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CHAPITRE IV : Étude comparative des tentatives de réconciliation en Australie et au

2. Perspectives de réconciliation en comparaison

2.3 Justice, réparation et réconciliation

Afin de finaliser notre analyse des processus de réconciliation, nous allons commenter la manière dont la réparation a été abordée dans les deux pays. Tout d’abord, il est important de mentionner que les termes de « réparation » et « justice » ont peu été utilisés dans les discours. Le concept de justice réparatrice était central dans notre recherche théorique sur la réconciliation. Rappelons sa définition :

Ensemble des mesures judiciaires et non judiciaires qui ont été mises en œuvre par différents pays afin de remédier à l’histoire de violations massives des droits humains en temps de conflits et/ou de répression par l’État. Ces mesures comprennent les poursuites pénales, les programmes de réparation, diverses réformes institutionnelles et les commissions de vérité (Parent, Réseau de Recherche pour les Opérations de la Paix, 2012)

Peut-on parler de « justice réparatrice » dans la réconciliation canadienne et australienne ? Nous allons reprendre brièvement chaque passage de la définition ci-dessus pour y répondre. Premièrement, en ce qui concerne les poursuites pénales, elles ont été exclues des processus de réconciliation. Elles sont peut-être hors de propos dans ces cas-ci, car elles concernent surtout les cas de transition post-conflit tels que des guerres civiles. Pour autant, des plaintes ont été déposées contre l’état et les Églises au Canada, mais l’alternative des excuses et de la CRRPI a été privilégiée à la justice pénale. De plus, bien que des violations importantes aient eu lieu, nombre d’entre elles sont anciennes et il serait difficile d’en punir les responsables. L’approche privilégiée a été le mode de règlement alternatif pour les victimes et peut représenter un exemple de justice réparatrice. En Australie, aucune mesure pénale n’a été envisagée pour traiter de la question des enlèvements.

En ce qui concerne les programmes de réparation, les deux pays ont entamé des mesures différentes selon les problématiques identifiées. Pour ce qui est de l’Australie, le cœur des politiques a été le redressement des inégalités socio-économiques. Outre cet aspect, d’autres mesures tendent à travailler sur la valorisation des cultures et langues autochtones, l’intégration, la commémoration (National Sorry Day) et la promotion d’une relation saine, mais par le biais de réajustements socio-économiques. Comme mentionné ci-dessus, l’essence de la réconciliation australienne, tel que projeté par les représentants de l’état, est plus

économique que culturelle. La réparation est donc plutôt envisagée à travers les possibilités d’accès au mode de vie occidental. Bien que les réajustements socio-économiques participent à une forme de réconciliation sur le long terne, le cœur du problème n’est pas abordé.

Le Canada a quant à lui mis en place différentes mesures de réparation. Premièrement, à travers le projet des tables rondes qui ont mené à l’Accord Kelowna, le gouvernement cherchait à établir une reconnaissance politique et créer un partenariat solide entre l’état et les nations autochtones. Cette approche représentait une forme de réparation par l’inclusion politique et le réajustement des écarts économiques et de niveau de vie. Le gouvernement Harper, avec la CRRPI, a plutôt axé sa réparation dans un esprit de payement de dette historique. En traitant de la question des pensionnats avec un projet concret, le gouvernement s’assure ne plus être critiquable sur la question. Toutefois, bien que la politique s’enligne dans une démarche de réparation, elle se définit comme étant une « convention de règlement ». Symboliquement, le geste diffère quelque peu de la réparation interprétée comme une mesure de guérison et ressemble plus à un contrat. Les projets de réparation restent donc assez flous dans nos cas d’étude. En effet :

Reconciliation seems a more tangible objective in those contexts where meaningful restitution or reparations are available to survivors, and where criminal prosecutions of the most significant offenders either have occurred already, or are occurring alongside truth and reconciliation commissions (Richards et Wilson 2017 : 8).

