• Aucun résultat trouvé

En première analyse, on peut immédiatement distinguer le cas des cités sujettes qui tentent d’améliorer leur sort au gré de leur attitude envers les « dirigeants » et surtout des évolutions de la politique romaine et le cas des cités libres qui réussissent à échapper à une contribution extraordinaire lors de moments critiques.

Commençons par le second cas qui reste relativement marginal. Nous ne connaissons en effet que quelques cités qui rencontrèrent des magistrats romains en Asie Mineure afin de leur demander une limitation de leurs exigences. C’est notamment le cas de la cité de Bargylia, située sur le Golfe d’Iasos, qui envoya une députation auprès des généraux romains en Asie, lors des opérations militaires consécutives à la révolte d’Aristonicos402. Nous sommes entre 129 et 126 av. J.-C., alors que les troubles persistent dans le Sud-Ouest de l’Asie Mineure. La référence à Manius Aquilius établit en effet comme terminus post quem l’année 129 av. J.-C. Et si l’on suit M. Holleaux, on arrive à la conclusion qu’il s’agit ici « d’une reprise de la guerre, reprise qui motive précisément les réquisitions (ἐπιταγή) ordonnées par Quintus Caepio »403. La petite cité semble participer à plusieurs campagnes, au moins à partir de 129 av. J.-C.404,et finit par pâtir des sacrifices consentis pour assister les Romains dans la région quand les opérations militaires recommencèrent, sûrement vers 128405. De nombreuses cités ont soutenu les Romains lors des opérations militaires,

401 Notamment FERRARY J.-L., in CHRISTOL M. & MASSON O. (éds.), 1997, p. 199-225.

402 I. Iasos II, 612, fr. A et B. Voir, pour le contexte et les magistrats concernés, 612 A, l. 13-17 : Μανίου τε

Ἀκυλλίου τοῦ Ῥωµαίων στρατηγοῦ ἀναζεύξαντος ἐπ[ὶ] Μυσίας τῆς καλουµένης Ἀβ[β]αϊτίδος εἰς τοὺς ἄνω τόπους, ἀπολιπόντος δὲ ἐν τῆ[ι χώρ]α[ι] ἀντιστράτηγον Γναῖον Δοµέτιον Γναίου, καί τινας τῶν δυνά[µεων ἀπ]οτάξαντος αὐτῶι καὶ τοὺς πλείστους τῶν συµµάχων et 612 B, l. 21-23 : [Κόϊντος Καιπίων ... διαδεξά]µενος τήν ἐν[κεχειρισ]µέ[νην τ]ῶι [Γ]ναίωι [ἀρχήν, πλῆθος ἱκανὸν στρα]τιωτῶν ἐζήτει, τ[ὴν δύναµιν] ταύτην ἀναληψόµενος.

403 HOLLEAUX M., Études II, p. 186-187. L. Robert date quant à lui l’arrivée de Quintus Caepio « en 129 ou en 128 ». Cf. Id., 1937, p. 464. Voir également M.R.R. I, p. 504, 505-506 et 509.

404 On a déjà vu que la cité de Métropolis honore le commandant d’un contingent envoyé à Thyatire qui tomba au combat dès 132 av. J.-C. Cf. I. Metropolis I, A, p. 5, l. 19-31.

405 I. Iasos II, 612 B, l. 23-26 : [ἐνστάντος τε πάλιν τ]οῦ πολέµου, συνέ[β]αινεν θ[λ]ίβεσθαι τήν πόλιν [ἡµῶν

mais il semblerait bien que la cité de Bargylia souffrît plus que beaucoup d’autres406. Poseidonios,

