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CHAPITRE II : Politiques de réconciliation en Australie

2. Principales politiques de réconciliation depuis 1991

2.3 Closing the Gap on Indigenous Disadvantage 2008

Le programme Closing the Gap on Indigenous Disadvantage est lancé par le gouvernement Rudd à la suite des excuses officielles offertes aux autochtones australiens. Son titre l’indique, le plan d’action est axé sur la volonté de redresser les importantes disparités socio- économiques présentes entre les communautés autochtones et le reste de la population australienne. Il prévoit d’agir en priorité dans les zones reculées du pays et inclut les domaines suivants : la qualité et l’espérance de vie, l’éducation, la santé et l’emploi. Le document officiel du gouvernement de 2009 nous donne de plus amples descriptions sur les approches, budgets et actions prévus en vue de rectifier ces écarts dans la société australienne23.

Tout en témoignant de la volonté de promouvoir et d’honorer le « self-respect, independence, better living standard » ainsi qu’une identité culturelle forte et un sens de la communauté, le

22 Comme nous l’avons élaboré dans notre mise en contexte du chapitre 1 avec des affirmations d’auteurs comme

Windschuttle et sa Fabrication de l’Histoire Aborigène qui remet en question le travail d’historiens essayant de démontrer l’ampleur des massacres commis par des blancs sur des autochtones.

gouvernement s’engage à travailler en partenariat avec les communautés aborigènes, les états et gouvernements territoriaux, les entreprises, les organisations des communautés et tous les Australiens pour œuvrer à ses objectifs (Closing the Gap, 2009 : 4). Il s’engage également à créer un corps de représentation des aborigènes et insulaires du détroit de Torres. L’objectif est d’établir une « relation saine » tout en affirmant que des interventions seront mises en place si elles sont jugées indispensables, rappelant ainsi le devoir de protection du gouvernement.

The Australian Government will establish a national Aboriginal and Torres Strait Islander representative body to give Indigenous Australians a voice in national affairs. The Government has undertaken an extensive round of consultations with Indigenous communities across all states and territories to seek views on a proposed model for a representative body. (…) This work supports the Government’s genuine commitment to facilitate a collaborative approach to improving outcomes for Indigenous Australians (Closing the Gap, 2009 : 5).

Closing the Gap de 2009 présente un état des lieux de la situation des communautés

autochtones afin d’identifier les problématiques auxquelles le gouvernement doit faire face. Des chiffres et statistiques concernant l’écart d’espérance de vie entre autochtones et non- autochtones, le taux de mortalité infantile, le taux d’éducation de la petite enfance, le taux de lettrisme et l’emploi sont partagés afin de comprendre l’envergure des défis à affronter par le gouvernement et les autres acteurs concernés. Pour assurer de travailler avec les états sur la question, le Council of Australian Governments (COAG) est privilégié comme organe de concertation. Celui-ci identifie 7 domaines sur lesquels travailler : la petite enfance, l’éducation, la santé, la participation économique, des maisons saines, des communautés sécurisées et enfin, la gouvernance et le leadership.

Chaque année, à l’ouverture de la Chambre des représentants, le PM est tenu de faire un état des lieux de l’évolution de Closing the Gap. De 2008 à 2018, 4 gouvernements se sont succédé et ont hérité de cette politique. Ils ont tous continué le programme en poursuivant les objectifs initiaux. La promesse de donner une voix aux autochtones dans les affaires nationales n’a pas été tenue à ce jour (2018). Le rapport de 2015 du gouvernement Abbot ouvre une nouvelle voie parmi les libéraux : « Constitutional recognition is critical to fully acknowledge the heritage of our nation » (Rapport 2015 : 20). En 2018, la reconnaissance constitutionnelle

n’est toujours pas actée. Aussi, le gouvernement Turnbull réitère son refus de création d’une chambre représentative pour les autochtones :

Although the Government remains committed to constitutional change, and to ensuring that Aboriginal and Torres Strait Islander people are properly involved in decision-making over their own affairs, it does not support a constitutional amendment to enshrine an Indigenous representative body that would inevitably be seen as a third chamber of parliament. (...) The Government believes this proposal would not gain this level of support, and that a failed referendum would be a huge setback in Australia’s reconciliation journey (2018 : 29).

