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Les difficultés et les limites des méthodes alternatives

III. Les nouvelles stratégies pour l’évaluation de la sensibilisation cutanée

2. Les difficultés et les limites des méthodes alternatives

Bien que des méthodes in chemico et in vitro substitutives à l’animal soient utilisées pour fournir des informations liées aux exigences du règlement REACH, il convient de noter qu'il n'y a pas d’approche actuelle validée pour évaluer la puissance menant à des sous-catégories selon le règlement CLP. Aucun test toxicologique in vitro n'est actuellement parfait et chaque méthode d'essai proposée doit être équilibrée entre la sensibilité (taux de vrais positifs) et la spécificité (taux de vrais négatifs) de l'effet prédictif sur la population humaine. Ces méthodes se sont révélées relativement performantes comparées au LLNA (précision d'environ 80%) et sont actuellement proposées pour être utilisées en combinaison avec d'autres informations pour évaluer le potentiel de sensibilisation cutanée des produits chimiques. Une des limites soulevée est qu’elles ne traitent que d’une partie des mécanismes biologiques complexes qui conduisent à l'acquisition de la DCA.

Quid d’une molécule non testée ?

Dans le cas où aucune information n'est disponible pour une substance, il est recommandé de commencer l'évaluation en utilisant la boîte à outils QSAR de l'OCDE (OCDE Toolbox) ou tout autre outil in silico. La boîte à outils peut être utilisée à plusieurs fins. D'abord, elle facilite l'identification de la substance chimique et permet de savoir si des données in vitro et in vivo sont déjà disponibles pour la substance d'intérêt. Deuxièmement, elle identifie les structures

Troisièmement, elle peut être utilisée pour prédire et caractériser la transformation métabolique ou abiotique (par exemple l’auto-oxydation ou l’hydrolyse) des produits de la substance. Quatrièmement, elle facilite l'identification des analogues par des données expérimentales croisées. En outre, les données in vivo existantes pour la substance (et/ou ses analogues) peuvent fournir des informations sur la puissance de sensibilisation cutanée, par exemple via les valeurs d’EC3 obtenues à partir d’études en LLNA. Il est à noter que les prédictions peuvent aussi bien adresser les points finaux in vivo qu'in vitro, bien que pour l'instant il y ait peu de données in vitro incluses dans la boîte à outils (l'identification des analogues avec ces données peut être difficile).

Dans le cas où toutes les données existantes disponibles par l'utilisation de la boîte à outils QSAR de l'OCDE et/ou d'autres outils in silico ne permettent pas de conclure sur le danger de sensibilisation cutanée, y compris la puissance, il est alors nécessaire d'étudier un nombre suffisant d'événements clés tels que décrits dans l'AOP pour fournir des informations à partir de méthodes non animales. Le consensus actuel est de couvrir différents KE par des méthodes

in chemico/in vitro/in silico afin d’améliorer la prédictivité finale. Par conséquent, en cas de

non réalisation d'un ou deux KE, l’évaluateur devra justifier son approche. Sur la base des connaissances actuelles, les informations obtenues à partir des peptides pour mesurer la réactivité, qu'elles soient obtenues à partir de méthodes in chemico ou in silico, semblent avoir un fort pouvoir prédictif en donnant plus de poids à l'évaluation globale de la sensibilisation cutanée (Natsch et al., 2013; Urbisch et al., 2015).

Traitement des résultats négatifs

Il a longtemps été reconnu que même les tests prédictifs in vivo en sensibilisation cutanée n’étaient pas parfaits, et ne livraient pas 100% de précision en terme de prédiction du danger chez l’homme (Basketter et al., 2009; Basketter and Kimber, 2011). Néanmoins, une analyse de Kern et al. sur 127 molécules (Kern et al., 2010) montre que le LLNA a identifié toutes les molécules avec succès sauf pour 2 molécules de la liste des pré- et pro-haptènes (soit une prédictivité d’environ 97%). Cette analyse a démontré qu'une grande proportion des pré- et pro-haptènes ont été correctement identifiés par les méthodes non animales. Par conséquent, il est admis que les données in vitro négatives soient acceptées à moins d’avoir un argumentaire scientifique convaincant sur la présence d’une substance qui est susceptible d’agir exclusivement comme un pro-haptène par activation métabolique. Des outils in silico

