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LA LITTERATURE COMORIENNE, ENTRE TRADITIONS ET MODERNITE

I. LA LITTÉRATURE ORALE

I. 2 La littérature orale comme garante de l’histoire des îles .1 Traditions, transmission et connaissances I.2.1 Traditions, transmission et connaissances

I. 2.2 Aux origines des croyances mythologiques

L’un des atouts fondamental de cette littérature orale, est sa capacité de conservation de données inhérentes au peuplement des iles, à la fondation de ses cités, de ses villages. Creuset d’un fond culturel encore vif, c’est par elle que l’on put reconstituer les origines de l’archipel. Par elle nous sont parvenus les mythes de fondation, emplissant le champs culturel des Comores d’une aura magique où le merveilleux côtoie le réel, où les djinns rencontrent les hommes. Elle décrit un univers mythique et mystique autour de la création des îles et de leur peuplement comme en témoignent les points suivants.

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a) Origines du mythe

Les croyances mythologiques enveloppent le peuplement de l’archipel et la mémoire collective se veut garante de récits parfois extraordinaires autour de son histoire ancienne. Tout part de l’arrivée d’une population venant de Chiraz, en Perse. Cette population, fortement sunnite fuyait les persécutions religieuses qu’avaient, semble-t-il, instauré les chi’ites. Ils arrivèrent aux Comores, près de l’actuelle Hahaya et conclurent des alliances par les mariages avec les autochtones. Ce sont les descendants de ces alliances qui allaient se trouver à la tête des sultanats et dominer les Comores « Le mythe d’origine veut que ces rois aient épousé les filles des chefs locaux, comme la princesse Djombe Adia de Sima ou que le territoire ait été librement concédé à la suite d’un échange de tissus précieux. »69. De ce fait historique qui remonterait approximativement à 922, la tradition orale va produire des mythes originels et cosmogonistes permettant d’expliquer l’histoire. On raconte ainsi qu’un sultan, Ali bin Al-Hasan et ses six filles quittèrent Chiraz à bord de sept bateaux, et voguèrent en direction de la côte africaine. Chaque bateau fit escale en un lieu différent et le sultan arriva lui à Ndzuani (Anjouan). Il est communément admis que l’île d’Anjouan compte les plus jolies filles des Comores. Cette beauté serait due au métissage résultant des différentes unions entre ces chiraziens et les autochtones.

A sa suite, d’autres sultans parviennent sur les îles voisines et leurs dynasties établissent leur suprématie.

b) Mythe de l’arrivée des Djinns et Séra (esprits et démons)

Un autre mythe décrit un personnage nommé Azali wa Mamba qui cristallise le mythe du peuplement par les Djinns et autres esprits. Azali wa Mamba viendrait de l’océan. Ce serait une femme djinn liée à la mer (une femme poisson, une sirène ?). Encore aujourd’hui, des hommes et des femmes maintiennent que l’existence ancienne des femmes poissons, les sirènes, est véridique et affirment qu’il s’agit là de l’origine du peuplement mais aussi des traditions des îles Comores.

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Certains comoriens ont raconté que Azali wa Manba était une femme djinn qui fut trouvée par un homme dans l’île de Ngazidja. Cet homme trouva la femme assise sur une falaise près de l’endroit qu’on appelle Mbashile. L’homme l’invita à venir chez lui, ce qu’elle accepta. Quelques temps après, il l’épousa. Ils eurent sept enfants, filles et garçons. Mais la femme restait muette. Cependant un jour, alors que la femme était assise à côté de son mari, elle se mit à parler : « en ce monde ; celui qui est silencieux est tenu pour un idiot. C’est pour cette raison que je n’ai pas parlé du tout durant mon séjour dans ton pays. Maintenant, je vais partir en laissant six enfants et en prenant le septième pour l’emmener avec moi chez les miens. Mais si un de mes enfants, garçons ou filles, se marie, tu devras pendant la cérémonie du mariage accomplir certaines choses. » Cela dit, elle indiqua les nombreux rites coutumiers qui devraient être effectués lors du mariage. Ces coutumes sont en effet les mêmes que continuent à suivre les comoriens depuis de nombreuses générations. Ainsi, la femme djinn s’en fut à la plage avec ses sept enfants, plongea dans l’eau en entraînant l’un d’entre eux, disparut et ne revint jamais.70

L’historien et théologien Burhane Mkele voyait en ce personnage la source des trois grands clans royaux de Ngazidja.

