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Il faut, semble-t-il distinguer la formule stéréotypée sur « l’amitié et l’alliance romaine » de la conclusion d’un véritable traité de nature militaire, au moins originairement. Ces deux réalités n’ont bien sûr rien de contradictoire, puisque le décret d’Élaia nous apprend qu’ont été consignés sur une table de bronze le sénatus-consulte affirmant l’entrée de la cité dans l’alliance romaine et, si la restitution est exacte, le texte du « traité »580. Nous disposons d’un dossier comprenant une demi- douzaine de documents relatifs à la conclusion de tels traités entre les années immédiatement consécutives à la troisième guerre de Macédoine jusqu’à Pharsale et ses lendemains. Remarquons d’emblée qu’il est peu probable que Rome ait conclu des traités avec des cités-États avant cette date. Le premier traité conclu entre le vainqueur de Carthage et un État grec est l’accord romano- achaïen qu’il faut dater des années 194-193581. Ce texte nous offre un précédent, qui, sans nul

575 Voir notamment le cas de Colophon, lors de la cinquième ambassade de Ménippos à Rome. Cf. SEG XXXIX, 1244, col. I, l. 27-31 et l. 44-50, ainsi que ROBERT J. & L., 1989, p. 87 et FERRARY J.-L., CRAI 1991, p. 572.

576 Cf. RAGGI A., ZPE 135 (2001, p. 107 et FERRARY J.-L., in FRÖHLICH P. & MÜLLER C. (éds.), 2005, p. 54. 577 Sur le déclin de ce statut privilégié, dans la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C., voir RAGGI A., ZPE 172 (2010), p. 148-150.

578 FERRARY J.-L., in FRÖHLICH P. & MÜLLER Chr. (éds.), 2005, p. 54 : « Sans doute n’y avait-il pas plus un statut cadre des individus amis du peuple romain que des cités libres, mais plutôt des statuts privilégiés dont les éléments constitutifs étaient chaque fois précisés par un SC. Il me paraît en revanche vraisemblable que des privilèges tout à fait comparables à ceux du SC de 78 furent conférés à ceux qui s’étaient distingués dans la résistance contre Mithridate et dans l’assistance aux Romains lors de la crise de 88 ».

579 RDGE 22, l. 28-30 : ὅπως τε Κόιντος Λυτάτιος, Μάρκος Αἰµίλιος ὕπατοι ὁ ἕτερος ἢ ἀµφότεροι, ἐὰν αὐτοῖς

φαίνηται, γράµµατα πρὸς τοὺς ἄρχοντας τοὺς ἡµετέρους, οἵτινες Ἀσίαν Μακεδονίαν ἐπαρχείας <δ>ιακατέχουσιν καὶ πρὸς τοὺς ἄρχοντας αὐτῶν ἀποστείλωσιν τὴν σύνκ<λ>ητον θέ<λ>ειν καὶ δίκαιον ἡγεῖσθαι ταῦτα οὕτω γίνεσθαι.

580 Syll.3 694, l. 25-27 : τοῦ [τε γε]γονότος [δ]όγµατος [ὑ]πὸ τῆς [συγκλήτ]ου περὶ τῆς συµµα[χ]ίας.

581 C’est en tout cas l’opinion de J.-L Ferrary dans CANFORA L. & alii, 1990, p. 217-235. Pour la date du traité romano-achaïen en 194-193 av. J.-C., voir AYMARD A., 1938, p. 261-267 et BADIAN E., JRS 42 (1952), p. 76-80.

