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délinquance féminine

4.3 Les besoins spécifiques des femmes détenues

4.3.3 Questions de santé

Les problèmes de santé en prison sont fréquents et touchent aussi bien les femmes que les hommes. La prévalence des atteintes à la santé est

fréquem-328 Soit les États de Californie, du Connecticut, de New York et de Washington ; v. The

Marshall Project, un blog sur l’actualité du système carcéral américain, https://www.

186 Partie I : Les femmes délinquantes ment plus élevée en prison que dans la communauté329. Conséquences d’un mode de vie souvent précarisé et d’un accès aux soins limité, ces problèmes témoignent aussi du stress de l’incarcération et des difficultés du corps humain à supporter cette expérience330. Les problèmes de santé sont ainsi nombreux et variés : troubles digestifs, sensoriels, du sommeil et psychiatriques, problèmes dentaires et dermatologiques, dépendances médicamenteuses, alcoolisme et toxicomanie, tuberculoses, infections par le VIH, hépatites et traumatismes psychologiques, sans oublier les problèmes consécutifs à des actes de violence. Comme dans la communauté, cependant, les femmes en milieu car-céral souffrent plus souvent de problèmes de santé que les hommes, aussi bien en ce qui concerne les pathologies somatiques et les maladies chroniques que les troubles psychiatriques et les addictions (Braithwaite et al. 2005)331. Com-parant les problèmes de santé des détenus américains femmes et hommes, Ingrid Binswanger et al. (2010) ont montré que les femmes étaient davantage touchées que les hommes pour la quasi-totalité des pathologies somatiques et psychiatriques considérées. Cette surreprésentation des femmes demeure significative même lorsque les analyses contrôlent statistiquement l’influence possible d’autres facteurs de risque, démographiques et socio-économiques par exemple. Les seules pathologies dont la prévalence ne différait pas entre femmes et hommes étaient la cirrhose alcoolique et les troubles psychotiques. Plusieurs recherches ont également montré que, parmi la population carcérale, les femmes étaient plus nombreuses à être infectées par le VIH (Reyes 2000).

La plus grande vulnérabilité des femmes en matière de santé soma-tique et psychique a trait aussi bien à leurs trajectoires de vie qu’à leurs condi-tions de détention. Plus fréquemment que les hommes, les détenues pro-viendraient de milieux socioéconomiquement précaires et d’environnements familiaux dysfonctionnels, elles auraient plus souvent que les hommes fait l’expérience de traumatismes psychologiques et d’expériences de violence et d’abus, seraient nombreuses à souffrir de problèmes d’addiction, et auraient aussi eu une pauvre hygiène de vie et un accès limité aux soins médicaux.

La pauvre santé mentale des femmes en prison a été soulignée à maintes reprises : en moyenne, huit femmes sur dix souffriraient d’une atteinte 329 Plusieurs métaanalyses attestent de l’importance de la problématique de la santé car-cérale, tout en soulignant la variabilité des chiffres d’un pays et d’un établissement à l’autre ; v. Seena Fazel et Jacques Baillargeon (2011) et Seena Fazel et Katharina Seewald (2012), ou encore Stefan Enggist et al. (2014) pour un rapport détaillé. 330 Il est ainsi avéré que le cerveau supporte mal la privation sensorielle et commence

rapidement à dysfonctionner s’il n’est pas stimulé (Grassian 2006).

331 Pour un ouvrage généraliste sur la thématique, v. Ronald Braithwaite et al. (2006) ; pour un état de lieux de la situation internationale, v. UNODC (2009) ou Brenda Van Den Bergh et al. (2014).

