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Nous connaissons de nombreuses cités micrasiatiques qui prétendent avoir été reçues dans « l’amitié romaine ». Les dirigeants romains ne remettent d’ailleurs pas en cause ces prétentions et les utilisent largement pour faire de leur intervention en Orient un moment fondateur initiant une nouvelle ère pour les cités de Grèce et d’Asie Mineure540. Toutefois, il est difficile de savoir si les

cités qui se prévalaient de ce titre l’avaient effectivement reçu et tout autant de préciser les avantages qu’il impliquait. Ainsi, dans le décret pour Hégésias, il paraît impossible de dire si Lampsaque obtient le titre d’ami et d’allié de Rome en étant inscrit dans le traité conclu avec Philippe. Les formulations du décret sont finalement extrêmement vagues541 et il semblerait qu’une cité officiellement reçue dans l’amicitia romaine, pour obtenir gain de cause, se prévaudrait bien davantage d’un tel statut s’il en jouissait réellement. En effet, quand Hégésias fut reçu au Sénat, il vit les députés massaliotes qui l’accompagnaient proclamer « leur dévouement et l’estime qu’ils

538 Sur cette question, voir la mise au point de NICOLET C., 1987, p. 273-281. Sur le précédent qu’est l’intégration des cités grecques de Grande Grèce et de Sicile à la sphère d’influence romaine, voir FERRARY J.-L., 1988, p. 5-23 et 40- 43.

539 Voir notamment FERRARY J.-L., BCH 100 (1976), p. 283-289, ainsi que NICOLET C., (2001), p. 890-902. 540 La synthèse la plus récente sur ce point est BURTON P.J., 2011. Voir également CAMIA F., 2009, p. 199-202. 541 Voir Syll.3 591 (= I. Lampsakos 4), l. 18-19 : [ἀ]πελογίσατο αὐτῶι διὰ πλειόνων διότι σ[υγγενὴς ὢν κα]ὶ φίλος

ὁ δῆµος τοῦ Ῥωµαίων δήµου ; l. 58-59 : παρεκάλει αὐτοὺς µετὰ τ[ῶν συµπρεσβευτῶν ὡς] περὶ τῆς τῶν ἄλλων φίλων καὶ οἰκείων ἀσ[φαλείας.

continuaient à porter au peuple des Romains », puis « renouveler avec eux l’amitié préexistante » et seulement ensuite leur expliquer « les relations qu’ils entretenaient » avec la cité de Lampsaque542. Le député de la cité de Troade apparaît ici comme un spectateur passif d’un concert diplomatique qui le dépasse. Nul doute que, lorsqu’il prit la parole, il eût fait de même que ses homologues massaliotes si sa patrie entretenait des relations similaires avec la puissance romaine. Ce n’est donc probablement qu’en 170 av. J.-C., que Lampsaque, qui avait résisté vaillamment aux armées d’Antiochos, fut inscrite sur la formula sociorum543. L’exemple de la célèbre mission diplomatique d’Hégésias nous le prouve, le discours épigraphique civique est souvent extrêmement flou sur la question de l’amitié romaine. On retrouve cette ambiguïté dans le décret de la cité d’Alabanda pour Pyrrakhos. On y apprend en effet que ses concitoyens ont « décidé l’envoi d’une ambassade au Sénat » dans l’intention de « mettre en valeur les services qu’il a rendu à leurs armées et de conclure une alliance avec eux »544. Selon M. Holleaux, qui revient sur le commentaire de Ch. Diehl accompagnant l’editio princeps, « il faut observer que la formule κατώρθωσεντὰ κατὰ τὴ[ν

πρεσ]βείαν συµφερόντως τῆι πατρίδι (l. 21-22), qui résume l’œuvre accomplie par

l’ambassadeur [à Rome], demeure très concise et très vague, alors que, selon toute apparence, on n’eût pas manqué de rappeler en termes explicites et complaisamment développés un événement aussi considérable »545 que l’obtention du statut d’ami du peuple romain. Il est une nouvelle fois

probable que l’ambassadeur alabandien ne demande pas le renouvellement de la philia et encore moins l’obtention de la symmachia. Il s’agit seulement, dans le décret de la cité carienne d’une formulation vague sur les avantages apportés à la cité par l’honorandus546. Le gain de cette analyse par rapport à celle proposée pour le décret de Lampsaque est que nous ne nous situons probablement pas à la même période. En effet, on s’accorde depuis longtemps à placer l’ambassade de Pyrrakhos aux lendemains de la première guerre mithridatique et non de ceux d’Apamée547. Les exemples de Lampsaque et d’Alabanda illustreraient donc, à un siècle d’écart, les difficultés qu’éprouvaient les cités micrasiatiques à accéder au rang envié d’ami du peuple romain.

