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CHAPITRE I : Origines des politiques de réconciliation

4. Évaluation de la littérature

Afin d’approfondir notre question de recherche, nous avons exploré la littérature existante sur les politiques de réconciliation. Les recherches que nous avons abordées nous ont permis de nous familiariser avec le sujet ainsi que d’affiner nos connaissances et notre regard sur les questions de réconciliation au Canada et en Australie.

Premièrement, d’un point de vue lexical, il ne semble pas y avoir de consensus dans la littérature sur ce que signifie le terme « réconciliation ». Comme mentionné ci-dessus, certains pensent que le terme conciliation serait plus approprié étant donné qu’il n’y aurait pas eu de relation harmonieuse dans le passé (Edmonds, 2016; Wyile, 2016, p. 54). Les auteurs Richard et Wilson (2017) définissent deux approches de la réconciliation. L’une, « thin », encourage une coexistence pacifique et l’autre, « thick », approfondit davantage le processus et cherche à accorder le pardon aux protagonistes. Wilson (2001) argumente que le concept pour le moins flou de réconciliation permet aux élites politiques qui héritent des erreurs de leurs prédécesseurs, de reconstruire la nation tout en légitimant les institutions fédérales (2017 : 7). Bien que les auteurs étudient principalement les processus de CVR et de transitions d’état post-conflits, ce dernier point nous paraît important dans le cadre de notre recherche. En effet, nous allons considérer l’influence du concept de réconciliation et son utilisation par les dirigeants politiques comme vecteur de légitimation des institutions fédérales. Nous pourrons ainsi tenter de comprendre si ce terme plus qu’utilisé dans le cadre des relations entre l’état et les communautés autochtones sert de vecteur de réaffirmation du pouvoir de l’état. Voyons désormais les autres études faites à ce sujet.

Une partie de la littérature s’oriente vers une analyse quelque peu pessimiste du concept de réconciliation. Penelope Edmonds, historienne à l’Université de Tasmanie, considère que ces politiques sont fondamentalement utopiques. Selon elle : « the realm of public performance (…) are greatly bound up in a culture and economy of affect, expressing the desire for virtuous compact, unity and redemption under the sign of nation » (2016 : 1). Bien que ces politiques cherchent un certain consensus au sein de la société, voire de la nation, l’historienne avance que les populations autochtones peuvent décider de les rejeter, les percevant comme le résultat d’un projet politique de la société dominante. L’unité de la nation est au cœur du processus et

les institutions restent marquées par une continuité historique de la colonisation. Son livre

Settler Colonialism and (Re)conciliation Frontier Violence (2016) pose donc la question

suivante : comment peut-on instaurer la réconciliation dans l’ombre de ces violences passées et comment celle-ci est perçue par les autochtones ? Elle conclut que ces politiques « state- based » sont en réalité une façade de tolérance qui est volontiers affichée par l’état tant que cela ne dérange pas l’hégémonie de la société dominante (2016 : 183). Cette approche, bien que peu optimiste, offre un regard intéressant sur la manière dont un état aborde la réconciliation et sur la réussite de celle-ci. La continuité institutionnelle facilitée par la réconciliation est de nouveau avancée, mais l’auteure nous parle également de légitimité de la nation. Nous reviendrons sur ces observations lors de notre comparaison finale afin de voir si notre analyse confirme ou dément cette approche.

Les études d’une autre chercheure, Hanna Wyile, ont également attiré notre attention à ce sujet. Celle-ci s’est intéressée à l’impact des mots et de leurs définitions dans le processus de réconciliation. Selon elle, il est important de comprendre ces termes et la manière dont ils sont utilisés par différents acteurs, car ils forment les relations sociales et politiques (Wyile, 2016 : 105). L’auteure met donc l’accent sur l’aspect hautement politisé de la définition de

conciliation et réconciliation ainsi que leur mise en pratique. Nous nous baserons dans notre

analyse sur une approche similaire, en explorant la manière dont ces questions sont abordées par les politiciens dans leurs discours. Ces deux chercheures ont permis d’aborder notre recherche selon la relation, la place de l’état et l’influence des discours sur le processus. La première est australienne et la deuxième canadienne, elles abordent toutes deux la question avec un regard profondément critique et accusateur de la société coloniale et des structures qui la composent. Le terme de « settler state » parle d’ailleurs de lui-même dans ce cas. L’exemple suivant illustre bien ce genre d’utilisation :

Through a range of legal and political processes – courts, tribunals, commissions of inquiry – settler governments have sought to ‘recognize’ indigenous cultural difference and indigenous persistence, and to ‘reconcile’ or ‘settle’ the rights claims made by indigenous communities (Bell, 2014 : 140).