le citoyen honoré, fut donc choisi par sa cité pour se porter au-devant de Gnaeus Domitius et demander au légat romain de ne plus exiger d’hommes de sa patrie exsangue. En effet, alors que le consul Manius Aquilius avait déjà sollicité les Bargyliètes pour qu’ils lui envoient des supplétifs afin de combattre les partisans d’Aristonicos en Mysie Abbaïtide, « Bargylia fut à nouveau sollicitée un peu plus tard par Quintus Servilius Caepio au moment où la guerre se rallumait en Asie Mineure »407. Cette seconde levée de troupe représentait un effort trop important pour la cité. Une autre inscription de la cité carienne confirme la situation extrêmement périlleuse qu’elle traversait, mais que le décret pour Poseidonios ne nous laisse qu’entrevoir. En effet, dans la même période, Bargylia prend des mesures relatives au culte d’Artémis et tout porte à croire que l’ambassadeur auprès de Domitius Ahenobarbus était le citoyen qui avait fait la proposition408. Ce document évoque en effet les « nombreux et très grands dangers qui entourent la cité et le territoire dans le cadre de la guerre », ainsi qu’une « apparition de la déesse » qui permet d’imaginer le climat de tension qui régnait dans la cité409. Ce nouvel effort demandé par le pouvoir romain est d’autant plus intolérable pour Bargylia que la cité s’était déjà élevée contre les fournitures de troupes. En effet, Poseidonios renouvelle une requête qui avait dû être faite par le passé à Manius Aquilius en personne, puisqu’il semblerait que la cité du Golfe d’Iasos disposait d’un document comprenant une décision du proconsul en ce sens410. L’ambassadeur de Bargylia, muni du document signé par Aquilius qui mettait les envoyés de Bargylia en position de force dans leur négociation avec le subordonné du proconsul, obtint gain de cause devant Gnaius Domitius Ahenobarbus et il put ramener les troupes auxiliaires dans sa patrie. Les résultats de la mission de Poseidonios dépassèrent les espérances de sa patrie, puisqu’il obtint également la promesse que Bargylia ne se verrait pas imposer de dépenses supplémentaires411. Poseidonios a donc été député afin d’obtenir l’exemption d’une charge extrêmement lourde : la levée de troupes auxiliaires en cas d’opérations militaires qui semblent ici imprévues par les autorités romaines en train de régler les affaires d’Asie.

406 Voir le dossier des inscriptions relatives à la guerre d’Aristonicos dans BRIANT P., BRUN P. & VARINGLIOGLU E., in BRESSON A. & DESCAT R. (éds.), 2001, p. 252-255 et BRUN P., in COUVENHES J.-C. & FERNOUX H.-L. (éds.), 2004, p. 21-54, part. p. 44-52. Dans l’état de nos connaissances, la liste des cités contributrices est la suivante : Halicarnasse, Cyzique, Gordos, Colophon, Élaia, Méthymne, Bargasa et Bargylia.

407 DELRIEUX F., in BRESSON A. & DESCAT R. (éds.), 2001, p. 144. Une inscription de Maionia atteste de l’activité de Caepio en Lydie. Cf. TAM V, 1, 528, l. 4-10 : στρατιῶται οἱ διαταγέντες εἰς τὸ χωρίον ὑπὲρ [Ἡφ]αιστίωνος Ἀλκαίου Σαρδι[ανο]ῦ τοῦ κατασταθέντος [ὑπὸ] Κοΐντου Σεροηλίου Γν[αίου υἱοῦ Και]πίωνος πρεσβευτο[ῦ Ῥωµαίω]ν.

408 I. Iasos II, 613. Cf. ROBERT L., 1937, p. 463 : « Je pense que c’est le même Poseidonios qui a été le rogator du décret relatif au culte d’Artémis Kindyas ».

409 I. Iasos II, 613, l. 2-4 : [ἐν τῶι πολέµωι πολλῶν καὶ µεγάλων] περιστάντων κινδύνων τήν τε πόλιν ἡµῶν καὶ [τὴν χώραν] et [διὰ τὴν τῆς Ἀρτέµιδος] ἐπιφάνειαν [...]. 410 Ibid., II, 612 B, l. 28-31 : τοῦτον παρεκάλεσεν [ὁ δῆµος ἀνανεώσασθ]αι τὰς ἀνώτερον παραιτήσεις τὰς περὶ τῶν στρατιωτῶν, [χάριν τοῦ µὴ ἐπιτ]ελεσθῆναι τῆι πόλει τή[νδ]ε παρὰ Κοΐντου Καιπίωνος [ἐπιταγὴν ἀκολούθως τῆι προαιρέσει Μανί]ου Ἀκυλλίου στρατηγοῦ. 411 Ibid., l. 34-35 : τούς τε στρατιώτας ἐκοµίσατο καὶ ἀπέλυ[σε τὴν πόλιν τῆς εἰς τούτου]ς δαπάνης.