doute, a été repris au moins en partie lors de la rédaction des documents concernant l’Asie Mineure582. Le traité conclu avec les Achaïens consiste en un accord conclu sur un pied d’égalité et contenant une clause de neutralité, mais également d’alliance offensive. Nous connaissons mieux le texte, très bien conservé, du traité d’alliance conclu entre Rome et la cité de Maronée583. Il a été

conclu très certainement peu après 167 av. J.-C., puisque cette cité du littoral thrace était traditionnellement sous domination royale et c’est seulement après le refus romain de l’attribuer à Eumène II qu’un contexte propice à la conclusion d’un traité d’alliance vit le jour584. Le texte comprend quatre points : tout d’abord, la clause d’amitié, puis les clauses relatives à la neutralité et l’interdiction de tout passage d’ennemis d’une partie sur le territoire de l’autre, puis les articles concernant l’alliance défensive et la promesse de secourir son allié en cas d’agression, et enfin les clauses de modification du texte et de publication mutuelle. Il faut donc distinguer ce type de traité, fondé sur la réciprocité (foedus aequum), des traités vexatoires (foedus inaequum) conclus par exemple avec les Étoliens en 189585.

En Asie Mineure, un des premiers traités connus reste le traité d’alliance entre Rome et la cité de Kibyra, connu depuis longtemps586 et dont on a découvert il y a peu un nouveau fragment. Par la mention d’un consul, on est maintenant assuré que l’accord a été conclu à Rome dans la seconde moitié des années 170 av. J.-C. Le second traité est conclu avec la cité de Méthymne587. Par une mention de Polybe, nous savons que Rome et cette cité sont entrées en contact lorsque Méthymne est intervenue dans la guerre entre Attale II et Prusias, Rome exigeant le versement d’une indemnité à la cité de Lesbos588. On a pu estimer que c’est à cette période que le traité fut conclu589, même si Mommsen avait par le passé daté ce traité d’alliance de l’époque de la guerre contre Aristonicos590. Toutefois, un décret des néoi de la cité de Méthymne, qui évoque les

582 Nous avons connaissance de ce texte grâce à LIV., XXXV, 13, 3 ; 22, 2 ; 25, 3. Son existence est assurée en 184 av. J.-C. selon LIV., XXXIX, 37, 10 et 13.

583 TRIANTAPHYLLOS D., Θρακικὴ Ἐρπετηρίδα 4 (1983), p. 419-446. Voir également STERN J., BCH 111 (1987), p. 501-509.

584 Rejet des prétentions attalides dans POL., XXX, 1-3 ; Maronée libre après 167 av. J.-C. en XXX, 3, 6-7. Voir par ailleurs, FERRARY J.-L., in CANFORA L. & alii, 1990, p. 224 et n° 18.

585 POL., XXI, 32, 2-4 : Ὁ δῆµος ὁ τῶν Αἰτωλῶν τὴν ἀρχὴν καὶ τὴν δυναστείαν τοῦ δήµου τῶν Ῥωµαίων. Πολεµίους µὴ διιέτω διὰ τῆς χώρας καὶ τῶν πόλεων ἐπὶ Ῥωµαίους ἢ τοὺς συµµάχους καὶ φίλους αὐτῶν, µηδὲ χορηγείτω µηδὲν δηµοσίᾳ βουλῇ. Καὶ ἐὰν πολεµῶσιν πρός τινας Ῥωµαῖοι, πολεµείτω πρὸς αὐτοὺς ὁ δῆµος ὁ τῶν Αἰτωλῶν. 586 I. Kibyra I, 1 (OGIS 762). 587

Syll.3 693 (IG XII, 2, 510).

588 POL., XXXIII, 13, 8 : Διορθώσασθαι δὲ Προυσίαν καὶ τὴν καταφθορὰν τῆς χώρας τῆς τε Μηθυµναίων καὶ

τῶν Αἰγαιέων καὶ τῆς Κυµαίων καὶ Ἡρακλειωτῶν, ἑκατὸν τάλαντα δόντα τοῖς προειρηµένοις.

589 Cf. MAGIE D., 1950, II, n° 89, p. 967-968 : « The order given by the Senate to Prusias II […] suggests that the city

was an ally of Rome at the time ».

