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I. L’allergie cutanée

3. La dermatite de contact allergique

3.2 La physiopathologie de la dermatite de contact allergique

3.2.2 Les molécules allergisantes

3.2.2.2 Pénétration et hapténisation aux protéines

La première étape clé dans l’initiation d’une DCA est la pénétration percutanée de l’haptène. La filaggrine (FLG), protéine présente dans le stratum corneum, a un rôle majeur dans la fonction de barrière de la peau. L’absence ou la mutation de cette protéine conduit à l’altération de la fonction de barrière cutanée et est un fort facteur de prédisposition à l’eczéma de contact chez la souris (Moniaga et al., 2010) et chez l’Homme (Novak et al., 2008). Elle jouerait aussi un rôle important dans le développement de la DCA (Esser and Martin, 2017). Les jonctions serrées, composées de diverses protéines telles que les claudines et les occludines, forment une seconde barrière à la pénétration cutanée des antigènes (Honda et

al., 2013). Une autre prédisposition génétique associée à la sensibilisation de la DCA est une

mutation du gène Claudin-1, jouant un rôle majeur dans la formation des jonctions serrées et donc dans la formation d’une barrière cutanée efficace (Esser and Martin, 2017). Il a cependant été décrit que les LC activées par des cytokines peuvent allonger leurs dendrites à travers ces jonctions pour capturer les antigènes (Kubo et al., 2009). De même, des anomalies de la barrière cutanée sont associées à la DCA. En effet, une étude montre que les patients

atteints de DCA présentent une fonction de la barrière cutanée réduite, même dans les régions cutanées non lésionnelles présentant une récupération retardée de la barrière due à une production insuffisante de céramides (Esser and Martin, 2017). Par ailleurs, le degré de perméabilité de la peau varie selon son état physiologique et selon les propriétés physico-chimiques des composés appliqués ; toute altération de la couche cornée entraine une pénétration des substances exogènes (Honda et al., 2013). Le vieillissement, l’irritation, la sécheresse et le stress altèrent l’état physiologique cutané et peuvent contribuer à la diminution de sa perméabilité (Proksch et al., 2006).

En parallèle, les caractéristiques physico-chimiques des molécules, à savoir leur poids moléculaire et leur lipophilie influencent leur pénétration cutanée. Pour diffuser rapidement à travers la couche cornée (dont le fort taux lipidique confère une certaine étanchéité), les molécules doivent donc être de faible poids moléculaire (inférieur à 1000 dalton) et principalement lipophiles (Log P ou coefficient de partition octanol/eau entre -1,4 et 4, avec une pénétration optimum pour les Log P entre 1 et 2) (Aptula et al., 2007; Chipinda et al., 2011). Plus le poids est faible et la lipophilie élevée, plus l’haptène pénètrera l’épiderme rapidement. Les sensibilisants peuvent être des ions métalliques ou des produits chimiques de faible poids moléculaire.

Deux études récentes ont abordé la question de savoir si un seuil de masse moléculaire (PM) inférieur à 500 Da, rapporté précédemment comme étant un pré-requis pour un produit chimique sensibilisant, était vrai ou non (Fitzpatrick et al., 2017; Roberts et al., 2013). Les deux études réfutent cette hypothèse car les auteurs montrent que des substances à plus haut poids moléculaire (jusqu'à 2285,61 Da) sont classées comme potentiellement sensibilisantes. De même, la notion selon laquelle les substances hautement hydrophiles, c'est-à-dire ayant un LogKow ≤ 1, ne pénètrent pas efficacement pour induire une sensibilisation, a récemment été remise en question et jugée non valide (Fitzpatrick et al, 2017).

Les composés ionisés, quant à eux, pénètrent difficilement l’épiderme (Lepoittevin, 2006). Un haptène peut pénétrer dans l’épiderme via deux voies : la voie intercellulaire (passage entre les cellules) et/ou la voie transcellulaire (passage au travers des cellules), plus rapide (Milpied-Homsi et al., 2009). Durant le passage à travers l’épiderme, les haptènes peuvent devenir immunogènes en se liant aux protéines de l’environnement cutané et générer des complexes pris en charge par les cellules de l’immunité. La réactivité de l’haptène envers les protéines

stratum corneum de la peau est facilitée par son faible poids moléculaire (< 500- 1000 Da)

ainsi que sa lipophilie (Bos and Meinardi, 2000).