Remarquons enfin que, dans le cas de Bargylia, Rome agit comme un monarque hellénistique demandant aux cités « alliées » de fournir des troupes supplétives, alors que Bargylia avait obtenu la liberté depuis la déclaration de la liberté des Grecs412. Mais ce n’est pas l’argument de son entière

souveraineté, garantie par Rome, qu’utilise l’ambassadeur de la petite cité, mais bien la promesse d’un magistrat romain. L’ambassade, comme rencontre strictement physique, est donc une nécessité absolue, puisque ce n’est pas tant des normes juridiques qui sont ici décisives, mais bien des considérations affectives renvoyant plus à la fides latine qu’à la pistis grecque413.

Nous connaissons également depuis peu une petite cité qui a envoyé une ambassade auprès des autorités romaines, afin d’obtenir l’exemption du stathmos, c’est-à-dire du stationnement et du logement des troupes. Cette cité de la vallée de l’Harpasos en Carie, qui est presque assurément la cité de Bargasa, honore en Apollônios, fils d’Aristocratès, un ambassadeur éloquent, qui lui a permis d’échapper à cette corvée414. La cité se trouve dans une situation périlleuse qui est décrite dans des termes extrêmement proches de ceux employés dans le décret de Bargylia pour Poseidonios, puisque les considérants du décret pour Apollônios évoquent les « difficultés que connaissaient le territoire et la cité » et, plus loin, « le désordre et une très grande crainte [qui] s’étaient emparés de la cité et du territoire »415. Selon les éditeurs du texte, « ces expressions dénotent une période de crise très aiguë et il est évident que l’ordre de cantonnement des troupes est en relation avec ces turbulences »416. Apollônios, envoyé en ambassade auprès du consul Manius Aquilius, se présenta devant lui et obtint pour sa patrie l’exemption du cantonnement des troupes. Il est intéressant de noter que Bargasa réagit de façon extrêmement précoce aux ordres d’Aquilius. En effet, le texte du décret bargasien est parfaitement explicite : Apollônios n’arracha pas au général romain la fin du cantonnement, mais le « persuada de ne pas envoyer de soldats »417. La petite cité carienne a donc sollicité l’exemption avant même l’envoi des troupes romaines sur son territoire. Cette remarque semble corroborer l’idée que le proconsul se trouvait à proximité de Bargasa lors de l’envoi d’Apollônios auprès de lui418. Pourtant, le décret de la cité évoque « un péril plus grand pour

412 Voir POL., XVIII, 44, 4 et 48, 1-2 : Ταῦτα δὲ διοικήσαντες ἐµέρισαν σφᾶς αὐτούς, καὶ Πόπλιος µὲν Λέντλος

εἰς Βαργύλια πλεύσας ἠλευθέρωσε τούτους. Voir également MA J., 1999, p. 90.

413 Sur cette question et sur les contradictions entre ces deux termes, voir essentiellement FERRARY J.-L., 1988 p. 72- 81, part. p. 76-77 : « dans le domaine des relations internationales, la pistis était avant tout le respect de la parole donnée, des serments échangés, et les Grecs avaient naturellement tendance à interpréter en ce sens la fides populi

romani ». Voir aussi, avec quelques précautions, GRUEN E.S., Athenaeum 90 (1982), 50-68.

414 Voir BRIANT P., BRUN P. & VARINGLIOGLU E., in BRESSON A. & DESCAT R. (éds.), 2001, p. 241-259 et DEBORD P. & VARİNGLİOĞLU E., 2012, p. 342.

415 BRIANT P., BRUN P. & VARINGLIOGLU E., in BRESSON A. & DESCAT R. (éds.), 2001, p. 242, l. 14-17 : διά

τε τὴν περίστασιν τῆς χώρας καὶ τῆς πόλε[ως καὶ] διὰ τὸ ἐγδεδαπανῆσθαι εἰς τὴν πρὸς Ῥωµαίους εὔνοίαν καὶ ταπαχῆ[ς καὶ προ]σδοκίας µεγάλης οὔσης κατά τε τὴν [π]όλιν καὶ τὴν [χώραν].