Ce dernier, très utilisé dans la littérature anglophone, est souvent repris par celui de « colon » en français8. L’anthropologue Marie-Pierre Bousquet aborde cette question en étudiant l’utilisation de ces termes dans la littérature francophone et anglophone. Elle explique que bien que l’utilisation ait progressivement évolué, ils désignent des catégories de groupes du passé, mais continuent de décrire la société occidentale actuelle en opposition avec les sociétés autochtones. Suivant ces réflexions, nous pensons que ces termes, coincés dans les rapports historiques entre nations, ne restent pas sans impacts sur le conflit contemporain. Non seulement ces catégorisations identitaires persistent, mais elles peuvent nourrir les préjugés et continuer de creuser le fossé entre les groupes. En effet, ils cristallisent la relation dans les anciens rapports coloniaux en plaçant d’un côté les envahisseurs et de l’autre, les dépossédés. Ces catégorisations empêchent une étude neutre de la relation entre état et autochtones et coincent les deux entités dans un rapport inévitable de domination. C’est ce que le pessimisme et la critique constante des récidives de colonialisme dans de nombreuses études sur le sujet nous ont montré. Bien qu’il soit évident que les rapports de force existent entre les communautés autochtones et l’état, ce que nous confirmerons au cours de notre recherche, aucun auteur n’analyse comment les acteurs politiques influencent les débats sur la réconciliation et sur quelles idéologies reposent leurs arguments. En condamnant d’emblée l’état et la société occidentale, les rapports coloniaux sont cristallisés dans le temps et toute critique constructive des actions de l’état est évitée.

D’autres études de chercheurs australiens abordent également les politiques et tendances contemporaines de réconciliations. Selon le philosophe Yin Paradies (2016), les tentatives politiques et internationales d’aller vers la réconciliation depuis les années 90 sont en échec dû aux attitudes racistes, intrinsèquement ancrées dans les imaginaires de la société australienne. Malgré l’institutionnalisation et l’activisme autochtone allant dans une voie de réconciliation, les perceptions du reste de la population freinent ce processus. Son étude analyse les données statistiques faites en Australie sur des baromètres de réconciliation et de racisme et conclut que les attitudes envers les autochtones empêchent une profonde réconciliation au sein de la

8 Voir à ce sujet les études de l’anthropologue Marie-Pierre Bousquet : Y a-t-il des settlers au Québec ?

Conférence donnée à Québec le 27 avril 2018 lors du colloque du Centre Interuniversitaire d’Études de Recherche Autochtone (CIÉRA) sur le thème « Pour une réelle réconciliation ? ».

société australienne. « In the last decade or so, reconciliation has, for many, become ‘associated with meaningless platitudes rather than transformation’ and largely faded from public consciousness » (Paradies 2016 : 105). Il affirme que les tentatives de réconciliation se sont concentrées sur les aspects symboliques, comme le discours du premier ministre Rudd en 2008 et sur les aspects socio-économiques comme la politique Closing the gap. Son étude démontre donc que malgré les essais de réconciliation, les problèmes de racisme profondément ancrés dans la société australienne prédominent. Une autre étude, qualitative, de Bretherton, Mellor et Firth (2007) tente de comprendre les perceptions des aborigènes d’Australie sur l’utilité d’excuses et pardon dans la démarche de réconciliation. Ils défendent qu’une « réconciliation négociée » passant par des discussions entre les communautés autochtones et le reste de la population soit importante pour trouver un terrain commun. Les résultats montrent que des excuses préalables sur les pertes subies par les populations autochtones peuvent mener à un pardon et finalement une potentielle réconciliation. David Mellor effectue une nouvelle étude en 2012, après le discours d’excuses du premier ministre en 2008. Il y conclut que malgré les excuses du gouvernement Rudd, les oppressions coloniales et postcoloniales ainsi que la violence structurelle continuent d’avoir lieu en Australie (Mellor 2012 : 42). Il affirme également que l’imposition de la vision de l’histoire par la majorité entraîne une indifférence et un racisme qui confronte les tentatives de réparations (Mellor 2012 : 51). Une fois de plus, les auteurs australiens dénoncent le racisme structurel présent dans la société qui empêche toute forme de réconciliation au sein du pays. Les études mentionnées ci-dessus nous permettent donc de sortir un aspect important, celui de l’ancrage des préjugés au sein de la société qui freinent tout processus de réconciliation entre peuples. Toutefois, malgré la persistance prouvée du racisme, de l’histoire dominante et des reproductions de pratiques coloniales, les chercheurs ne parlent pas des perceptions de dirigeants politiques qui sont au centre des prises de décision. En effet, ceux-ci jouent un rôle important dans les démarches de réconciliation, et ce, même avant la mise en place des politiques. Notre recherche pourrait amener ce nouvel angle d’approche pour approfondir ces réflexions.