4 Les femmes en prison 187

psychique (Gido et Dalley 2012 ; Myers et Wakefield 2014). L’écart de préva-lence avec la population féminine est particulièrement marqué en matière de santé mentale. En Angleterre, par exemple, trois détenues sur quatre présen-teraient un trouble psychiatrique, comparativement à trois femmes sur vingt

Encadré 10 Les femmes détenues en Suisse

Les Établissements d’Hindelbank (canton de Berne) sont la plus grande institution pénitentiaire suisse destinée aux femmes, et la seule qui leur soit entièrement consacrée. Destinés aux peines et mesures en milieu ouvert et fermé (y compris haute sécurité), les Établissements d’Hindel-bank accueillent une centaine de femmes qui présentent un danger négligeable à très élevé pour la communauté. Parce que les détenues y ont un profil (très) varié, les Etablissements sont orga-nisés structurellement selon une forte différenciation interne. Le régime ordinaire d’exécution prévoit que les femmes peuvent se mouvoir librement au sein de leur section durant la journée, tandis qu’elles sont enfermées dans leur cellule durant la nuit. Il existe, par ailleurs, une section de thérapie pour les détenues condamnées à une mesure institutionnelle ou ambulatoire, deux sections de haute sécurité et une section d’intégration pour les détenues nécessitant, en principe temporairement, un encadrement individuel particulier, en raison de leur santé somatique ou psychique. La section mère et enfant peut accueillir six détenues accompagnées d’un enfant âgé de 3 ans au plus. Les enfants sont placés dans une garderie interne à la prison durant les heures de travail des mères ; le reste du temps, celles-ci sont pleinement responsables de leurs enfants. Enfin, la section externe du Steinhof propose des places pour la dernière phase de l’exécution des peines et mesures et destinées aux détenues qui, à leur libération, continueront de vivre en Suisse. Fin 2013, 101 femmes étaient incarcérées à Hindelbank. Les autorités ont souligné une hausse, observable depuis quelques années, du nombre de femmes incarcérées pour des actes de violence et, corollairement, une diminution du nombre de femmes incarcérées pour des infractions à la LStup. Ainsi, deux femmes sur cinq étaient incarcérées pour des délits de violence, un quart pour des atteintes au patrimoine et un tiers pour des infractions à la LStup (comparativement à près de la moitié en 2012). Les autorités ont indiqué aussi une hausse des séjours de longue durée, voire à durée indéterminée (exécution anticipée ou exécution de mesures) et un le nombre élevé de détenues souffrant de troubles ou déficiences psychologiques. En Suisse romande, la prison de La Tuilière (canton de Vaud) contient un secteur disposant de 54 places affectées aux femmes en détention avant jugement, ainsi qu’en exécution de peine et de mesure (régime ordinaire, courtes peines privatives de liberté, semi-détention, et travail externe). Ouverte en 1992, La Tuilière possède aussi un secteur mère et enfant permettant d’accueillir des femmes accompagnées de leurs enfants en bas âge jusqu’à l’âge de 3 ans. En 2013, 191 femmes ont séjourné à La Tuilière ; un quart d’entre elles étaient incarcérées pour des infractions à la LStup, 11 % pour des atteintes au patrimoine, 3 % pour homicide ou tentative d’homicide, 1 % pour des atteintes à l’intégrité sexuelle et 1 % pour des infractions LCR. Enfin, il arrive parfois que des femmes soient parfois incarcérées dans des établissements princi-palement destinés aux hommes. Cela survient notamment lors de la détention avant jugement. Les femmes sont alors incarcérées dans des cellules ou des sections séparées. Malgré cette sépa-ration, les contacts visuels et sonores entre femmes et hommes sont inévitables. Une situation dérangeante pointée du doigt par la Commission nationale de prévention de la torture à plu-sieurs reprises. Dans de tels établissements, le principe de prise en charge des besoins spécifiques est difficilement mis en pratique pour des raisons structurelles et organisationnelles, ce qui engendre inévitablement des discriminations envers les détenues.

a) Office de la privation de liberté et des mesures d’encadrement, Rapport annuel 2013, http://www.pom. be.ch.