416 Ibid., p. 246.

417 Ibid., l. 20-21 : ἔπεισεν [µὴ] ἀποστεῖλα[ι τοὺς στρατιώτας].

celui qui séjourne loin de chez lui »419. Manius Aquilius était en réalité loin du théâtre carien des

opérations, soit à Éphèse où il devait présider le « conseil délibératif » évoqué dans l’inscription de Pergame pour Ménodôros, soit en Mysie dans le cadre des opérations militaires ultérieures420. L’ambassadeur de la petite cité carienneest donc parvenu à mener à bien une mission qui était loin d’être gagnée d’avance, puisque l’exigence du stathmos semble systématique dans ce conflit où l’implication des cités du côté romain paraît très forte. Le caractère pour ainsi dire obligatoire de ces charges est bien rendu par le texte du décret de Bargasa qui fait sèchement référence à une lettre d’Aquilius421 dont l’envoi a dû concerner de nombreuses cités. En l’absence d’autres faits similaires, on est condamné à proposer des hypothèses pour comprendre l’acte de générosité d’un Manius Aquilius qui en fut visiblement avare422. Si Apollônios a bien parcouru une distance importante pour l’atteindre et que, dans ce laps de temps, les troupes romaines n’étaient toujours pas hébergées dans la cité, on peut supposer que l’ordre d’Aquilius n’avait pas été exécuté ou bien parce qu’il était devenu inutile, ou bien parce qu’il était tout bonnement inapplicable. Le général romain a peut-être renoncé au cantonnement des troupes dans Bargasa, pour la simple et bonne raison que son ordre n’avait plus de sens, les opérations militaires ayant pris fin en Carie. Mais Aquilius a plus probablement accédé à la demande d’Apollônios car l’ambassadeur bargaséen lui avait prouvé que sa patrie était incapable d’héberger tant de soldats. À ce titre, la référence, dans le texte du décret, aux « dépenses exigées par le dévouement [de Bargasa] envers les Romains »423 est éclairante. À Méthymne également, grâce à un décret des néoi, nous savons que la cité insulaire était « accablée par des difficultés frumentaires continuelles et par les contributions en argent demandées pour approvisionner les greniers à blé » et que l’engagement du côté romain a « suscité de nombreuses et de grandes dépenses »424. Comme Méthymne, la petite cité carienne s’était saignée aux quatre veines pour prouver sa loyauté à la puissance romaine et Manius Aquilius a été contraint de reconnaître qu’il n’y avait plus rien à en tirer. C’est donc l’extrême gravité de la situation dans laquelle se trouvait la cité qui explique la députation d’Apollônios, mais aussi le succès de son entreprise.

419 BRIANT P., BRUN P. & VARINGLIOGLU E., in BRESSON A. & DESCAT R. (éds.), 2001, p. 242, l. 18-19. 420 I. Iasos II A, l. 13-15.

421 Ibid., l. 12-13 : Μανίου τε γὰρ Ἀκυλλίου ὑπάτο[υ σ]τρατηγοῦ Ῥωµαίων γράψαντος πρὸς ἡµᾶς ἐπιστάθµους

προσδέξασ[θ]αι.

422 FLOR., I, 35, 8 : Aquilius Asiatici belli reliquias confecit, mixtis – nefas! – veneno fontibus ad deditionem

quarundam urbium.

