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I. L’allergie cutanée

3. La dermatite de contact allergique

3.2 La physiopathologie de la dermatite de contact allergique

3.2.2 Les molécules allergisantes

3.2.2.1 Les différents types d’haptènes

La plupart des composés chimiques organiques et inorganiques responsables de DCA sont des composés de faible poids moléculaire (< 500-1000 Da), appelés haptènes. Etant trop petits

pour être immunogènes, les haptènes doivent se lier à des protéines porteuses, appelées « carrier » pour former une structure antigénique reconnaissable par le système immunitaire. Il existe trois types d’haptènes (Figure 6).

Figure 6 : L’activation des différents types d’haptènes (d'après Kaplan et al., 2012; Karlberg et al., 2013) 3.2.2.1.1 Les haptènes vrais

L’origine du concept de l’haptène provient des études de Karl Landsteiner et de John Jacobs en 1935 (Landsteiner and Jacobs, 1935), qui furent les premiers à identifier une relation entre la réactivité des allergènes chimiques électrophiles envers les résidus nucléophiles des protéines et leur potentiel allergisant, c’est-à-dire leur capacité à provoquer une réponse immune adaptative.

La grande majorité des haptènes vrais sont des molécules électrophiles intrinsèquement réactives qui sont capables d’induire une DCA en se liant de façon covalente aux résidus nucléophiles des protéines de l’environnement cutané (Divkovic et al., 2005). Ces molécules sont suffisamment lipophiles pour être capables de pénétrer la couche cornée de la peau, mais trop petites pour être immunogènes par elles-mêmes. Elles sont ainsi capables de générer un nouveau déterminant antigénique (complexe haptène-protéine) en se liant aux protéines de l’épiderme. Ce complexe antigénique formé est à l’origine du phénomène de

une réponse immunitaire. La Figure 7 représente les groupes fonctionnels majoritairement retrouvés au sein des structures hapténiques réagissant directement avec les groupements nucléophiles.

Figure 7 : Groupes fonctionnels les plus communs des haptènes électrophiles (Karlberg, 2008) 3.2.2.1.2 Les pré-haptènes

Le terme de pré-haptène, introduit par Lepoittevin (2006), désigne des molécules initialement non réactives vis-à-vis des protéines et qui n’ont pas besoin d’être prises en charge par un système métabolique pour devenir des haptènes vrais (Lepoittevin, 2006). Ces molécules inertes sont transformées par des mécanismes non enzymatiques, comme l’oxydation à l’air ou la photoactivation, en dérivés radicalaires très réactifs (époxydes, hydroperoxydes). Dans la majorité des cas, l’activation du pré-haptène est réalisée par oxydation lente via une exposition prolongée à l’air ambiant.

L’oxydation à l’air ou auto-oxydation est une réaction en chaine de radicaux libres dans laquelle la substitution d’atomes d’hydrogène combinée à l’addition d’atomes d’oxygène peut former des radicaux peroxyles. La réaction montre une sélectivité pour des positions où des radicaux stables et très réactifs, produits primaires d’oxydation, qui sont généralement des hydroperoxydes, peuvent être formés (Karlberg et al., 2013). L'identification des produits d'oxydation dans le mélange d'oxydation montre que les hydroperoxydes s'oxydent davantage, formant des produits d'oxydation secondaires, conduisant finalement à des composés polymères. Une fois les hydroperoxydes formés, ils peuvent former des antigènes spécifiques et agir comme des sensibilisants cutanés (Karlberg et al., 2013). Les produits d’oxydation secondaires tels que les aldéhydes et les époxydes peuvent aussi être allergisants, augmentant ainsi le potentiel allergisant des mélanges d’auto-oxydation (Karlberg et al.,

2008). De nombreuses fragrances couramment utilisées dans les parfums ou les produits cosmétiques agissent comme des pré- ou des pro-haptènes, parfois même les deux (Tableau 1). En effet, bien que les mécanismes soient assez différents, l’auto-oxydation et la bio-activation de certaines fragrances peuvent générer les mêmes produits (Karlberg et al., 2013).