tels que TIMES-SS ou la boîte à outils de l'OCDE sont en mesure de fournir une telle information (Casati et al., 2016). Etant donné que les méthodes in chemico et in vitro n'ont pas ont été développées en tant que méthodes autonomes, il est donc recommandé de combiner plusieurs tests lorsque des résultats négatifs sont obtenus afin de confirmer sa valeur prédictive négative.

Prédictivité variable selon les domaines mécanistiques

Certains domaines mécanistiques sont plus faciles à prédire que d'autres. Par exemple, Natsch

et al. (2015) ont trouvé une meilleure prédictivité pour les époxydes et les domaines à

substitution nucléophile, avec un R2 > 0,80. Les aldéhydes sont les plus difficiles à prédire, avec un R2 = 0,21. Les paramètres de puissance de prédiction varient également selon les domaines mécanistiques des molécules. Ceci est une information précieuse pour la poursuite du développement des différents modèles : par exemple, les constantes de cinétique se sont avérées être importantes dans la prédiction du domaine SN2/SNAr ; de même, la valeur de l’EC3 du KeratinoSensTM est bien corrélée aux molécules accepteurs de Michael, ainsi que la cytotoxicité et la pression de vapeur pour les époxydes. Compte tenu du grand nombre de substances testées par Natsch et al. (2015), cette méthode pourrait être utilisée dans un approche du poids de l’évidence ou comme base pour le regroupement et le read-across pour des analogues structuraux (European Chemicals Agency, 2016).

Des informations importantes sur les domaines mécanistiques ont également été fournies par Urbisch et al. (2015). Ils ont observé que les tests basés sur l’élément de réponse ARE, comme le KeratinoSensTM et le LuSens ne sont pas efficaces pour prédire le potentiel de sensibilisation cutanée des agents acylants. De même, les bases de Schiff sont systématiquement mal classées dans les méthodes étudiées (DPRA, KeratinoSensTM, LuSens, h-CLAT et U-SENS™). Cette information peut être d’une grande utilité pour l’ensemble de ces méthodes qui nécessiteront des tests supplémentaires liés à leurs limites d’applicabilité.

Capacité métabolique limitée ou champ d’application inadapté

Le DPRA par exemple n'a pas de système métabolique et les méthodes in vitro validées en monocouches ne représentent pas pleinement la situation métabolique in vivo (Casati et al., 2016). Ainsi, les résultats générés avec ces méthodes pour prédire la capacité des produits

peuvent être erronés. Les méthodes d'essai in chemico/in vitro actuellement disponibles n'ont pas ou une capacité métabolique limitée (Fabian et al., 2013). Par conséquent, les substances nécessitant une activation métabolique avant de devenir des molécules sensibilisantes peuvent ne pas être correctement identifiées par ces méthodes d'essai. De même, les substances nécessitant une transformation abiotique (par exemple, auto-oxydation ou hydrolyse) avant de devenir actives peuvent ne pas être détectées. Néanmoins, ce problème s'appliquait généralement avec les tests sur animaux. En outre, les modèles QSAR ne tiennent généralement pas compte du métabolisme ni de la transformation abiotique ou seulement par comparaison implicite à un modèle fixe d’ensemble de substances qui nécessitent ou non une activation métabolique (par read-across). Il est important de noter qu'il est de la responsabilité de l’évaluateur de s'assurer qu’une méthode d'essai convienne pour tester la substance afin d’obtenir les informations adéquates. Ainsi, avant de réaliser un test, l’évaluateur doit examiner s'il existe des limitations spécifiques à certaines substances selon le domaine d’applicabilité de l'essai (la faible solubilité ou le log Kow, la nature de la molécule ; par exemple le DPRA n'est pas applicable aux molécules UVCB). Il peut aussi y avoir certaines limites intrinsèques liées à l’essai, comme l'absence ou la capacité métabolique limitée, pour lesquelles les pro-haptènes peuvent ne pas être correctement détectés et donner des résultats faussement négatifs. De même, les substances exigeant une transformation abiotique, par exemple l'auto-oxydation, l’oxydation lente ou encore l'hydrolyse dans le cas des pré-haptènes, peuvent ne pas être correctement identifiées. Actuellement, une modification du DPRA est en cours de développement (le PPRA) pour une meilleure identification des pro-haptènes (Merckel et al., 2013), mais le travail est encore en cours pour évaluer la valeur ajoutée de ce test. Une analyse concernant la capacité des méthodes de tests

