• Aucun résultat trouvé

délinquance féminine

2.4 Expliquer la délinquance féminine

2.4.2 Les explications sociologiques

Dans une certaine mesure, chacune des théories sociologiques de la délinquance a apporté des pièces au puzzle explicatif de la moindre délin-quance des femmes par rapport aux hommes : les femmes y sont décrites, tour à tour, comme plus respectueuses des normes, plus empathiques, davantage attachées à leur entourage, moins stressées individuellement et socialement, internalisant plutôt qu’externalisant leurs frustrations, faisant l’objet d’un contrôle social formel et informel plus serré, et ainsi de suite. Petit à petit, les théories sociologiques de la délinquance se sont complexifiées, rendant nécessaire d’examiner non plus seulement la délinquance des hommes, mais également la (moindre) délinquance des femmes.

Autocontrôle, styles de vie, groupe de pairs et tensions

Les premières théories sociologiques de la délinquance n’avaient que faire de la délinquance féminine. Qu’elles parlent d’anomie, de sous-cultures 118 Commis à l’intérieur du foyer, les crimes de la femme étaient moins souvent

détec-tés ; l’épouse pouvait empoisonner son mari ou ses enfants, la femme « euthanasier » ses parents et la servante voler ses employeurs, sans qu’aucune ne soit jamais être soupçonnée.

119 Sur le traitement des femmes par les autorités, §2.4.3. 120 Sur les femmes complices, §2.2.3.

2 Ni anges ni démons : Les visages de la délinquance féminine 91 déviantes ou d’opportunités différentielles121, ces théories considéraient toutes la délinquance comme une solution masculine à un problème masculin. Les explications étaient alors simplistes : les femmes sont moins délinquantes que les hommes parce qu’elles n’ont d’autres ambitions que de se marier et de fonder une famille, et ne subissent dès lors pas les pressions sociales que connaissent les hommes122.

Il fallut attendre la théorie du contrôle (Hirschi 1969), par exemple, pour qu’un renversement de perspective soit observé : les théories sociolo-giques se sont alors centrées non plus sur le fait d’être délinquant, mais sur ce-lui de ne pas être délinquant. Le comportement conformiste se voyait soudain valorisé, mais uniquement lorsqu’il était le fait des garçons123. La conformité des filles, quant à elle, était décrite comme sans vie, ennuyeuse et dépendante. Les hommes qui se conformaient rencontraient le succès, tandis que cette conformité apportait peu ou pas de reconnaissance aux filles, illustrant là « une profonde tendance criminologique à dévaluer le féminin et valoriser le mas-culin même lorsqu’ils font précisément ‘la même chose’ » (Naffine 1987 : 67). Michael Gottfredson et Travis Hirschi (1990), dans la théorie géné-rale du crime, déplacent leur attention du contrôle social à l’autocontrôle en postulant que l’autocontrôle interagit avec l’opportunité délinquante pour engendrer le comportement délinquant124. Sans surprise, ces recherches ont montré que les filles avaient un niveau d’autocontrôle plus élevé et moins d’opportunités délinquantes que les garçons, surtout parce qu’elles étaient plus étroitement surveillées (famille, école)125 que ces derniers. Si les filles/ femmes tendent à avoir des liens conventionnels plus forts que les garçons, cela ne suffit toutefois pas à expliquer les différences de sexe/genre dans le comportement délinquant, l’autocontrôle se révélant être un meilleur pré-dicteur de la délinquance que le contrôle social, et l’interaction des deux se révélant être le meilleur prédicteur (Nakhaie et al. 2000). Malgré ces constats,

121 Pour une analyse spécifique de chaque théorie, v. p. ex. Robert Agnew (2009) et Joanne Belknap (2007 : 31–94).

122 Pourtant obsédées par la pauvreté comme explication de la délinquance, ces pre-mières théories ont bien souvent oublié que les femmes constituent le groupe le plus paupérisé des sociétés occidentales, mais que ce sont elles qui commettent le moins d’infractions (Belknap 2007 : 37–42).

123 Travis Hirschi, comme beaucoup d’autres avant lui, n’étudia, dans un premier temps, que des garçons.

124 L’autocontrôle est initialement perçu comme déterminé par la socialisation parentale, et ce n’est que par la suite que d’autres souligneront l’influence de la socialisation communautaire/sociétale sur l’autocontrôle. V. Travis Pratt et al. (2004).

