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délinquance féminine

4.3 Les besoins spécifiques des femmes détenues

4.3.4 Maternité et incarcération

En France, deux détenues sur cinq auraient des enfants mineurs à charge (Cardi 2007b)342, tandis que les chiffres nord-américains suggèrent que cette situation toucherait, en moyenne, trois femmes sur cinq (Toth et al. 2008 : 117)343. Dans l’étude de Louise Biron (1992), au Canada, deux tiers des détenues avaient des enfants. Que la prévalence de la maternité soit jugée 340 Sur cette question et la nécessité d’une approche médicale dite sensible au genre, v.

p. ex. Stéphanie Covington (2014) et Barbara Guthrie (2011).

341 Sur les soins médicaux destinés aux détenues, v. Véronique Jaquier et Joëlle Vuille (2016) et, pour les aspects légaux, v. not. les règles 5, 6, 17 et 18 RdB ; 15 et 24 ERMD ; 16a, 19.7 et 42.1 RPE ; ainsi que les rapports du CPT, CPT/Inf [93] 12 §53 ss CPT/Inf [2000] 13 §32–33. Sur la santé carcérale, v. Véronique Jaquier (2016). 342 En France, en 2002, 42 % des femmes entrant en prison avaient un enfant à charge,

contre 32 % des hommes (Cardi 2007b).

343 Dans le même sens, v. Jocelyn Pollock (2002 : 10) et Suzanne Sobel (1982). Sur les enfants en prison, v. Oliver Robertson (2008) pour un résumé des enjeux.

4 Les femmes en prison 191 fréquente ou non, la situation des enfants nés durant la détention de leur mère paraît être une préoccupation d’importance dans la plupart des régions du monde344.

Le traitement pénal infligé aux femmes est marqué par une certaine ambivalence qui repose sur une conception particulière des rôles sexués et catalogue les détenues en référence au « féminin maternel », genre féminin dominant dans l’univers pénal/carcéral s’il l’on en croit Coline Cardi (2008 : 76). La maternité paraît être un facteur protecteur en amont et au sein de l’institution carcérale, un des « bénéfices secondaires du statut de dominée »345. Le familialisme opérant dans les institutions pénales et carcérales rend compte de la façon dont les femmes – à l’inverse des hommes – sont avant tout défi-nies dans leur rapport à la filiation. Des prescriptions morales différentes qui se traduisent par des dispositifs de contrôle social différenciés.

La maternité est alors au fondement des inégalités entre les femmes et les hommes, mais aussi des inégalités entre les femmes elles-mêmes (Cardi 2008). Car s’il peut y avoir une forme d’indulgence judiciaire à l’encontre des mères, celle-ci est sans nul doute sélective : elle est « plus faible pour les femmes seules, beaucoup moins utiles, voire suspectes et dangereuses. En revanche, la sévérité est de mise pour celles qui dérogent aux devoirs fondamentaux des femmes, et notamment les ‘mauvaises mères’, qui continuent, de nos jours, à cristalliser la rigueur des tribunaux » (Perrot 2002 : 14–15). La référence au féminin maternel est avant tout normative : elle peut valoir des bénéfices à celles qui suivent ses prescriptions et des sanctions à celles qui y dérogent, mais ces bénéfices sont toujours assortis d’un contrôle social accru, exercé tant au sein qu’aux abords de l’institution carcérale. Soumise à une surveillance constante, la réinsertion de ces femmes est organisée autour de leur fonction maternelle346. Elles sont une population à risque, non pas sécuritaire cette fois, mais en regard du bien-être de leur enfant.

344 David Ward et Gene Kassebaum (2008 : 70) voient ici une différence majeure entre le vécu carcéral des femmes et celui des hommes. Alors que les difficultés des pre-mières seraient cristallisées autour de leur rapport à la maternité, les seconds seraient surtout préoccupés par leur capacité à trouver du travail une fois libérés, capacité limitée par leur incarcération. Un tel discours renvoie clairement les préoccupations des unes et des autres à leurs rôles sexués. D’autres auteurs, comme Coline Cardi (2008), dénoncent cependant la surreprésentation du féminin maternel dans l’uni-vers carcéral.

345 Coline Cardi (2008 : 79) s’approprie ici une expression de Maryse Marpsat (1999 : 887), employée pour désigner le risque moindre pour les femmes de se retrouver à la rue.

346 Dans certaines situations, cela s’illustre avec l’impossibilité pour les mères de travail-ler ou suivre une formation en prison.