423 BRIANT P., BRUN P. & VARINGLIOGLU E., in BRESSON A. & DESCAT R. (éds.), 2001, p. 242, l. 14-15. 424 SEG III, 710, l. 6-13 : ἐπειδὴ [...] ἐν τῶι παρόντι καιρῷ θεωροῦντες τὸν δῆµον διὰ τὰς συνεχεῖς ἀφορίας ἐν

τοῖς σίττοις (sic.) καὶ τὰς εἰσφορὰς τῶν χρηµάτων εἰς τὰς σιτωνία θλειβόµενον, ἔτι δὲ καὶ διὰ τὴν οὖσαν αὐτῶι ἀπὸ τῆς χ̣ῆς πρὸς Ῥωµαίους εὔνοιάν τε καὶ φιλίαν καὶ διὰ τὴν ὑπάρχουσαν πρὸς αὐτοὺς συµµαχίαν κοινωνοῦντος τοῦ συνεστῶτος αὐτοῖς ἐν τῆι Ἀσίᾳ πολέµου καὶ εἰς ταῦτα εἰσφέροντος πολλὰ καὶ µεγάλα ἀναλώµατα.

Après 129 av. J.-C., les cités qui cherchent à négocier des exemptions auprès des autorités romaines sont essentiellement des communautés intégrées aux différentes provinces asiatiques. Ces cités sujettes, bien qu’autonomes dans leurs affaires propres, étaient soumises à la juridiction du gouverneur, ainsi qu’à la fiscalité romaine, prenant la suite de la fiscalité royale séleucide, puis attalide qui n’était en rien plus « libérale » que sa devancière, malgré la persistance chez les modernes d’un véritable mythe véhiculé par nos sources littéraires425. Comme elles le faisaient face aux rois successifs426, les cités tombées en sujétion cherchaient à obtenir des exemptions de taxes, ce qui nécessitait l’envoi d’une mission diplomatique à Rome, puisque c’était le Sénat, et lui seul, qui pouvait statuer sur d’éventuelles modulations de taxes régulières. Ces demandes d’exemptions ont lieu essentiellement après la première guerre contre Mithridate, puisque c’est à partir de cette date, que, par décision de Sylla, la pression fiscale s’est amplifiée au sein d’une province englobant de nombreuses cités libres jusque-là427. L’ambassade la plus célèbre reste la mission qu’a effectuée le grand citoyen de la cité de Pergame, Diodôros Pasparos, à Rome aux lendemains de la première guerre mithridatique428. Le citoyen pergaménien s’est rendu à Rome où il est resté peut-être plusieurs années, si l’on prend au sérieux la formulation du texte429. Lors de son séjour, l’ambassadeur de la cité – et éventuellement du koinon d’Asie – obtient de nombreuses exemptions, ce qui nous permet d’ailleurs d’apprécier la charge fiscale qui s’était abattue sur les cités provinciales après la guerre de Mithridate. Le premier avantage concédé à être cité dans le décret reste l’allégement des taux d’intérêt, qui devaient frapper durement ses concitoyens en train de rembourser le tribut exigé par Sylla après la paix de Dardanos. Selon B. Virgilio, « Diodôros a contribué à éliminer ou à alléger le poids de l’usure qui avait contraint les Pergaméniens à aliéner leurs propriétés et il a fait de telle sorte qu’ils n’ont plus à payer des intérêts trop élevés »430. Cette clause prouve que des prêteurs étaient actifs et que les Rhômaioi étaient de nouveau présents dans

425 La thèse de l’existence d’un appareil fiscal plus souple sous les derniers Attalides que sous les Séleucides est niée, sous Eumène II, par la libation d’une corporation célébrant « le grand-prêtre, le prêtre de la confrérie, l’hémiolos, le préfet de la ville, le diocète, l’archéklogitès, l’économe, l’eklogistès, le hiéronome, l’agonothète et le secrétaire ». Cf. MÜLLER H. & WÖRRLE M., Chiron 32 (2002), p. 192, l. 9-12. Voir également HOPP J., 1977, p. 70-74, ainsi que le décret de la cité de Métropolis pour Apollônios (145-144 av. J.-C.). Cf. I. Metropolis I, B, p. 10, l. 18-23.

426 Pour un exemple de relation entre une cité sujette et le pouvoir attalide, voir la lettre d’Attale à la cité pisidienne d’Amlada peu avant la mort d’Eumène II. Cf. RC 54, l. 9-15, ainsi que SAVALLI-LESTRADE I., in BRESSON A. & DESCAT R. (éds.), 2001, p. 77-91.

