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II. Les produits cosmétiques et la dermatite de contact allergique

3. L’Adverse Outcome Pathway de la sensibilisation cutanée

3.4 Les tests alternatifs associés aux différents événements clés

3.4.1 La réactivité chimique

La corrélation entre la réactivité chimique envers les protéines et la sensibilisation cutanée est bien établie (Lepoittevin and Cribier, 1998). En l’occurrence, si une substance est capable de réagir avec une protéine, soit directement, soit après une biotransformation adéquate, alors elle a la capacité d’agir comme un allergène de contact.

La majorité des allergènes de contact (ou leurs métabolites) ont des propriétés électrophiles et sont capables de réagir avec des nucléophiles cellulaires comme le glutathion (GSH) ou les résidus des protéines pour former une liaison covalente stable. De nombreux acides aminés de protéines sont capables de réagir avec ces allergènes électrophiles comme la lysine et la cystéine, mais d’autres acides aminés contenant des hétéroatomes électrophiles, tels que l’histidine, la méthionine, la tyrosine, peuvent aussi réagir (Ahlfors et al., 2003). En l’occurrence, ces protéines possèdent plusieurs atomes donneurs d’électrons, tels que les atomes de soufre et d’azote, qui leur confèrent leur nature nucléophile.Ces atomes riches en électrons s’associent facilement aux molécules déficitaires en électrons pour former un complexe immunogène. Les principaux motifs reconnus comme étant à l’origine d’une réaction avec les protéines sont les suivants : domaine accepteur de Michael (addition nucléophile d'un carbanion sur un composé carbonylé α,β-insaturé) présenté en figure 28, domaine SNAr (Substitution nucléophile aromatique), domaine SN2 (substitution nucléophile

bimoléculaire), domaine base de Schiff (imine secondaire), domaine agent acétylant (introduction d’un groupe fonctionnel acétyle dans un composé organique). La réactivité des protéines étant une étape clé dans l’induction de la sensibilisation cutanée, il a été émis l’hypothèse que la réactivité pourrait être utilisée dans le ciblage du potentiel allergisant des produits chimiques.

Figure 28 : Réactions principales entre les haptènes et les protéines (Divkovic et al., 2005)

Cette caractéristique peut être mesurée en utilisant des tests de réactivité peptidique. Différentes méthodes existent (Roberts et al., 2008) : la mesure de la réactivité en cinétique, la détermination de la dose donnant 50% de réaction à un temps donné ou encore la quantification du pourcentage de déplétion. La plupart des tests mesurent soit la disparition du nucléophile, soit la formation de l’adduit entre l’électrophile et le nucléophile, et ce par différentes méthodes analytiques dont la chromatographie liquide à haute performance

et adapté à l’évaluation en routine et dans l’autre, le test permet une connaissance plus fine de la réaction et des mécanismes réactionnels mis en jeu. Les nucléophiles souvent utilisés dans les tests sont des peptides de synthèse avec un ou plusieurs résidus lysine, histidine ou cystéine (Gerberick et al., 2008, 2007, 2004; Natsch and Gfeller, 2008). Le glutathion (GSH), tripeptide et thiol le plus abondant dans les cellules est également utilisé pour mesurer la réactivité chimique (Böhme et al., 2009). Les peptides modifiés seront ensuite pris en charge par les DC dans les nœuds lymphatiques, et déclencheront une réponse immunitaire adaptative. Ainsi, une possibilité pour prédire la sensibilisation cutanée basée sur des données

in vitro est donc l’évaluation de la réactivité chimique de la substance envers les peptides et

protéines, correspondant à l’étude de l’événement moléculaire initiateur (Figure 29), mis en œuvre dans le test du DPRA.

