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Concluons cette section en adjoignant deux remarques à celles que nous avons faites à partir du cas de Sagalassos. Notons tout d’abord que la persistance des pratiques de l’époque hellénistique est attestée par l’inscription découverte à Xanthos et règlant un contentieux complexe opposant Caunos à Calynda368. Il s’agit d’un texte très lacunaire, mais qui renvoie à coup sûr à une « contestation, qui dut s’étendre sur plusieurs années et [...] fit l’objet d’une ou plusieurs décisions de justice »369. La contestation entre la cité de Calynda et celle de Caunos semble à la fois de nature commerciale, fiscale et territoriale370. Par la mention d’un Romain prénommé Caius, suivi après une lacune, d’une formule de sanction, on est sûr qu’un magistrat romain a été sollicité d’une manière ou d’une autre371. Selon l’éditeur, ce Romain s’est distingué par son intense activité lors de ce conflit, notamment dans sa dimension territoriale, car il « ne s’est pas borné à écouter les discours des envoyés des deux parties, mais s’est efforcé de jouer un rôle actif d’apaisement ou de conciliation »372. L’intensité de ce conflit local correspond à l’exacerbation de la rivalité entre les

deux ports depuis la ratification d’un règlement douanier et portuaire favorable à Caunos373. Cette liste de mesures très libérales d’atélie portuaire, datée du Ier siècle apr. J.-C., a en effet créé une concurrence difficile à supporter pour la petite cité de Calynda. Or, le terme d’atéléia est mentionné dans l’inscription xanthienne et il est relié à « la renommée des panégyries » de Caunos374. Il est hors de doute que ces mesures d’exemption fiscale prises à l’occasion des panégyries avaient pour but « de stimuler les échanges commerciaux »375. Ce conflit qui s’est échelonné sur plusieurs années a amené la cité de Calynda, suite à un premier jugement antérieur probablement formulé par le koinon des Lyciens376, à plaider sa cause devant un tribunal de juges étrangers, qui a siégé à

368 FXanthos VII, 86, p. 260-266.

369 Ibid., p. 263. Voir par ailleurs HELLER A., 2006, p. 97.

370 FXanthos VII, 86, B, l. 23-24 : δι’ οὗ ἂν βούληται λ[ι]µένος ἐξαγέτω ; B., l. 7, 12, 23-24 ; C, l. 9-10 : τὴν

π[α]λαιὰν ὁροθεσία[ν] κρίνεσθαι Τ[...]ΣΤΑΜΕΝΗΝ ἀνάγκην τά [τ]ε ἀρχαῖα ὁροθέ[σια]. 371 Ibid., n° 86, B, l. 28 : Γαῖος [...] ἀγαθῇ τύχῃ.

372 Ibid., p. 265, n° 28 et C, l. 12. C’est également le gouverneur ou le légat romain qui mentionne deux fois (C., l. 9-10) la dimension territoriale de ce conflit. Enfin, il est probable que l’officiel romain intervienne après une première sentence défavorable à une des deux cités (C, l. 8).

373 Cf. BEAN G.E., JHS 74 (1954), p. 85-110 et Bull. 1956, 274 d.

374 Cf. FXanthos VII, 86, B, l. 12-13 : [ο]ὔτε πανηγύρεος [ὀ]νόµατι οὔτε ΑΛ[... αὐ]τοὶ δεδώ[κ]ασιν ἀτελείας. 375 Voir ibid., p. 266. Pour les attestations épigraphiques de ces « atélies de panégyrie », voir L. ROBERT, Hellenica XI-XII, 1960, p. 470, n° 3 et RPhil, 1967, p. 62-63, ainsi que HABICHT C., Hermes 1957, p. 106-107.

376 Cf. ibid., n° 86, B, l. 11-12 : τὴν κρίσιν ἐπὶ Σαρπή[δονος]. Le seul grand-prêtre de ce nom a accompli sa charge en 138 apr. J.-C., selon un décret de l’ethnos pour Opramoas. Voir TAM II, 3, 905, VII B, l. 11.