427 Sur les décisions prises par Sylla après Dardanos, ainsi que sur leurs conséquences, voir APP., LXII, 259-LXIII, 261. 428 MDAIA 32 (1907), n° 7, p. 241-256 (IGR IV, 292, l. 1-21), avec les suppléments de ROBERT L., 1937, p. 45-48. Pour la datation, voir JONES C.P., Chiron 4 (1974), p. 183-205 et Bull. 1974, 466, p. 267-270. Malgré la polémique sur la périodicité de la fête des Nikèphoria, l’étude la plus récente s’en tient à la date basse, donc en 69 et non en 125 av. J.-C. Voir CHANKOWSKI A.S., BCH 122 (1998), p. 159-199.

429 MDAIA 32 (1907), n° 7, l. 1-3, ainsi que ibid., n° 8, p. 257-272, (= IGR IV, 293), col. II, l. 10-11 : ἐπὶ τῆς ξένης,

πολυχρονίους ἀναδεξάµενος [ἀποδη]µίας καὶ κινδύνους.

430 Ibid., l. 3-5 : ἐφρόνισεν δὲ καὶ περὶ συµβολαίων ἀφέσεως (?)] καὶ περὶ ἐλαφροτοκίας τῷ πάντας τοὺς

les cités provinciales431. Puis Diodôros réussit à obtenir l’exemption du stathmos pour sa cité, qui

devait donc accueillir jusque-là des troupes romaines cantonnées432. On sait par une autre inscription pergaménienne légèrement antérieure que cette exemption pouvait être obtenue individuellement, tant que Diôdoros n’avait pas libéré sa patrie de cette charge, et qu’il s’agissait là d’un privilège d’importance que le corps civique pouvait accorder à un de ses membres méritants tels que le gymnasiarque Métrodôros, fils d’Héracléôn433. Le corps civique a même employé un mot extrêmement fort, puisque les considérants du décret pour Diodôros Pasparos évoquent un véritable « tourment » qui frappe la population et qui ne peut renvoyer qu’à un contexte de répression militaire434. C’est une nouvelle victoire de l’ambassadeur pergaménien qui dût ravir ses concitoyens à son retour, vue la façon dont la politique menée par Sylla, aux dires de Plutarque « ruina les particuliers par les violences et l’avidité des soldats logés chez eux »435.

Par la suite, Diodôros obtient la réduction du tribut imposé à la cité, ainsi que, probablement, l’exemption des autres contributions exceptionnelles et la fin des « faux contrats » imposés par la force aux citoyens436. La référence au phoros437 suffit à prouver que l’ambassadeur n’est pas parvenu à obtenir la libération de la cité – s’il a jamais tenté de l’arracher –, mais bien la réduction de la pression fiscale, qui a dû être très appréciée par les concitoyens de Diodôros. La cité pergaménienne ne peut donc pas être classée parmi les cités qui se sont vues confirmer leur liberté aux lendemains du conflit contre le roi du Pont. Même si Diodôros obtint la restitution des biens des citoyens exécutés par Mithridate438, il ne put obtenir l’immunité qui correspond pour les dirigeants

romains à un niveau de loyauté supérieur à celui auquel s’est hissée Pergame. On sait en effet par

431 Le rétablissement de Rome à Pergame est également prouvé par les mentions des Romains résidents à nouveau dans la cité. Voir OGIS 764, l. 19 : Ῥωµαίων τοῖς ἐπιδηµοῦσιν. Cf. également CIC., Pro Flacco, XXIX, 71 qui atteste de l’importance de la population romaine dans la cité en 59 av. J.-C. Nous connaissons enfin de nombreux noms romains présents dans la liste des éphèbes du début du Ier siècle, selon JACOBSTHAL P., MDAI(A) 33 (1908), p. 385.

432 MDAIA 32 (1907), n° 7, l. 7-9 : ἀπέλυσε[ν δὲ καὶ τοὺς κατοικοῦντας τὴν ἐπαρχεί(?)]αν τῆς γεινοµένης

ἀνδροληψίας ἐκ τῶν ΚΥΙ[... καὶ τῆς τῶν στρατο]πέδων παραχειµασίας, ὅπως ἡ πόλις ἀπαρεν[όχλητος τὸ λοιπὸν διαµείνηι ἢ τοὐλάχιστον(?)] ἔσται τις τῶν παρενοχλουµένων ἐπίστασις.

