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délinquance féminine

2.1 Portrait chiffré

2.1.4 La délinquance des femmes à la lumière des sondages

Il existe deux types de sondage dans le domaine de la mesure de la dé-linquance : le sondage de dédé-linquance autoreportée qui comptabilise les actes de délinquance commis et le sondage de victimisation qui comptabilise les expériences de victimisation subies. Le sondage de délinquance autoreportée prend la forme d’un questionnaire (papier ou informatisé) listant une série de comportements que l’on demande au participant de cocher s’il les a déjà com-mis, voire parfois d’en préciser les circonstances (lieu, complice) et les carac-téristiques. Dans un sondage de victimisation, en revanche, il est demandé au participant d’identifier, parmi une série d’infractions ou d’actes de violence,

67 Cité par Jocelyn Pollock (2002 : 3). Le même phénomène a été observé par Rita Simon et Jean Landis (1991), cité par Jocelyn Pollock (2002 : 3), entre 1978 et 1987 pour les infractions graves en général, et par Myrna Raeder (1993) entre 1971 et 1991 pour les infractions liées à la drogue.

68 Partie I : Les femmes délinquantes lesquels il a déjà subis, voire là aussi d’en préciser les circonstances (domicile, espace public) et les caractéristiques. La nature de l’information quant à l’iden-tité et aux caractéristiques du délinquant est donc primaire dans le sondage de délinquance autoreportée, et secondaire dans le sondage de victimisation. Dans le premier cas, c’est le délinquant lui-même qui énumère certains de ses attributs personnels et biographiques ; dans le second cas, ces informa-tions sont transmises par la victime. Si la victime est, généralement, en mesure d’indiquer avec une relative fiabilité le sexe du délinquant, d’autres caractéris-tiques personnelles (âge, appartenance raciale/ethnique) et comportementales (alcoolisation, niveau d’éducation) sont plus difficiles à déterminer, surtout lorsque la victimisation est commise par un délinquant inconnu de la victime (par opposition à un partenaire ou un parent). Cela étant, ces deux types de sondage produisent des connaissances en matière de délinquance féminine qui ne sont pas limitées par la réaction sociale à la délinquance, et sont ainsi plus proches de la réalité du phénomène. Ils sont particulièrement adaptés aux comparaisons internationales une fois standardisés, et ils se révèlent essentiels dans l’étude des tendances à long terme de la délinquance féminine lorsque l’on souhaite précisément éviter les biais occasionnés par les changements des pratiques policières ou judiciaires ou par les changements législatifs69.

Les informations fournies par les sondages sont d’autant plus im-portantes qu’elles dépeignent une image de la délinquance féminine parfois différente de celles des statistiques officielles. Considérons dans un premier temps les données des sondages de délinquance autoreportée. Ces derniers ont essentiellement été utilisés auprès d’adolescents, les adultes ayant tendance à ne pas toujours se montrer très honnêtes dans leurs réponses70. Les sondages de délinquance autoreportée permettent également de recueillir quantité de données sur l’environnement familial et social des adolescents, ainsi que sur leur éventuelle consommation d’alcool ou de drogue. Ces sondages mesurent donc à la fois des infractions et des comportements dits à problèmes (p. ex. fugue, absentéisme, consommation de bière). De surcroît, parce qu’adminis-trés presque toujours dans des écoles, ils ne s’adressent pas aux adolescents dits « à risque » qui ne fréquentent plus l’école ni n’incluent les classes d’âge les plus délinquantes, soit les 18–25 ans71.

69 V. les exemples proposés en conclusion de ce chapitre, §2.1.3.

70 Pour davantage d’informations sur les sondages de délinquance autoreportée, v. Mar-celo Aebi et Véronique Jaquier (2008).

71 Une exception notable est le sondage réalisé en Suisse auprès de plus de 21 000 re-crues (soit des jeunes hommes de nationalité suisse âgés d’environ 20 ans) à la fin des années 1990 ; v. Henriette Haas (2001).