Tlos377 et qui a sûrement été désigné par le magistrat romain prénommé Caius, identifiable au légat

de Lycie-Pamphylie, Caius Julius Avitus, en poste de 147 à 149 apr. J.-C., soit une dizaine d’années après le jugement lycien378. À un certain stade de l’affaire, le magistrat romain, qui cherchait probablement à éviter que le conflit ne dégénère en adoptant une position de retrait qui n’est pas sans rappeler celle prise par Quintus Mucius Scaevola lors de la querelle opposant Sardes et Éphèse, a eu « recours à la pratique très ancienne [...] de l’appel à un tribunal de juges étrangers »379. Persistance des rivalités passées entre Caunos et Calynda380, persistance des pratiques arbitrales héritées de l’époque antérieure : le dossier épigraphique xanthien qui nous renseigne sur la querelle complexe opposant Caunos et Calynda prouve que les initiatives diplomatiques des cités auprès du pouvoir romain, encore au IIe siècle apr. J.-C., s’intégraient globalement dans le même univers mental qu’à l’époque hellénistique381.

La décision prise par le légat est par ailleurs tributaire de l’hétérogénéité administrative de cet espace du Sud-Ouest de l’Asie Mineure divisé administrativement entre la province d’Asie, celle de Lycie et où la présence rhodienne était encore forte, si l’on en croit les allusions de Dion de Pruse382. En effet, remarquons que la cité de Caunos dépend de l’Asie383, tandis que Calynda se trouve dans la province de Lycie au milieu du IIe siècle, ce qui suggère une difficulté supplémentaire rencontrée par le magistrat romain pour trancher. On retrouve cette difficulté sur une borne milliaire délimitant le territoire de Dorylée384. Elle est le résultat du règlement par le légat Caius Julius Sévérus d’un litige frontalier opposant la cité asiatique à une autre cité, qui est peut- être celle de Nicée. C’est en tout cas l’hypothèse des éditeurs des Monumenta Asiae Minoris

Antiqua, reprise par L. Robert en 1940385. Il faut remarquer qu’un changement de statut a lieu sous

le règne d’Hadrien lors duquel, de sénatoriale, la Bithynie devint province impériale. « Ce changement de statut a pu entraîner une modification des frontières de la province, qui aurait elle- même provoqué entre Dorylaion et une cité de Bithynie. C’est alors au gouverneur de la nouvelle

377 FXanthos VII, 86, B, l. 32 : [γενοµ]ένην ἐγδικ[ίαν] ; l. 27 : ἐν Τλῷ.

378 Voir la démonstration convaincante d’A. Balland (ibid., p. 265). Sur le magistrat, voir PIR² I 191 et IGR III, 705. 379 FXanthos VII, p. 263.

380 Pour le conflit opposant les deux cités en 163 av. J.-C. et le recours de Calynda à Rhodes, voir POL., XXXI, 4, 1-4 ; POL., XXXI, 5, 1-5 ; I. Kaunos 90.

381 Cf. ROBERT L., 1973, p. 780 (= OMS V, p. 152) et FOURNIER J., 2010, p. 102-104 Voir PLUT., Moralia, 493 A- B et, par exemple à Stratonicée, I. Stratonikeia I, 229 a ; II, 1, 1038 ou, à Mylasa, I. Mylasa I, 361-374.

382 Sur cette présence encore bien réelle, voir DIO. CHRYS., XXXI, 124-125 : καὶ µὴν εἴ τις ὑµᾶς Καυνίοις ἢ

Μυνδίοις ὁµοίους εἶναι λέγοι, σφόδρα ὀργιεῖσθε καὶ βλασφηµεῖν αὐτὸν ἡγήσεσθε κατὰ τῆς πόλεως· πῶς ἂν οὖν ἔθ´ ὑµῖν ἀπολογίαν τινὰ φέροι περί τινος τῶν παρ´ ὑµῖν τὸ καὶ παρ´ ἐκείνοις αὐτὸ γίγνεσθαι. οἵ γε δουλεύουσιν οὐχ ὑµῖν µόνοις, ἀλλὰ καὶ Ῥωµαίοις, δι´ ὑπερβολὴν ἀνοίας καὶ µοχθηρίας διπλῆν αὑτοῖς τὴν δουλείαν κατασκευάσαντες. 383 Malgré PLIN., N.H., 5, 29, 2. 384 MAMA V, 60 : [ὅρο]ι̣ µεταξὺ Δορυλαέων [καὶ Νι]καιέων οἱ τεθντες κατὰ κέλευσιν Αὐτοκράτ(ορος) Καίσ(αρος) Τραιαν(οῦ) Ἁδριανοῦ Σεβ(αστοῦ) π(ατρὸς) π(ατρίδος) διὰ Γ. Ιουλ. Σεουήρ̣ου πρεσβ(ευτοῦ) αὐτοῦ ἀντιστρατήγου. 385 ROBERT L., REA 42 (1940), p. 321, n° 2.