125 Sur l’influence de la famille, v. Candace Kruttschnitt et Peggy Giordano (2009) ; sur l’influence de l’école, v. Allison Payne et al. (2009).

92 Partie I : Les femmes délinquantes lorsque sont contrôlés statistiquement le niveau d’autocontrôle et les oppor-tunités délinquantes, la délinquance des garçons est toujours plus importante que celle de filles, attestant ainsi du pouvoir explicatif partiel de ces facteurs.

La théorie du pouvoir-contrôle développée par John Hagan et al. (1985) combine les concepts théoriques de classe et de contrôle pour expliquer que le contrôle familial est à l’origine de l’implication différente des femmes et des hommes dans la délinquance. Les auteurs postulent que les positions parentales dans le monde du travail influencent les attitudes patriarcales dans le ménage, attitudes qui engendrent une différenciation du contrôle exercé sur les filles et les garçons et, finalement, des probabilités différentes que les enfants adoptent des comportements déviants ou délinquants. John Hagan et al. (1985) observent que, dans toutes les classes sociales, les garçons sont plus libres d’être délinquants que les filles, mais que c’est dans les classes sociales les plus puissantes que les garçons sont les plus libres d’être délinquants. Ils en concluent que l’écart de délinquance entre les filles et les garçons découle des relations de pouvoir entre les pères et les mères ; ces relations reflètent leur statut professionnel et l’autorité que leur confère ce statut.

La théorie du pouvoir-contrôle présente la mère comme le principal agent de socialisation de la famille. Pour John Hagan et al. (1985), les mères seraient plus instrumentales que les pères dans le contrôle des enfants et les filles seraient, plus que les garçons, objets de ce contrôle. Dans les familles où la mère et le père ont des niveaux de pouvoir similaires, les balanced house-holds, les femmes seraient moins susceptibles d’exercer un contrôle différent sur leurs filles et leurs garçons. Les enfants développeraient alors des attitudes similaires quant aux conduites à risque. À l’inverse, les unbalanced households ou ménages plus patriarcaux, où mères et pères ont des niveaux de pouvoir différents, connaîtraient des attitudes plus patriarcales en regard des rôles sexués. Le contrôle exercé sur les filles y serait plus grand que celui exercé sur les garçons ; les mères soumettraient leurs filles non seulement à une plus grande supervision (contrôle instrumental), mais exerceraient également un contrôle relationnel plus serré par le biais des contraintes de l’attachement émotionnel (Hagan 1990). Les filles auraient alors tendance à développer des attitudes négatives envers la déviance et la délinquance : comparativement aux garçons, les filles percevraient davantage de risques et moins de bénéfices à ce type d’activité. En d’autres termes, parce que le contrôle imposé aux filles dans les familles de type patriarcal est plus important, les différences en matière de délinquance sont plus marquées dans ces ménages et les garçons y sont plus délinquants que les filles.

Les premières études menées dans le cadre théorique proposé par John Hagan et al. (1985) suggéraient que les différences de genre en matière de

2 Ni anges ni démons : Les visages de la délinquance féminine 93 délinquance découlaient du fait que les filles étaient différemment contrôlées : la délinquance féminine augmenterait et diminuerait en fonction du degré de patriarcat, soit du degré de contrôle parental. Par la suite, d’autres études ont suggéré que dans les ménages « moins » patriarcaux, l’écart en matière de délinquance entre les filles et les garçons s’expliquait par une moindre délin-quance des garçons qui étaient davantage surveillés (McCarthy et al. 1999). Dans l’ensemble, la recherche a apporté un soutien modéré au modèle pro-posé par John Hagan pour expliquer les écarts de délinquance entre les filles et les garçons126. Malgré des débuts prometteurs, cette théorie aboutit dans une impasse. Il est évident que le modèle devrait être retravaillé en regard des formes et structures familiales actuelles. Dans le même sens, le contrôle patriarcal est assimilé à la seule supervision parentale, soit une simplification qui nie les dimensions structurales et attitudinales potentiellement pertinentes à l’exercice explicatif.