542 Ibid., l. 51-54 : χρηµατίσας τῆι συνκλήτωι µετ[ὰ τούτων τῶν δηλωσάν]των τὴν εὔνοιαν καὶ τὴν αἵρεσιν ἣν

ἔχ[οντες διατελοῦσι πρὸς αὐ]τοὺς καὶ ἀνανεωσαµένων τὴν ὑπάρχο[υσαν αὑτοῖς φιλίαν πρὸς] αὐτούς, ἀπολογισαµένων δὲ αὐτοῖς καὶ [περὶ ἡµῶν].

543

Voir LIV, XLIII, 6, 7-10 et HOLLEAUX M., REG 11 (1898), p. 262 : les Lampsacéniens « ne parvinrent à se faire inscrire parmi les socii populi romani qu’après plus de seize années de loyaux services ».

544 Ibid., p. 258-260, l. 11-15 : σπεύδοντός τε [τοῦ] δήµου τὴν ὑπάρχουσαν πρὸς Ῥωµαίους οἰκ[ειό]τητα καὶ

φιλίαν ἀνανεώσασθαι καὶ τὰς χρείας [ἃς] παρέσχηται εἰς τὰ στρατόπεδα αὐτῶν ἐκφαν[εῖς] γενέσθαι πρὸς αὐτοὺς καὶ ποιήσασθαι συµµαχ[ίαν].

545 Ibid., p. 262.

546 Voir GRUEN E.S., 1988, p. 733-735 : « The alliance between Rome and Alabanda is a chimera ».

547 M. Holleaux, dès 1899 (REG 12, p. 359, n° 1) revient sur son étude de l’année précédente et se rallie à l’analyse de WILLRICH H., Hermes 34 (1899), p. 305-311. Pour une analyse plus récente confirmant une datation basse, voir MAREK Chr., in KNEISSL & LOSEMAN (éds.), 1988, p. 285-308, part. p. 294-296.

Nous ne savons pas si cette inscription sur la formula sociorum n’était qu’un privilège honorifique ou s’il engageait matériellement et moralement la puissance romaine. Nous savons en revanche avec certitude quelles sont les cités micrasiatiques qui obtiennent le statut d’« ami et d’allié du peuple romain ». En 189 av. J.-C., suite à la victoire de Magnésie, il ne semble pas que les cités qui avaient combattu au côté des Romains contre Antiochos entrassent dans l’amitié des Romains. Il en va par exemple ainsi pour des cités qui avaient pourtant député avec certitude à Rome : Lampsaque, on s’en souvient, mais aussi Smyrne. Lors de l’audition des délégations asiatiques par les sénateurs, suite à la défaite d’Antiochos, l’assemblée voulut, après le discours d’Eumène, « faire introduire les ambassadeurs de Rhodes, mais, comme l’un d’eux était en retard, on appela les ambassadeurs de Smyrne, qui firent valoir, au cours d’un long exposé, le dévouement et l’ardeur avec lesquels leurs compatriotes avaient soutenu la cause romaine au cours de la guerre »548. Pourtant, même si, selon Polybe, tout le monde s’accordait alors pour considérer les Smyrniotes comme les plus sûrs soutiens de Rome parmi les cités d’Asie549, rien ne laisse croire que la cité ionienne a sollicité son entrée dans l’amitié romaine. Deux siècles plus tard, aux dires de Tacite, la cité de Smyrne, entre autres arguments pour obtenir le temple dédié à Rome, Tibère et Livie, ne fit aucunement référence à un éventuel titre d’allié550. Il en va de même pour la cité de Chios551.