in vitro à détecter les pro- et les pré-haptènes a été réalisée à l'occasion d'une réunion EURL

ECVAM tenue en 2015 et discuté avec un groupe d'experts (Casati et al., 2016). Les experts ont noté que de nombreuses substances considérées comme des pro-haptènes étaient également des pré-haptènes, comme le géraniol par exemple. Il a également été noté que la majorité des haptènes non directs étaient des pré-haptènes qui étaient généralement identifiés en DPRA. Cependant, le problème identifié pour les oxydants lents est identique en utilisant des méthodes d'essai in vivo. Les substances qui sont exclusivement des pro-haptènes, qui n'étaient pas identifiées en DPRA, étaient généralement identifiées par l'un des tests cellulaires (le h-CLAT en détectant la majorité). Le résultat de cette analyse a permis de

mettre en évidence une prédictivité comparable du danger de sensibilisation cutanée à celle obtenue précédemment avec le test du LLNA. A la lumière de cette analyse, le groupe d'experts a conclu qu’à moins qu'il n'y ait un argument scientifique qu'une substance puisse être un pro-haptène activé métaboliquement (via les modèles in silico), les résultats négatifs obtenus dans les méthodes d'essai non animales peuvent être considérées comme acceptables (European Chemicals Agency, 2016).

Conclusion

En raison de la complexité du critère de sensibilisation cutanée, une combinaison de tests alternatifs in silico, in chemico et in vitro dans une approche du poids de l’évidence doit être considérée pour augmenter la prédictivité finale de l'évaluation.

La prédiction de la puissance d’un sensibilisant cutané par des méthodes alternatives est actuellement un objectif encore en cours de développement, et les efforts pour développer des approches intégrant différentes ITS doivent être jugés dans le contexte de la variabilité du LLNA. Alors que des recommandations fermes pour des stratégies de tests intégrés ne peuvent être faites, cette revue des différentes ITS montre que certaines méthodes in silico et in vitro combinées sont toutefois prometteuses pour l'identification des catégories et même pour discriminer les substances en classes de puissance. Enfin, il convient de mentionner que les méthodes in vitro, utilisant des modèles d'épidermes 3D reconstruits, ont également l'avantage d’intégrer la notion de biodisponibilité et d’être pourvues d’une capacité métabolique plus proche de la peau humaine native (Hewitt et al., 2013) et présentent donc un intérêt des plus prometteurs pour évaluer le potentiel de sensibilisation cutanée. L’ensemble des résultats rapportés ces dernières années pour plusieurs ITS combinant différentes méthodologies (Dearden et al., 2015; Hirota et al., 2015; Jaworska et al., 2015; Natsch et al., 2015; Takenouchi et al., 2015) ainsi que pour certaines méthodes in vitro basées sur des gènes sont très encourageants pour l’évaluation du potentiel de sensibilisation cutanée (par exemple Cottrez et al., 2016, 2015; Lambrechts et al., 2010).

Présentation du travail

Au sein des laboratoires Pierre Fabre, depuisl’entrée en vigueur le 11 Mars 2013 du nouveau Règlement cosmétique n°1223/2009 sur l’interdiction de l’expérimentation animale, les méthodes alternatives, substitutives aux essais de toxicité à doses répétées comme le Local Lymph Node Assay (LLNA), sont nécessaires afin de caractériser et d’évaluer le danger de sensibilisation cutanée des produits chimiques.