590 MOMMSEN Th., S.B. Berl. Akad., 1895, p. 900. Son analyse a été acceptée par Dittenberger (Syll.3693, p. 291- 292), Rehm (Milet I, 7, p. 294) et TAÜBLER E., 1913, p. 45.

difficultés suscitées par la guerre contre le prétendant euménide591, fait explicitement référence à

une bienveillance ancienne pour la cause des Romains, mais surtout à « l’amitié et [à] l’alliance » que les citoyens ont contractées avec eux par le passé592. Ce document ne doit toutefois pas nous inciter à faire remonter la conclusion de l’alliance à l’époque de la guerre entre Attale et Prusias, car les termes utilisés ne renvoient pas forcément à la ratification d’un traité, mais seulement à la préexistence de liens d’amitié entre Rome et la cité de Lesbos, d’ailleurs avérés avant 154 av. J.-C., plus précisément dès 167593. Par ailleurs, si elle existe bel et bien, cette alliance, qui est qualifiée d’ὑπάρχουσαν et donc renvoyée par l’emploi du participe à l’aoriste dans une antériorité difficile à déterminer, peut très bien être située artificiellement dans un passé lointain par la cité de Méthymne, afin notamment de s’affirmer face à sa puissante voisine de Mytilène, alors que le traité venait en réalité d’être conclu. Il est donc préférable de conserver une datation à l’époque de la guerre d’Aristonicos594. Cette datation basse permet par ailleurs de supposer l’octroi quasi- simultané d’un traité d’alliance à Méthymne et à Élaia, deux cités extrêmement proches géographiquement et unies selon Polybe par une communauté de destin, lors de la guerre opposant Attale à Prusias. Enfin, nous disposons de plusieurs documents relatifs à la conclusion d’un traité d’alliance entre Rome et la cité d’Astypalée595. Le dossier conservé contient un sénatus-consulte, le texte du foedus, ainsi qu’un décret de la cité d’Astypalée honorant le citoyen Rhodoklès, fils d’Antimachos, qui « a été envoyé en ambassade à Rome »596. Dans le texte du SC (A), on apprend que l’ambassadeur de la cité insulaire obtient l’hospitalité, ainsi que la permission de sacrifier sur le Capitole et se voit remettre une copie du texte d’alliance entre Rome et Astypalée qui vient d’être contracté597. Comme les noms des consuls en charge sont conservés, nous pouvons dater précisément de l’année 105 av. J.-C. ces documents, et donc l’ambassade de Rhodoklès598. Le texte du traité (B), tel qu’il a été conservé, insiste sur l’impossibilité, pour les deux parties, d’autoriser le passage sur leur territoire à un ennemi de leur allié, ainsi que sur la clause de neutralité en cas de guerre d’agression menée par l’allié. Plus fondamentalement, il rappelle que chaque contractant doit

591 SEG III, 710, l. 6-9 : ἐν τῶι παρόντι καιρῷ θεωροῦντες τὸν δῆµον διὰ τὰς συνεχεῖς ἀφορίας ἐν τοῖς σίττοις

καὶ τὰς εἰσφορὰς τῶν χρηµάτων εἰς τὰς σιτωνία θλειβόµενον.

592 Ibid., l. 9-11 : διὰ τὴν οὖσαν αὐτῶι ἀπὸ τῆς [ἀρ]χῆς πρὸς Ῥωµαίους εὔνοιάν τε καὶ φιλίαν καὶ διὰ τὴν

ὑπάρχουσαν πρὸς αὐτοὺς συµµαχίαν.

593 LIV., XLV, 31, 13-14 : Quaerendo deinde latius, qui publice aut priuatim partium regis fuissent, in Asiam quoque

cognitionem extendere et ad Antissam in Lesbo insula diruendam <ac> traducendos Methymnam Antissaeos Labeonem

miserunt.