D’autres recherches approfondissent ces réflexions, comme celles de Melissa Nobles qui s’est intéressée aux excuses publiques. L’auteure fait une étude comparative des politiques

d’excuses dans quatre pays ; l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada et les États-Unis. Elle explique que le refus de présenter des excuses, comme le cas du premier ministre Howard en Australie, se trouve dans la construction historique de l’identité australienne qui implique qu’il est inutile de se focaliser sur le passé, mais qu’il faut se regarder vers le futur (2008). « Whether one considered an apology appropriate largely hinged on his or her views of the policy, of Australian history, and of reconciliation » (Nobles 2008 : 96). Cet argument apporte un nouvel angle d’approche pour notre recherche. Comme nous l’avons défini plus tôt, la mémoire collective occupe une place importante dans le processus de réconciliation. Or, le refus de reconnaître les actes du passé et de s’en excuser nie la mémoire de certains peuples. Nous nous inspirerons donc de Nobles dans cette considération de la confrontation identitaire nationale. Nous essayerons de comprendre ce qui pousse les partis politiques à refuser ou accorder des excuses officielles.

Enfin, de nombreux auteurs affirment que les pratiques de réconciliations ne sont qu’un « déguisement » de colonialisme (Short, 2012 ; Coulthard, 2014 ; Jung 2016). Les excuses s’affichent comme une transition postcoloniale alors qu’en réalité, elles sont formulées par des états encore profondément ancrés dans le colonialisme (Short, 2012 : 301-2 ; Jung, 2016). Ces mesures tentent donc de mettre l’histoire derrière. Glen Coulthard, politologue de l’Université de Victoria, affirme que les politiques de reconnaissance sont des moyens pour l’état canadien d’affirmer ses positions libérales et reproduisent les rapports coloniaux et racistes au sein de la société (2014 : 3). Courtney Jung (2016), politologue de l’Université de Toronto, parle de l’échec des politiques de réconciliations au Canada à amorcer une réelle réconciliation avec les autochtones. Elle explique que l’état a abordé la problématique dans une approche néolibérale qui contredit les revendications autochtones et met en péril les droits collectifs autochtones. De plus, la réconciliation est en danger, car il y a un risque de politisation tout au long du processus. En effet, chaque gouvernement peut remettre en question les actions précédentes et cela empêche d’arriver à un réel consensus sur la question. L’état peut choisir de s’engager dans un processus de justice transitionnelle comme il l’a fait au Canada, mais « (...) the government may try to use such measures as apologies and reparations to shut down other indigenous demands (...) » (Jung, 2016 : 369). Pour ce qui est de l’Australie, Davis et Langton (2016) affirment que l’Australie n’a jamais réellement été dans un sens de

réconciliation. Les concepts de « reconnaissance » et « réconciliation » seraient en compétition en Australie selon les auteurs. L’échec de ces politiques serait causé par leur approche symbolique et « state-driven ».De plus, les institutions étatiques seraient trop peu propices à l’inclusion des peuples de Premières Nations (Davis et Langton, 2016). Toutes ces études dénoncent les problèmes structurels des sociétés australiennes et canadiennes et la difficulté d’amorcer une réconciliation dans un tel contexte. Les auteurs sont donc très critiques vis-à- vis de l’idée d’une réconciliation à l’initiative de l’état et du cadre politique qui le compose. La méfiance ou le cynisme vis-à-vis des actions de l’état sont très présents dans la littérature contemporaine sur la réconciliation. Toutefois, peu d’études tentent de comprendre les perceptions des dirigeants au sein de l’état. C’est pourquoi cette recherche va se concentrer sur l’influence des partis politiques et de leurs orientations idéologiques sur le processus de réconciliation. Sans aborder cette question dans une condamnation préalable de l’état, nous tenterons de donner une vision nouvelle de sa position et son rôle dans la réconciliation. Tout en restant critique quant à ses actions, et conscient des rapports de force existants entre les groupes, nous tenterons de ne pas tomber dans le piège d’une vision manichéenne des rapports sociaux et culturels dans la relation de l’état avec les communautés autochtones de l’Australie et du Canada.