Avec les approches situationnelles (Cohen et Felson 1979 ; Hindelang et al. 1978), les femmes et les hommes sont réputés différemment impliqués dans la délinquance parce qu’ils ont des styles de vie différents. Les filles/ femmes délinquantes, comme leurs homologues masculins, feraient l’objet d’une supervision et d’un contrôle plus faibles, auraient un niveau d’autocon-trôle moindre et participeraient de façon accrue à des activités non structurées et non supervisées. La référence au groupe de pairs, quasi omniprésente dans la littérature sur la délinquance des adolescents, joue également un rôle central dans les travaux sur le style de vie. La recherche confirme que les activités des filles et des garçons sont certes parfois différentes, les garçons semblant, par exemple, privilégier les prises de risque. Ils sortent plus souvent le soir que les filles, autant dans les villes que dans les régions rurales ; les filles rentrent généralement plus tôt et sont davantage contrôlées quant aux lieux qu’elles fréquentent, aux activités qu’elles choisissent et aux personnes avec qui elles passent du temps. Cependant, ces différences paraissent, au final, peu mar-quées et varient selon les pays (Junger-Tas et al. 2004). Les activités de loisirs sont de plus en plus souvent identiques et les schémas de loisirs ne semblent expliquer qu’une petite partie de l’implication différentielle des filles et des garçons dans la délinquance (Moffitt et Caspi 2006).

Enfin, dans la lignée des travaux d’Émile Durkheim, les théories de la tension127 expliquent la délinquance comme une réponse à des tensions structu-126 P. ex. Brenda Sims Blackwell (2000), Merry Morash et Meda Chesney-Lind (1991),

Thomas Vander Ven et Francis Cullen (2004) ; pour une exception, Gary Jensen et Kevin Thompson (1990).

127 La théorie de l’anomie (Merton 1938), la théorie des sous-cultures délinquantes (Cohen 1955), la théorie des opportunités (Cloward et Ohlin 1960), et la théorie générale de la tension (Agnew 1992).

94 Partie I : Les femmes délinquantes relles ou individuelles. Les tensions structurelles sont les processus sociaux qui influencent la façon dont un individu perçoit ses besoins/désirs ; les tensions individuelles sont les frustrations qu’il ressent lorsqu’il considère les façons de satisfaire ses besoins/désirs. Les sources de tensions sont diverses (échec per-sonnel/professionnel, besoin d’autonomie, deuil, divorce), chacune pouvant réduire l’autocontrôle, et consécutivement favoriser l’apprentissage social de la délinquance (Agnew 1992). Ces mécanismes sont influencés par l’âge, le statut socioéconomique, la communauté, mais surtout le sexe. Hommes et femmes sont exposés à des tensions différentes et y répondraient de différentes manières : la frustration des garçons/hommes s’exprimerait plus fréquemment par un agir violent externalisé, tandis que les filles/femmes seraient plus sus-ceptibles de retourner cette frustration contre elles-mêmes, accompagnée de sentiments de dépression, culpabilité et anxiété. Cette perspective explique partiellement pourquoi les femmes commettent moins d’infractions que les hommes, mais aussi pourquoi elles commettent des infractions différentes.

L’occasion crée le larron

La criminologie traditionnelle fit peu de cas de la délinquance des femmes jusqu’en 1975, lorsque la publication de deux ouvrages modifia considérablement sa perception : Sisters in crime de Freda Adler (1975) et Women and crime de Rita Simon (1975). Les auteures postulaient que les femmes commettaient moins d’infractions que les hommes simplement parce qu’elles passaient le plus clair de leurs temps à la maison, et avaient consécuti-vement un accès limité aux opportunités illégitimes. Toutes deux défendaient la théorie de la libération/émancipation des femmes, considérant que les luttes féministes avaient offert aux femmes, outre plus de droits, davantage d’oppor-tunités délinquantes ; l’occasion faisant le larron, les femmes deviendraient les égales des hommes en termes de délinquance le jour où elles auraient la même place qu’eux dans la société128.