594 LABARRE G., 1996, n° 664, p. 324. 595 RDGE 16 (IG XII, 3, 173 ; IGR IV, 1028).

596 Ibid., C, l. 52-53 : παρα<γε>γένηται ὁ ἀποσταλεὶς πρεσβευτὰς εἰς Ῥώµαν Ῥ<ο>δοκλῆς Ἀντιµάχου καὶ [τὰ]

πε[ρὶ συµµαχίας] δογµατισθέντα [ἀπενήνοχε].

597 Ibid., A, l. 9-15. Sur le renouvellement de l’alliance, voir TAÜBLER E., 1913, p. 122-123. Pour un avis contraire, voir HORN H., 1930, p. 72-73.

à son allié un soutien militaire en cas d’agression599. On retrouve ces clauses dans les autres traités qui nous ont été transmis tout ou partie. Il en va ainsi pour l’interdiction du franchissement pacifique du territoire par des troupes ennemies600 et pour l’exigence de neutralité, puisqu’on

retrouve la clause présente dans le traité pour Méthymne : « le peuple des Astypaléens ne doit pas accorder aux ennemis du peuple romain d’aide en leur fournissant des armes, de l’argent et des bateaux »601. Enfin, on retrouve dans les deux textes les clauses relatives à l’aide qu’il convient d’apporter en cas d’agression contre l’autre contractant602. On peut donc souscrire à la conclusion de J.-L. Ferrary et affirmer que, globalement, les traités romains conclus avec Kybira vers 170, Méthymne et Élaia autour de 129 et Astypalée en 105 av. J.-C., « ne diffère[nt] finalement de celui de Maronée que par des détails de formulation sans grande importance »603. Il s’agit visiblement de traités formellement égaux, mais dont la fonction reste « plus symbolique que réelle », vu le rapport de force démesurément disproportionné existant entre les contractants604.

On retrouve cette idée de distinction honorifique pour les cités méritantes, au Ier siècle, mais cette fois-ci dans le cadre des rapports que de grands citoyens des cités micrasiatiques parviennent à tisser avec les imperatores, de plus en plus influents, et avec César au premier chef605. C’est le cas de Mytilène qui obtient un foedus, moins de quinze ans après sa libération par Pompée606. César étant mentionné dans le texte comme αὐτοκράτωρ et comme « dictateur pour la troisième fois », nous sommes en 46 av. J.-C.607, et le texte est à situer dans les mois qui suivent l’intense activité diplomatique déployée par le vainqueur de Pharsale en Asie608. Les ambassadeurs de la cité se présentent alors devant le Sénat et demandent le renouvellement de l’alliance qu’ils obtiennent des pères conscrits609. En réalité, le SC de 46 est une des pièces maîtresses du monument de Potamôn qui retrace l’histoire des relations entretenues par Mitylène avec la Rome césarienne depuis

599 SEG III, 710, B, l. 26-29 : [… τῶι δήµωι τῶι Ῥωµαίων καὶ] τῷ δήµῳ τῷ Ἀστυπαλαιέων εἰρήνη καὶ [φιλία

καὶ συµµαχία] ἔστω καὶ κατὰ γῆν καὶ κατὰ θάλασσαν [εἰς τὸν ἅπαντα χρόνον]· πόλεµος δὲ µὴ ἔστω.

600 Ibid., B, l. 29-33 en ce qui concerne Astypalée et l. 35-39 en ce qui concerne Rome. Pour Méthymne, voir Syll.3 693, l. 2-6 pour Rome. La clause concernant la cité insulaire est perdue.

601 RDGE 16, B, l. 33-34 et l. 39-40 : µήτε [τοῖς πολεµίοις µήτε] ὅπλοις µήτε χρήµα{τα}σι µήτε ναυσὶ

βοηθεί[τω] µήτε δόλῳ πονηρῷ. Cf. Syll.3 693, l. 1-2 et l. 8-9. 602 RDGE 16, B, l. 40-44 et Syll.3 693, l. 10-17.

