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II. Les produits cosmétiques et la dermatite de contact allergique

3. L’Adverse Outcome Pathway de la sensibilisation cutanée

3.4 Les tests alternatifs associés aux différents événements clés

3.4.2 L’activation du kératinocyte

Les substances allergisantes arborent une haute diversité chimique et physico-chimique, mais elles ont comme unique caractéristique de partager en commun une réactivité intrinsèque envers les protéines/peptides (exception faite des pré- et pro-haptènes). En effet, les haptènes peuvent réagir avec les protéines de la surface cellulaire et activer les voies de réponse dans les KC (Weltzien et al., 2009). L'absorption de l'haptène par les KC active de multiples événements, y compris la libération de cytokines pro-inflammatoires et l'induction de voies cellulaires cytoprotectrices. L'exposition des KC à des allergènes entraîne également l'induction d'une réponse antioxydante/électrophile dépendante de l'élément ARE/EpRE (Natsch and Emter, 2008). Ce mécanisme cellulaire qui reconnaît différents électrophiles a été découvert et décrit comme étant un senseur cellulaire et est représenté en Figure 31 (Dinkova-Kostova et al., 2017, 2005).

Figure 31 : Vue générale de l'induction de la voie Nrf2 par les allergènes cutanés (Natsch, 2009) En effet, la caractéristique électrophile des composés sensibilisants leur confère une réactivité chimique particulière envers les thiols, présents dans la chaîne latérale de l’acide aminé soufré cystéine. La protéine régulatrice Keap1 (Kelch-like-ECH-associated protein 1) contient des résidus cystéines. A l’état basal, Keap1 est lié au facteur de transcription Nrf2, qui reste dans le cytoplasme et est ubiquitiné par le complexe ubiquitine ligase Cul3-Keap1,conduisant à sa dégradation par le protéasome. Des modifications covalentes des résidus cystéines par des petites molécules conduisent à la dissociation de Keap1 de son facteur de régulation transcriptionnel Nrf2 (nuclear factor-erythroid 2-related factor 2). Nrf2 s’accumule ensuite dans le noyau pour activer des gènes cibles qui ont un élément de réponse antioxydant (ARE) au niveau de la séquence promotrice. Ainsi, en intégrant un gène rapporteur comme celui de la luciférase sous le contrôle d’une séquence ARE, il devient possible de vérifier l’activation ou non de cette voie, et donc le potentiel électrophile d’une substance (Ball et al., 2011). La Figure 32 représente l’événement clé n°2 mesuré par l’activation du kératinocyte.

Figure 32 : Mesure de l’activation du kératinocyte selon l’AOP Test de lignée cellulaire AREc32

Ce test in vitro, développé par CXR Bioscience, fut la première méthode exploitant l’activation de la voie Keap1-Nrf2-ARE. Elle utilise une lignée cellulaire cancéreuse (MCF-7) qui contient un gène de la luciférase contrôlé par 8 copies de l’élément ARE cis-enhancer (Wang et al., 2006). La cytotoxicité de la substance d’intérêt est étudiée en parallèle par mesure des taux d’adénosine triphosphate (ATP). L’expression de la luciférase à 50% au-dessus du véhicule contrôle est caractéristique d’une induction significative : chaque substance induisant la luciférase au dessus de ce seuil est considérée comme allergisante (Wang et al., 2006). Les résultats obtenus par cette lignée cellulaire AREc32 ont été comparés au test du LLNA. Les auteurs ont émis l’hypothèse que les sensibilisants agissent via la réactivité protéine/peptide par la modification covalente des résidues cystéine provoquant l’inactivation de Keap1. Cette étude a montré que le test AREc32 en comparaison avec les données du LLNA peut être utilisé pour évaluer les sensibilisants cutanés (Natsch and Emter, 2008). Au vu des résultats, la lignée cellulaire AREc32 peut être incluse dans une batterie de tests in vitro afin d’étudier la sensibilisation cutanée (Natsch et al., 2009).

KeratinoSens

Ce test in vitro, développé par le parfumeur Givaudan, évalue aussi l’importance de la voie de signalisation de réponse au stress oxydant (voie de signalisation Keap1-Nrf2-ARE) suite à l’application d’une molécule allergisante (Emter et al., 2010). Il est basé sur une lignée

luciférase sous le contrôle de l'élément ARE du gène humain AKR1C2 (Andreas et al., 2011; Natsch and Emter, 2008). L’induction de la luciférase est utilisée pour évaluer les sensibilisants.