Le rapport de 2018, du PM Malcolm Turnbull nous permet d’avoir un aperçu des évolutions des objectifs 10 ans après l’initiation du programme. Des avancées en matière d’éducation et de santé sont présentées comme suit : la mortalité infantile a baissé de 35% depuis 1998 (bien que le programme ait commencé en 2008) ; en 2016, 91% des enfants en bas âge assistaient à des classes de maternelles ; 65,3% des autochtones atteignaient l’année 12 ce qui présente une augmentation d’environ 20% depuis 2006.

Les domaines suivants n’ont quant à eux pas montré d’évolution notable : la participation scolaire reste 10% moins élevée que le reste de la population australienne et le taux d’illettrisme stagne. Concernant l’emploi, aucun résultat concomitant n’a été observé pendant ces 10 dernières années (le taux d’emploi est de 46,6% en 2016 comparé à 71,8% pour le reste de la population). En ce qui concerne l’espérance de vie, les chiffres ne montrent pas de réelle évolution à ce jour et le taux de mortalité stagne (l’écart entre autochtones et non-autochtones reste de 10 ans).

Le rapport souligne l’importance d’œuvrer dans un respect de la culture, des spécificités du passé et des traumatismes hérités :

(…) holistic approaches that work with Aboriginal and Torres Strait Islander people in ways that take into account the full cultural, social, emotional and economic context of Indigenous people’s lives – including an awareness of the ongoing legacy of trauma, grief and loss associated with colonisation (2018 : 11).

Closing the Gap a un objectif précis et unique : travailler sur les inégalités. La réparation est

envisagée par les moyens mentionnés ci-dessus. Bien que l’idée de donner une voix aux communautés autochtones ait été évoquée dans les différents rapports, un organisme représentatif des communautés n’est ni prévu ni souhaité. L’approche des gouvernements

chargés de la politique tend à amener les populations autochtones au même niveau de vie que le reste de la population australienne. En seulement 10 ans, des progrès intéressants ont été observés. L’emploi, le niveau de santé et l’espérance de vie des communautés autochtones restent cependant loin des standards australiens. Concernant la réconciliation, il semblerait que les objectifs se restreignent à assurer que les communautés s’intègrent dans la population australienne sans se questionner sur ce dont ces populations ont besoin ou envie en matière de collaboration et amélioration de la relation avec le reste de la population australienne et l’état. La réconciliation australienne telle qu’envisagée et appliquée par les politiques étudiées ci- dessus est engagée de manière descendante et rend la collaboration entre l’état et les communautés autochtones presque impossible. Aucune collaboration n’est d’ailleurs envisagée de manière concrète. Ces politiques, pensées et dessinées par les gouvernements au pouvoir, démontrent une vision étroite et « sécuritaire » de la réconciliation. En effet, les approches sont timides dans la mesure où elles n’engagent aucune procédure concrète pour les questions sensibles politiquement. Bien que les partis aient affiché des visions différentes dans l’élaboration des politiques, elles finissent par être le résultat de compromis entre partis. Les sujets de représentations, d’octroi de droits spécifiques ou d’autodétermination sont donc peu abordés ou les mesures envisagées subissent les changements de gouvernements. Ces premières observations nous indiquent, à ce stade de la recherche, que la réconciliation australienne est sensible aux crises politiques et avance donc timidement. Une remise en question des institutions étatiques favorisant une collaboration avec les communautés semble alors peu propice. L’état reste central et conserve sa position hiérarchique vis-à-vis des groupes autochtones. Les objectifs de Closing the Gap et leur évolution permettent de démontrer l’engagement de l’état tout en garantissant un accord unanime de la Chambre. Toutefois, malgré ces critiques, une étape importante de la réconciliation a été effectuée lors de l’officialisation d’excuse du premier ministre Kevin Rudd en 2008. Une réelle reconnaissance des torts commis par l’état vis-à-vis des communautés est alors engagée par le biais de ce discours. Cette reconnaissance est primordiale dans le processus de réconciliation. Nous allons désormais nous pencher sur les discours d’excuses et la manière dont ceux-ci nous indiquent les perceptions des différents groupes politiques sur ces sujets sensibles.

3. Discours d’excuses, actions et orientations politiques