603 FERRARY J.-L., in CANFORA L. & alii, 1990, p. 225.

604 Ibid., p. 225. On retrouve une remarque similaire dans GRUEN E.S., 1988, p. 742 : l’auteur remarque les clauses concernant le territoire de la petite cité insulaire, puis s’interroge : « what hostile forces would dream of passing

through the territory of Astypalaea ? ». Voir à ce titre STRAB., X, 5, 15 : ἡ µὲν οὖν Ἀστυπάλαια ἱκανῶς ἐστι πελαγία, πόλιν ἔχουσα. Contra SANCHEZ P., CCG 20 (2009), p. 243-247.

605 Ces hommes de confiance obtiennent d’ailleurs des privilèges et commencent à obtenir la citoyenneté romaine. Voir FERRARY J.-L, in FRÖHLICH P. & MÜLLER Chr. (éds.), 2005, p. 56-64 et HOLTHEIDE B., 1983, p. 22-39. 606 Voir RDGE 26 b (IG XII, 2, 35 b ; IGR IV, 33 b, Syll.3 764 b).

607 Ibid., b, l. 7 : δικτάτωρ τ[ὸ τ]ρίτον.

608 Cf. PLUT., Caes., XLVIII, 1 et APP., B.C., II, 13, 92.

609 RDGE 26 b, l. 20-23 : χάριτα φιλίαν συµµαχίαν ἀνανεώσασθαι, ἄνδρας ἀγαθοὺς καὶ φίλους

προσαγορεῦσαι, ἐν Καπετωλίωι θυσίαν ποιῆσαι ἐξεῖναι, ἅ τε αὐτοῖς πρότερον ὑπὸ τῆς συγκλήτου φιλάνθρωπα συγκεχωρηµένα ἦν, ταῦτα ἐν δέλτωι χαλκῆι γεγραµµένα προσηλῶσαι ἐξεῖναι, ὅταν θέλωσιν.

Pharsale. On sait par Plutarque que la cité insulaire était restée fidèle à Pompée610, même après sa

défaite. Son libérateur l’invitant à se rendre à César qui cinglait vers l’Égée à sa poursuite611, il était plus que temps pour Mitylène de lui envoyer une ambassade, après lui avoir voté en toute hâte des honneurs probablement conséquents, mais dont nous ignorons l’ampleur612. Cette députation menée par Potamôn rencontra l’imperator et lui remit un décret évoquant ces honneurs613. César avait intérêt à accepter le cadre diplomatique que lui proposait la cité, car il cherchait avant tout à gagner du terrain sur son ennemi en fuite. Or, assurer la cité de ses bonnes intentions actuelles et à venir614 en un langage stéréotypé qui n’engageait à rien constituait sûrement le positionnement lui permettant de reprendre le plus vite la chasse à l’homme qu’il avait entreprise et que les nombreuses sollicitations imposées par les cités grecques d’Asie étaient en train de faire avorter615. Pour Mitylène, l’essentiel était sauf, quand César repartit à la poursuite de Pompée. Un document du monument de Potamôn, gravé entre les deux lettres de César, mais dont l’identification est rendue malaisée par de nombreuses lacunes, prouve que Mitylène ne s’est pas arrêtée en si bon chemin et que la cité s’efforça de rentrer en contact avec le pouvoir romain une nouvelle fois en 48 et 46 av. J.-C.616. C’est donc à la suite d’un long cheminement de plus de deux ans que la cité de Mitylène obtint le renouvellement de son alliance et la confirmation d’un traité préexistant qui a dû être ratifié en 45617. Il est en outre possible que la cité de Cyzique ait également obtenu un traité dans les mêmes circonstances, elle qui s’est vue très probablement libérée vingt-cinq ans plus tôt par le Sénat. Nous disposons en effet d’une stèle votive, conservée au musée du Louvre, dans laquelle il est question d’une alliance entre la cité et Rome618. Nous avons déjà vu qu’il convenait

de se méfier du terme de summachia qui reste relativement vague et n’implique pas toujours l’existence de relations diplomatiques et militaires réglées par un foedus. Malgré tout, il faut relier ces brèves attestations à l’intense activité de César en Asie Mineure après Pharsale, activité