188 Partie I : Les femmes délinquantes en liberté (Corston 2007 : 11 ; Plugge et al. 2006 : 27). Malgré certaines dif-férences internationales, les diagnostics psychiatriques les plus fréquents chez les détenues seraient les troubles liés à une substance et le syndrome de stress posttraumatique, possiblement deux facteurs de risque critiques dans la réci-dive332. De fait, trois quarts des détenues dans les prisons européennes connaî-traient des problèmes liés à la drogue au moment de leur incarcération et 10– 51 %, selon les études, présenteraient une dépendance à l’alcool. La recherche a notamment souligné des différences dans les schémas de consommation des femmes et des hommes avant leur incarcération. Les femmes auraient une consommation de drogue plus grave que les hommes, y compris durant le mois précédant leur incarcération, et seraient plus susceptibles qu’eux d’avoir consommé par injection (Van Den Bergh et al. 2014)333. Les détenues auraient ensuite, plus souvent que les hommes, été confrontées à des événements trau-matiques (abus dans l’enfance334, violences conjugales335, agressions sexuelles), ce qui explique une plus grande prévalence du stress posttraumatique. Selon certaines études, deux tiers des femmes en prison souffriraient de stress post-traumatique et un dixième auraient tenté de se suicider avant leur incarcé-ration. Les conduites d’automutilation336 seraient également plus fréquentes 332 Cynthia Battle et al. (2003) examinent de manière détaillée les multiples interactions entre expériences traumatiques, problèmes d’addiction, délinquance, et stress post-traumatique chez les détenues.

333 À cet égard, Joanne Belknap (2007 : 199) dénonce une ironie malsaine : alors que l’augmentation des incarcérations féminines est, au moins partiellement, la résultante de la guerre contre la drogue, les femmes peinent à avoir accès à des programmes de substitution spécialement destinés aux femmes durant leur détention, et, de surcroît, se voient souvent proposer une kyrielle de médicaments psychotropes pour des rai-sons non médicales, à savoir pour les tenir tranquilles ou gérer leurs exigences. 334 V. la théorie du cycle de la violence de Cathy Widom (1989), et précédemment p.

93, ou les travaux de Meda Chesney-Lind et Noelie Rodriguez (1983) et de Barbara Bloom et al. (2003). Selon des chiffres du BJS, les femmes incarcérées sont 23–37 % à signaler des antécédents de victimisation dans l’enfance, comparativement à 12– 17 % des femmes dans la population générale, et 6–14 % des hommes incarcérés (Harlow 1999) ; en Angleterre, la moitié des femmes incarcérées auraient subi des abus dans l’enfance ou des violences conjugales à l’âge adulte (Corston 2007 ; Plugge

et al. 2006 ). Enfin, v. l’intéressante étude prospective de Jane Siegel et Linda

Wil-liams (2003) sur les abus sexuels mais aussi d’autres formes de maltraitance. 335 Selon Tracy Snell (1994), les détenues sont trois fois plus nombreuses que les

déte-nus à dévoiler des violences sexuelles ou physiques dans l’enfance, et six fois plus nombreuses à dévoiler des violences subies en tant qu’adultes ; v. ég. Jocelyn Pollock (2002 : 56), ainsi que Renée Brassard et Mylène Jaccoud (2002) pour les femmes autochtones enfermées dans les prisons canadiennes.

336 Les automutilations (coupures, ingestions de produits toxiques ou corps étrangers) se distinguent du suicide par l’absence d’un désir de mourir ; Nicolas Bourgoin (2001) rapporte, p. ex., que, bien qu’elles ne comptent que pour 4.3 % des détenus, les

4 Les femmes en prison 189 parmi les détenues (Battle et al. 2003). Les détenues seraient également plus nombreuses que les hommes à connaître des états dépressifs, consommeraient davantage de tranquillisants que les hommes et, plus souvent qu’eux, elles seraient sujettes à des troubles alimentaires337.