192 Partie I : Les femmes délinquantes Lorsqu’incarcération il y a, elle est souvent pensée dans l’intérêt de l’enfant. Les contradictions entre féminité et principes de sécurité créent des disciplines pénitentiaires particulières pour les femmes347. Il s’agit d’apprendre à ces femmes « leur métier de mère, (…) première étape d’insertion dans la société » (Cardi 2008 : 84). Au sein de l’institution carcérale, les mères béné-ficient habituellement de « meilleures » conditions de détention que les autres détenues, créant une « séparation genrée des territoires d’incarcération » (Cardi 2008 : 80). La « vraie prison » est séparée de l’espace mère-enfant par une « fron-tière », à la fois tangible et symbolique. Les différences se situent au niveau des aménagements de l’espace (couleurs, matériaux), de la nature des activités qui s’y déroulent, mais aussi des odeurs, des bruits et du personnel qui s’y affaire. Le discours y est marqué par les références au care, habituellement absentes du discours carcéral. Les espaces mère-enfant en prison deviennent alors des espaces à la fois stigmatisés et valorisés.

L’incarcération des femmes a un impact important sur la vie familiale, car même si l’incarcération du père est plus fréquente que celle de la mère, nombre de détenus ne vivaient pas avec leur(s) enfant(s) au moment de leur incarcération et n’en avaient pas l’autorité parentale348. L’incarcération d’une mère a ainsi souvent des conséquences plus importantes pour les enfants, qui sont souvent déplacés vers un nouveau foyer349. En plus du déménagement, les enfants des personnes détenues souffrent de la rareté des visites, due notam-ment à l’éloignenotam-ment géographique des prisons pour femmes ou au manque de moyens financiers à disposition de l’entourage. Si les enfants ne sont pas toujours en âge de comprendre la situation, celle-ci engendre presque toujours chez eux un sentiment de grande insécurité (Reed et Reed 2004). Il n’existe, par ailleurs, peu ou pas de soutien psychosocial pour aider ces mères et leurs enfants à gérer la séparation ni les retrouvailles à la sortie350. Il n’est dès lors pas étonnant que la privation la plus cruelle pour les femmes incarcérées soit 347 En même temps, la maternité serait aussi un « gage de réinsertion » (Cardi 2008 : 79) dans le discours judiciaire, comme en témoigne l’introduction dans la législa-tion française de la libéralégisla-tion condilégisla-tionnelle parentale. Introduite dans le Code de procédure pénale français en 2000, cette disposition facilite l’octroi d’une liberté conditionnelle aux parents ayant à charge un enfant de 10 ans ou moins, dont ils ont l’autorité parentale, ce à condition de ne pas être incarcéré pour une infraction sur mineur et qu’il leur reste au maximum quatre ans à purger.

348 À l’inverse, selon les données citées par Suzanne Sobel (1982), la grande majorité des femmes emprisonnées ayant des enfants vivait avec ces derniers avant leur incarcéra-tion.

349 Sur ce sujet, v. not. Zina McGee et al. (2012).

350 Les interventions destinées à faciliter la gestion des relations mère-enfant durant l’in-carcération, mais aussi le développement des compétences parentales ont été identi-fiés comme des axes de travail pertinents avec les détenues, tant par les praticiens que

4 Les femmes en prison 193 la séparation d’avec leur famille (Ward et Kassebaum 2008 : 14 ss). De plus, l’incarcération de la mère soulève la question du sort des enfants dans des dimensions différentes que dans le cas de l’incarcération du père. En effet, lorsque le père est détenu, il peut compter sur le fait que la mère veillera sur ses enfants, et qu’elle sera aidée financièrement par l’État en l’absence du père de famille. Lorsque la mère est incarcérée, en revanche, se pose la question de la garde des enfants, puisque l’État ne substituera pas une nounou à la mère emprisonnée, les aides étatiques ne prévoyant en général pas ce type d’arran-gement.

Le droit national et international s’est évidemment emparé de la question de la prise en charge des détenues enceintes, relevant de couche et avec enfant351. Incarcérées alors qu’elles attendaient un enfant ou tombées enceintes durant leur détention dans le cadre de congé, d’une visite conjugale ou suite à un viol, les femmes enceintes doivent bénéficier d’une prise en charge appropriée et dispensée par des professionnels qualifiés, ce à la faveur du principe d’équivalence des soins. Les besoins médicaux, d’hygiène et ali-mentaires des femmes enceintes, relevant de couche et allaitantes doivent être prise en charge par les établissements pénitentiaires. Les règles internationales prévoient également que l’accouchement doit, dans la mesure du possible, avoir lieu dans un hôpital civil ou, si cela ne devait toutefois pas s’avérer réa-lisable, que l’assistance et les infrastructures nécessaires doivent être fournies. Ces règles sont, par ailleurs, intransigeantes en ce qui concerne les mesures de contrainte : il est inacceptable qu’une femme accouche enchaînée ou entravée, une pratique qui a pourtant encore cours aujourd’hui.

La période postnatale est encore plus délicate puisqu’il s’agit non seu-lement de prendre en charge les besoins médicaux de la mère (suivi du post-partum) et de l’enfant (suivi pédiatrique), mais également de se prononcer sur le lieu de vie de l’enfant. Si la prison n’est pas le meilleur environnement de vie pour un enfant en bas âge, elle représente une solution généralement moins néfaste que la séparation de la mère et de l’enfant352. Certains pays

per-les chercheurs ; pour une revue, v. Merry Morash et Pamela Schram (2002 : 71–103), Emily Wright et al. (2012), et Ruth Zaplin et Joyce Dougherty (2008).