Figure 29 : Mesure de l’événement moléculaire initiateur (ou événement clé (KE1)) selon l’AOP Direct Peptide Reactivity Assay (DPRA)

En collaboration avec l’équipe du Pr. Lepoittevin à l’université de Strasbourg, Gerberick et son équipe (Procter & Gamble) furent les premiers à mettre au point et évaluer l’efficacité d’un test mesurant la réactivité envers les protéines (Gerberick et al., 2009, 2007, 2004). En 2004, ils ont tenté de déterminer si la réactivité chimique envers les acides aminés nucléophiles avait une bonne corrélation avec le potentiel allergisant. Ils ont examiné la réactivité de différentes substances chimiques (38 molécules) ayant différents EC3 obtenus en LLNA. Ils ont ensuite évalué la réactivité envers le GSH et 3 peptides synthétiques contenant de la cystéine, lysine, et de l’histidine, chacun à des ratios de concentration peptide/substance chimique propre. Après une incubation de la substance avec les peptides durant 24h dans le noir et à température ambiante, les échantillons sont analysés par HPLC-UV. De cette manière, la

quantité de peptide non modifiée a pu être mesurée. La formation d’un complexe entraîne une consommation du peptide initial, qui est évaluée par intégration de l’aire du signal du peptide restant. La déplétion peptidique est alors corrélée au potentiel allergisant de la molécule. Un seuil de 10% de déplétion a été défini afin de classifier la substance comme sensibilisante. Les résultats ont permis de montrer une bonne corrélation entre le potentiel allergisant et la déplétion en GSH, cystéine et lysine. Cette étude a ainsi fourni la preuve initiale de l’intérêt de continuer l’évaluation de la réactivité aux peptides pour l’évaluation du potentiel allergisant (histidine exceptée). Il est à noter qu’aucun des pro-haptènes testés n’a provoqué de déplétion supérieure à 10%.

La même équipe a approfondi l’évaluation en 2007 en étendant le nombre de substances testées à 82 (44 nouvelles substances) bénéficiant de résultats en LLNA (Gerberick et al., 2007). L’histidine ne s’étant pas montré concluante, elle fut retirée du projet. Ils ne restèrent donc plus que le GSH, la lysine et la cystéine. Pour la lysine et la cystéine, deux ratios de concentration peptide/substance chimique ont été testés : 1/10 et 1/50. Le temps de réaction a été établi à 24h, et la diminution en peptide toujours mesurée par HPLC-UV. Les données ont ensuite été analysées via une classification par arbre décisionnel afin de développer un modèle de prédiction pragmatique pour évaluer et interpréter les données du DPRA. Cet arbre décisionnel est établi sur la base d’un algorithme qui évalue toutes les diminutions peptidiques pour chacune des substances chimiques dans le contexte de sa propre catégorie de sensibilisation au LLNA. Six modèles d’arbre décisionnel ont été testés puis évalués de façon statistique. Le modèle avec la meilleure précision et le nombre de mauvaises classifications le plus faible est celui prenant en compte tous les peptides et leurs différents

ratios. Mais un autre modèle d’une précision quasiment similaire et avec un nombre de

mauvaises classifications à peine plus élevé a été retenu, de par sa simplicité de mise en œuvre. Ce modèle ne prend en compte que les résultats de la cystéine 1/10, puis de la lysine 1/50, dont les peptides ont la structure suivante :

- peptide à cystéine : Ac-RFAACAA-COOH, - peptide à lysine : Ac-RFAAKAA-COOH.

La réactivité ainsi mesurée dans le test du DPRA est très bien correlée (> 80%) avec les catégories de potentiel mesurées par le LLNA.

novembre 2013 (Aleksic et al., 2009; Kato et al., 2003; Natsch and Gfeller, 2008). Ce test a été validé par l’ECVAM pour transférabilité et fiabilité, et accepté par l’OCDE en février 2015 sous la ligne directrice 442C (OECD, 2015a). Ce test in chemico est donc proposé comme modèle pour l’étude de l’événement moléculaire initiateur de l’AOP de la sensibilisation cutanée. Le protocole du DPRA, développé par les équipes de Gerberick et Lepoittevin (2004), mesure le potentiel d'hapténisation et permet de quantifier la réactivité chimique par HPLC-UV vis-à-vis de deux peptides de synthèse contenant des résidus cysteine ou lysine (Gerberick et al., 2007, 2004) (Figure 30). Même si on dénombre plusieurs acides aminés nucléophiles, le groupe amine (ε-NH2) de la lysine et le groupe thiol (-SH) de la cystéine sont des sites nucléophiles relativement forts, qui sont le plus souvent cités dans la littérature pour l’évaluation de la réactivité des haptènes.

