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La différence provoque beaucoup de réactions parmi les personnages ordinaires.

C’était la différence que l’on ne supportait jamais. Et cela créait une tension insoutenable.2

Un comportement qui va à contre-sens des normes laisse des traces dans la vie et il est commenté d’une manière positive ou négative. Ces réactions sont très diverses et vont de la peur à l’admiration. C’est à travers le comportement des gens que nous reconnaissons la différence. Tunström lui-même a été confronté à de telles réactions,

1

Les Saints géographes, p. 143.

comme il l’explique dans une interview faite par Kristina Lindström.1

A 22 ans, lorsqu'il est interné dans un hôpital psychiatrique, il peut enfin être lui-même :

Là j’ai eu droit, pour la première fois, d’être le fou que j’avais toujours été, à leurs yeux.2

Ceux qui ne voient en lui qu’un fou sont les gens de la société où il a grandi, qui trouvent qu’il est différent parce qu’il lit beaucoup et parce qu’il est curieux et rêveur. Une des réactions les plus courantes dans les romans est la peur, car la personne différente est menaçante et effrayante. Philip dans Arielle n’arrive pas à voir le côté positif des ailes de sa fille.3 Il voit seulement qu’elle est difforme et il veut que sa différence disparaisse pour qu’elle devienne une fille normale. La réaction de Fredrik quand Ida lit son premier poème, dans Le Voleur de Bible, est aussi due à la peur. Il craint qu’elle trouve un moyen de se libérer de lui et de partir. Le poème, ici un symbole de la différence, devient son rival. Sa réaction est par conséquent très violente : il la frappe en l’accusant de faire l’importante. Dans ce même livre, Johan vole dans un rêve, puisque dans les rêves rien n’empêche la liberté, et il voit comment les autres enfants réagissent par rapport à sa capacité. Ils le voient comme un intrus, qui dérange et fait peur. Un garçon jette une pierre et les ailes se cassent, car la différence, perçue comme une menace, doit être détruite. Dans Les Saints géographes, c’est l’enfant du Zona et de Maj, qui constitue ce danger. Les parents sont considérés comme des personnes différentes, mais ils font quand même partie de l’image de la vie de tous les jours. Lorsque l’enfant arrive, cela dégénère. La soi-disant tolérance ne peut pas aller jusqu’à là :

Quelles garanties avons-nous que l’enfant ne deviendra pas asocial ? Les membres se sentaient menacés par cet enfant, non seulement on préparait le terrain pour le vol de pommes et les vitres brisées mais, pire encore, c’était la société toute entière, avec ses grosses villas et ses épaisses haies les entourant, qui était menacée.4

1 Kristina LINDSTRÖM, “Kärlekens Måltavla”, p. 53.

2 « Där fick jag för första gången vara den där dåren jag alltid hade varit - i deras ögon. » ibid., p 53.

3

De Planète en planète, p. 833-882.

Les habitants de Sunne ne peuvent pas prévoir comment cet enfant se comportera. C’est pourquoi il doit être enlevé à ses parents et pris en charge par des gens normaux. Faire le contraire reviendrait à encourager la différence et à permettre sa propagation.

Les réactions sont souvent critiques. Bastiano, dans La Boule de pissenlit, sait qu’une fois rentré du voyage, il ne peut pas espérer rencontrer de réactions positives. Il est tout de même déçu car personne ne s’intéresse à ce qu’il a fait et au lieu de l’admirer, ils lui reprochent de gaspiller sa vie. « La loi de Jante n’était pas simplement la loi, elle était au cœur de la langue elle-même, tout ce qui était dit pouvait se ramener à elle... On pouvait mettre fin à n’importe quelle discussion avec un paragraphe quelconque de la loi de Jante. »1 Mais comme Sandemose le fait remarquer, souvent les paroles étaient inutiles, car il suffisait d’un regard.2

Dans l’œuvre de Tunström, une phrase revient régulièrement sous différentes formes pour ainsi mettre fin à la discussion. Lorsque Göran montre son savoir, dans Le Gamin du pasteur, il y a immédiatement une réaction de sa camarade de classe Henning. « – Il faut toujours que tu fasses l’important. »3 Il n’y a rien de pire dans les livres de Tunström que d’être prétentieux. Cela signifie que l’on pense être meilleur que les autres et qu’en plus on s’en vante. Judith, dans Les

Saints géographes, essaie d’encourager son mari en disant que les autres ne l’apprécient

pas à sa juste valeur parce qu’il est différent. Elle l’aime, bien qu’il soit différent, mais lui, il aurait voulu qu’elle l’aime parce qu’il l’était. Puis Judith ajoute : « Mais ne deviens pas trop prétentieux non plus. »4 Cela montre qu’elle ne veut pas qu’il soit fier de sa singularité, même si elle l’accepte.

Plusieurs personnages expriment de l’admiration pour la différence. Lorsque Stellan rencontre Ed dans son enfance, il est très fier de connaître un Américain, quelqu’un qui vient d’ailleurs, et il veut le montrer à ses camarades. De même Göran, dans Le Gamin

du pasteur, a un ami qu’il admire parce qu’il est différent : Lars. La jalousie est

étroitement liée à l’admiration. Lorsque Anna voit les ailes de sa fille Arielle pour la première fois, sa première réaction est de les montrer à tout le monde. Ensuite elle hésite. « Qui peut supporter de voir la liberté des autres ? »5 Arielle a quelque chose

1

Aksel SANDEMOSE, Un fugitif revient sur ses pas, p. 213.

2 Ibid., p. 213.

3 « – Du ska jämt gör dej så märkvärdi du. » Prästungen, p. 62.

4

Les Saints géographes, p. 106

que les autres n’ont pas et sa mère sait que cela ne va pas être accepté. Dans L’Oratorio

de Noël, les gens pensent que Torin commence à faire l’important parce qu’il a été

interviewé à la radio et qu’un simple tailleur de pierre comme lui ne devrait pas se comporter différemment. Les gens l’envient pour son succès et le critiquent volontiers pour le rabaisser à leur niveau. Un résultat de la jalousie des autres est la honte d’avoir réussi. Quand Victor revient à Sunne et rencontre Egil, il se sent mal à l’aise, car il a honte. Pour beaucoup de personnages la réussite est une sorte de trahison envers les gens ordinaires.

Enfin il y a la reconnaissance. Le comportement étrange de Paula est critiqué par son mari, tandis que d’autres, par exemple Ivan, l’encouragent et défendent son droit d’être comme elle veut, car ils se reconnaissent dans sa différence. Lorsque certains personnages rencontrent quelqu’un de différent, ils se sentent proche de celui-ci. Sidner, dans L’Oratorio de Noël, est inquiet avant de rencontrer le fou dans l’asile, mais ensuite il se reconnaît dans ses paroles et trouve chez lui une compréhension pour ce qu’il ressent lui-même depuis le décès de sa mère. C’est le choc de cette reconnaissance qui rend Sidner malade.