Il semblerait que ce n’est que dans le cadre de la troisième guerre de Macédoine que les ambassadeurs des cités micrasiatiques obtinrent que leur patrie soit inscrite dans la formula

sociorum. C’est le cas, comme nous venons de le voir, de Lampsaque en 170 av. J.-C., mais probablement pas d’Alabanda, même si les ambassades des deux cités paraissent extrêmement proches dans leurs motivations et dans leur forme552. Il est possible que Milet, qui était en train de quitter la sphère d’influence de Rhodes, soit reçu dans l’amitié et l’alliance romaine à la même époque553. Ce ne peut être le cas pour Sardes, même si Tacite relate que, lors du débat relatif au choix de la cité qui abriterait le temple de Tibère, des ambassadeurs sardiens s’étaient appuyés sur « des lettres de généraux, ainsi que [sur] les traités conclus pendant la guerre de Macédoine »554. Pour P. Canali de Rossi, si Sardes obtient un traité pendant la guerre contre Persée, c’est que la cité

548 POL., XXI, 22, 2-4. Voir également LIV., XXXVII, 54, 2 : Interposita Zmyrnaeorum breuis legatio est, quia non

aderat quidam Rhodiorum. Collaudatis egregie Zmyrnaeis, quod omnia ultima pati quam se regi tradere maluissent. 549 Cf. POL., XXI, 22, 4 : οὔσης δὲ τῆς περὶ αὐτῶν δόξης ὁµολογουµένης, διότι γεγόνασι πάντων ἐκτενέστατοι

τῶν ἐπὶ τῆς Ἀσίας αὐτονοµουµένων, οὐκ ἀναγκαῖον ἡγούµεθ’ εἶναι τοὺς κατὰ µέρος ἐκτίθεσθαι λόγους. Voir également TAC., Ann., IV, 56, 1.

550 Ibid., IV, 56, 1-3.

551 Pour l’engagement de Chios au côté des Romains, voir LIV., XXXVI, 45, 7 ; 31, 5 ; 27, 1. 552 LIV., XLIII, 6, 5-10.

553 Ibid., 6, 4 : Milesii nihil, <quod> praestitissent, memorantes, si quid imperare ad bellum senatus uellet, praestare se

paratos esse polliciti sunt. Un décret de la cité ionienne, daté des années consécutives à la guerre contre Persée, présente toutefois Eumène II comme συγγενὴς κ[αὶ φί]λος καὶ εὔνους καὶ εὐεργέτης ὑπάρχων τῆς πό[λ]εως διὰ προγόνων. Cf. Milet VI, 1, 307, l. 2-4.

a dû intervenir en amont en députant des envoyés auprès du Sénat555. Mais, en tant que cité sujette, la cité phrygienne n’avait pas la capacité de députer à Rome et obtenir son amitié, puisque cela impliquerait la reconnaissance de l’existence internationale de la cité attalide556. En 169 av. J.-C.,

malgré le caractère problématique du texte livien, des cités de Pamphylie obtinrent pour leur soutien contre Persée, et peut-être contre Eumène, des promesses de Rome557. Quelques années plus tard,

on peut penser que les cités cariennes qui se lient entre elles sous la tutelle de la déesse Rome (Kybira, Tabai et Aphrodisias) ont obtenu d’être acceptées dans l’amitié et l’alliance du peuple romain558. Nous connaissons également une dédicace du peuple de Tabai au peuple romain, déjà citée, qu’il faut peut-être dater de cette époque559. La guerre contre Persée semble donc être un moment décisif pour l’entrée de communautés parfois petites et fraîchement libérées de la tutelle rhodienne dans l’amitié et l’alliance romaine. Nous connaissons également une cité qui obtient cette distinction suite à la guerre d’Aristonicos, il s’agit très vraisemblablement de la cité d’Élaia qui avait été très probablement libérée par Attale III, puis par les Romains, suite à sa participation à la lutte contre le prétendant attalide560. La cité récompensée par Rome a été reçue, suite à une ambassade à Rome, « dans son amitié et dans son alliance militaire »561. On a longtemps attribué l’inscription à la cité de Pergame ou de Pitanè, mais il semble maintenant assuré, suite à la reprise du dossier par L. Robert, qu’il s’agit bien de la petite cité d’Éolide562 qui a donc envoyé une ambassade auprès des autorités romaines afin de faire valoir ses mérites lors de la guerre contre Aristonicos. La cité d’Éolide a pu prendre une part active aux opérations militaires puisque c’est à proximité que le consul Publius Licinius Crassus, fait prisonnier, a été massacré par des mercenaires thraces. « La capture de Crassus se produisit en effet lors d’une embuscade sur la route

555 Cf. CANALI DE ROSSI P., 1997, n° 269, p. 223.

556 Un citoyen sardien est honoré dans la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C. pour les nombreux services qu’il a rendus à sa patrie, notamment lors d’ambassades, mais rien n’indique qu’il s’agit de missions menées hors du royaume attalide. Cf. GAUTHIER Ph., 1989, chap. IV, p. 113-114, l. 4-5 : πρεσβεύων πολλὰ συνκατεσκεύακεν τῶν πρὸς δόξαν καὶ τιµὴν ἀνηκόντων, ἅµα δὲ καὶ λυσιτελῶν et comm. p. 117-118.