610 PLUT., Pomp., LXXV, 3 : Ἡ µὲν οὖν γυνὴ µετεπέµπετο χρήµατα καὶ θεράποντας ἐκ πόλεως· τῶν δὲ

Μιτυληναίων τὸν Ποµπήϊον ἀσπασαµένων καὶ παρακαλούντων εἰσελθεῖν εἰς τὴν πόλιν, οὐκ ἠθέλησεν, ἀλλὰ κἀκείνους ἐκέλευσε τῷ κρατοῦντι πείθεσθαι καὶ θαρρεῖν· εὐγνώµονα γὰρ εἶναι Καίσαρα καὶ χρηστόν. 611 Voir PLUT., Caes., XLVIII, 1 : Καῖσαρ δὲ τῷ Θετταλῶν ἔθνει τ<ὴν ἐλευθερίαν ἀναθεὶς νικητήριον, ἐδίωκε

Ποµπήϊον.

612 Nous savons tout de même que la cité lui a offert un petit autel qui porte la dédicace Γαίωι Ἰουλίω Καίσαρι,

ἀρχείρει, εὐεργέτα καὶ σώτηρ. Cf. IG XII, 2, 151.

613 Cf. RDGE 26 a, l. 5-6 : οἱ πρεσβευταὶ ὑµῶν συνέ[τυχόν µοι ... καὶ τὸ ψήφισµα ὑµῶν ἀπέ]δωκαν καὶ περὶ

τῶν τιµῶν διελέχθησαν.

614 RDGE 26 a, l. 11-12 : [κατὰ τ]οὺς παρόντας καιροὺς καὶ ἐν τοῖς µετὰ ταῦ[τα χρόνοις].

615 Cette reconstitution est suggérée par RDGE 26, p. 153. Pour les nombreuses sollicitations dont César fut l’objet peu après Pharsale, voir ROBERT L., Hellenica X, 1955, p. 258-260. APP., B.C., II, 13, 89 prouve que, même pendant sa halte sur le littoral de l’Asie Mineure, César attendait en réalité d’apprendre où Pompée était allé se réfugier.

616 RDGE 26 b, l. 1-5.

617 Cf. RDGE 25 (= IG XII Suppl., p. 208, n° 11), ainsi que M.R.R. II, p. 215. Pour le trajet de César, voir la carte thématique IV dans le répertoire cartographique (annexe X).

618 Syll.3 763, l. 4-5 : ἐν τῇ ἐξαποστ[αλείσῃ συ]νµαχίᾳ. L’auteur de la stèle votive honore un ami, Marcus Stlaccius, qui avait été capturé lors d’une expédition de César, dans le cadre de la guerre civile contre Pompée.

diplomatique visant à fixer les relations avec des communautés fidèles en protégeant les revenus civiques et les sanctuaires des appétits romains et en réorganisant le régime fiscal des cités concernées619.

Nous disposons encore de deux documents susceptibles de nous éclairer sur le contexte dans lequel des cités grecques d’Asie ont conclu des traités avec Rome. Il s’agit tout d’abord du cas de Cnide, connu depuis longtemps par une inscription trouvée à Chalcis620. Dès 48 av. J.-C., César avait libéré la patrie de son ami Théopompe et avait été honoré par la cité cnidienne dans des termes extrêmement proches de ceux employés par la très pompéienne Mitylène à la même période621. La cité reçut d’ailleurs à la même époque d’autres bienfaits du dictateur622. Le texte du serment prononcé au moment de la ratification du traité romano-cnidien en 45 av. J.-C.623 nous met en présence, même indirecte, d’un traité qui a servi de base à la conceptualisation d’un niveau intermédiaire, dans la typologie des traités, entre le foedus aequum et le foedus inaequum, que Taübler a désigné du vocable de Mischtypus 624. À l’instar du traité conclu entre Rome et Cnide, ce type mixte associerait le contenu d’un traité formellement égal du IIe siècle av. J.-C. à la fameuse « clause de majesté » rappelant la prééminence des intérêts du peuple romain625. Comme nous ne connaissons pas le texte du traité, il faut, pour comprendre davantage les motivations cnidiennes dans la ratification de ce traité mixte, se référer au dernier texte de cette série, qui a, lui, été récemment publié par S. Mitchell626.