Figure 33 : Principe du KeratinoSens™ (Wong et al., 2015)

En résumé, le protocole, schématisé en Figure 33, consiste à réaliser douze concentrations de la substance dissoute dans le DMSO ou le milieu de culture cellulaire (allant de 0,98 à 2000 μM). Celles-ci sont appliquées sur les cellules ensemencées en plaque 96 puits pendant 48h avec à minima deux répétitions indépendantes. Après lyse cellulaire, le substrat de la luciférase est ajouté, puis la détection est mesurée au luminomètre au bout de 20 min. En parallèle, la viabilité cellulaire est mesurée par le test colorimétrique du MTT (marqueur de viabilité). La cytotoxicité est exprimée par l’IC50, correspondant à la concentration induisant 50% de la cytotoxicité maximale. Pour valider le test, la viabilité cellulaire doit être supérieure à 70%. L’induction du gène de la luciférase est mesurée par luminescence et est corrélée au pouvoir allergisant de la substance testée. Les mélanges ou les substances d'essai dépourvus d'un poids moléculaire défini sont dilués en considérant un poids moléculaire pro forma de 200 g/mol, donnant ainsi 12 concentrations d'essai comprises entre 0,195 μg/mL et 400 μg/mL. L’induction de la luciférase, mesurée pour la courbe dose-réponse entière, est donnée par l’Imax (le taux d’induction maximal utilisant le solvant comme contrôle) et l’EC1,5 (la concentration nécessaire pour induire un taux d’induction de 1,5). Un taux d’induction (EC1,5) supérieur au seuil de 1,5 de l’activité de la luciférase (correspondant à une augmentation de l’activité du gène de 50%) est considéré comme prédictif d’une réponse positive significative. De plus, la concentration testée ayant l’induction la plus élevée est définie comme l’lmax. Une substance d'essai est identifiée comme étant positive si, dans au moins deux des trois expériences indépendantes, l'Imax présente une induction statistiquement significative (par t test) de 1,5 fois supérieure au contrôle. De plus, l’EC1,5 doit être inférieure à 1 000 μM (ou 200 μg/mL pour les substances testées avec une masse molaire inconnue) tout en ayant une

viabilité cellulaire de 70% par rapport au véhicule témoin, à la concentration la plus faible entrainant une induction du gène supérieure de 1,5 fois. L’induction par la luciférase a clairement montré une relation dose-réponse. Cependant, une minorité de molécules sensibilisantes, plus spécifiquement celles réagissant avec des résidus lysine, semblent ne pas activer la voie Nrf2-Keap1 et pourraient activer une autre voie de toxicité. Cela donnerait lieu à des faux négatifs, comme avec les pré- et les pro-haptènes. Une étude interlaboratoire a permis de montrer que ce test est simple à mettre en oeuvre, transférable et reproductible (Andreas et al., 2011). De même, après une étude intra- et inter-laboratoires (Andreas et al., 2011; Natsch, 2009), ce test a été jugé de bonne reproductibilité et hautement prédictif. Le KeratinoSens a été validé par l’ECVAM, et les recommandations ont été publiées en février 2014. Le test du KeratinoSens a été validé par l’OCDE en février 2015 sous la ligne directrice 442D (OECD, 2015b).

Les applications et limites du KeratinoSens

Ce test n’est pas applicable pour les substances chimiques non solubles dans l’eau ou le DMSO. De même, ce test permet de détecter préférentiellement les produits chimiques sensibilisants ayant une réactivité sélective vis-à-vis des groupes nucléophiles de sulfate de cystéine. Par ailleurs, cette lignée cellulaire transfectée présente une capacité métabolique limitée et donc les pro-haptènes ne sont généralement pas détectés par ce test.

LuSens

Une méthode similaire, le LuSens, a été développée en parallèle par BASF (Ramirez et al., 2014). Comme les précédents tests, le LuSens est un test in vitro qui utilise une lignée cellulaire dérivée de KC humains dans laquelle a été inséré le gène de la luciférase sous le contrôle du promoteur ARE. Cet élément ARE peut provenir de différents gènes et espèces, par exemple AKR1C2 humain dans le cas de KeratinoSensTM ou NQO1 de rat dans le cas du LuSens. L’activité de la luciférase est représentative de l’activation de la voie Keap1-Nrf2-ARE. L’interchangeabilité de ce test avec celui du KeratinoSensTM est de 88%. Il a été validé pour un essai industriel pour transférabilité et fiabilité ainsi qu’en peer-reviewed (révision par des paires) par l’ESAC. Le LuSens est en cours de validation par l’OCDE sous la ligne directrice 442D pour l’ensemble des tests utilisant la luciférase couplée à l’élément ARE-Nrf2 (OECD, 2017a, 2015b).

