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Le cas particulier du syndrome de Münchhausen par procuration

délinquance féminine

3.4 La maltraitance infantile

3.4.3 Le cas particulier du syndrome de Münchhausen par procuration

Le syndrome de Münchhausen par procuration264 a souvent trouvé écho dans la presse et les fictions télévisées. Ce syndrome est une forme de maltraitance infantile dans laquelle un parent – il s’agit presque toujours de la mère (Day et Moseley 2010) – cause une lésion ou une maladie à son enfant, ou en simule les symptômes. Le parent maltraitant recherche ensuite, de ma-nière répétée, l’attention du corps médical tout en affirmant ne pas connaître l’origine des symptômes. Dans 95 % des cas, l’agresseur est la mère de l’enfant (Parnell et Day 1998). Le comportement de la mère peut prendre diverses formes, des fausses indications concernant les symptômes de son enfant à la manipulation d’échantillons destinés aux tests médicaux ou la fabrication de symptômes. Dans ce dernier cas, les méthodes employées sont multiples, 263 La figure mythologique de Médée, compagne de Jason, tua les enfants qu’elle avait eus avec lui afin de se venger du fait qu’il l’avait abandonnée pour une autre. Pour certains, elle est l’archétype de la furie vengeresse, tandis que d’autres la voient comme une épouse désespérée.

264 Cette terminologie est dérivée du syndrome de Münchhausen qui est une pathologie psychiatrique, appelée pathomimie ou trouble factice, et qui se caractérise par le besoin constant de la personne de simuler une maladie, sans recherche de bénéfice direct, c’est-à-dire sans volonté de toucher une rente d’invalidité ou d’échapper à une situation désagréable. Le nom provient du Baron von Münchhausen, un mercenaire du 18e siècle, qui, après être revenu de la guerre, passa le reste de sa vie à conter à son entourage le récit de ses aventures guerrières, récit souvent largement dramatisé. Lorsque, en 1951, Richard Asher, un médecin britannique, chercha un nom pour décrire le trouble qu’il avait tout juste découvert, il pensa aux récits improbables du baron, et lui dédia sa nouvelle maladie (Rosenberg 1987).

3 Une délinquance féminine « extraordinaire » 151 du sous- ou surdosage de médicaments à l’empoisonnement occasionnel ou chronique. Les symptômes induits sont illimités, les plus fréquents étant les saignements, les convulsions, la diarrhée, la fièvre, les vomissements (Rosen-berg 1987). En dehors de ces comportements nuisibles, la mère apparaît au corps médical comme une mère aimante, très attentive265 à la santé de son enfant. Elle passe des heures à son chevet et éveille très souvent la sympathie des soignants qui louent son dévouement. La prévalence du syndrome était inconnue au milieu des années 1990 (Klebes et Fay 1995), et cela semble toujours être le cas aujourd’hui ; un chiffre de 2.8 incidents pour 100 000 enfants âgés de moins d’un an au Royaume-Uni et en Irlande a été avancé par Roderick McClure et al. (1996), sans pour autant être infirmé ou confirmé depuis lors.266

Les conséquences physiques, mais également psychologiques pour l’enfant peuvent soit être directement entraînées par les actes du parent, soit résulter des procédures médicales invasives qui en découlent. Dans la revue de littérature proposée par Donna Rosenberg (1987), sur 117 victimes, 10 sont décédées (la plupart vers l’âge de 3 ans), et, parmi les survivants, 8 % ont subi des dommages permanents à la suite des abus commis par la mère ou des pro-cédures médicales adoptées pour remédier à la « maladie » (p. ex., cécité, retard mental, pose d’une prothèse à un membre). Ensemble, ces victimes directes ont également eu 10 frères ou sœurs qui sont décédés dans des circonstances étranges. Il existe également des récits de cas dans lesquels la mère avait obtenu pour son enfant des béquilles, fauteuils roulants, lunettes optiques ou encore aides auditives (et les lui faisaient porter) alors même que les résultats des tests auxquels l’enfant avait été soumis étaient normaux (Klebes et Fay 1995).