D’autres récits merveilleux mettent en avant une femme de rang princier ayant vraiment existé. Il s’agirait de la Reine de Sabbat appelée aussi Bilqis, venue se réfugier et trouver repos dans cet archipel du bout du monde. Elle y aurait été suivie par le Roi Salomon dont la passion pour la jeune Bilqis était sans bornes. Leur liaison aurait été scellée par une bague qui se trouverait aujourd’hui, enfouie dans les profondeurs du volcan le Khartala. Suite à ces amours, une malédiction se serait abattue sur l’ensemble de l’archipel.

Depuis, les îles sont très souvent associées, dans la conscience collective à la passion du Roi Salomon et de la Reine de Sabba. Un récit et un thème chers au peuple comorien et encore plus aux écrivains qui semblent se faire un devoir de mémoire de s’y référer en insistant sur l’idée de malédiction. On la retrouve dans le prologue de La République des

imberbes, profilée en résonnance explication des maux dont souffre la société comorienne

dans Les berceuses assassines, évoquée dans La Secte de la virginité, énoncée par Yssoufa dans Les Démons de l’aube.

54 Elle est aussi rappelée en ces vers par Saindoune Ben Ali :

Un roi Salomon

fit, dit-on, des Lunes une prison pour hideuses créatures Allah y substitua de joyeux ogres. 71

Les mythes prolongent le merveilleux dont on entoure idéalement ou par maléfice les îles. Constitutifs d’univers pluriels et parallèles donnant accès à une prise sur le réel, ils continuent d’exercer une grande fascination chez les habitants des îles qui, contre toute attente, restent convaincus de leur véracité. Cette propension à croire ce genre de récit est toujours actuelle. Aujourd’hui encore, certains racontent que l’île d’Anjouan cache dans l’un de ses coins reculés, un devin mi-homme mi-cyclope et dont les pouvoirs magiques viendraient à bout de nombreux maux dont souffrent les hommes. Ce personnage vivrait reclus depuis d’assez longues années pour connaître avec exactitude l’histoire méconnue des îles de la Lune. Un autre récit tout aussi extraordinaire mais accepté par la population comme étant véridique est celui d’une femme ayant mis au monde un serpent et dont l’amour pour cette bête, malgré la laideur et l’horreur de cet « enfantement » n’a en rien été tari. De cette histoire découle même un adage visant à justifier l’attachement d’une mère à son enfant, bon ou mauvais. « E yazaya ye gnoha, kadjam latsa.» Autrement dit, « celle qui a donné naissance au serpent ne l’a pas abandonné ».

c) Mythe de la destination Ultime : Djazaïr al Kamar

D’autres sources privilégient le contexte de la découverte, contexte que nous reprenons tous en refrain. Ceux sont aussi des sources à l’origine des théories concernant le peuplement des îles.

Envoyés chercher de l’or vers la côte Africaine, par leurs souverains, des voyageurs arabes se retrouvèrent quelque peu égarés sur l’océan. Ne parvenant pas à s’orienter, ils finirent très vite par échouer près des îles Comores. Ils purent ainsi, grâce à l’emplacement de ces bouts de terre d’où la lune servait de boussole, se repérer sur la mer. Ceux sont eux qui nommèrent ces îles « Djazaïr al Kamar » ou littéralement Îles de la Lune. Au fil des siècles, ce nom se transforma en Kamar et finit par donner l’appellation d’aujourd’hui « Comores ».

55 Dans chacun de ces mythes, il est intéressant de relever certains points communs tels que l’origine arabe des premiers habitants et le voyage amenant à la destination ultime qui se veut tantôt une fuite, tantôt une ruée vers l’or. Pour tous ces exemples, il est à regretter que la mémoire collective ne prenne pas en compte la branche africaine de nos origines. Pourtant, les premiers habitants des îles sont apparemment les africains du continent.