433 Ibid., n° 10, p. 273, l. 33-37.

434 Selon l’index de Syll.3, IV, p. 495, le seul parallèle connu est la lettre des frères Scipion à Héraclée, en 190 av. J.-C., qui prévient les citoyens de la cité du Latmos que les généraux romains leur laissent un officier afin que « personne ne les tourmente ». Cf. RDGE 35 (Syll.3 618), l. 16-17 : [ἀπεστά]λκαµεν δὲ πρὸς ὑµᾶς Λεύκιον Ὄρβιον τὸν ἐπιµελησόµενον τῆς [πόλεως κ]α[ὶ] τῆς χώρας ὅπως µηδεὶς ὑµᾶς παρενοχλῆι. 435 PLUT., Sull., XV, 4-5 : Σύλλας δὲ κοινῇ µὲν ἐζηµίωσε τὴν ᾿Ασίαν δισµυρίοις ταλάντοις, ἰδίᾳ δὲ τοὺς οἴκους ἐξέτριψεν ὕβρει καὶ πολιορκίᾳ τῶν ἐπισταθµευόντων. Ἐτέτακτο γὰρ ἑκάστης ἡµέρας τῷ καταλύτῃ τὸν ξένον διδόναι τέσσαρα τετράδραχµα καὶ παρέχειν δεῖπνον αὐτῷ καὶ φίλοις, ὅσους ἂν ἐθέλῃ καλεῖν, ταξίαρχον δὲ πεντήκοντα δραχµὰς λαµβάνειν τῆς ἡµέρας, ἐσθῆτα δὲ ἄλλην µὲν οἰκουρῶν, ἄλλην δὲ εἰς ἀγορὰν προερχόµενος.

436 IGR IV, 292, l. 11-12. Cf. JONES C.P., Chiron 4 (1974), p. 192-197, ainsi que CHANKOWSKI A.S., BCH 122 (1998), p. 183.

437 IGR IV, 292, l. 9-10 : ὁµ[οίως δὲ ἀπέλυσεν τὴν πόλιν ἡµῶν καὶ τῶν] εἰς ταύτας δαπανηµάτων καὶ τῆς τῶν

λόγων εἰσ̣[... καὶ πασῶν τῶν ἐπιταγῶν(?) τῶν ἐ]κτὸς τῶν φόρων ἐπιτασσοµένων.

438 Ibid., l. 12-14 : ἀνεκτήσα]το δὲ καὶ τοὺς βίους τῶν ἀνειρηµένων ὑπὸ Μιθραδά[του ...] ἐν τῷ πολέµωι, ἐξ ὧν

Appien439 qu’un complot ourdi contre la domination mithridatique a été découvert dans la cité vers 87-86 av. J.-C. et qu’une répression extrêmement violente s’est abattue, évidemment sur les conjurés, mais très probablement au-delà de leur seul cercle. Les élites civiques avaient donc senti le vent tourner, mais l’héroïsme de certains de ses membres ne pouvait évincer des mémoires romaines les agissements barbares perpétrés dans la capitale de l’Asie lors de l’offensive pontique de 88 av. J.-C. et de ses lendemains440. Pergame avait beau faire valoir ses mérites, qui pour intermittents qu’ils furent n’en ont pas moins été réels441, il est avéré que Diodôros ne parvint pas à obtenir l’exemption de tribut pour sa patrie et on peut même à bon droit considérer qu’il n’en a jamais eu réellement l’intention. Le contexte politique, que l’on devine à la lecture du décret pour le grand évergète pergaménien, correspond donc admirablement à la situation de la cité lors de la guerre. En effet, ces mesures d’allégement des charges dues par la cité sujette de Pergame semblent parfaitement conformes aux soulagements plus généraux obtenus par de nombreuses cités dans le cadre des mesures de Lucullus en Orient442. Nous pouvons reprendre à notre compte les mots de C.P. Jones et dire que « les années qui séparent Dardanos de l’explosion de la troisième guerre mithridatique témoignent de l’intense activité diplomatique de l’Asie en direction de Rome et des magistrats romains dans la province »443.