Toutes les couches de la population sont affectées par ce syndrome (Klebes et Fay 1995). Il semblerait que ce dernier ne soit que l’une des formes d’abus présents dans des familles par ailleurs dysfonctionnelles. Christopher Bools et al. (1994) ont analysé 56 familles britanniques dans lesquelles un 265 Dans un des premiers cas répertoriés, les médecins avaient trouvé étrange que la mère

ne soit pas plus en colère et inquiète face au fait que les médecins ne parvenaient pas à identifier ce dont souffrait son enfant (Meadow 1977).

266 Conceptualisé par le docteur Roy Meadow en 1977, le syndrome de Münchhausen par procuration a fait l’objet de vives controverses dans les années 1990 et 2000, lorsque plusieurs condamnations basées sur le témoignage de Roy Meadow, agissant comme expert, se sont révélées être des erreurs judiciaires. Le problème réside dans le fait que, dans la conception de Roy Meadow, l’intention de l’auteur (soit la volonté de faire du mal à l’enfant dans le but d’attirer l’attention du corps médical) peut être directement déduite des blessures physiques subies par la victime. Or, aucune don-née scientifique ne permet de faire ce lien pour l’instant. Les connaissances actuelles concernant le syndrome de Münchhausen par procuration doivent donc être consi-dérées avec prudence.

152 Partie I : Les femmes délinquantes enfant avait été victime du syndrome de Münchhausen par procuration. Les victimes n’avaient pas de caractéristiques communes particulières ; la proba-bilité de victimisation ne semblait pas être dépendante du sexe de l’enfant, de son rang parmi les naissances dans la famille ou du fait qu’il soit plus ou moins aimé par sa mère que ses frères et sœurs. Les mères le plus à risque de présenter ce syndrome avaient une faible estime d’elles-mêmes, se sentaient seules et incompétentes, et cherchaient à compenser ces sentiments négatifs en attirant l’attention du corps médical. Dans la revue de littérature de Donna Rosen-berg (1987), 10 % des mères avaient elles-mêmes été diagnostiquées comme présentant le syndrome de Münchhausen, et 14 % en présentaient des traits caractéristiques, sans qu’un diagnostic n’ait été posé267. Dans l’étude de Chris-topher Bools et al. (1994), trois quarts des répondantes ont indiqué avoir été victimes d’une forme d’abus dans l’enfance, au sein de la famille. Il se pourrait donc qu’elles aient été élevées dans une famille peu aimante, et qu’elles aient appris jeunes que la seule façon d’obtenir de l’attention et de l’affection était à travers la maladie (Crouse 1992). Il semblerait par ailleurs qu’elles aient fréquemment une formation (para)médicale, comme infirmières, aides-soi-gnantes ou assistantes médicales (Day et Moseley 2010)

La société moderne sacralise la mère, et impose aux femmes une image de la maternité idyllique : elles doivent être épanouies d’être enceintes, heu-reuses de s’occuper de leurs enfants, le faire avec facilité, et surtout ne pas avoir de sentiment négatif par rapport « au plus beau métier du monde ». La réalité est parfois autre ; la grossesse est vécue comme une souffrance par certaines femmes, et il arrive que des mères éprouvent des sentiments négatifs envers un enfant qu’elles ont mis au monde. Or, la sacralisation de la maternité constitue un obstacle que les mères maltraitantes doivent surmonter si elles souhaitent demander de l’aide, exprimant alors une réalité indicible. Souvent, ces mères sont qualifiées d’immatures et sont mal entourées. Certains pays l’ont bien compris et ont mis en place une aide à domicile pour jeunes mères, ainsi qu’un suivi psychologique en cas de besoin, et la possibilité de demander des conseils sur tous les aspects de la vie quotidienne avec un nouveau-né. Cela étant, il arrive encore aujourd’hui qu’une société, pour différentes raisons, tolère des infanticides, et les encourage même dans certaines circonstances bien que la mise en évidence de ces circonstances soit délicate268. C’est le cas notamment 267 Dans le même sens, v. ég. Keith Kaufman et al. (1989) et Christine Klebes et Susan

Fay (1995).

268 Sur les infanticides liés à la préférence traditionnelle pour les fils dans certaines cultures, not. sur la complexité des mécanismes en jeu et la variabilité régionale du phénomène, v. p. ex. Isabelle Attané (2010) et Lisa Eklund (2011).

3 Une délinquance féminine « extraordinaire » 153 de milliers de filles tuées chaque année dans le monde, car leur sexe fait d’elles un fardeau pour leur famille.