351 V. not. les règles 24 et 48 ss RdB, 23 ERMD, et 34.3 RPE.

352 Il existe peu de données chiffrées concernant le nombre de bébés et d’enfants vivant en prison. Philippe Combessie (2005) estime qu’il y aurait, en moyenne, cinquante mères détenues avec leur enfant dans les prisons françaises, soit environ 2.5 % de la population carcérale féminine. Aux États-Unis, le BJS estimait, en 2004, qu’entre 3 et 4 % des détenues dans les prisons étaient enceintes au moment de leur incarcé-ration (Bouffard 2014). Au Canada, quatre mères résidaient avec leur enfant dans une prison fédérale en 2007 (soit moins de 1 %), tandis qu’il n’y en avait aucune, en 2012, parmi 603 détenues fédérales (The Law Library of Congress 2014).

194 Partie I : Les femmes délinquantes mettent ainsi aux mères d’élever leur enfant en prison, jusqu’à l’âge de 18 mois à environ 3 ans. Les pratiques internationales varient cependant fortement, puisqu’un enfant peut être autorisé à demeurer auprès de sa mère jusqu’à l’âge de 12 mois en Suède, de 3 ans en Espagne, de 4 ans dans un établissement australien, voire même 6 ans dans une prison allemande. En Angleterre, l’en-fant peut rester avec sa mère jusqu’à ses 18 mois également à moins que sa mère ne souffre d’un problème d’addiction ou n’ait été condamnée pour abus sur enfants, auquel cas la garde de son enfant lui est retirée353. En Norvège, les enfants ne peuvent pas vivre en prison, tandis qu’au Danemark les pères comme les mères peuvent demander à ce que leurs enfants résident en prison. Au Canada, une femme détenue dans une prison fédérale (peine de deux au moins) peut faire une demande de résidence à temps plein pour un enfant jusqu’à 4 ans et à temps partiel pour une enfant jusqu’à 6 ans, mais la pratique est très restrictive et les détenues qui ont commis une infraction grave n’y ont pas droit. Dans les faits très peu d’enfants ont été incarcérés. Tandis qu’aux États-Unis l’enfant est le plus souvent enlevé à sa mère dès sa naissance et placé chez un proche ou dans une famille d’accueil354. En Suisse355, outre le droit à une forme d’exécution dérogatoire durant la grossesse, lors de l’accouchement et immédiatement après, le législateur reconnaît à une mère le droit d’élever son enfant en prison356. L’enfant doit quitter l’établissement au plus tard à sa scolarisation ; toutefois, les recommandations internationales préconisent de ne pas laisser l’enfant en détention au-delà de l’âge de 2 ou 3 ans. Dans tous les cas, l’intérêt supérieur de l’enfant est prépondérant en la matière et les règles internationales rappellent que l’enfant doit bénéficier d’un cadre de vie propice à son bon développement, avoir accès à des soins adéquats, pouvoir régulièrement quitter la prison et participer à des activités propres à son âge.

Les établissements carcéraux doivent également mettre en place les mesures nécessaires pour accompagner la détenue dans sa maternité, notam-ment en aménageant les conditions de détention de façon à ce qu’elle puisse, si elle le souhaite, allaiter son enfant et en rendant possible la mise en crèche de l’enfant – à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement – de façon à ce que la mère puisse continuer à travailler, à se former et à disposer de loisirs. 353 Sur ce point, v. Silja Talvi (2012 : 274). Par ailleurs, les enfants sont promenés en ville par du personnel pénitentiaire ou des bénévoles, afin qu’ils soient accoutumés aux bruits et aux odeurs de leur futur environnement avant d’y être définitivement transférés.

354 V. Leana Bouffard (2014) ou Martine Herzog-Evans (2010) ; pour une approche juridique, v. The Law Library of Congress (2014).

355 Le documentaire Loin des yeux (Rindelaub 2013) sur l’unité mère-enfant de la prison pour femmes de La Tuilière (Suisse).

4 Les femmes en prison 195 Les arrangements offerts dans les établissements carcéraux pour permettre aux détenues de vivre avec leur enfant en bas âge sont cependant très variés d’un établissement à l’autre. En France, par exemple, les femmes jouissent depuis quelques années d’une législation spécialisée, qui prévoit des droits précisé-ment énoncés, comme le fait de pouvoir vivre dans une cellule seule avec leur enfant, cellule qui doit être d’une superficie minimale de 15 mètres carrés et équipée d’eau chaude, et dont la porte doit rester ouverte pendant la journée. Ces mères doivent également avoir accès à un lieu de promenade en l’absence des autres détenues ainsi qu’à un endroit où elles puissent cuisiner.

4.3.5 Programmes éducatifs, formation et interventions thérapeutiques