La formation du complexe haptène-protéine implique la création de liaisons plus ou moins fortes mettant en œuvre soit des liaisons covalentes pour les molécules organiques, soit des liaisons de coordination pour les ions métalliques (Bal et al., 1995; Divkovic et al., 2005).

Liaisons covalentes

L’étude chimique d’un grand nombre d’allergènes comme le 2,4-dinitrofluorobenzène (DNFB), le 1-chloro-2,4-dinitrobenzène (DNCB) ou encore l’hexylcinnamaldéhyde (HCA) indique que dans la grande majorité des cas, une liaison covalente se forme entre l’haptène et la protéine, selon un mécanisme classique à deux électrons du type nucléophile-électrophile (Figure 11).

(a) (b)

Figure 11 : Formation de liaisons covalentes par réaction électrophile-nucléophile (a) et radicalaire (b)

(Aptula et al., 2007)

De nombreux acides aminés constituant les protéines possèdent sur leurs chaines latérales des groupes nucléophiles riches en électrons, susceptibles d’interagir avec les haptènes. Les plus couramment cités sont la lysine (Lys) avec leurs groupes amines (-NH2) et la cystéine (Cys) avec leurs groupements thiols (-SH), mais l’histidine, la méthionine, la tyrosine, le tryptophane ou l’arginine, possédant tous des hétéroatomes nucléophiles, peuvent également être impliqués dans ce type de réaction (Karlberg et al., 2008).

Le Tableau 2 synthétise les principales fonctions chimiques électrophiles des molécules allergisantes, le mécanisme de réaction avec les fonctions nucléophiles des protéines et les différents adduits susceptibles de se former. Ainsi, les principales réactions impliquées dans la formation de liaisons covalentes entre les haptènes et les résidus protéiques peuvent être classées en 3 groupes :

- les réactions de substitution nucléophile sur un centre saturé (dérivés halogénés, époxydes) ou insaturé (dérivés halogénés aromatiques, esters) (Divkovic et al., 2005),

- les réactions d’addition sur une fonction carbonyle ou réaction de condensation (dérivés carbonylés) (Tracey and Shuker, 1997),

- les réactions d’addition nucléophile de type Michael 1, 4 (systèmes α-β insaturés).

Sites réactifs électrophiles Mécanismes de réaction Adduits formés

Dérivé halogéné

Substitution nucléophile sur un centre saturé

Dérivé halogéné aromatique

Substitution nucléophile aromatique (SNAr)

Epoxyde

Substitution nucléophile sur un centre saturé

Ester ou Amide

Substitution nucléophile sur un centre insaturé

Aldehyde ou Cétone

Addition nucléophile

Systèmes carbonyle α-β insaturés

Addition nucléophile de type Michael

Lactone, lactame

Substitution sur un centre insaturé

Tableau 2 : Fonctions chimiques électrophiles des haptènes, mécanismes de réaction associés en présence d’un nucléophile (Nu) et adduits formés (d’après Divkovic, 2015)

Il a également été montré que des liaisons covalentes peuvent être formées par des réactions mettant en jeu des espèces radicalaires (Karlberg et al., 2008).

Liaisons de coordination

Les métaux, comme le nickel, cobalt, ou encore le chrome forment des liaisons de coordination suffisamment stables pour être reconnues par le système immunitaire (Thierse

et al., 2005). Ces liaisons sont de faible affinité et réversibles avec 4 ou 6 électrons donneurs.

Le nickel possède en effet six sites de coordination dont trois sont connus pour former un pont entre le récepteur spécifique TCR des LT et les molécules du CMH des DC (Gamerdinger et al., 2003) (Figure 12).

Figure 12 : Exemples de complexes de coordination du nickel II

Ainsi, nous venons de décrire les différents mécanismes physico-chimiques conduisant à la formation d’un complexe haptène-protéine antigénique qui induira par la suite une réponse immune spécifique de l’haptène.

3.2.3 Les mécanismes immunologiques de la dermatite de contact allergique