557 LIV., XLIV, 14, 3-4 : Pamphylii legati coronam auream ex vinginti milibus Philippeorum factam in curiam

intulerunt, petentibusque iis, ut id donum in cella Iouis optimi maximi ponere et sacrificare in Capitolio liceret, permissum ; benigneque amicitiam renouare uolentibus legatis responsum et binum milium aeris singulis missum munum ; Side im Altertum I, 25 : τὸν δῆµον τ[ὸν] Ῥωµαίον ὁ δῆµος ὁ Σιδητῶ[ν].

558 Voir A&R 1, p. 6-11 ; MELLOR R., 1975, p. 39 et surtout ERRINGTON M., Chiron 17 (1987), p. 104-106. 559 IGUR 10.

560 Syll.3 694 (= IGR IV, 1692), l. 11-18 : [ἐπεὶ ὁ δῆ]µος ἡµῶν [φυλάσσ]ων ἀπ’ ἀρ[χῆς τὴν πρὸς Ῥ]ωµαίους

εὔν[οιαν κα]ὶ φιλίαν π[ολλὰς καὶ ἄ]λλας ἐν τοῖς [ἀναγκα]ιο[τά]τοις κ[αιροῖς τῆς] προαιρέσεως [ἀποδε]ίξεις πεπό[ηται, ὁµ]οίως δὲ καὶ ἐν τ[ῶι πολέ]µωι τῶι π[ρὸς Ἀρ]ιστόνικον τὴ[ν πᾶσα]ν εἰσφερό[µενος σ]πουδὴν µεγάλο[υς ὑπέ]στη κινδύ[νους κ]αὶ κατὰ γῆν καὶ κ[ατὰ θ]άλασσαν. Cf. LE GUEN B., in LE GUEN B., 1997, p. 47 et Id., 2001, n° 54.

561 Ibid., l. 19-23 et l. 37-49.

562 Sur l’identification de la cité, voir ROBERT L., 1937, p. 49, n° 3 : il s’agirait d’un décret de Pergame, car la

référence à association patronnée par Dionysos Kathègemon ne se comprend « guère qu’à Pergame, siège de l’association des Technites, et non à Élaia » (accord de MAGIE D., 1950, II, p. 1045, n° 34, tandis que SOKOLOWSKI F., 1955 et MELLOR R., 1975 hésitent). ACCAME S., 1946, p. 89, n° 2 penchait déjà pour Élaia. L. Robert a finalement changé d’avis dans BCH 108 (1984), p. 489-496.

entre Smyrne (ou Myrina) et Élaia : ce qui veut dire que les troupes d’Aristonicos, à la fin de 131, continuaient de menacer la route montant de la mer vers Pergame »563.

L’exemple d’Élaia nous prouve que de nouvelles cités sont entrées dans l’alliance romaine, suite aux opérations contre Eumène III et ses alliés en Asie Mineure. Il faut dans ce cas supposer qu’à l’instar de la cité d’Éolide plusieurs ambassades civiques se soient rendues à Rome pour obtenir du Sénat ce qui avait été promis par les généraux romains pendant les opérations militaires564. On peut même penser que c’est cette distinction qui fut octroyée aux cités méritantes à défaut de pouvoir recevoir des privilèges substantiels comme en reçurent les cités qui avaient combattu contre Antiochos et celles qui, plus tard, allaient se lever contre la domination pontique. Par la suite, nous n’avons pas connaissance de nouvelle cité intégrant l’amitié romaine, notamment au Ier siècle, période marquée par le renforcement de la provincialisation romaine et par l’octroi de privilèges extrêmement importants aux quelques cités micrasiatiques qui avaient su faire la preuve manifeste de leur attachement à Rome. Le statut d’allié n’était pas à l’ordre du jour pour des communautés sujettes qui avaient trahi Rome quelques années auparavant, tandis qu’il n’était plus suffisant pour distinguer les cités qui avaient conservé leur loyauté envers les Romains565. Ainsi, au Ier siècle av. J.-C., alors que rares sont les cités grecques d’Asie Mineure qui entrent dans l’alliance romaine, on constate que le flot d’individus déclarés « amis et alliés des Romains » semble loin de se tarir566. Nous connaissons trois inscriptions du début du Ier siècle av. J.-C. évoquant de façon générique ces Grecs des cités qui obtiennent d’être inscrits dans l’amitié romaine567. Et nous

disposons d’un unique document nous mettant directement en présence de ces individus distingués personnellement par Rome568. Dans ce SC, les sénateurs décident de considérer trois navarques

grecs, en raison des services qu’ils ont rendus aux armées de Sylla, comme des amis du peuple romain et demandent aux consuls de les faire inscrire sur la formula amicorum569. Outre de

