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délinquance féminine

2.4 Expliquer la délinquance féminine

2.4.1 Les explications positivistes

Qu’elles soient biologiques ou psychologiques, les théories classiques de la délinquance féminine s’inscrivent dans une approche positiviste. Spéci-fiquement, elles reposent sur quatre principes : (a) les caractéristiques indivi-duelles – et non sociales – sont responsables du comportement délinquant ; (b) les femmes possèdent une « nature biologique » ; (c) les femmes délinquantes sont « masculines », ce qui les rend incompétentes comme femmes et enclines à la délinquance ; et (d) les différences entre la délinquance des femmes et des hommes sont des différences de sexe, et non de genre.

La criminelle-née du positivisme biologique

Le chantre du positivisme biologique de la délinquance est certaine-ment Cesare Lombroso, médecin, psychiatre et anthropologue criminel italien qui publia l’Uomo Delinquente en 1876, créant la figure du « criminel-né ». Quelques années plus tard, en 1893, il publia, avec Guglielmo Ferrero, La donna delinquente : la prostituta e la donna normale, compte-rendu détermi-112 Note 104.

88 Partie I : Les femmes délinquantes niste qui présente la prostitution comme le pendant féminin de la délinquance masculine.

Chez Cesare Lombroso, le crime est un atavisme (soit la survivance chez un individu, donné, de traits primitifs). En répertoriant les traits phy-siques communs aux délinquants, il dresse le profil de la « criminelle-née ». Les femmes, avance-t-il, ont de nombreux traits en commun parce que leurs capa-cités mentales présentent de moindres variations par rapport aux hommes : « Même la femme criminelle est plus monotone et moins originale que le criminel, comme l’est d’ailleurs la femme normale comparée à l’homme nor-mal. » (Lombroso et Ferrero 1991 : 303) Pour Cesare Lombroso, les femmes sont par nature passives et conservatrices du fait de leur rôle dans la famille traditionnelle qui les contraint à une existence essentiellement sédentaire. Si la majorité des femmes n’adoptent pas des conduites délinquantes, c’est parce qu’elles manquent d’intelligence et de passion, deux qualités que Cesare Lom-broso attribue aux femmes délinquantes, et aux hommes en général. Pour lui, il n’existe que deux catégories de femmes : la femme criminelle perçue comme masculine par nature, mauvaise et primitive (crâne masculin, pilosité) et la femme normale féminine, civilisée et respectueuse des lois. Le caractère masculin est considéré ici comme une anomalie, et non un signe de déve-loppement. La femme criminelle est pire que l’homme criminel, car elle est une « exception à double titre, comme criminelle et comme femme (…) Elle doit donc, comme double exception, être plus monstrueuse » (Lombroso et Ferrero 1991 : 360). Cesare Lombroso eut une influence importante sur les explications biologiques de la délinquance féminine ; La femme criminelle et la prostituée eut un impact plus long sur l’étude de la délinquance féminine que n’en eut L’homme délinquant sur l’étude de la délinquance masculine. De nombreux auteurs positivistes discutent encore de la passivité et du manque d’agressivité des femmes, qu’ils confèrent à ces traits une origine biologique ou hormonale, ou les conçoivent comme résultant d’apprentissages compor-tementaux différenciés.

Le positivisme biologique peut apparaître aujourd’hui saugrenu. Pourtant, la constance des différences entre femmes et hommes dans la pro-pension à commettre des infractions, quels que soient la race/ethnie, l’âge, la classe sociale, la société ou l’époque des protagonistes, apporte un certain soutien aux approches biologiques (Steffensmeier et Broidy 2001a). Dans une version moderne du déterminisme biologique, par exemple, la testostérone113

a souvent été montrée du doigt dans le débat sur les différences entre hommes

113 La sérotonine est aussi évoquée en relation avec le passage à l’acte délinquant, de même que le cortisol (McBurnett et al. 2000) et l’hormone thyroïdienne T3 (Alm et

2 Ni anges ni démons : Les visages de la délinquance féminine 89 et femmes en termes de délinquance, puisqu’un homme adulte en produit bien plus qu’une femme adulte. Les résultats des études en la matière sont tou-tefois divergents114. Néanmoins, la stabilité du taux de testostérone à certaines périodes de la vie ne permet pas d’expliquer le pic de délinquance constaté de façon récurrente entre 18 et 25 ans. De surcroît, les connaissances contem-poraines sur l’intersexualité remettent en question le statut « explicatif » de la testostérone.