province impériale qu’il serait naturellement revenu de régler le litige »386. Que Dorylée ait eu

maille à partir avec Nicée ou une autre cité inconnue aux confins de la Bithynie, le conflit était de nature interprovinciale387. Le légat propréteur Caius Julius Sévérus dispose de ce titre à deux moments de sa carrière : lors de sa légation extraordinaire en Asie entre 128 et 131, puis vers le milieu des années 130 apr. J.-C. en tant que gouverneur de Pont-Bithynie388. L’argument selon lequel il faudrait préférer la mission de Sévérus en Asie pour la simple raison que la cité de Dorylée est citée en premier sur la borne ne tient pas, car, comme l’a fait remarquer W. Eck, cette position privilégiée vient du fait que c’est la cité qui l’a installée et faite graver389. Si nous acceptons l’idée selon laquelle la contestation frontalière est le fruit de la modification statutaire qu’a connue la Bithynie, il faut privilégier la seconde mission micrasiatique de Sévérus, même si cette décision semble remettre en cause l’autorité du proconsul d’Asie. En effet, la querelle opposant en 209 apr. J.-C. la cité asiatique de Philomélion et Antioche de Pisidie390, dépendant pourtant de la province de Galatie, « a été résolue par le proconsul d’Asie auquel les gens de Philomélion avaient adressé leur plainte, parce qu’il s’agissait d’une affaire locale et ne concernait que les deux cités de Philomélion et d’Antioche »391.

On retrouve une hypothétique trace du rôle de cette géographie politique et administrative mouvante du monde romain dans l’évolution des querelles territoriales entre cités micrasiatiques dans la province de Lycie. Déjà, le différend entre Sagalassos et la communauté de Tymbrianassos avait été tranché par un légat propréteur de Lycie et par un procurateur de Galatie392 moins de dix

ans après l’intégration de la Lycie dans la province de Pamphylie393. Au IIe siècle, le changement de

statut de la province fut encore à l’origine d’un nouveau litige. En effet, nous disposons de trois bornes établissant la limite du territoire civique de la petite cité lycienne d’Arykanda définie sous le proconsulat de Tibérius Iulius Frugi394. Cette délimitation a été établie « sur l’ordre des empereurs César Marcus Aurélius Antoninus et Lucius Vérus »395. Une simple querelle de voisinage,

386 HELLER A., 2006, p. 94.

387 Voir le parralèle donné par la borne miliaire attestant d’une délimitation par le pouvoir impérial, sous Hadrien, des territoires d’Apollônia de Pisidie (Galatie) et d’Apamée de Phrygie (Asie). Cf. CHRISTOL M. & DREW-BEAR Th., 1987, n° 1, p. 16-19.

388 Cf. PIR² I 573, ainsi que IGR III, 174-175 et D.C., LXIX, 14. 389 ECK W., 1970, p. 210, n° 402.

390 CHRISTOL M., & DREW-BEAR Th., CCG 9 (1998), p. 141-164. Voir I. Antioche de Pisidie 148 et I. of the Sultan

Dagi 47 (= FRENCH D.H., EA 29 (1997), p. 61-63 ; AE 1997, 1448). 391 I. Antioche de Pisidie, p. 69.

392 Voir MITCHELL St., 1993, II, p. 154, ainsi que HORSLEY G.H.R. & KEARSLEY R.A., ZPE 121 (1998), p. 126, n° 15. Pour le procurateur de Galatie, voir IGR III, 263, l. 11-16.

393 La pacification de la province, à laquelle fut adjointe la cité de Kibyra, prit cinq ans à Quintus Véranius, qui opéra en Cilicie. Cf. LEVICK B., 1990, p. 150-151 et IGR IV, 902 ; VANHAVERBEKE H. & WAELKENS M., 2003, p. 115. 394 I. Arykanda 25 a-b (TAM II, 787 ; SEG XXXIV, 1309) ; c-d (ŞAHIN Ş., EA 3 (1984), p. 39 et TAM II, 786 ; SEG VI, 763) ; e.