SENS-IS

Ce test in vitro, développé par le groupe Immunosearch, est proposé pour l’étude du second événement clé dans l’AOP de la sensibilisation cutanée. Il permet d’évaluer la capacité des substances chimiques testées à induire spécifiquement l’expression génique de biomarqueurs de l’irritation et de la sensibilisation en utilisant un épiderme 3D reconstruit (Episkin™). Ce système se base sur l’analyse de l’expression d’un large panel de biomarqueurs représentatifs de la sensibilisation cutanée. L’utilisation d’un épiderme reconstruit permet de prendre en compte les étapes de pénétration des substances en fonction de leur solubilité et de leur état physique, mais également le métabolisme cutané.

L’application d’une substance irritante et/ou sensibilisante sur la peau induit une destruction réversible du tissu et active le système immunitaire inné et adaptatif. Ces modifications biologiques sont induites par l’expression spécifique de différents groupes de gènes. Le test SENS-IS est basé sur l’analyse de trois groupes de gènes, l’un reflétant spécifiquement le potentiel irritant du composé suite à son application sur la peau (groupe Irritant) et les deux autres corrélés avec le potentiel sensibilisant (SENS-IS et ARE). En mesurant le nombre de gènes induits dans ces trois catégories à un temps donné (6h) après l’application et en le comparant aux contrôles, le test du SENS-IS permet de déterminer le danger et d’avoir une information sur la puissance.

Le test du SENS-IS est réalisé selon le protocole décrit par Cottrez et al. (2015). La qualité des épidermes humains reconstruits est contrôlée (modèle Episkin). Ils sont mis en culture pendant deux semaines avant que la substance d'essai soit dissoute dans un solvant approprié (PBS, huile d’olive ou DMSO) et appliquée (30 µL) au niveau du stratum corneum pendant 15 minutes à 37°C, sous 5% de CO2. Les concentrations d'essai pour chaque substance testée sont de 0,1%, 1%, 10%, 50% et 100% v/v. Pour éviter la destruction du tissu par des substances corrosives et irritantes, le test requiert une courte durée d’exposition (15 min) suivie d’un lavage au PBS pour enlever l’excès de produit et ainsi éviter toute irritation non spécifique. L'épiderme est ensuite incubé dans les mêmes conditions pendant 6h. A la fin de la période d'incubation, l'épiderme est instantanément congelé dans de l'azote liquide et l'ARN total est ensuite extrait pour une analyse quantitative par RT-qPCR. Les quantités de transcrits pour 61 gènes sont mesurées puis normalisées par rapport à trois gènes rapporteurs spécifiquement sélectionnés. Les 61 gènes sont classés en trois groupes : 23 gènes IRR sont des indicateurs de l’irritation de la peau et permettent de déterminer la dose minimale irritante, 21 gènes

SENS-IS sont impliqués dans l’inflammation, le trafic et l’homéostasie cellulaires et 17 gènes ARE sont impliqués dans la voie de détoxication REDOX. Le premier groupe de gènes pour l’irritation est utilisé pour valider le test. En effet, le test est rejeté si la substance testée à la concentration minimale induit la surexpression de plus de 20 gènes d'irritation (supérieure à 1,25 fois la valeur du véhicule témoin). De même la valeur seuil du cycle du gène HSPAA1 est utilisée pour l'évaluation de la destruction tissulaire et doit être ≤ 110% pour être acceptable. La validation du test se fait après analyse du contrôle négatif (Propylène Glycol), du contrôle irritant (5% SLS), et des deux contrôles sensibilisants (50% HCA et 1% TNBS). L'expression relative des gènes du groupe SENS-IS et ARE est utilisée pour prédire la puissance de sensibilisation de la substance d'essai. Bien que l'identité des gènes associés à l'irritation ait été publiée (Cottrez et al., 2016b), l'identité de l’ensemble des gènes des deux groupes SENS-IS et ARE est actuellement brevetée.

Le test SENS-IS permet également de déterminer la puissance de la substance sensibilisante. Ainsi, en fonction de la concentration utilisée, une puissance sera attribuée allant de faiblement sensibilisant à extrêmement sensibilisant. Plus la substance est sensibilisante à une concentration faible, plus la puissance sensibilisante est importante. Pour être considérée comme sensibilisante, une substance d'essai doit induire une augmentation d'au moins 1,25 fois l’expression d'au moins 6 gènes dans le groupe SENS-IS ou ARE. La plus faible concentration répondant à ces exigences détermine la prédiction de la puissance, comme schématisée dans le Tableau 9. Si aucune des concentrations d'essai ne répond à ces critères, la substance est alors considérée comme négative. Les essais sont réalisés de façon séquentielle, en commençant par des concentrations plus faibles et en testant des concentrations plus élevées uniquement lorsque la substance donne des résultats négatifs pour les critères ci-dessus (Cottrez et al., 2016b).