La délinquance cachée du positivisme psychologique

Parmi les textes positivistes psychologiques115, l’ouvrage d’Otto Pollak, The criminality of women, (1950), fut l’un des textes influents de l’après-Seconde Guerre mondiale. Otto Pollak considérait que des facteurs sociologiques intervenaient conjointement à des facteurs biologiques dans la détermination du comportement délinquant ou criminel. Pour lui, la seule explication possible à la faible délinquance des femmes dans les statistiques of-ficielles était son caractère caché. Il associait la nature cachée de la délinquance féminine au caractère des femmes, prétendument instigatrices par excellence du fait de leur nature trompeuse116. Habituées selon lui à être passives et sans passion, les femmes seraient ainsi davantage capables de manipulation117, les 114 Pour une corroboration, v. Åke Mattsson et al. (1980) et Richard Rada et al. (1976) ;

pour une infirmation, v. Anu Aromäki et al. (2002) et Orestis Giotakos et al. (2003). 115 Il faudrait aussi citer William Thomas (1923), qui a tenté une explication psycho-logique de la délinquance féminine. Réinterprétant Cesare Lombroso, William Thomas ne définit la délinquance non plus comme une anomalie biologique, mais comme une « pathologie socialement construite » (Belknap 2007 : 34–35), tout en conservant le présupposé de l’infériorité biologique des femmes. La délinquance des femmes serait essentiellement le fait des femmes des classes sociales inférieures au bénéfice d’une socialisation déficiente et recherchant des buts inappropriés. William Thomas considère cependant qu’il est possible de prévenir les attitudes antisociales et de corriger les effets d’une socialisation déficiente. Par ailleurs, si ces travaux sur la délinquance ne sont pas les plus connus, Sigmund Freud (1932) a pourtant mis ses connaissances de psychanalyste au service des femmes délinquantes. La femme délin-quante était présentée comme une femme qui désirait être un homme ; allant contre sa nature, elle était agressive et rebelle, et l’impossibilité de ce désir ne pouvait que la mener à la névrose. Ses travaux glorifiant les rôles de femme et d’épouse ; sa vision du traitement des femmes délinquantes résidait dans le fait de les « aider » à s’adapter à leur traditionnel rôle de genre.

116 Otto Pollack considérait que la femme apprend à feindre dans l’acte sexuel (une option que l’homme n’a pas), et met ensuite ce talent à profit dans tous les domaines de sa vie.

117 La séductrice qui tente l’homme et provoque sa perte compte parmi les plus anciens thèmes dans la mythologie, l’art, la religion dans la culture occidentale (Place 1998).

90 Partie I : Les femmes délinquantes règles, puis la ménopause, exacerbant encore leurs tendances antisociales. De plus, Otto Pollak considérait que les rôles privilégiés des femmes dans la société (domestiques, infirmières, enseignantes) leur garantissaient des oppor-tunités pour commettre des crimes indétectables118. Troisièmement, toujours selon Otto Pollak, la délinquance féminine demeurerait cachée parce que les femmes bénéficieraient du favoritisme du système judiciaire, une idée qui sera formalisée par la théorie de la galanterie ou paternalisme judiciaire119.

Otto Pollak reformulera sa théorie, expliquant que la moindre impli-cation apparente des femmes dans la délinquance traduit avant tout le fait que celle-ci est indirecte : les femmes pousseraient les hommes à commettre des infractions dont elles seraient par la suite amenées à profiter. Cette théorie n’a toutefois jamais été corroborée empiriquement120. S’il est possible d’imaginer qu’une épouse profite de l’argent détourné par son mari dans l’exercice de sa profession, il est plus difficile de montrer comment elle profiterait de la crimi-nalité violente de monsieur, et encore moins de ses violations de la législation routière qui constituent tout de même la grande majorité de la délinquance masculine.