Selon ce passage de Richard et Wilson la réconciliation peut être évaluée en fonction des mesures mises en place pour atteindre cet objectif. L’approche de la réparation n’est pas pensée de la même manière en Australie et au Canada. En effet, en guise de réparation, l’Australie adopte des mesures de l’ordre des politiques publiques qui touchent exclusivement les collectivités. Les excuses peuvent être envisagées comme une possibilité de guérison personnelle, mais aucune mesure de réparation individuelle n’est engagée par le gouvernement. Les compensations financières sont d’ailleurs exclues du processus, bien qu’elles soient recommandées par le rapport de la commission d’enquête Bringing Them

Home. Le Canada a quant à lui, adopté deux types de mesures dans le cadre de la réparation.

L’une est collective et consiste en un grand projet de divulgation des faits, la CVR. Toujours d’ordre collectif, d’autres aspects de la réparation entendent également réduire les écarts

socio-économiques et assurer une plus grande collaboration et une reconnaissance des droits et de l’autonomie politique des communautés. L’autre est individuelle et comprend des compensations financières octroyées aux anciens étudiants des pensionnats. Le Canada a donc adopté des mesures plus approfondies et a touché à divers aspects de la réparation. L’approche plus holistique du Canada entreprend plus sérieusement une démarche pouvant changer les anciens rapports. Le pays est donc plus avancé dans son processus de réparation que celui de l’Australie. Il pourrait être intéressant à cet effet de comparer les liens entre les modes de représentation et l’avancée de la réconciliation, étant donné les différences importantes entre les deux pays à ce sujet.

En ce qui concerne les réformes institutionnelles, nous avons observé au cours de notre recherche qu’il s’agissait d’un point sensible de la réparation. Nous défendons, dans le cadre de cette recherche, qu’une révision des structures étatique serait favorable à une démarche de réconciliation et une forme de réparation. Les dirigeants politiques ont donc la responsabilité d’engager des mesures de transition afin de créer un terrain propice à une amélioration de la relation. Bien que Trudeau ait entrepris un début de changement institutionnel au Canada, la réparation a été envisagée dans les deux pays selon la vision de la société dominante. Les standards étatiques occidentaux sont restés rigides dans les processus étudiés. Pourtant, ne sont-ils pas à la base de l’assise occidentale sur les cultures autochtones ?

Dans le cas de l’Australie, aucune transition institutionnelle n’est envisagée, voire désirée dans le processus de réconciliation. Comme nous l’avons vu, il y a une grande réticence à ce que les autochtones puissent avoir une voix et une représentation au niveau fédéral. Mais au-delà de ces observations, les politiques n’ont pas fait mention de quelconque projet de changement institutionnel. Les structures occidentales prédominent et des réformes semblent peu probables, ce qui empêche de traiter les discriminations structurelles qui maintiennent les inégalités et le fossé entre autochtones et le reste de la population. Un important travail reste à accomplir à ce stade pour aller vers une réconciliation solide dans les deux pays.

Enfin, pour ce qui est de la commission de vérité et de réconciliation, elle n’a été mise en application qu’au Canada. L’Australie n’a pas évoqué l’intention d’en établir une. Le rapport

Bringing Them Home a permis de faire un travail historique important, sur la base de

sur le passé australien. Les victimes n’ont toutefois pas disposé d’audience publique pour partager leurs témoignages. Pour ce qui est du Canada, la CVR a permis de faire un grand travail historique autour de l’épisode des pensionnats autochtones. Ce travail de mémoire, de publicité des témoignages et d’écoute a participé grandement au projet de réparation comme prévu par l’état.

En guise de conclusion pour cette analyse de la justice réparatrice et de la réconciliation en Australie et au Canada, nous avons observé qu’une partie seulement de cette réparation a été entamée. Il est difficile de parler de justice réparatrice dans le cas de l’Australie, bien que les projets en place depuis 2008 ouvrent la voie à une forme de réparation, un important travail reste à accomplir. Pour ce qui est du Canada, les différentes mesures entamées peuvent être considérées comme des projets de justice réparatrice. Le pays doit toutefois continuer dans cette direction et s’y engager avec sincérité pour espérer des prémisses de changement sur le long terne. Voyons désormais la manière dont chaque groupe politique a interprété la réconciliation en guise de vérification des hypothèses.