Positivité # pos genes Chem A # pos genes Chem F # pos genes Chem B # pos genes Chem C # pos genes Chem D # pos genes Chem E

Genes IRR 15< x <20 <15 <15 <15 <15 >20

Genes SENS-IS <6 <6 <6 >6 >6 >6

Genes ARE <6 <6 >6 <6 >6 >6

Commentaires IRR NS Genes REDOX SENS-ISGenes Genes REDOX & SENS-IS excessiveIrritation

Classification IRR NS Sensibilisant Sensibilisant Sensibilisant Faux positif

Positif à 50% IRR NS Faible Faible Faible FP

Positif à 50%+10% IRR NS Modéré Modéré Modéré FP

Positif à

50%+10%+1% IRR NS Fort Fort Fort FP

Positif à

50%+10%+1%+0,1% IRR NS Extrême Extrême Extrême FP

IRR : Irritation ; FP : Faux positif ; NS : Non sensibilisant.

Tableau 9 : Modèle prédictif du SENS-IS

Cette méthode a été testée et validée sur environ 180 produits chimiques. Le test SENS-IS a été soumis à l'ECVAM en septembre 2011. Il est aussi entré dans le processus de validation réglementaire de l’OCDE depuis 2015.

SenCeeTox®

Le test du SenCeeTox® est une association de trois tests couvrant les deux premiers événements clés de la sensibilisation cutanée. Ce test in vitro peut être réalisé soit sur un modèle de peau reconstruite (EpiDerm de MatTek) soit sur une lignée de KC humains (HaCaT). Le premier test étudie la réactivité protéique par mesure de la concentration en Glutathion libre (GSH) après incubation de ce dernier avec la substance chimique à tester. La réactivité chimique est évaluée par mesure de la déplétion en GSH : la substance à tester est dissoute dans une solution contenant du GSH, la déplétion en GSH est mesurée par fluorimétrie et le pourcentage de liaison au GSH est ainsi obtenu. Elle peut également être mesurée en utilisant des microsomes de rat isolés et traités (CYP1A1 induit). Le second et le troisième tests étudient l’expression de biomarqueurs et la viabilité cellulaire (par le test du MTT) après exposition à la substance chimique. Pour la mesure de l’expression génique, trois voies de signalisation (Keap1-Nrf2, ARNT-AhR-XRE et Nrf1-MTF-MRE) connues pour être activées par les sensibilisants sont suivies par RT-qPCR (quantitative Reverse Transcription-Polymerase Chain Reaction) via la quantification relative de l’expression de 11 gènes cibles

dont l’expression est contrôlée par l’une de ces trois voies. Les paramètres physico-chimiques (masse molaire, log P, solubilité) sont également pris en compte. Enfin, un algorithme associe l’ensemble des résultats (réactivité du glutathion, expression des biomarqueurs et viabilité cellulaire) et fournit un index de prédiction de toxicité (Predicted Toxicity Index, PTI) pour la substance chimique testée.

La déplétion en GSH à elle seule ne constitue pas un test assez précis pour caractériser la substance en une catégorie de puissance. Cependant, la réactivité chimique corrélée aux profils d’expression des gènes augmente significativement la prédictivité.

L’entreprise Cyprotex a donc développé une approche intégrative, le SenCeeTox®, qui en plus de discriminer les sensibilisants des non sensibilisants, permet un classement en plusieurs catégories de puissance (Extrême, Fort, Modéré, Faible et Non Sensibilisant). La méthode et l’algorithme ont été développés à partir d’un panel de 39 substances ayant différentes catégories de puissance en LLNA. Cependant, une évaluation supplémentaire sera nécessaire pour déterminer si le test SenCeeTox® est acceptable en tant que méthode seule pour la sensibilisation ou comme méthode à intégrer au sein d’une ITS. Dans tous les cas, ce modèle peut potentiellement servir d'outil de screening pour évaluer la sensibilisation cutanée (Coleman et al., 2015).

NCTC 2544 IL-18 assay

Ce test in vitro, développé par l’Université de Milan, est basé sur la détection de l’expression intracellulaire de l’interleukine IL-18 par la lignée de kératinocytes NCTC 2544. En effet, il a été montré qu’une substance sensibilisante induit l’expression de l’IL-18 (Corsini et al., 2009; Van Och et al., 2005). Dans cette méthode, 12 concentrations sont utilisées afin de déterminer la concentration induisant une viabilité cellulaire de 80% (CV80) via le test du MTT. La CV80 correspond à la plus haute des 4 concentrations testées dans l’expérience. Si au moins une des 4 concentrations non cytotoxiques induit une augmentation de 1,2 fois la quantité d’IL-18 intracellulaire, et que cette augmentation est statistiquement significative dans au moins 2 des 3 expériences indépendantes, la substance sera classée comme étant sensibilisante. Dans le cas inverse, elle est classée comme étant non sensibilisante (Corsini et al., 2009; Galbiati et