563 Cf. FRONT., IV, 5, 16 et BRIANT P., BRUN P. & VARINGLIOĞLU E., in BRESSON A. & DESCAT R. (éds.), 2001, p. 256-257.

564 Ce n’est toutefois pas le cas de Colophon, malgré la mention de l’amitié des « dirigeants romains » dans le décret pour Polémaios. Il s’agit en effet ici des liens d’amitié qui se sont tissés lors de son ambassade entre le député colophonien et certains sénateurs, même si les bienfaits suscités par ces relations interindividuelles ont rejailli sur la communauté civique tout entière. Cf. SEG XXXIX, 1243, col. II, l. 24-28.

565 Dans le cas de Stratonicée, l’amitié romaine est seulement renouvelée. Voir sur ce point I. Stratonicée II, 1, 505, l. 67-69 : πρεσβευταῖς Στρατονικέων κατὰ πρόσωπον ἐν τῆι συγκλήτωι φιλανθρώπως ἀποκριθῆναι, χάριτα φιλίαν συµµαχίαν ἀνανεώσασθαι. C’est peut-être également le cas pour Tabai.

566 Ces inscriptions individuelles ne constituent en rien une nouveauté. Tite-Live mentionne déjà des individus inscrits sur la formula amicorum lors de la deuxième guerre punique. Des « Grecs » sont considérés dès 196 av. J.-C. comme des symmachoi d’après APP., Mak., IX, 4, de même qu’un général de Mithridate. Cf. PLUT., Sull., XXIII.

567 Voir OGIS 438, l. 1-3 : οἱ ἐν τῆι Ἀσίαι δῆµοι κα[ὶ τ]ὰ ἔθν[η] καὶ οἱ κατ’ ἄνδρα κεκριµένοι ἐν τῆι πρὸς

Ῥωµαίους φιλίαι, ainsi que IGR IV, 291, l. 1-2, ainsi que le même texte resitué dans OGIS 439, l. 1-2.

568 Cf. RAGGI A., ZPE 135 (2001), p. 109 : « the difficulty in interpreting the SC de Asclepiade results above all from

the fact that this document represents a real unicum in the fields of the studies of Roman international law ».

569 RDGE 22 (= IG XIV, 951), l. 9-11 et l. 24-25 : ὅπως τε Κόιντος <Λ>υτάτιος, Μάρκος Αἰµίλιος ὕπατοι ὁ

ἕτερος ἢ ἀµφότεροι, ἐὰν ἀοτοῖς <φ>αίνηται, τούτους εἰς τὸ τῶν φί<λ>ων διάταγµα ἀνενεχθ<ῆ>ναι φροντίσωσιν. Sur la formula amicorum, voir BOWMAN D.A., CJ 85 (1990), p. 330-336 qui considère qu’il existe un

nombreux privilèges fiscaux qui leur furent accordés de façon unilatérale au sein leur cité d’origine, les avantages formels et diplomatiques qu’ils reçoivent sont à rapprocher de ceux attribués, suite à une ambassade, aux États amici du peuple romain570. Les trois navarques, comme n’importe quelle