Enfin, la violence constitue une problématique d’importance en santé carcérale. Que la violence survienne entre personnes détenues ou soit dirigée contre le personnel pénitentiaire, elle est exacerbée tant par les circonstances personnelles des détenus (p. ex., parcours judiciaire) que par des facteurs struc-turels (p. ex., surpopulation carcérale), et les femmes ne sont pas épargnées338. La recherche a conclu que les problèmes de violence étaient moins fréquents et moins graves dans les prisons pour femmes que chez les hommes (Berg et Delisi 2006 ; Craddock 1996 ; Farr 2000). Contrairement aux hommes, rares seraient les détenues qui emploient la force physique et la violence pour parvenir à leurs fins, et de tels comportements ne sont d’ailleurs pas valorisés dans les prisons pour femmes comme ils le sont dans les prisons pour hommes (Rostaing 1997 : 139). Les détenues semblent aussi être moins nombreuses que les hommes à porter ou à confectionner des armes artisanales, ce qui pour-rait cependant tenir principalement à l’absence d’ateliers employant du métal dans les prisons pour femmes, et donc au manque de matière première (Pol-lock 2002 : 123). Par ailleurs, lorsque les détenues sont trouvées en possession d’une arme, celle-ci est souvent moins élaborée que les armes trouvées dans les prisons pour hommes, et moins dangereuse. En fait, en cas de bagarre, les femmes auraient plutôt tendance à se saisir des objets à leur disposition pour blesser leurs adversaires, ce qui correspond d’ailleurs à l’usage qu’elles font des armes lorsqu’elles sont en liberté339. La recherche a toutefois mis en évidence femmes représentent 7.3 % des personnes qui s’automutilent. La prison de Holloway, en Angleterre, recense près de 70 cas d’automutilation par mois pour 500 détenues ; en Finlande, en revanche, les automutilations et tentatives de suicide seraient plus rares (Talvi 2012 : 270, 287). Plusieurs auteurs soulignent que les disparités entre les femmes et les hommes refléteraient la tendance des premières à internaliser leur souffrance, en comparaison de la tendance des seconds à l’externaliser (bagarres, vio-lences).

337 Dans le même sens, une étude suisse a récemment montré que les pratiques reli-gieuses différaient entre détenues et détenus, les premières préférant prier en groupe et recourant plus souvent aux services des assistants spirituels simplement pour échanger ; assister à des services religieux devient une possibilité supplémentaire de ne pas être seules (Becci et Schneuwly Purdie 2012 : 715).

338 Erin George, condamnée à 603 ans de prison pour le meurtre de son époux, conte son quotidien dans une prison américaine ; elle y explique les violences subies, mais également comment elle-même s’est mise à tourmenter certaines codétenues pour survivre dans ce milieu (George 2010).

190 Partie I : Les femmes délinquantes le fait que les détenues faisaient l’objet d’un contrôle social plus marqué et d’une discipline plus stricte que ceux imposés aux hommes (McClellan 1994 ; Rostaing 1997 : 139–140).

Qu’il soit question de violence, de maladie chronique ou de troubles psychiques, les soins médicaux constituent une priorité de la prise en charge des détenues340. Les institutions pénitentiaires sont tenues, d’une part, de prendre en compte les problèmes et les besoins de santé propres aux femmes, mais également d’adopter des actions préventives adaptées aux risques spé-cifiques qu’encourent ces dernières (p. ex. dépistage du cancer du sein). De manière peut-être paradoxale, la détention représente aussi une opportunité d’accès aux soins pour certaines femmes – et certains hommes, par ailleurs341. L’exigence d’une prise en charge médicale existe dès l’entrée en déten-tion et les États sont tenus de fournir des soins médicaux individualisés dans des conditions comparables à celles dont bénéficie la population générale. Les détenues devraient ainsi pouvoir rencontrer, chaque fois qu’elles le souhaitent, un médecin qualifié pour un entretien confidentiel. Le droit international établit également des besoins spécifiques aux femmes en matière d’hygiène et de contraception, de même que l’accès aux interventions destinées à inter-rompre une grossesse. Il est aussi exigé des établissements pénitentiaires qu’ils remplissent un mandat d’information et de prévention dans le domaine de la santé. Ainsi, les détenues devraient-elles recevoir une éducation et des infor-mations au sujet des mesures de santé préventives concernant notamment les addictions et les infections sexuellement transmissibles.