395 I. Aaykanda 25 a-b, l. 1-8 : [Αὐτοκρατόρων Καισάρω]ν Σε[βαστῶ]ν̣ Μάρ(κου) Αὐ[ρηλί]ου Ἀντω[νείνο]υ

habituellement tranchée par un legatus Augustus ou un proconsul, ne remonte vers l’instance suprême qu’est l’empereur que si la médiation échoue au sein de la province396. La saisine impériale fait qu’une fois l’affaire remise dans les mains d’un magistrat provincial, ce dernier agit dès lors ex

auctoritate imperatoris397. Si tel est le cas, la cité d’Arykanda et sa rivale auraient sollicité la médiation de Frugi ou de son prédécesseur, puis la cité qui n’avait pas eu gain de cause aurait décidé d’en appeler aux deux co-empereurs. Ş. Şahin propose prudemment de rapprocher ce Frugi, gouverneur de Lycie-Pamphylie, d’un homonyme gouverneur de Macédoine398, qui devint consul en 178 apr. J.-C.399, et de le considérer comme le fils ou le neveu d’un premier Frugi qui fut légat propréteur de Lycie-Pamphylie sous Trajan400, ce qui suggère une datation des trois bornes en 162/163401. Ainsi, le proconsul de Macédoine, en tant que consulaire, aurait obtenu par la suite le proconsulat sénatorial de Lycie-Pamphylie, faisant de cette année 162/163 apr. J.-C., selon l’hypothèse de Ş. Şahin, celle de la transformation de la Lycie-Pamphylie de province impériale en province sénatoriale402. C’est d’ailleurs également en 162, au commencement de la guerre parthique, que Marc Aurèle et Lucius Vérus avaient mis à la tête de la province sénatoriale de Pont- Bithynie, un gouverneur de rang consulaire legatus Augusti403. Cette modification administrative d’ampleur pour le Sud de l’Asie Mineure correspond parfaitement au moment où Lucius Vérus se rend à Éphèse404, puis voyage dans le Sud de l’Asie Mineure405. Il faut donc voir dans le changement statutaire de la province de Lycie-Pamphylie l’occasion pour certaines cités en litige de régler leurs contentieux frontaliers et d’autres querelles, en profitant en outre de la présence d’un des souverains dans la région. Cette reconstitution qui situe la rencontre entre l’ambassade d’Arykanda et du co-empereur de Marc Aurèle au début de leur règne conjoint est confirmée par l’absence de toute titulature impériale développée406.

Les exemples de Dorylée, de Kalynda, d’Aykanda, voire d’Apollônia de Pisidie ou encore d’Antioche de Pisidie en attestent : les cités micrasiatiques semblent d’autant plus enclines à contester le tracé des frontières les séparant de leurs voisines qu’il s’agit de frontières interprovinciales. Les communautés peuvent ainsi jouer, dans leur envoi d’ambassades, sur la

396 Cf. CORIAT J.-P., 1997, p. 284-285 et p. 296.

397 I. Arykanda, p. 30-31. Cf. I. Ephesos, VII, 2, 3510 pour la délimitation du temple d’Artémis et, pour l’Afrique, ECK W., 1990, p. 933-941.

398 IGR III, 249.

399 Cf. CIL XVI 188 (CORBIER M., 1974, n° 404) : il s’agit d’un diplôme militaire, retrouvé à Haskovo en Thrace, contenant la mention Frugi cos. Pour la datation de son consulat en 178 apr. J.-C., voir PIR ² J 330.

400 ŞAHIN Ş., EA 3 (1984), p. 44. Mais REMY B., 1989, n° 55 est beaucoup plus clair dans l’identification. 401 I. Arykanda, p. 30. Contra SEG XXXIV, 1309 : 161-169 apr. J.-C.

402 Cf. BRANDT H. & KOLB F., 2005, p. 25 et WEISS P., EA 31 (1999), p. 80-82.

403 Cf. ALFÖDY G., 1977, p. 238 et n° 166-167 et SAHIN S., EA 3 (1984) p. 42, n° 6. Voir également Id., EA 20 (1992), p. 77-89, part. p. 81-86.