Inscrit sur une table de bronze, le texte du traité conclu entre Rome et la confédération lycienne627 est en effet pratiquement intégralement conservé et il contient, outre les articles définissant les termes de l’alliance contractée, la clause de majesté628 qui, cette fois, apparaît en toutes lettres. Immédiatement après cette clause, un passage attire notre attention. Côté lycien, la clause de neutralité interdit à la confédération de permettre aux ennemis de Rome le passage « sur

619 Cf. DOBESCH D., Tyche 11 (1996), p. 51-77. Lors des conférences qu’il a prononcées en janvier 2007 à l’EPHE, en marge des séminaires de J.-L. Ferrary et D. Rousset, St. Mitchell a formulé des hypothèses similaires.

620 I. Knidos 33 (IG XII, 9, 1624). Nouvelle édition dans FAMERIE E., CCG 20 (2009), p. 278.

621 PLUT., Caes., XLVIII, 1 : ἁψάµενος δὲ τῆς Ἀσίας, Κνιδίους τε Θεοπόµπῳ τῷ συναγαγόντι τοὺς µύθους

χαριζόµενος ἠλευθέρωσε et I. Knidos 41, l. 1-5 : ὁ δᾶ[µος] Γάϊον Ἰούλιο[ν Γαΐου υἱὸν] Καίσαρα αὐτοκρ[άτορα τὸν] ἀρχιερῆ, πάτρων[α καὶ] εὐεργέταν τᾶς π[όλιος].

622 La cité dut recevoir l’immunité selon une inscription honorant un descendant de Théopompe. Cf. I. Knidos 71 et THERIAULT G., Phoenix 57 (2003), p. 234.

623 Voir I. Knidos, p. 33-34. On sait en effet que Théopompe était à Rome en juin 45 av. J.-C. (cf. CIC., Ad Att., XIII, 7) et que Caius Domitius Calvinus, un des sénateurs qui prêtent jugement (l. 4), séjourne à Rome en octobre-novembre de la même année pour témoigner en faveur de Déjotaros. Cf. CIC., Deiot., XI, 32 et PIR² D 139.

624 TAÜBLER E., 1913, p. 64. 625 I. Knidos 33, l. 11-13 : [ὁ] δῆµο[ς ὁ Κνιδίων ... ]Η[... τὴν δυναστείαν καὶ ἀρ]χὴν τοῦ [δήµου το]ῦ [Ῥωµαίων φυλασσέτω]. 626 MITCHELL S., in PINTAUDI R. (éd.), 2005, p. 167-169. 627 Ibid., l. 6-9 et l. 11-26. 628 Ibid., l. 9-11.