cité grecque reçue dans l’amitié romaine, se voient accorder le droit de « dédier une tablette d’amitié en bronze sur le Capitole et [de] faire un sacrifice », d’obtenir « l’hospitalité, ainsi que le gîte et les fournitures ». On leur reconnaît même une capacité diplomatique spécifique, puisqu’il leur est permis d’« envoyer une ambassade auprès du Sénat ou [de] venir par eux-mêmes »571. Un privilège obtenu par les trois officiers grecs en raison des nombreux et importants services qu’ils rendirent à la cause romaine572 nous intéresse ici particulièrement. En effet, lorsqu’ils intenteront à l’avenir un procès en Asie, ces Grecs nouvellement reçus dans l’amitié du peuple romain pourront choisir de saisir les tribunaux de leur propre cité, ceux des magistrats provinciaux, mais aussi les instances judiciaires d’une « des cités libres qui sont constamment restées dans l’amitié du peuple romain »573. L’expression διὰ τέλους, qui dénote la volonté sénatoriale de mettre en exergue le caractère ininterrompu de l’engagement pro-romain de certains partenaires, se retrouve à la même époque dans le SC de 73 av. J.-C. relatif aux privilèges fiscaux du sanctuaire d’Amphiaraos à Oropos et dont on apprend que le prêtre Hermodôros « s’est toujours maintenu dans l’amitié du peuple romain »574. Cette insistance sur la constance de la loyauté à Rome est bien compréhensible de la part du Sénat aux lendemains du conflit contre Mithridate. Mais cette formule qui tend visiblement à se figer indique également que les cités distinguées par leur inscription dans l’amitié romaine, si elles ne constituent pas un groupe absolument étanche, est toutefois en passe d’en devenir un relativement clos. La liste des titulaires de ce privilège n’a en effet pas vocation à s’agrandir sensiblement, puisqu’elle institue un niveau hiérarchique supérieur à celui des simples cités libres, dont le nom ne figure pas sur la formula. Les tribunaux de ces dernières, qui n’avaient

seule table et non deux formulae distinctes, comme on le pense habituellement. Cf. également VALVO A., in ANGELI BERTINELLI M.G. & PICCIRILLI L. (éds.), 2001, p. 135-145.

570 Ibid., l. 25-28 et RAGGI A., ZPE 135 (2001), p. 112.

571 À l’instar du cas des personnes morales que sont les cités, cette capacité de députation leur est même reconnue de manière indéfinie, car il s’agit d’un privilège héréditaire et non viager. Cf. Ibid., l. 27-28 : ὅπως αὐτοῖς τέκ<ν>οις ἐκγόνοις τε αὐτῶν πρεσβευταῖς παραγίνεσθαι καὶ ἀποστέ<λ>λειν τε ἐξῆι.

572 Certains historiens considèrent que le fait que les trois Grecs honorés dans le SC de 78 av. J.-C. ne reçoivent pas la citoyenneté romaine indique qu’ils ne se sont pas distingués par des « mérites exceptionnels ». Cf. SARTRE M., 2003, p. 262, n° 130 et RDGE, p. 123. Contra FERRARY J.-L., in FRÖHLICH P. & MÜLLER C. (éds.), 2005, p. 53 : « la citoyenneté romaine n’était pas forcément la récompense la plus attractive ».

573 RDGE 22, l. 18-20 : ἐάν τε ἐν ταῖς πατρίσιν κατὰ τοὺς ἰδίους νόµους βούλωνται κρίνεσθαι, ἢ ἐπὶ τῶν ἡµετέρων ἀρχόντων ἢ ἐπὶ Ἰταλικῶν κριτῶν, ἐάν τε ἐπὶ πόλεως ἐλευθέρας τῶν διὰ τέλους ἐν τῆι φιλίαι τοῦ δήµου τοῦ Ῥωµαίων µεµενηκυιῶν, οὗ ἂν προαιρῶνται, ὅπως ἐκεῖ τὸ κρ<ι>τήριον περὶ τούτων τῶν πραγµάτων γίνηται. 574 RDGE 23 (Syll.3 747), l. 50-51 : Ἑρµοδώρου Ὀλυνπίχου υἱοῦ ἱερέως Ἀµφιαράου τοῦ διὰ τέλους ἐν τῇ φιλίᾳ τοῦ δήµου τοῦ Ῥωµαίων µεµενηκότος.

pas forcément l’autorité suffisante pour faire accepter leurs sentences575, ne pouvaient en effet être

saisis par les Grecs éminents distingués par Rome. Pour les Grecs d’Asie, les communautés qui étaient parvenues à se maintenir dans l’amitié romaine apparaissent donc certainement comme des entités privilégiées, distinctes des simples ciuitates liberae, mais aussi de l’espace romain proprement dit, où c’est cette fois, non la pérennité des décisions prises, mais leur impartialité qui pouvait être mise en cause576. Ce détour par l’étude du SC de Asclepiade nous permet de constater que c’est globalement au moment où le privilège de l’amitié est doté d’un contenu honorifique réel577 que le groupe des cités distinguées par son octroi se ferme, signe d’une évolution consciente de la politique orientale de Rome. En effet, en assurant la publicité de textes similaires à ce SC578, ne serait-ce que pour éviter que les privilèges accordés à ses adjuvants soient contestés579, la puissance romaine en profitait pour faire connaître aux cités grecques d’Asie la nouvelle hiérarchie statutaire qu’elle entend imposer en Orient.