404 Cf. I. Ephesos III, n° 728, l. 21-25 : γυµνασιαρχήσαντα δὲ καὶ ἐν ταῖς ἐπιδηµίαις τοῦ µεγίστου αὐτοκράτορος

Λουκίου Αὐρηλίου Οὐήρου. Voir par ailleurs HALFMANN H., 1986, p. 211. 405 H.A., Verus, 6, 9.

multiplicité des acteurs romains, de même que, pour les moins scrupuleuses, elles peuvent miser sur la précipitation d’un pouvoir romain qui se hâte à plusieurs reprises de réorganiser les provinces asiatiques dans la perspective d’opérations militaires d’ampleur en Orient. C’est peut-être dans ce contexte que la cité d’Arykanda est parvenue à obtenir gain de cause407. Cette tendance à faire valoir les différences statutaires distinguant différents territoires et permettant par-là même de justifier les prétentions d’une cité sur un espace contesté semble également bien attestée dans le cas de Sagalassos, mais aussi dans l’affrontement centenaire qui a opposé les cités d’Héraclée et d’Apollônia de la Salbaké pour la jouissance de quelques domaines sacrés408. Ainsi, le pouvoir romain provincial, en raison de l’évolution constante de la géographie politique micrasiatique pendant deux siècles, ne s’est pas contenté de se mouler dans le legs des pratiques héritées de l’époque hellénistique. Il a aussi modelé, au moins en partie409, les comportements, ainsi que les animosités, des cités d’Asie Mineure.

B) Demandes et suppliques à l’empereur

Dans ses Antiquités judaïques, Flavius Josèphe signale qu’à la mort d’Hérode, en 4 av. J.-C., « cinquante ambassadeurs des Juifs vinrent [...], trouver Auguste pour le supplier de leur permettre de vivre selon leurs lois »410. Plus de trois cents ans plus tard, un panégyriste s’adressant à Constantin en 312 apr. J.-C. à Trèves déclare « qu’étaient présents tous les hommes de pratiquement toutes les cités qui avaient été envoyés en ambassade ou étaient venus le supplier de leur propre chef »411. Peu importe, ici, que ces deux exemples n’appartiennent pas à l’aire micrasiatique et que, pour le second, il déborde largement les bornes chronologiques de notre étude. Ils montrent en effet fort bien la persistance, sur une période ignorant la limite conventionnelle séparant le Haut-Empire de l’empire tardif, de la représentation du princeps comme l’instance suprême auprès de laquelle les hommes peuvent adresser leurs suppliques. Si Ménandre le Rhéteur, lorsqu’il énumère les quatre vertus cardinales du prince, place en tête le courage (ἡ ἀνδρεία), avant la justice (ἡ δικαιοσύνη), la tempérance (ἡ σωφροσύνη) et la sagesse (ἡ φρόνησις), M.-H. Quet,

407 On ne peut par exemple exclure une tentative de médiation par le koinon des Lyciens. Cf. BRANDT H. & KOLB F., 2005, p. 33.

408 Voir à ce titre le dossier des inscriptions sur les terres de Zeus dans LAFFI U., Athenaeum 49 (1971), fasc. I-II, p. 3- 53. Voir également DEBORD P., 1982, p. 144-146.

409 Voir la querelle opposant les cités ciliciennes de Mopsueste et d’Aigai. Voir AE 1966, 486.

410 FLAV. JOS., Ant. Iud., XVII, 11, 1 : Ἀφίκετο εἰς τὴν Ῥώµην πρεσβεία Ἰουδαίων Οὐάρου τὸν ἀπόστολον

αὐτῶν τῷ ἔθνει ἐπικεχωρηκότος ὑπὲρ αἰτήσεως αὐτονοµίας. Même idée lors de l’ambassade auprès de Claude en 41 apr. J.-C. (ibid., XX, 1, 1-2).

à la suite de L. Robert, a noté que « la prééminence de la δικαιοσύνη [était] manifeste dans l’Orient grec, où l’on célébrait également beaucoup la Sôphrosunè, l’Homonoia et la Pronoia impériales. Le courage n’apparaît dans les inscriptions et dans le monnayage que par la mention des victoires, les nouveaux titres du souverain ou la représentation des trophées, des ennemis et des pays vaincus »412. Le prince disposait en pays grec d’une image de justicier et il n’est donc pas étonnant de voir ses sujets « se rendre auprès de lui, en profitant de son passage dans une province au cours de l’un de ses nombreux voyages à travers l’empire ou en se déplaçant jusqu’au siège de sa résidence, pour lui soumettre leurs plaintes et bénéficier de sa justice »413. Par souci de clarté, nous commencerons par établir les différents types d’initiatives civiques en appelant à la justice du prince. Puis, nous analyserons deux dossiers qui manifesteront mieux que de fastidieuses listes les motivations des cités micrasiatiques députant auprès d’un prince conçu par elles comme le justicier suprême.