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CHAPITRE I : Origines des politiques de réconciliation

2. Question de recherche

Notre mise en contexte nous a permis de mettre en lumière les rapports qui ont régi la relation entre les états fédéraux et les populations autochtones en Australie et au Canada et les grands débats contemporains sur les questions de mémoire et reconnaissance. La démarche des 25 dernières années a tenté de faire évoluer ces rapports et d’aller dans une voie de réconciliation, ce qui a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire des deux pays. Toutefois, notre mise en contexte nous a également montré que malgré les avancées de certains gouvernements, d’autres ont quelque peu freiné ce processus.

Nous nous posons donc la question suivante : comment les orientations politiques influencent-

elles le processus de réconciliation ? Il semblerait en effet que dans les deux pays, les

gouvernements conservateurs aient montré un désaccord plus marqué à la présentation d´excuses et l´initiation de démarches de réajustement des torts historiques du pays. Les partis libéraux pour le Canada et travaillistes pour l’Australie ont de leur côté affiché une ouverture à la reconnaissance des traumatismes historiques et une volonté de changer les anciens rapports.

Notre question de recherche va donc plonger dans une lecture de la réconciliation selon les discours politiques qui l’entourent. Nous tenterons donc de comprendre comment au sein des groupes politiques, les divergences idéologiques impactent l’objectif de réconciliation et sur quels principes ces idéologies se basent. Ultimement, nous pourrons déduire la manière dont ces idéologies influencent la relation entre états et communautés autochtones et où en est le processus de réconciliation.

Afin d’entreprendre cette recherche, nous allons désormais en définir le cadre. Pour ce faire, nous commençons par définir certains les concepts que nous utiliserons tout au long de notre travail et qui sont les suivants : la réconciliation, la reconnaissance, la justice réparatrice et enfin la mémoire collective. Nous aborderons ensuite le cadre théorique choisi pour notre analyse, avant de passer à la revue de la littérature et aux hypothèses.

2.1 Définitions des concepts utilisés

- Réconciliation :

La réconciliation est ici étudiée comme un processus de transition dans une société divisée cherchant à construire une relation pacifique entre communautés ethniques, culturelles et religieuses après des périodes de conflit ou des oppressions (Walters, 2008). En s’accordant sur la mémoire du passé, la transition présuppose une reconnaissance officielle des injustices historiques, une reconnaissance des responsabilités suivies par un procédé de réparation et le pardon accordé par les victimes vis-à-vis des responsables (Ivison, 2002 ; Muldoon, 2008 ; Bashir, 2008).

Certains chercheurs insistent sur le fait qu’il faudrait parler de conciliation plutôt que

réconciliation. En effet, ce terme supposerait qu’il y avait de bons rapports à l’origine alors

qu’ils n’auraient jamais été dans une relation égalitaire. Le concept ne trouve pas de consensus quant à sa définition, bien qu’utilisé couramment dans le langage public depuis 30 ans (Wyile, 2016). Cependant, nous choisissons de garder le mot réconciliation dans le cadre de ce travail étant donné que c’est celui qui est utilisé par les représentants politiques et les nations autochtones.

- Reconnaissance :

La reconnaissance consiste en des déclarations et excuses officielles de la part de l’état, concernant des violations de droits et actes injustes commis vis-à-vis d’un groupe opprimé dans le passé. Elle inclut également la reconnaissance des droits, accords et traités passés entre l’état et les communautés autochtones, ainsi que du statut et de l’intégrité sociale et culturelle de ces populations. La reconnaissance suppose également une révision de l’histoire officielle (Ivison, 2002 ; Muldoon, 2008 ; Nobles, 2008 ; Coulthard, 2014).

Ce concept sera principalement étudié à travers les discours officiels des dirigeants politiques australiens et canadiens. Mais il ne s’arrête pas aux discours, car il présuppose des actions concrètes pour marquer cette reconnaissance. Nous étudierons donc comment cette reconnaissance a été abordée dans le cadre de la réconciliation au Canada et en Australie.

- Justice réparatrice :

Selon le Centre International de Justice transitionnelle, le concept est défini comme suit : « Ensemble des mesures judiciaires et non judiciaires qui ont été mises en œuvre par différents pays afin de remédier à l’histoire de violations massives des droits humains en temps de conflits et/ou de répression par l’état. Ces mesures comprennent les poursuites pénales, les programmes de réparation, diverses réformes institutionnelles et les commissions de vérité » (Parent, Réseau de Recherche pour les Opérations de la Paix, 2012).

Étant donné l’approche de ce travail, il a semblé plus judicieux de parler de « Justice réparatrice » qui suppose un travail de guérison, et non de transition démocratique suivant des conflits. La Justice transitionnelle est en effet un terme plus communément utilisé pour qualifier les états en transition démocratique. Ce concept sera repris à la fin de notre recherche pour analyser les actions mises en place par les états et leur rapprochement avec le concept de justice réparatrice.

- Mémoire collective :

La mémoire collective est un concept incontournable pour étudier les processus de réconciliation. En effet, comme mentionné ci-dessus, les politiques de réconciliation étudiées dans ce travail tendent à revoir la manière dont le pays transmet ses récits historiques, et ce, en la mettant en accord avec le passé colonial et ses exactions dans un but de pacification des rapports avec ses communautés autochtones. Cette reconstruction de la manière d’étudier l’histoire est primordiale pour marquer la transition des relations entre groupes en reconnaissance des erreurs et injustices commises dans le passé. En effet ;

« La reconstruction du passé fait partie intégrante des processus de réconciliation intergroupe, car, à l’issue d’un conflit, la mémoire collective sous-tend une bonne partie de l’animosité, de la haine et de la méfiance entre les groupes. La difficulté de cette gestion des mémoires tient au triple défi qu’elle doit pouvoir relever : permettre la reconnaissance et favoriser la guérison des souffrances individuelles ; préserver l’identité sociale des groupes impliqués ; tout en leur permettant de vivre ensemble en paix » (Licata et al., 2007, p. 563).

Nous allons donc expliciter ce qui est entendu par mémoire collective et en quoi ce concept permet de mieux aborder la recherche. Le maître penseur du concept de la mémoire collective est bien évidemment Maurice Halbwachs. Selon lui, chaque groupe social développe sa propre mémoire et les individus en assurent la transmission (Halbwachs, 1950 ; Olick, 2011). Cette même mémoire est un facteur identitaire important et permet un sentiment d’adhésion à un groupe selon le sociologue. La transmission de cette mémoire est donc un puissant élément d’identification culturelle (Olick, 2011).

Le rôle de l’état est donc de donner une vision officielle de l’Histoire qui va influencer la mémoire collective. Cette mémoire est présente évidemment autant dans les populations autochtones que dans le reste de la population. Sans effacer ce qui a pu se passer, la reconnaissance de la part de la société dominante, qui niait précédemment les torts, peut avoir un impact important sur la mémoire collective. Si celle-ci est modifiée en faveur des communautés autochtones, les prémisses de la réconciliation peuvent apparaître. Dans le cadre de ce travail, nous nous concentrerons sur la manière dont la reconnaissance permet un changement ou non de la mémoire collective.