Leurs prédictions ont été largement démenties par la suite. En effet, loin de « rattraper » la délinquance des hommes, la délinquance des femmes est, dans l’ensemble, restée stable dans les années 1970–1980. Si les atteintes au patrimoine ont augmenté, cela s’explique par la paupérisation129 des femmes, 128 Freda Adler et Rita Simon se différencient par les infractions dont elles considéraient qu’elles augmenteraient au fur et à mesure de l’émancipation : Freda Adler prédisait une augmentation de la délinquance violente, tandis que Rita Simon pensait que seules les atteintes au patrimoine seraient touchées et que la délinquance violente diminuerait consécutivement à une diminution des frustrations des femmes. 129 Sur la marginalisation économique des femmes, v. Karen Heimer (2000), et pour une

2 Ni anges ni démons : Les visages de la délinquance féminine 95 et non l’accroissement des égalités entre femmes et hommes (Belknap 2007 : 57). Les augmentations les plus importantes dans la délinquance des femmes ont été constatées dans les infractions les plus typiquement féminines, comme le vol à l’étalage ou le fait d’émettre un chèque sans provision, et non dans les infractions dites « masculines » pour lesquelles de nouvelles opportunités se présentaient pourtant130. La contribution des femmes à la délinquance violente, notamment, n’a pas semblé changer. Les crimes pour lesquels les femmes étaient alors de plus en plus arrêtées étaient peu compatibles avec l’hypothèse de l’émancipation : il s’agissait avant tout de crimes de subsistance (Steffensmeier et Allan 1988). De plus, les études ont montré que les femmes incarcérées étaient généralement traditionnelles131 et conformistes en termes de rôles sexués, et non féministes132. Enfin, les changements des pratiques policières (tolérance zéro, étiquetage) des années 1970–1980 paraissent avoir contribué de façon plus importante à l’augmentation de la délinquance fémi-nine que les luttes féministes (Box et Hale 1984)133.

Crime et genre : les théories féministes

S’inscrire dans une compréhension féministe de la délinquance re-quiert de tenir compte du contexte patriarcal dans lequel elle s’exprime. Dès lors, il est question de savoir si la façon d’agir des agences du contrôle social (police, justice, système pénitentiaire) renforce la soumission des femmes dans une société demeurant dominée par des hommes (Chesney-Lind 1989).

Avec les travaux de Cathy Widom (1989) et la théorie du cycle de la violence apparaît une nouvelle manière de comprendre la délinquance fémi-nine. Comparant les dossiers judiciaires de plus de 1 500 personnes à la fin des années 1980, elle observa que les filles maltraitées durant l’enfance étaient plus susceptibles d’avoir un casier judiciaire en tant que mineures et en tant qu’adultes. Les filles abusées étaient également plus susceptibles de commettre des infractions violentes à l’adolescence, tandis que ce lien n’était pas observé chez les garçons (Rivera et Widom 1990). À partir de ces travaux, les abus et la

130 V. Jocelyn Pollock (2002 : 49 et réfs. citées).

131 Not. une idée bien précise du rôle de la femme par rapport à l’homme dans la famille et dans la société (Campbell et al. 1987 ; Figueira-McDonough 1984).

132 Une comparaison américaine de la délinquance des hommes et de celle des femmes en regard des inégalités entre femmes et hommes a récemment conclu à une dimi-nution de l’écart entre les deux courbes, dimidimi-nution expliquée non pas par une aug-mentation de la délinquance féminine dans les quartiers plus égalitaires comme le postulerait l’hypothèse d’émancipation, mais par une diminution de la délinquance masculine dans ces quartiers (Lei et al. 2014).

96 Partie I : Les femmes délinquantes maltraitance dans l’enfance sont considérés comme des facteurs essentiels dans le risque qu’une personne devienne victime ou auteure de violence.