De façon concomitante, la voie toxicologique impliquée dans les effets indésirables ou Adverse Outcome Pathway (AOP) a été décrite par l’OCDE (OECD, 2012). Celle-ci est composée de différents événements clés (KE) pour lesquels des méthodes alternatives sont associées. Le premier objectif de ce travail a été d’identifier 3 méthodes alternatives qui couvrent les différentes étapes de l’AOP de la sensibilisation et d’étudier leurs performances individuelles pour 33 substances sélectionnées. Parmi les méthodes alternatives proposées, nous avons sélectionné le DPRA pour le KE1, le SENS-IS pour le KE2 et le h-CLAT pour le KE3. Nous avons ensuite défini notre stratégie d’évaluation en combinant les différents tests entre eux et en comparant les résultats obtenus au test de référence sur la souris, à savoir le LLNA.

Nous avons montré qu’il est préférable de suivre une séquence prédéfinie de 2 tests afin de conclure plus rapidement et en cas de résultats contradictoires, réaliser un 3ème test pour conclure par le Poids de l'Evidence quant au danger de sensibilisation cutanée.

Parallèlement, les principales phases du processus biologique de sensibilisation cutanée font l’objet d’un consensus scientifique selon lequel il est recommandé d’associer à minima 3 tests couvrant les 3 premiers événements clés de la sensibilisation pour obtenir une information sur l’évaluation du danger. Ces tests simples comparativement à la complexité des mécanismes immunologiques mis en jeu dans l’allergie cutanée, ont montré leur efficacité pour la détection des molécules allergisantes. Cependant, choisir une telle stratégie et l’internaliser nécessite une mise en place qui peut-être complexe, coûteuse et longue. Par ailleurs, chaque test évalue un KE de l’AOP et donc un phénomène biologique en utilisant des modèles in vitro de lignées cellulaires différentes. Suite à cette constatation, la question posée a été la suivante : une même cellule peut-elle adresser l’ensemble des KE de l’AOP. Nous nous sommes donc intéressés à la possibilité de combiner différents KE menant au développement

dendritiques (DC) jouent un rôle clé lors de la phase de sensibilisation cutanée de la DCA. En effet, après activation par un antigène (Ag), la DC évolue d’un phénotype immature à un phénotype mature. Elle perd sa fonction d’internalisation pour devenir une cellule présentatrice d’Ag (CPA) professionnelle. Elle peut alors présenter aux lymphocytes T naïfs le peptide hapténisé. Nous avons donc sélectionné un type cellulaire agissant comme une cellule dendritique, à savoir la THP-1. Cette lignée promonocytaire utilisée dans le test human Cell Line Activation Test (h-CLAT) a été validée par l’OCDE en 2015 pour détecter le potentiel allergisant des composés chimiques via la mesure de l’induction de deux marqueurs d’activation de la DC, CD86 et CD54. Nous avons étudié comme événements initiaux (KE1) le stress oxydant en mesurant les formes réactives à l’oxygène (FRO) et le glutathion (GSH) ainsi que la voie Nrf2-Keap1 (voie centrale de détoxication) et l’expression génique pour le KE2 et les modifications phénotypiques pour le KE3.

Nous avons montré que les molécules allergisantes fortes, comme le cinnamaldéhyde ou la methylisothiazolinone, induisent une production précoce des FRO associée à une réduction du GSH. Elles activent également la voie Nrf2-Keap1 et induisent l’expression des marqueurs de surface cellulaire CD54 et CD86, ainsi qu’une production de cytokines spécifiques telles que l’IL-8, IL-18,... Nous avons aussi montré que les DC stimulées préalablement par les produits chimiques sont capables d’induire une prolifération lymphocytaire. L’ensemble de ces résultats ont montré une bonne corrélation pour détecter les sensibilisants forts et les irritants. Cependant, les sensibilisants modérés et faibles, agissant comme des pro-haptènes semblent ne pas induire de façon équivalente tous les KE sélectionnés.

Pour conclure, ce travail a permis de proposer un test intégrant l’ensemble des mesures biologiques comme différents KE au sein d’un même type cellulaire.