son territoire, ainsi qu’à l’intérieur de ses frontières, mais aussi sur et à travers n’importe lequel des territoires qu’elle dirige »629. Cette formule « redondante et insistante »630 semble évoquer les territoires attribués au koinon des Lyciens au moment même où Rome conclut avec lui le présent traité. En effet, après des clauses commerciales et judiciaires complexes que nous ne pouvons qu’évoquer631, le traité d’alliance romano-lycien précise la délimitation de la frontière septentrionale de la petite confédération en définissant comme lui appartenant les cités, villages, localités et ports inclus dans ses frontières antérieures632, mais aussi « tous les territoires qui ont été accordés et restitués aux Lyciens par la suite »633, ainsi que toutes les localités, les espaces bâtis et les ports qui se trouvent en leur sein. Les cinq territoires, dont quatre cités sont connues (Telmessos et Lissa à l’Ouest, Chôma au Nord et Phasélis à l’Est) et constituent les confins septentrionaux de la Lycie, viennent en réalité d’être attribués à la confédération, si l’on prend au sérieux la locution µετὰ ταῦτα. Ainsi, la Lycie a obtenu par l’intermédiaire de ses ambassadeurs, probablement mentionnés dans les dernières lignes du texte comme étant les délégués venus prêter serment, l’inclusion dans le traité de territoires fraîchement octroyés, à la suite d’un arbitrage prononcé par César en personne634. Selon J.-L. Ferray, en compensation de leur reconnaissance de la primauté des intérêts romains, les Lyciens reçoivent « la garantie de l’inclusion dans le traité des droits [qu’il] revendiqu[ent] » sur certains territoires635. Quand les envoyés de la confédération ont approché le vainqueur de Pharsale, probablement à Rhodes alors qu’il reprenait la poursuite de Pompée636, ils lui ont certes proposé l’aide militaire du koinon en vue de l’expédition égyptienne qu’il projetait637, mais ils ont aussi fait valoir les différends qui les opposaient à leurs voisins du Nord, et notamment à la Kibyratide dont la population de souche pisidienne semblait se dresser perpétuellement contre les communautés lyciennes638. On sait que la cité de Kybira possédait un territoire extrêmement

629 Ibid., l. 12-13.

630 Aux dires de ROUSSET D., Bull. 2006, 143, p. 638. Cf. MITCHELL S., in PINTAUDI R. (éd.), 2005, p. 210. 631 Ibid., l. 26-32, l. 32-64 et p. 195-205, ainsi que FERRARY J.-L., Bull. 2006, 143, p. 639-640 et SANCHEZ P.,

Chiron 37 (2007), p. 363-381.

632 Ibid., l. 52-53. Le participe dont dépendent ces espaces est ὑπάρχοντες qui peut dénoter le caractère originel de la propriété légitimant l’autorité exercée. Voir par exemple l’arbitrage magnète entre Itanos et sa voisine dans lequel les avocats des gens d’Hiérapytna affirmaient « que l’île était pour eux une propriété ancestrale ». Cf. I. Magnesia am

Maeander 105, l. 47-49.

633 Voir MITCHELL S., in PINTAUDI R. (éd.), 2005, l. 53-54 : ὅσα τε µετὰ ταῦτα Λυκίοις δεδοµένα τε καὶ

ἀποσαθεσταµένα ἐστίν.

634 La frontière Nord du koinon des Lyciens est en effet déterminée dans le texte du traité καθὼς Γαίος Καῖσαρ ὁ

αὐτοκράτωρ ἔκρεινεν. Cf. Ibid., l. 62. Ce serait par la suite, alors que rien ne l’y contraignait, que le dictateur a demandé au Sénat de confirmer ses actes selon FERRARY J.-L., Bull. 2006, 143, p. 642.

635 Ibid., p. 641.

636 Malgré la brièveté de son passage dans la cité, qui est peut-être exagérée par Appien, soucieux de conter la suite de la geste césarienne. Cf. APP., B.C., II, 89 : πυθόµενος δὲ Ποµπήιον ἐπ’ Αἰγύπτου φέρεσθαι διέπλευσεν ἐς Ῥόδον. Καὶ οὐδ’ ἐνταῦθα τὸν στρατὸν αὑτοῦ κατὰ µέρη προσιόντα περιµείνας ἐς τὰς Κασσίου καὶ Ῥοδίων τριήρεις ἐνέβη σὺν τοῖς παροῦσιν.

637 Voir CAES., Bell.Ciu., III, 106, 1.

vaste, qu’elle avait créé au début du Ier siècle av. J.-C. avec Boubôn, Balbura et Oenoanda une fédération qu’elle dirigeait de fait et que les deux premières localités avaient été détachées de cette