Nous disposons de plusieurs autres documents relatifs à cette activité diplomatique des cités micrasiatiques après la première guerre mithridatique et leur intégration dans la province d’Asie. Remarquons d’emblée que la province elle-même a décidé de se défendre devant le Sénat. Strabon mentionne en effet une mission diplomatique de toute première importance effectuée à Rome par un citoyen d’Adramyttion, Xénoklès d’Adramyttion, un orateur qui fut « dialecticien incomparable, comme le prouve le plaidoyer qu’il prononça devant le Sénat pour la province d’Asie accusée de mithridatisme »444. Xénoklès était considéré comme un des plus grands orateurs mirasiatiques par

439 APP., Mithr., XLVIII, 192 : Ἁλούσης δὲ τῆς ἐπιβουλῆς οἱ µὲν αἰκισθέντες ἐκολάσθησαν, ὑποψία δ’ ἐς τὰ

ὅµοια πολλοὺς κατεῖχεν. Ὡς δὲ καὶ Περγαµηνῶν τὰ αὐτὰ βουλεύοντες ὀγδοήκοντα ἄνδρες ἑάλωσαν, καὶ ἐν ἄλλαις πόλεσιν ἕτεροι, ζητητὰς ὁ Μιθριδάτης πανταχοῦ περιέπεµπεν, οἵ, τοὺς ἐχθροὺς ἐνδεικνύντων ἑκάστων, ἔκτειναν ἀµφὶ τοὺς χιλίους καὶ ἑξακοσίους ἄνδρας. Confirmation dans OROS., VI, 2, 8.

440 APP., Mithr., XXIII, 88 ; PLUT., Sull., 11, 1-2 ; CIC., Pro Flacco, XXIV, 57.

441 I. Pergamon II, 455 : [ὁ δῆµος ἐ]τίµησεν [... ]άρχου καταστα[θέντα στρατηγὸν ἐν] τῶι συνστάντι [πολέµωι,

σώσαντα τὴν ἀπ]ολειφ<θ>εῖσαν ὑπὸ [Μιθραδάτου οὐσίαν ἐν τῆι ἀ]κροπόλει καὶ συντη[ρήσαντα Ῥωµαίοις πᾶσαν] πίστιν ἀεὶ ὡς τῇ συ[γκλήτωι πειθαρχοῦντα, γ]ενόµενον δὲ κα[ὶ] [σύµβουλον καὶ φίλον τῶ]ν ἡγουµένων, ἔτ̣[ι] [δὲ ἀναστραφέντα καλῶς] πρὸς πάντας.

442 Voir PLUT., Luc., XX, 4, ainsi que A&R 5, p. 26. Ce décret d’Aphrodisias, daté de la même époque et relatant une ambassade du koinon d’Asie à Rome, rappelle « how the behaviour of the publicans impelled the province to send

ambassadors to Rome asking it to help ». Voir par ailleurs JONES C.P., Chiron 4 (1974), p. 194. 443 Ibid., p. 203. C’est nous qui traduisons.

444 STRAB., XIII, 1, 66 : Ἀδραµυττηνὸς ῥήτωρ ἐπιφανὴς γεγένηται Ξενοκλῆς, τοῦ µὲν Ἀσιανοῦ χαρακτῆρος,

ἀγωνιστὴς δὲ εἴ τις ἄλλος καὶ εἰρηκὼς ὑπὲρ τῆς Ἀσίας ἐπὶ τῆς συγκλήτου καθ´ ὃν καιρὸν αἰτίαν εἶχε Μιθριδατισµοῦ.

Cicéron qui avait reçu son enseignement lors de son voyage d’étude en Asie445, preuve que la

province d’Asie avait décidé de mettre toutes les chances de son côté pour obtenir des exemptions de charges. On retrouve cette volonté commune de se défendre de l’accusation de « mithridatisme » dans une seconde initiative du koinon qu’il faut peut-être considérer comme étant à verser au même dossier. On sait, toujours par Strabon, qu’un citoyen de Sardes nommé Didôros Zônas défendit la