Figure 30 : Principe du Direct Peptide Reactivity Assay (DPRA) (Wong et al., 2015)

En résumé, le protocole développé et retenu est le suivant : les substances à tester sont dissoutes et incubées avec des peptides dans des rapports de 1/10 pour le peptide à cysteine ou 1/50 pour le peptide à lysine pendant 24h à température ambiante et la concentration de peptide non épuisée restante (ou non déplétée) est déterminée par HPLC avec gradient par élution et détection UV à 220 nm. Les peptides de synthèse contiennent de la phénylalanine destinée à faciliter la détection. Les substances d'essai sans poids moléculaire spécifié sont dissoutes à une concentration de 100 mM en supposant un poids moléculaire de 375 g/mol ou 200 g/mol et une pureté de 100%. Ces substances sont incubées dans des proportions de 1/5 (pour le peptide cysteine) ou 1/24 (pour le peptide lysine) sur la base de la masse absolue. De plus, pour chacune des substances à tester, un contrôle de co-élution est effectué afin de détecter une interférence possible de la substance avec les peptides. La déplétion peptidique des échantillons incubés dans la substance d'essai est comparée à la déplétion peptidique des échantillons témoins du solvant et exprimée en tant que déplétion peptidique relative. La déplétion mesurée correspond à la baisse en nombre des peptides entiers et intacts. Le taux

de déplétion représente la diminution du nombre de peptides intacts en fonction du nombre total de peptides présents dans l’échantillon. Suite aux recommandations du développeur du test, une déplétion en peptides cysteine et lysine est rapportée pour chaque substance d'essai, et des valeurs négatives dans la plage de 0% à -10% sont considérées comme non déplétables, c'est-à-dire rapportées à 0%. Des valeurs négatives dépassant -10% sont une indication de co-élution, ces valeurs de déplétion doivent être rapportées comme étant non modifiées. Les prédictions du potentiel et de la puissance de sensibilisation sont obtenues à partir des valeurs de déplétion en utilisant l'algorithme décrit par Gerberick et al. (2007). Les pourcentages de déplétion de la cystéine et de la lysine sont ensuite établis par calcul et utilisés dans un modèle prédictif qui permet d’assigner le produit chimique testé à l’une des 4 classes de réactivité utilisées pour distinguer les sensibilisants des non sensibilisants (Tableau 8).

% moyen de déplétion de la cystéine et de

la lysine Classe de réactivité Prédiction DPRA

0% < % moyen de déplétion < 6,38% Réactivité nulle ou minimale Non sensibilisant

6,38% < % moyen de déplétion < 22,62% Faible Réactivité

Sensibilisant

22,62% < % moyen de déplétion < 42,47% Réactivité modérée

42,47% < % moyen de déplétion < 100% Forte réactivité

Tableau 8 : Modèle prédictif du Direct Peptide Reactivity Assay (Gerberick et al., 2007)

De nombreuses variantes sont actuellement utilisées, que ce soit sur la nature des peptides utilisés, leurs nombres, les cinétiques d’incubation, d’analyse ou encore les types d’analyse (formation d’adduits, réactivité sur les thiols, oxydation du peptide…) (Aleksic et al., 2008; Roberts and Natsch, 2009). De plus, des optimisations de ce test sont en cours afin d’augmenter le domaine d’applicabilité du test dans le but de pouvoir tester des molécules peu hydrosolubles (microémulsion) ou des pro-haptènes nécessitant une oxydation pour être actifs (système d’oxydation/métabolisation) (Gerberick et al., 2009).

