés dans l’ouvrage. Il offre un aperçu des effets de parole mis en jeu lors des cérémonies guerrières. Le thème du combat y est développé dans une conception que Moussa Saïd Ahmed associe au divertissement.

Sandraga Mbwani ngiyona Mwalimu Shanangoiye wa ha Ntsudjini na Batsa Sha ngapvo Le-Peyna-Mdroni-lalo-Funga Washili wao waha na Djimba Bamba Hadjitra

Sha Itsinkudi waha nlo Bwanisa Wa Kuhani waha na Shibo Bora

Pvoko Shibo ye tsi doutsoka Shibo Bora Sha Shibo emna-mbuzi waura dzizini Shibo ye msimanyo wandani mwamiri 10 Shibo ye ntezo yo usa fundodjuu

Sha Hambuu iho na Djimba Bamba Hadjitra Uwo nde yamba “tsidja unese Mungu bo hanale

- Rangu tsihwesa Mgu ndjamidza Na nzo ndrongo ndraru naomba Mola

Yesa tsamba ka dja ipvanga tsiswa ni urandzi Uke dja fumba malo yatsihule

Uke dja ndudju vambwe la bahari”

Pvahe shamatsa hahuzamu she ilande Susi vuzi na na susi fuzidjuu

Mbango udja mba siridjuu

Nkori fundo na na fundo fundodjuu Na kori yetsatsa dja trindri la mfi Harenge ourereao dja patsu Ndo utso wa pindo dzitso la mfi Trwai la mbe lidja mono mshe Harenge lefumu lafana naye Halizinisa halirende maili

Harwara djando hadjitra vumadjuu Hare salamu yatrengwe irewao Wavulana waishia wali yamu

Wamba « Rikubali urilole bo Mtsunga Ba we nde ulo sesi nde ulo nyasi We nde mdru wendanasi trengweni ».

La Sandraga-Mbwani appartient à Mwalimu Shanangoi est de Ntsudjini et de Batsa Il y a L’étincelle-feu de Funga

Ceux du Washili ont Djimba Bamba Hadjitra 5 Ceux d’Itsikundi ont Le provocateur Ceux de Kuhani ont Shibo Bora

Et ce Shibo ne porte pas seulement le nom de Shibo Bora Shibo est un bouc que l’on peut lancer parmi les troupes Shibo est une scie à débiter le bois

Shibo est une herminette qui tranche les noeuds A Hambu il y a Djimba Bamba Hadjitra.

C’est lui qui a dit: “Je t’appelle pour que tu m’introduises auprès de Dieu ô hanale”

- Depuis que je t’ai recommandé à Dieu je ne me suis pas lassée.

Je le prie pour qu’il exauce trois souhaits:

J’ai dit: sois rusé tel le rapace pour déjouer les pièges Sois rusé tel le requin pour ne pas mordre à l’hameçon Sois souverain tel le dauphin roi des mers.

Avec un shamatsa il s’est couvert la taille

Un susi sur l’épaule et un susi sur l’autre épaule Une cordelière arrive au dessus de la ceinture Une cotte est enroulée en plusieurs noeuds

Et une autre s’agite telles des nageoires de poisson Il a brandi ce qui scintilla tel un disque de cuivre Et qui n’est pas de la bourre d’un oeil de poisson Le bouclier à peau de boeuf à la main gauche Il a soulevé la lance digne de lui

Il l’a brandie et il l’a brisée en deux

Il a escaladé un amas de cailloux et a fait un sursaut Il a fait les salutations d’usage à l’assemblée

Les guerriers ont entendu et sont restés cois

Il ont dit: “Nous acceptons que tu nous épouses, toi Mtsunga Vrai tu es notre père, tu es notre mère

63 Le style poétique du nyandu se reconnaît à la forme du texte et à l’importance des effets de rythmes, le liant à sa forme originelle, le chant. Il est composé de vers de taille variable mais repose sur les figures de répétition pour le rythme et d’association pour le sens. Il y a de ce fait une grande musicalité crée par les anaphores. Une musicalié utilisée certainement pour encoourager les guerriers et traduire l’enthousiasme ainsi que l’acharnement de ces derniers au combat. En exemple, dans le nyandu cité, on remarque l’anaphore en début des vers 9 et 10 qui dit :

« Shibo ye msimanyo wandani wa miri

Shibo ye ntezo yo usa fundodjuu. »

Cette répétition commence deux vers plus haut dans : « Pvoko Shibo ye tsi doutsoka

Shibo Bora/ Sha Shibo emna-mbuzi waura dzizini. » L’expression Shibo ye revient donc sur

ces quatre vers successifs avec une légère variation pour les deux premiers, qui sont introduits par les conjonctions de coordination Pvoko (car) et sha (mais). Ce vers commençant par Sha,

Sha Shibo emna, comprend le ye de Shibo ye (Shibo est) dans la partie emna-mbuzi. (Shibo est

un bouc.). Les répétions se poursuivent à différents endroits du texte. Au rythme, s’ajoute la forme des vers et leur composition, les figures très imagées autour de la force et la puissance des adversaires comme les métaphores « Shibo ye msimanyo (Shibo est une scie), « Shibo

emna-mbusi » ou « Shibo ye ntezo », qui assimilent le guerrier Shibo tantôt à un outil

tranchant, msimanyo ( une scie), tantôt à un animal, mbusi (un bouc pour la force), ou encore aux deux ntezo ( une herminette) rappelant à la fois la rapidité, l’agilité et le tranchant de l’animal. Les images se poursuivent ensuite dans les comparaisons « Uke dja fumba malo

yatsihule » (sois rusé tel le requin). L’apostrophe est aussi très utilisée ici, ce qui renforce

l’atmosphère emphatique et cérémoniale du sacre. Par contre, il n’y pas de rimes ce qui laisse voire que tout repose sur les effets stylistiques et rythmiques déjà cités.

La deuxième partie du chant repose sur la description de la tenue du futur chef puis de l’accptation des guerriers.

Un travail plus poussé sur le sujet rendrait certainement compte de la grande beauté mais aussi de l’originalité du genre. Cependant, nous tenions à montrer qu’il existait une forme de poésie qui a disparu depuis quelques temps déjà mais dont la richesse au niveau historique, culturel ainsi que stylistique est immense.

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