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CHAPITRE III : Réconciliation et politique au Canada

2. Principales politiques de réconciliation entre 2004 et 2018

2.1 L’accord de Kelowna et son abandon 2004-2006

Sous l’initiative du gouvernement libéral Paul Martin, un grand projet de délibérations en table ronde est initié du 19 avril 2004. Jusqu’au 24-25 novembre 2005, les délibérations ont rassemblé des représentants fédéraux, provinciaux, territoriaux et de nombreux représentants d’organismes autochtones du pays36. L’objectif de ces rencontres était de préparer le « renouvellement des relations entre le Gouvernement du Canada et les dirigeants autochtones, de même que la discussion de moyens significatifs de réaliser des progrès concrets en matière de santé et de mieux-être des peuples et communautés autochtones » (Martin, 2004 : i).

Après 18 mois de délibération et de travail, l’Accord Kelowna se conclut avec un projet d’investissement de 5,1 milliards de dollars sur 5 ans dans les secteurs suivants : la relation et responsabilité, l’éducation, la santé, les logements et infrastructures et les possibilités économiques. Sur la base d’un nouveau modèle collaboratif, le compte-rendu des tables rondes propose un plan d’action pour réduire les inégalités sur 10 ans entre les autochtones et le reste de la population canadienne. En matière de relation et de responsabilité, le gouvernement prévoit alors 170 millions de dollars pour « soutenir la capacité des organisations autochtones de travailler avec les gouvernements, pour mettre au point des pratiques de responsabilisation et pour prendre des engagements concernant les politiques sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale » (Patterson, 2006 : 10). L’accord annonce également de faire progressivement évoluer les institutions vers des modèles inclusifs.

Symboliquement, cette démarche a été primordiale dans l’histoire du pays. Pour la première fois, le gouvernement discute sur un pied d’égalité avec des représentants autochtones sur des

36 5 grands organismes autochtones étaient particulièrement mobilisés dans le processus d’établissement de

l’Accord et y ont joué un rôle important : l’Assemblée des Premières Nations (APN), l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), le Ralliement National des Métis (RNM), l’Association des Femmes Autochtones du Canada (AFAC) et le Congrès des Peuples Autochtones (CPA).

questions les concernant. Plusieurs accords, conclus lors des tables rondes, prévoyaient d’ailleurs la collaboration entre 5 grands organismes autochtones37 et le gouvernement du Canada afin d’assurer la représentation politique des différentes communautés (Patterson, 2006 : 7). D’un point de vue de la réconciliation, cet accord a donc marqué une grande avancée en témoignant de la volonté du gouvernement à collaborer avec les communautés autochtones pour non seulement identifier les problématiques et les besoins de ceux-ci, mais également les inclure dans le processus délibératif. L’accord, par ce biais, donnait une voix aux autochtones sur la scène politique fédérale et provinciale au-delà d’une simple consultation. De plus, il est évident que cette collaboration a consenti à une reconnaissance des communautés en tant qu’entités autonomes et distinctes culturellement, détachant ainsi l’état de sa tradition paternaliste.

Toutefois, la dissolution de la Chambre peu de temps après la conclusion de l’accord entraîne l’abandon de celui-ci suite à la victoire des conservateurs. Lors du Discours du Trône prononcé à l’ouverture de la première session de la 39e législature le gouvernement mentionne brièvement qu’il « cherchera à améliorer les possibilités pour tous les Canadiens, notamment les Autochtones et les nouveaux immigrants » (Milliken, 2006 : 10). Le gouvernement prévoit alors d’investir 150 millions en 2006 et le double en 2007 afin d’améliorer les programmes d’éducation, procurer de l’eau potable dans les réserves, améliorer les logements hors réserves et restreindre l’écart socio-économique entre les autochtones et le reste de la population canadienne (CBC news, 2006). L’accord initial, qui prévoyait plus de 700 millions de dollars par an juste pour ce qui concernait la santé, les logements et l’éducation, est drastiquement réduit. L’élection des conservateurs au pouvoir et leur réprobation de l’accord ont donc entraîné l’abandon des promesses qui l’accompagnaient. Il est toutefois important de noter que les budgets n’avaient pas été négociés et n’assuraient donc pas la continuité ni la viabilité de l’accord (Patterson, 2006 : 16).

37 Pour l’APN : Un accord politique entre les Premières nations et la Couronne fédérale portant sur la

reconnaissance et la mise en œuvre des gouvernements des Premières nations ; Pour l’ITL : Accord de partenariat entre les Inuits du Canada et Sa Majesté́ la Reine du chef du Canada ; Pour le RNM : Accord-cadre avec la nation métisse entre Sa Majesté́ la Reine du chef du Canada et le Ralliement national des Métis ; Pour le

CPA : Accord de collaboration sur l’élaboration de politiques entre le Congres des peuples autochtones et le

gouvernement du Canada ; Et pour l’AFAC : Accord de collaboration sur l’élaboration de politiques entre l’Association des femmes autochtones et le gouvernement du Canada.

L’épisode pour le moins éphémère des tables rondes nous permet de sortir deux premières observations concernant les visions de la réconciliation des deux principaux partis politiques. Premièrement, l’initiative du gouvernement libéral présentait un tournant par sa vaste entreprise comprenant une inclusion dans les délibérations, une volonté de changer les institutions et une reconnaissance politique des nations autochtones, ce qui ouvrait la voie de la réconciliation. Toutefois, bien que cette démarche soit axée sur une recherche de consensus politique, elle n’assurait pas sa faisabilité financière et comportait beaucoup de promesses et des projets probablement difficiles à appliquer. Deuxièmement, l’abandon de l’accord et les restrictions budgétaires qui ont suivi ont démontré une approche plus soucieuse des dépenses de l’état par les conservateurs et visiblement moins propice à la collaboration. Le manque d’investissement et de préoccupations du gouvernement concernant les questions autochtones a indéniablement marqué un pas en arrière dans la réconciliation, empêchant une continuité de collaborations.