Un ensemble de travaux sont regroupés par Joanne Belknap (2007 : 70–78) sous l’appellation de feminist pathways to crime, car tous ont en com-mun de proposer un examen des histoires de vie des filles/femmes, en permet-tant à ces dernières de s’exprimer elles-mêmes134, afin de mettre en évidence les liens entre les événements et traumas de l’enfance/adolescence/âge adulte et l’existence de conduites délinquantes. Contrairement aux études longi-tudinales prospectives, la plupart de ces recherches sont construites à partir d’entretiens rétrospectifs de femmes incarcérées ou marginalisées. La première étude de ce type fut celle de Jennifer James et Jane Meyerding (1977) ; com-binant données autoreportées et observations ethnographiques de prostituées dans la rue et en prison, les auteures constatèrent que les prostituées avaient vécu davantage d’événements négatifs traumatisants comparativement aux femmes en général. Mimi Silbert et Ayala Pines (1981) trouvèrent, quant à eux, que 60 % des prostituées avaient subi des abus étant mineures. Meda Chesney-Lind et Noelie Rodriguez (1983) mirent en évidence la prévalence élevée des viols (50 %), des abus non sexuels graves (60 %), des fugues et des expériences de prostitution chez les femmes incarcérées. Au Canada, Margaret Shaw (1995) parvint à des conclusions similaires : elle souligna la vulnérabilité accrue des femmes appartenant à une minorité raciale/ethnique, mais montra surtout que les violences ne sont pas les seuls événements potentiellement liés aux conduites délinquantes de ces femmes, relevant notamment des problèmes d’alcoolisme/toxicomanie (75 %) et des difficultés professionnelles (66 %). Enfin, Beth Richie (1996) s’intéressa aux femmes battues afro-américaines incarcérées, adoptant comme stratégie d’enquête l’interview d’histoire de vie de manière à faire entendre la voix de ces femmes. Elle proposa alors la notion de gender entrapment pour expliquer les liens entre les violences conjugales envers les femmes, le développement d’une identité de genre culturellement construite, et la participation des femmes aux activités illégales. Ces approches partagent une conception féministe de la participation des femmes à l’activité délinquante en tant que stratégie de survie visant à échapper à un environne-ment abusif (Lanctot et Le Blanc 2002). S’il reste quelques inconnues quant aux mécanismes liant abus dans l’enfance et délinquance subséquente135, il 134 Cette tendance s’inscrit dans un paradigme féministe de la recherche qui souligne l’importance – et la pertinence – de faire appel à l’expérience des femmes elles-mêmes pour déterminer les événements de vie qui les mettent dans une position à risque pour la délinquance, §1.3.1.

135 Sur les facteurs de risque, v. §6.2.3 pour les violences conjugales et §7.4 pour les violences sexuelles.

2 Ni anges ni démons : Les visages de la délinquance féminine 97 apparaît clairement que des antécédents d’abus augmentent la probabilité de délinquance chez les filles.

Finalement, ignorer le genre dans l’explication de la délinquance ne nie pas seulement la manière dont le genre façonne les expériences et les comportements des femmes, mais également la manière dont il façonne les expériences et les comportements des garçons et des hommes. Bien que la « masculinité » du crime ait été soulignée depuis toujours, elle n’a que récem-ment été abordée comme étant socialerécem-ment construite. La réflexion crimi-nologique sur la masculinité est apparue chez James Messerschmidt (1993 : 85) qui s’interroge sur les liens entre masculinités et criminalité, sur ce qui fait que des individus en tant qu’hommes commettent des crimes, et tente de déterminer quels éléments dans la construction sociale de la masculinité sont criminogènes. James Messerschmidt (2006) part du postulat que le genre est accompli au travers de l’activité sociale, parfois d’une manière qui remet en question les normes culturellement et socialement appropriées. Les hommes et les femmes négocient activement différentes masculinités, respectivement différentes féminités ; ce sont les variations dans la construction de la mascu-linité et de la féminité qui sont essentielles pour comprendre les différences dans l’ampleur et la nature de la délinquance. La criminalité est considérée comme une pratique par laquelle se différencient diverses masculinités, mais également comme une ressource pouvant être convoquée par les hommes lorsqu’ils ne disposent pas d’autres manières de « faire le genre »136.

Or, dans cette réflexion, la masculinité est à la fois la cause et l’effet de la criminalité (Daly 2010 : 237). Si « faire la délinquance » équivaut à « faire la masculinité », le référent de la délinquance est toujours l’homme. Cela ne répond pas à la question de savoir pourquoi seule une minorité d’hommes ont besoin d’accomplir leur masculinité par la criminalité plutôt que par d’autres moyens (Hood-Williams 2001 : 44). À cet effet, Jody Miller (2002) a exploré comment « faire la masculinité » peut s’appliquer aux femmes, et particulière-ment aux filles impliquées dans des bandes délinquantes. Elle a montré que