2 Ni anges ni démons : Les visages de la délinquance féminine 69 Ces sondages de délinquance autoreportée révèlent que, pour cer-taines infractions, les filles commettent autant d’actes que les garçons ; pour d’autres, sans disparaître, les différences entre filles et garçons sont nettement moins importantes que dans les statistiques officielles (Junger-Tas et al. 2004). Le sondage international de délinquance autoreportée72, par exemple, un son-dage standardisé et administré dans le cadre scolaire aux jeunes âgés de 12 à 17 ans, permet d’observer une implication moindre des filles dans la délinquance, quel que soit l’acte considéré, mais les différences pour les comportements à problèmes sont beaucoup plus faibles que pour la délinquance sérieuse. Si les filles sont, par exemple, moins nombreuses que les garçons à signaler avoir commis un acte violent au cours des douze derniers mois, elles sont cepen-dant aussi nombreuses que les garçons à avoir commis un vol à l’étalage. Les garçons sont, généralement, deux fois plus nombreux que les filles à com-mettre des atteintes au patrimoine ou à consommer de la drogue, et entre 2 et 4 fois plus nombreux qu’elles à commettre des infractions de violence. Les comparaisons internationales ne mettent en évidence aucune différence selon les pays ni entre les sous-groupes raciaux/ethniques (Junger-Tas et al. 2004). Les divergences entre statistiques officielles et sondages de délinquance auto-reportée s’expliquent principalement par la nature de cet indicateur. En effet, ces questionnaires rendent compte des comportements délinquants propres à une certaine classe d’âge, mais les constatations faites sur les adolescents ne peuvent pas être extrapolées à la délinquance adulte. Par ailleurs, ce type de sondage s’intéresse à des infractions très différentes les unes des autres, notamment du point de vue de leur gravité. Si les filles se comportent comme les garçons tant qu’il s’agit d’actes relativement banals (par exemple, le vol à l’étalage), elles se différencient d’eux en matière de délinquance plus sérieuse. Dès lors que la gravité des actes commis est prise en compte, il apparaît que les infractions violentes restent surtout l’apanage des garçons73.

De leur côté, les sondages de victimisation confirment également que les adultes sont principalement victimisés par des hommes ; en Occident, les femmes représentent, aux dires des victimes, environ 5 % des auteurs d’infrac-tions violentes (Killias et al. 2007 : 42–43). Le rapport entre la délinquance des femmes et celle des hommes paraît également stable au fil du temps ; si les délinquances féminine et masculine ont pu fluctuer, les femmes ont continué

72 L’International Self-Reported Delinquency Study (ISRD) a été administré deux fois, en 1991–1992 (Junger-Tas et al. 2003) et en 2006 (Junger-Tas et al. 2010) ; sur la délinquance des filles, v. Josine Junger-Tas et al. (2004) ; pour la Suisse, v. Sonia Lucia et Véronique Jaquier (2012) et pour la Belgique, v. Claire Gavray (2009).

73 Sur la fiabilité et la validité des sondages de délinquance autoreportée, v. Marcelo Aebi et Véronique Jaquier (2008).

70 Partie I : Les femmes délinquantes de compter pour une minorité des délinquants identifiés par les victimes74. Ces sondages ne donnent cependant pas d’indications sur les crimes sans « vic-time directe » ; des actes illicites comme les infractions routières, celles liées à la consommation et au trafic de stupéfiants, ou les celles mettant en danger l’environnement n’y figurent ainsi pas, par exemple, et la part des femmes parmi les personnes qui les commettent reste inconnue75.

Dans les pays occidentaux, la loi est aujourd’hui la même pour tous, et, à moins de différences physiologiques incontournables qui rendent cer-taines infractions impossibles pour l’un ou l’autre sexe, hommes et femmes peuvent potentiellement commettre les mêmes infractions. Mais cela ne signifie pas que dans les faits, cela soit le cas. Au vu des divergences entre statistiques officielles et sondages, qu’en est-il réellement de l’implication des femmes dans la délinquance ? Il ressort des différents indicateurs présentés des tendances similaires quant à l’implication des femmes dans la délinquance dans des pays qui possèdent pourtant des particularités sociétales importantes. Les statistiques et les sondages sont toutefois d’une utilité limitée pour com-prendre les différences entre la délinquance des femmes et des hommes. En effet, ces deux indicateurs sont peu « loquaces » quant aux circonstances de la délinquance féminine, ses facteurs de risque et ses conséquences, ni dans quelle mesure ces éléments ne divergent des observations, des hypothèses et des théories développées en référence à la délinquance masculine.

2.2 Circonstances