Les applications et limites du DPRA

Ce test n’est pas applicable pour les métaux ni les oxydants car ils entrainent une dimérisation de la cystéine. Il n’est pas adapté non plus pour les substances fortement hydrophobes, les substances de composition inconnue ou variable, les produits de réaction complexe ainsi que

d’activation métabolique compétent permettant de détecter les pro-haptènes.  PPRA (Peroxidase Peptide Reactivity Assay)

Développé à partir du DPRA par la même équipe (Procter & Gamble), ce test in chemico est un raffinement du DPRA permettant d’identifier les pro-haptènes et les pré-haptènes potentiels (Lalko et al., 2013). Les peptides à cystéine et lysine sont incubés avec la substance chimique et une peroxydase (peroxydase de Raifort et/ou peroxyde d’hydrogène). Cette nouvelle approche consiste à utiliser le système d’oxydation « HRP/P » dans lequel on combine l’horseradish peroxydase (HRP) et du peroxyde d’hydrogène (plus connu sous le nom d’eau oxygénée). La HRP a l’avantage principal de posséder un site actif facilement accessible. Cette enzyme présente un large spectre de substrats et donc de pro-haptènes potentiels (en comparaison avec les autres peroxydases, notamment les différentes isoformes de CYP450). De plus son coût est faible, elle est facilement disponible, bien caractérisée et hautement stable. La détection des peptides intacts est réalisée de la même manière que dans le DPRA. Huit concentrations du produit chimique sont testées (au lieu d’une seule dans le DPRA). Les peptides sont incubés durant 24h en présence et en absence d’enzyme. Après incubation, les différentes concentrations sont analysées par spectrométrie de masse. A partir de la réponse de déplétion en peptide par rapport à la concentration, la concentration entrainant 25% de déplétion en peptides (EC25) est déterminée. Les substances ayant un EC25 ≥ 0,1 mM sont considérées comme « réactives », et celles ayant un EC25 < 0,1 mM sont considérées comme « hautement réactives ». Les deux étant classées dans la catégorie « sensibilisants », tandis que les substances induisant moins de 15,1% de déplétion, quelle que soit leur concentration, sont considérées comme « non sensibilisantes » (Gerberick et al., 2009).

Spectrométrie RMN HRMAS sur épiderme 3D reconstruit

La stratégie in chemico pour la prédiction du potentiel allergisant d’une molécule chimique a été, jusqu'à présent, basée sur l'utilisation de modèles peptidiques en solution. Dans la phase précoce de la sensibilisation cutanée, un allergisant interagit avec les protéines de l’épiderme. Il est supposé que les résidus principalement électrophiles d'un allergène intéragissent avec les acides aminés nucléophiles comme la cystéine ou la lysine pour conduire à l'hapténation des protéines épidermiques. Ces premiers événements sont quantifiés dans une certaine mesure par des méthodes telles que le DPRA ou le PPRA. Cependant, des limites ont pu être

observées avec le DPRA pour des molécules réactives comme les colorants capillaires oxydants. D'une part, il a été montré que la réactivité des allergènes cutanés vis-à-vis des résidus nucléophiles était très versatile et qu'un seul peptide/nucléophile ne pouvait pas être corrélé avec précision au potentiel de sensibilisation. De plus, les problèmes de solubilité ainsi que les aspects d'activation chimique et métabolique ne sont pas toujours correctement couverts. Ainsi, des études de réactivité chimique basées sur un épiderme 3D reconstruit en association avec la spectroscopie à Résonnance Magnétique Nucléaire HRMAS (High Resolution Magic Angle Spinning Spectroscopy) ont montré que les allergènes chimiques modifient souvent des résidus nucléophiles autres que la lysine et la cystéine. En effet, le rôle et l'impact de telles modifications, principalement concernant l’histidine, sur le potentiel de sensibilisation des produits chimiques ne sont pas couverts par les tests in chemico actuels car ce résidu a une faible réactivité en solution. Ce projet pour mesurer la réactivité chimique sur les protéines tissulaires de la peau par quantification des protéines/peptides modifiés dans un épiderme 3D reconstruit est en cours de développement au sein de l’équipe du Pr. Lepoittevin à Strasbourg.