Fragrance Activation par oxydation par l’air Bioactivation (oxydation)

Alcool cinnamique Oui Oui

Eugénol Non Oui

Géranial Oui Non

Géraniol Oui Oui

Isoeugénol Oui Oui

Limonène Oui Non

Linalool Oui Non

Acetate de linalyle Oui Non

α-Terpinène Oui Oui

Tableau 1 : Exemples de fragrances montrées expérimentalement comme étant pré- et/ou pro-haptènes

(D’après Karlberg et al., 2013)

A titre d’exemple simple, de nombreux terpènes non allergisants présents dans les agrumes, comme le d-limonène, peuvent donner des hydroperoxydes sensibilisants après oxydation par l’air (Karlberg et al., 1994; Matura et al., 2002; Raffalli et al., 2017) (Figure 8).

Figure 8 : L’oxydation du d-limonène conduit à divers produits allergisants (Matura et al., 2002)

Un autre exemple plus complexe est le cas de la para-phénylènediamine (PPD), utilisée dans la composition de colorants comme les teintures capillaires, les colorants pour textiles et les colorants incorporés dans les caoutchoucs, qui est rapidement oxydée à l’air favorisant la formation d’un ensemble de molécules réactives (Figure 9).

Figure 9 : Oxydation de la p-phénylènediamine en benzoquinone diimine, puis hydrolyse en benzoquinone

3.2.2.1.3 Les pro-haptènes

Les pro-haptènes sont des allergènes nécessitant au préalable, une activation métabolique pour se lier ensuite aux protéines de la peau. La peau humaine exprime des systèmes enzymatiques capables de métaboliser les xénobiotiques, en modifiant leur structure chimique afin d’augmenter leur hydrophilie pour en faciliter l’élimination du corps. Les enzymes cutanées de phase I telles que les cytochromes P450 (CYP450) (un système d’oxydation des composés), les alcool- et aldéhydes- déshydrogénases, les monoamines oxydases, les monooxygénases et les enzymes hydrolytiques (Karlberg et al., 2013) initient la métabolisation des xénobiotiques. Les cellules cutanées telles que les LC, les fibroblastes, les KC et les mélanocytes expriment de nombreux CYP450. Les KC expriment tout particulièrement les CYP1A1, 1B1, 2B6, 2E1 et 3A (Baron et al., 2001) et les DC expriment les CYP1A1, 2D6, 2C9, 2C19, et 2E1 et constitutivement le CYP1B1 (Sieben et al., 1999). Les enzymes de phase II prennent généralement le relais de la métabolisation et l’élimination des produits générés par les enzymes de phase I. Elles sont également retrouvées dans la peau et incluent les acyltransférases, les glutathion-S-transférases, les UDP-glucuronosyltransférases et les sulfotransférases (Karlberg et al., 2013). Ces enzymes de phase I et II peuvent donc être responsables de la formation d’intermédiaires très réactifs (Divkovic et al., 2005). La substance qui était au départ non allergisante devient alors un haptène vrai.

L'alcool cinnamique, très utilisé en parfumerie et retrouvé dans la composition du Fragrance MIX I, a longtemps été considéré comme un modèle de pro-haptène. La théorie dominante était que l'alcool cinnamique était oxydé par voie enzymatique par une alcool déshydrogénase en aldéhyde cinnamique (cinnamaldéhyde), molécule qui contient une fonction aldéhyde réactive. Or, Moss et al. (Moss et al., 2016), ont montré que les métabolites de l’alcool cinnamique formés dans un épiderme 3D reconstruit de peau humaine (RHE) sont en fait un alcool epoxy et un sulfate allylique (Figure 10). Ces données suggèrent que l'alcool cinnamique induit une DCA par une voie indépendante de celle impliquant le cinnamaldéhyde et doit donc être considéré comme un haptène vrai.

Figure 10 : Activation métabolique potentielle de l'alcool cinnamique dans l'épiderme humain reconstitué conduisant à la formation des produits (A) et (B) (Moss, 2016)

(A) Alcool-epoxy (B) Sulfate allylique

Il a été observé que les personnes présentant une activité métabolique réduite, présentaient un risque réduit de sensibilisation aux pro-haptènes (Schnuch et al., 1998). Des substances comme le géraniol peuvent aussi agir à la fois comme pro- et pré-haptène (Esser and Martin, 2017). Ce changement potentiel de réactivité d'une substance peu ou pas sensibilisante en un sensibilisant puissant est un facteur de risque important qui doit être considéré dans les tests épicutanés et les tests in vitro pour l'identification des allergènes de contact.